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HOMÉLIE LXIX.« JÉSUS PARLANT ENCORE EN PARABOLES, LEUR DIT : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE A UN ROI, QUI, VOULANT FAIRE LES NOCES DE SON FILS, ENVOYA SES SERVITEURS POUR APPELER AUX NOCES LES CONVIÉS, MAIS ILS REFUSÈRENT DY VENIR. IL ENVOYA ENCORE DAUTRES SERVITEURS AVEC ORDRE DE DIRE DE SA PART AUX CONVIÉS: JAI PRÉPARÉ MON DINER; JAI FAIT TUER MES BOEUFS, MES VOLAILLES ET TOUT CE QUE JAVAIS FAIT ENGRAISSER: TOUT EST PRÊT, VENEZ-VOUS-EN AUX NOCES». (CHAP. XXII, 1, 2, 3, 4, JUSQUAU VERSET 15.) ANALYSE 1. Jésus Christ, par la parabole du roi qui célèbre les noces de son fils, rappelle aux Juifs leurs crimes envers les envoyés de Dieu, et leur prédit leur châtiment. 2. La vocation divine nous vient non de notre mérite, mais de la grâce. 3 et 4. Quels sont les ornements dont il faut se parer pour approcher dignement de lEucharistie. Que cest une cruauté de se vêtir avec luxe, et de laisser mourir les pauvres de faim. . Lorateur exhorte ses auditeurs à la vertu en leur représentant la vie des solitaires. Combien ils doivent, à leur exemple, se regarder comme des soldats sur la terre. Description de ces armées saintes. Que les déserts apprennent à ceux qui vivent dans les villes de combien de choses ils peuvent se passer.
1. Considérez, mes frères, et par cette parabole et par la précédente, quelle différence il y a entre le fils et les serviteurs. Considérez combien dun côté il y a de rapports entre ces deux paraboles, et combien de lautre il y a de différence. Elles marquent toutes deux la longue patience de Dieu, sa douceur infatigable, sa providence et sa bonté, et lextrême ingratitude des Juifs ; elles prédisent aussi toutes deux la chute des Juifs et la vocation des gentils. Mais cette dernière a ceci de particulier, quelle marque avec combien de circonspection et de crainte nous devons servir Dieu et avec quelle sévérité notre négligence sera punie. Cest pourquoi celle-ci vient parfaitement bien après la première. Jésus-Christ, qui avait terminé la première par ces paroles qui en faisaient la conclusion : « On donnera cette vigne à un peuple qui en produira les fruits », marque dans celle-ci quel est ce peuple. Mais on voit encore ici une tendresse de Dieu toute particulière pour le salut des Juifs, les persécuteurs et les homicides de son Fils. La parabole précédente navait témoigné cette bonté de Dieu sur eux quavant la mort de Jésus-Christ; mais celle-ci fait voir quil est à leur égard dans la même disposition après même quils lont fait mourir. Il ne cesse point encore alors de les appeler à lui; et lorsquil devrait tirer vengeance de leur crime, il ne pense quà les inviter aux noces et à leur rendre le plus grand honneur quil leur pouvait faire. On voit encore dans ces deux paraboles que ce ne sont point les gentils qui sont appelés les premiers, mais les Juifs; et que, comme Dieu ne donne sa vigne à dautres quaprès que les vignerons non-seulement nen ont pas reçu le maître, mais quils lont même fait mourir cruellement, il nappelle aussi ces derniers aux noces quaprès que les autres ont refusé dy venir. Y a-t-il rien de plus insensé que les Juifs? ils sont invités aux noces, et à des noces quun roi si puissant fait à son Fils unique, et ils ne daignent point y venir. Quel homme sur la terre ne se tiendrait très-heureux, si un roi lui offrait un pareil honneur. Mais doù vient, me direz-vous, que Jésus-Christ compare à des noces la grâce quil est venu apporter au monde? Il le fait pour nous (539) faire mieux comprendre le soin quil a de nous et le désir quil a de notre salut. Il le fait pour empêcher que vous ne vous figuriez rien de triste dans cette vocation, et que vous reconnaissiez que tout y est rempli dune joie céleste et de délices ineffables. Cest pourquoi saint Jean appelait Jésus-Christ « 1Epoux (Jean, III, 29) », comme la fait saint Paul ensuite, lorsquil dit: « Je vous ai fiancé à un homme». (II Cor. II, 2.) Et ailleurs : « Cest là un grand mystère; mais je dis en Jésus-Christ et en lEglise ». (Ephés. V, 32.) - Vous me direz peut-être: pourquoi lEvangile ne dit-il pas que « ces noces » sont les noces du Père, et pourquoi les appelle-t-il les noces du Fils? Cest parce que cette divine épouse était préparée pour le Fils. Quoiquon puisse dire en même temps quelle a été aussi préparée pour le Père, parce que, comme ils nont tous deux quune même substance, IEcriture leur attribue assez indifféremment plusieurs choses. Mais cette dernière parabole marque clairement la résurrection du Fils; ce que ne fait pas la précédente, qui ne représente au contraire que la mort du Fils unique, au lieu que celle-ci montre les noces du Fils après sa mort et par sa mort même, puisque cest par elle quil devient Epoux. Cependant toutes ces instructions nadoucissent point les Juifs; et tant de vérités étonnantes ne les font point rentrer en eux-mêmes. Ils portent leur malice jusquau dernier excès, et commettent trois crimes horribles qui leur attireront éternellement la haine et la condamnation du monde entier. Le premier, le meurtre de tant de prophètes; le second, la mort du Fils unique; et le troisième, la dureté épouvantable quils témoignent contre lui après sa mort. Quoiquils aient fait mourir son Fils si cruellement, Dieu ne laisse pas dinviter encore ces meurtriers « à ses noces », mais ils refusent dy venir, et ils prennent des excuses ridicules pour colorer ce refus. Lun dit quil a « acheté des bufs », lautre « quil a acquis une terre », et lautre enfin « quil sest marié».Ces prétextes, qui sont spécieux, nous apprennent quil ny a rien sur la terre, quelque nécessaire quil paraisse, qui ne doive céder à ce qui regarde le salut. Dieu invite ces hommes, non en les surprenant tout dun coup, mais en les appelant plu. sieurs siècles auparavant: « Dites aux invités», dit-il; et après ; « Allez appeler les invités », ce qui redouble encore leur crime. Vous me demanderez, mes frères, quels sont les serviteurs « qui les ont appelés ». Ce sont les prophètes, cest saint Jean qui envoyait tout le monde à Jésus-Christ, et qui déclarait hautement que Jésus croîtrait et que lui au contraire diminuerait. Enfin, cétait le Fils de Dieu même qui les avait appelés, et qui leur disait: « Venez, vous tous qui êtes travaillés, et qui êtes chargés, et je vous soulagerai ». (Matth. XI, 27.) Et ailleurs : « Si quelquun a soif, quil vienne à moi et quil boive ». (Jean, VII, 37.) Mais il ne se contente pas de les appeler de paroles. Il les appelle encore par des effets pleins de merveilles. Et après son ascension il les invite par saint Pierre, et par ses autres apôtres à retourner enfin à lui : « Celui », dit saint Paul, « qui a établi Pierre par sa force toute-puissante pour être lapôtre des Juifs, ma établi de même pour être lapôtre des gentils ». (Galat. II, 7.) Dieu, quoiquils eussent tué son Fils, les appelle encore une fois par ses serviteurs. Mais à quoi les appelle-t-il? Est-ce à des supplices? est-ce à des afflictions? est-ce à des souffrances? Ou nest- ce pas plutôt « à des noces », à des plaisirs et à des délices? « Jai fait tuer », dit-il, « mes boeufs et mes volailles ». Quelle magnificence ! Quelle somptuosité ! Et cependant rien ne peut toucher les Juifs, et plus la patience de Dieu redouble à leur égard, plus croit aussi leur dureté et leur résistance. «Mais eux, sans sen mettre en peine, sen allèrent lun à sa maison des champs, et lautre à son trafic ordinaire (5) ». Ils refusent de venir à ces noces où Dieu les fait appeler avec tant de soin, et ils refusent dy venir, non tant par des empêchements réels que par une pure négligence. Cette excuse des boeufs quils ont achetés, ou dune terre quils ont acquise, ne sont que des prétextes de leur paresse. Dieu ne reçoit point ces excuses lorsquil nous appelle au salut. Il ny a point de nécessité ni daffaire qui doive nous en détourner. Mais leur plus grand mal nest pas de ne point venir à ces noces; cest de traiter si mal ceux qui les y viennent inviter, de leur faire tant doutrages et de les tuer. « Les autres se saisirent de ses serviteurs, « leur firent plusieurs outrages et les tuèrent (6) ». Ils paraissent bien plus cruels et bien plus brutaux ici que dans la parabole précédente. Ils tuaient là des serviteurs qui leur (540) venaient demander les revenus dune vigne; mais ici ils tuent ceux qui ne viennent à eux que pour les inviter aux noces de celui dont ils avaient été les meurtriers; ce qui est le comble de la brutalité et de la fureur. Cest le reproche que saint Paul leur fait, lorsquil dit: « Ils ont tué vos serviteurs et vos prophètes; et ils nous ont persécutés ». (Rom. XI, 3.) Il prévient même lexcuse quils pouvaient prendre en disant quils ne le tuaient que parce quil était contraire à Dieu; lorsquil dit que cest le Père qui les invite, et qui fait ces noces auxquelles il les appelait. Quel sera donc le supplice de ces barbares, qui, après avoir refusé si orgueilleusement de venir à ses noces, répandent le sang de ceux qui les y avaient invités? « Le roi, layant appris, entra en colère; il e envoya ses armées, perdit ces meurtriers, et brûla leur ville (7.) ». Il brûle leur ville et envoie de troupes pour les passer tous au fil de lépée. Il prédit par ces paroles ce qui devait arriver sous Vespasien et sous Tite, et montre par là quel outrage les Juifs faisaient au Père en traitant ainsi son Fils; puisque cest le Père qui les en punit. Cependant il ne les punit pas aussitôt après la mort de Jésus-Christ, mais seulement quarante ans après, afin de leur montrer jusquoù allait sa douceur et son invincible patience. Car ils ne furent ruinés quaprès quils eurent lapidé le saint martyr Etienne, quils eurent coupé la tête à saint Jacques, et quils eurent témoigné tant de mépris pour tous les apôtres. Mais nous devons admirer la certitude de cette prophétie, et la promptitude avec laquelle elle fut accomplie, puisquelle fut exécutée du vivant même de lapôtre saint Jean, et de plusieurs autres qui lavaient ouïe de la bouche du Sauveur. Repassez donc encore une fois dans votre esprit, mes frères, quel soin Dieu a témoigné pour ce peuple. Il a planté une vigne, il la enfermée de murailles; il a fait tout ce quil fallait. Il envoie ensuite des serviteurs pour en demander les fruits : les vignerons les tuent. Il en envoie dautres; ils les tuent encore. Il envoie son propre Fils : ils le tuent et le crucifient. Après cet outrage, et après une mort si injuste, Dieu les appelle encore aux noces, et ils refusent dy venir. Il leur envoie dautres serviteurs pour les presser davantage; et ils les font mourir. Enfin, après quils ont témoigné par tant de preuves que leur maladie était incurable et leur opiniâtreté inflexible, Dieu prononce larrêt de leur condamnation. Et il est aisé de voir que leur malice était entièrement incurable, puisquils ne se sont pas convertis, lors même que les femmes perdues et les publicains ont cru en Jésus-Christ, et quainsi la foi de ces pécheurs quils nont pas voulu imiter, est une seconde condamnation de leur perfidie. Que si lon dit que Jésus-Christ na pas attendu à prêcher lEvangile aux gentils que les Juifs eussent maltraité les apôtres, parce quil leur dit aussitôt après sa résurrection: « Allez, enseignez tous les gentils » , nous répondons que Jésus-Christ, et avant et après sa mort, a envoyé ses apôtres aux Juifs. Car il leur commanda formellement avant sa passion daller aux brebis de la maison dIsraël qui étaient égarées; et après sa résurrection, non-seulement il ne leur défendit point de prêcher aux Juifs; mais il leur ordonna expressément daller commencer par eux, Quoiquil leur eût dit quils iraient porter son Evangile par toute la terre, il voulut quils lannonçassent dabord à cette ville rebelle: « Vous recevrez », leur dit-il, « la force du Saint-Esprit qui viendra sur vous, et vous me servirez de témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée, et jusquaux extrémités de la terre». Saint Paul dit de même: « Celui qui a agi dans Pierre pour le rendre lapôtre des Juifs, a agi en moi pour me rendre lapôtre des gentils. » (Act. I, 7.) Ainsi, les apôtres dabord prêchèrent aux Juifs, et après avoir longtemps été maltraités par eux et enfin bannis de leurs terres, ils sen aillèrent ensuite prêcher aux gentils. 2. Mais considérez ici, mes frères, la magnificence de Dieu. « Alors il dit à ses serviteurs: Le festin des noces est tout prêt, mais ceux que nous y avions appelés nen étaient pas dignes (8). Allez-vous-en donc dans les carrefours et appelez aux noces tous ceux que vous trouverez (9). Ils se contentaient auparavant de demeurer dans la Judée, et de prêcher indifféremment à tous ceux qui sy trouvaient, Juifs ou gentils: mais, reconnaissant que les Juifs leur dressaient toujours des piéges, saint Paul explique enfin cette parabole: « Il fallait », dit-il » , quon vous prêchât dabord la parole de Dieu; mais puisque vous vous en êtes jugés indignes, nous nous tournons vers les gentils » . (Act. XVII,6) cest pourquoi Jésus-Christ dit dans cette parabole: (541) « Le festin des noces est tout prêt, mais ceux que nous y avions appelés nen étaient pas dignes ». Il savait dabord quils en seraient indignes, mais il ne laisse pas néanmoins de venir lui-même les prier les premiers, et dy envoyer ses serviteurs, afin de leur ôter un jour tout sujet dexcuse, et de nous apprendre à nous autres, qui sommes ses ministres dans lEglise, à faire tout ce qui est de notre devoir, quand même nous ne devrions retirer aucun fruit de nos travaux: « Puis donc », dit-il, « que ceux que nous y avions appelés, nen étaient pas dignes, allez-vous-en dans les carrefours, et appelez aux noces tous ceux que vous trouverez. Et ses serviteurs étant allés dans les rues, assemblèrent tous ceux quils trouvèrent, bons et méchants (10 ». Comme il avait dit auparavant que les publicains et les femmes de mauvaise vie entreraient au ciel; que les premiers seraient les derniers, et que les derniers seraient les premiers, et que cette .menace était très-sensible aux Juifs qui étaient plus touchés de voir les gentils prendre leur place, que de voir toute leur ville ruinée, il montre ensuite combien ce traitement était juste. Mais, pour apprendre à ces derniers que la foi seule ne leur suffit pas, il leur parle aussitôt de son jugement et de la sévérité avec laquelle il condamnerait tous les coupables; soit ceux qui nauraient pas cru, parce quils nauraient pas voulu recevoir la foi; soit ceux qui auraient cru, parce que la pureté de leur vie naurait pas répondu à la sainteté de leur foi. « Ensuite le roi entra pour voir ceux qui étaient à table, et, ayant aperçu homme qui nétait pas vêtu de la robe nuptiale (11), il lui dit : Mon ami, comment êtes-tous entré en ce lieu sans avoir la robe nuptiale? et cet homme ne sut que répondre (12). Alors le roi dit à ses gens : Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures. Cest là quil y aura des pleurs et des grincements de dents (13). Car il y a beaucoup dappelés, mais peu délus (14) ». Cette robe nuptiale dont lEvangile parle ici, représente notre vie et la pureté de nos actions. Dieu nous appelle par sa seule grâce, et la vocation vient de sa pure-bonté, et non point de nos mérites. Mais, afin que celui qui est appelé conserve ses vêtements blancs, il faut quil agisse et quil travaille. Puis donc quil nous avait prévenus par une si grande grâce, cétait à nous à la reconnaître et à ne témoigner pas tant dingratitude et tant de malice après un si grand honneur. Vous me direz peut-être que vous navez pas reçu de Dieu tant de grâces que les Juifs. Et moi je vous réponds que vous en avez beaucoup plus reçu. Car il vous a donné en un moment ce quil leur avait promis durant beaucoup de siècles; et il vous la donné lorsque vous en étiez tout à fait indignes. Aussi saint Paul dit: « Que les nations glorifient Dieu de la miséricorde quil leur a faite (Rom, XV, 9) » ; parce quelles ont reçu ce qui avait été promis aux Juifs. Cest pourquoi Dieu tirera une effroyable vengeance de ceux qui ne lui témoigneront que de lindifférence et du mépris après tant de grâces. Les Juifs ont traité Dieu injurieusement en refusant de venir au festin de ses noces; et vous le traitez avec encore plus doutrage, lorsque, après y avoir été appelé par une bonté si rare, vous osez vous y présenter avec une vie tout impure et toute corrompue. Car ces habits sales et souillés marquent limpureté de la vie. LEvangile ajoute aussi que cet homme « ne sut que répondre ». On voit par là que, bien que le crime de cet homme fût si visible, Dieu néanmoins différa de le châtier jusquà ce que le coupable se fût condamné lui-même. Car cétait se condamner que de demeurer dans le silence. Il est jeté aussitôt dans des supplices épouvantables. Car lorsque vous entendez nommer ce mot de « ténèbres extérieures » , ne vous imaginez pas quon ait seulement jeté cet homme dans quelque lieu obscur et ténébreux, puisque Jésus-Christ assure aussitôt quil y a là des pleurs et des « grincements de dents ». Il a voulu, par cette expression, nous faire concevoir des tourments épouvantables. Ecoutez ceci, vous tous qui, invités à nos saints mystères et au festin des noces de lAgneau, y venez avec des âmes impures et corrompues. Souvenez-vous du lieu où lon vous a trouvés, quand vous avez été appelés à ces noces. LEvangile vous rappelle, par les termes « de carrefours et de places publiques », ce que vous étiez lorsquon vous a appelés, cest-à-dire « pauvres, aveugles et boiteux »au dedans de lâme; sorte de plaies bien plus dangereuses que la cécité et les autres maux du corps. Ayez du respect pour celui qui vous appelle si charitablement à ses noces. Cessez (542) de porter ces vêtements honteux et horribles à voir. Que chacun travaille à parer son âme dune robe blanche et sans tache. Ecoutez ceci, hommes et femmes. Nous ne demandons point de vous que vous apportiez ici des draps dor et une magnificence qui nest quau dehors. Nous vous demandons des habillements intérieurs et spirituels. Tant que vous serez attachés à cet ornement de votre vanité, il sera bien difficile que vous ayez ceux que je vous demande. On ne peut parer en même temps lâme et le corps. On ne peut en même temps-être esclave de largent et obéir à Jésus-Christ comme il le désire. Renonçons donc pour jamais à cette passion si cruelle de lavarice. Si quelquun voulait orner votre maison de tapisseries rehaussées dor et dargent, et quil vous laissât cependant tout nu, ou couvert dhabits sales et déchirés, souffririez-vous cette injure? Cependant cest vous-mêmes qui vous faites cet outrage. Vous ornez magnifiquement votre corps, qui est comme la maison de votre âme, pendant que la maîtresse qui y doit habiter est toute déchirée et toute nue. Ignorez-vous quon doit plus parer le roi que la ville dont il est le souverain, et quon se contente de donner à la ville un ornement médiocre, lorsque le roi est couvert dor et de pourpre? Traitez votre âme avec la même justice. Donnez à votre corps un habit modeste, mais revêtez votre âme de pourpre. Donnez-lui une couronne dor, et faites-la asseoir sur le trône. Mais vous faites le contraire. Vous ornez toutes les rues et tout le dehors de la ville, et vous souffrez que lâme, qui en est reine, soit honteusement traînée captive par une infinité de passions vous souviendrez-vous jamais que vous êtes invité aux noces, aux noces de Dieu même? Ne pensez-vous point combien doivent être précieux les vêtements avec lesquels votre âme doit entrer dans cette chambre nuptiale; et quelle doit être , comme dit le Prophète, « vêtue dune robe en broderie dor, semée à laiguille de diverses fleurs »? (Ps. 44.) 3. Voulez-vous que je vous montre quels sont ceux qui ont ces vêtements divins, et qui sont revêtus de la robe nuptiale? Souvenez-vous de ces saints solitaires dont je vous parlais la dernière fois ; de ces hommes austères qui sont couverts dun cilice et qui passent toute leur vie dans le fond dun désert. Voilà ceux qui sont parés comme Jésus-Christ veut que le soient ceux qui viennent à ses noces. Si vous présentiez à ces hommes un habillement de pourpre , ils le rejetteraient avec autant dhorreur quun roi rejetterait les haillons des pauvres dont on le voudrait revêtir. Ce qui leur donne un si grand mépris pour celle vaine magnificence du corps, cest la connaissance et le désir quils ont de la beauté des vêtements de leurs âme3. Cest là ce qui leur fait fouler aux pieds la pourpre et lécarlate comme des toiles daraignée. Le sac et le cilice dont ils sont toujours revêtus les soutiennent même dans cette pensée, puisque, dans cet état si vil et si méprisable en apparence, ils ne laissent pas dêtre infiniment plus grands et plus illustres que les rois. Si vous pouviez pénétrer le dedans de ce sanctuaire, envisager de près leurs âmes, et en considérer les ornements, ce grand éclat vous éblouirait et vous ferait tomber par terre. Vous ne pourriez soutenir cette lumière si vive, et léclat de leur conscience toute pure et sans aucune tache vous éblouirait les yeux. Javoue que nous avons dans nos livres des exemples aussi admirables et des hommes aussi rares que ceux daujourdhui ; mais néanmoins, comme ce qui se voit des yeux touche davantage les personnes moins spirituelles, je ne me lasse point de vous prier daller voir ces saints solitaires dans leurs retraites et dans leurs cellules. Vous ny verrez rien de triste , rien qui les afflige ou qui les puisse chagriner.. On croirait quils ont placé leurs tentes dans le ciel même, où ils demeurent paisiblement éloignés de tous ces accidents fâcheux qui traversent la vie des hommes combattant généreusement contre le démon, et entreprenant avec autant de joie de le combattre et de le vaincre, que sils allaient à des noces. Cest pour ce sujet quils vont chercher dans les déserts un lieu reculé pour sy dresser une tente, et quils fuient les villes et les places publiques, parce quun soldat ne peut être en même temps à la guerre et dans une maison. Il cherche une tente quil dresse à la hâte, et où il demeure comme en devant sortir bientôt. Ces solitaires vivent donc dune manière qui est étrangement opposée à la nôtre. Car pour nous, bien loin de vivre comme si nous étions dans un camp, nous vivons comme au milieu dune ville et comme dans une profonde paix. Qui sest jamais mis en peine à larmée de creuser des fondements pour bâtir une maison (543) où il habite, puisquon ny fait que passer dun lieu en un autre? Nest-il pas vrai, au contraire, que si quelquun voulait faire ainsi la guerre, on le regarderait comme un lâche, et quon le tuerait comme un traître ? Quel est le soldat qui, étant dans le camp, pense à acquérir de grandes terres, mi à faire quelque trafic pour amasser de largent? Car il ny est pas pour senrichir, mais pour combattre. Faisons de même, mes frères. Nous sommes soldats, et la terre est notre camp. Ne pensons point à trafiquer en un lieu que nous quitterons dans un moment. Quand nous serons arrivés en notre patrie céleste, nous nous enrichirons assez. Je vous dis donc à vous tous qui aimez à acquérir du bien: Attendez alors à devenir riches Mais je me trompe : lorsque vous y serez arrivés, vous naurez pas besoin de travailler pour cela. Votre roi y prépare lui-même une abondance infinie de biens, dont il comblera tous vos désirs. Vivons donc, mes frères, comme dans un lieu et un temps de guerre. Nous navons besoin que de tentes ou de huttes, nous navons point besoin de maisons. Navez-vous point entendu dire quelquefois que les Scythes vivent dans des chariots sans avoir aucune demeure arrêtée? Cest ainsi, mes frères, que doivent vivre les chrétiens. Ils doivent parcourir toute la. terre en combattant contre le démon, en retirant de sa tyrannie les captifs quil entraîne, et en méprisant généreusement ce qui ne regarde que la vie présente. Pourquoi donc, ô chrétien, vous bâtissez-vous avec tant de soin des maisons et des palais pour y demeurer? Est-ce afin de vous lier à la terre par des chaînes plus pesantes? Pourquoi cachez-vous votre argent dans la terre? Est-ce afin dinviter votre ennemi à venir prendre son avantage pour vous combattre? Pourquoi élevez-vous des murailles si solides? Est-ce pour vous bâtir une prison? Si vous croyez quil vous soit pénible de vous passer de toutes ces choses, allez au désert de ces solitaires ; voyez leurs cabanes, et reconnaissez enfin combien il est facile de ne rien rechercher de tout ce que vous vous croyez si nécessaire. Ils ne demeurent que sous de petites tentes quils quittent avec autant de facilité lorsquil le faut, quun soldai quitte sa hutte pour aller goûter la paix dans les villes. Je trouve infiniment plus de plaisir à voir un vaste désert rempli de petites cellules où demeurent ces saints solitaires, que de voir une armée campée dans un champ, les tentes dressées, les pointes des piques élevées en haut, les drapeaux suspendus aux lances et agités de lair; léclat des boucliers qui, frappés du soleil, jettent des flammes et, des rayons de toutes parts; cette multitude effroyable de têtes dairain et dhommes de fer, la tente du général, comme un palais fait en un moment, toute environnée de gardes et dofficiers; et cette confusion dhommes mêlés ensemble, dont les uns sont sous les armes, les autres courent ou repassent çà et, là au bruit des trompettes et. des tambours. Ce spectacle frappe les yeux et étonne agréablement, et néanmoins il na rien de comparable à celui que je vous propose. Car si nous allons dans ces déserts, et si nous y considérons les tentes de ces soldats de Jésus-Christs nous ny trouverons ni lances, ni épées, ni aucune arme; ni ces draps dor. dont on pare les tentes des empereurs et des généraux darmées.; mais nous serons surpris, comme si, passant dans un pays sans comparaison plus beau et plus heureux que celui-ci, nous voyions paraître tout dun coup un ciel nouveau sur une nouvelle terre. Car les cellules de ces saints qui y sont ne cèdent pas au ciel même, puisque les anges y viennent, et le Roi des anges. Car si ces bienheureux esprits se sont tant plu autrefois avec le saint patriarche Abraham, quoiquil fût engagé dans le mariage, ayant sa femme et ses enfants, parce quil aimait à recevoir les étrangers; combien se plairont-ils davantage, et aimeront-ils plus ardemment à ne faire quun même coeur avec des hommes qui sont dans une vertu et une condition beaucoup plus pure, qui sont dégagés entièrement de leurs corps, et qui, dans la chair même, se sont élevés au-dessus de la chair? Leur table a banni pour jamais toutes sortes de voluptés et de luxe. Elle est toujours pure et sobre, et toujours digne dun chrétien. On ne voit point là, comme dans nos villes, des ruisseaux de sang des bêtes égorgées, et des animaux coupés en cent parties. On ny voit point ni ce feu, ni ces fumées, ni ces odeurs insupportables, ni ce bruit et ce tumulte, ni tous ces raffinements pour satisfaire le goût, suites de lart et de lempressement des cuisiniers. On voit pour tous mets sur leur table du pain et de leau. Ils ont lune dune fontaine voisine, et gagnent lautre par leurs justes (544) et saints travaux. Sils veulent quelquefois faire quelque grand festin, cet extraordinaire se borne à quelque fruit que les arbres de leurs déserts leur produisent, et ils trouvent en cet infiniment plus de délices que dautres nen trouveraient dans la table des rois. Ils ne sont pas exposés en ce lieu aux craintes et aux frayeurs. Les puissances ne les inquiètent point. Ils nont point de femmes ni denfants qui les fâchent. Ils ne sabandonnent jamais à des ris démesurés, et ils ne sont point assiégés de ces hommes lâches, qui leur puissent inspirer de la complaisance par leurs louanges et leurs flatteries. 4. Leur table est comme une table danges, éloignée de tout bruit et toujours dans la paix. Lherbe verte leur sert de siège, et ils retracent là tous les jours ce festin miraculeux que Jésus-Christ fit à tout un peuple dans un lieu semblable à celui où ils demeurent. Plusieurs dentre eux nont pas même de cellules. Ils nont point dautre toit que le ciel, ni dautre lampe durant la nuit que la lune qui les éclaire sans avoir besoin dy mettre de lhuile. Cest proprement pour eux que la lune luit, puisquils ne se servent point dautre lumière que de la sienne. Les anges, voyant du ciel la tempérance et la pauvreté de leur table, trouvent en eux leurs plaisirs et leurs délices. Car sils se réjouissent dun pécheur qui fait pénitence, que ne doivent-ils point faire en voyant tant de justes qui les imitent, et qui vivent sur la terre de la vie du ciel? Il ny a point entre eux de serviteur ou de maître. Tous sont serviteurs, et tous sont libres. Ce nest point une énigme que ce que je dis; car ils sont véritablement serviteurs les uns des autres, et maîtres les uns des autres. Lorsque la nuit est venue, on ne les voit point plongés dans une profonde tristesse, comme on voit si souvent les gens du monde, qui repassent avec chagrin les malheurs et les pertes qui leur sont arrivées durant le jour. Après le souper, ils ne sont point en peine de se défendre contre les voleurs, de fermer leurs portes avec soin, et de prendre toutes ces autres précautions quon prend dans le monde. Ils ne, craignent point, en éteignant leurs lampes, quune étincelle mette le feu au logis. Leurs conférences et leurs entretiens sont pleins aussi dune paix modeste et tranquille. Ils ne perdent point de temps comme nous à parler de choses vaines et superflues qui ne les regardent point. Ils ne se racontent point de nouvelles, si un particulier est devenu roi, si un prince est mort, si un autre lui a succédé. Tous ces entretiens, qui occupent Les gens du monde, leur sont inconnus. Ils ne parlent et ils ne soccupent que de lavenir et des choses éternelles. Il semble quils habitent une autre terre que la nôtre, et quils soient déjà dans le ciel. Dans toutes les questions quils sadressent entreux, ils ont pour but de sinstruire, par, exemple, de ce que cest que le sein dAbraham ; quelles sont les couronnes que Dieu promet aux saints, et quelle sera cette union admirable que nous aurons un jour avec Jésus-Christ. Voilà ce qui occupe toutes leurs pensées, et ce qui forme tous leurs entretiens. Car, pour ce qui regarde les choses de ce monde, ce sont des matières qui ne sont point pour eux. Et comme nous rougirions de nous mettre en peine de savoir ce que les fourmis font dans leur fourmilière, ils dédaignent de même de sinformer de ce qui se passe parmi les hommes. Leur esprit nest attentif quà ce Roi céleste; quà cette guerre que nous avons avec le démon; quà chercher les moyens déviter ses piéges et ses artifices, et quà considérer les grands exemples de vertu que nous ont donnés les saints. En effet, mes frères, quelle différence trouverez-vous entre nous et des fourmis, si nous nous comparons avec ces saints solitaires? Car, ne peut-on pas dire que, comme les fourmis ne sont attentives quà ce qui regarde le corps, nous ne sommes de même occupés quà ces sortes de pensées, et à de plus basses encore et plus indignes de nous? Car nous ne pensons pas seulement comme les fourmis aux choses nécessaires, mais aux superflues. Ces petits animaux passent innocemment leur vie sans faire aucun mal, mais nous passons la nôtre dans mille violences, et nous imitons non les fourmis, mais les loups et les lions. Nous sommes même pires que ces animaux si farouches. Car cest la nature qui leur a appris à vivre de ce quils ravissent; mais nous, après avoir reçu de Dieu le don si précieux de la raison, nous ne rougissons point dêtre plus cruels que les bêtes les plus cruelles. Jetons donc les yeux sur la vie de ces saints hommes, qui, sétant rendus égaux aux anges, vivent ici-bas comme des étrangers, et qui nous sont entièrement opposés dans lusage quils (545) font généralement de toutes choses, de la nourriture, des habits, du logement, de la conversation et de la parole. Si quelquun écoutait leurs entretiens et les nôtres, et tés comparait ensemble, il verrait clairement quils sont dignes dêtre dans le ciel, et que nous sommes indignes dêtre sur la terre. Lorsque quelque grand ou quelque prince les va voir, cest alors quon reconnaît le néant de tout ce qui paraît de plus magnifique dans le monde. On voit un solitaire accoutumé à remuer la terre, et qui ne sait rien de toutes les affaires du siècle, sasseoir indifféremment sur un gazon auprès dun général darmée qui sélève dans son coeur de lautorité quil a sur tant dhommes. Car il ne trouve là personne qui le flatte, et qui le porte à tenir son rang. Il lui arrive alors la même chose quà un homme qui sapprocherait dun ouvrier en or, ou dun lieu rempli de roses, et qui tirerait quelque éclat de cet or, et quelque odeur de ces fleurs. Ceux mêmes qui voient de près ces saintes âmes, tirent quelque avantage de léclat et de la bonne odeur de leur vertu, et rabaissent quelque chose de ce vain orgueil-où ils étaient avant de les voir. Comme nous voyons quun homme fort petit ne laisserait pas de se faire voir de bien loin sil montait sur un lieu très-élevé ; de même ces grands du monde, en sapprochant de ces saints solitaires, paraissent quelque chose autant de temps quils demeurent avec eux , mais lorsquils sortent de leur compagnie, ils rentrent aussitôt dans leur première bassesse. Les rois, ni les princes ne sont rien dans lesprit de ces saints. Ils se rient de leur éclat et de leur vaine magnificence, comme nous nous rions des jeux des petits enfants. Et en effet, si on leur offrait le plus grand et le plus paisible royaume de la terre, ils nen voudraient point , parce quils nont dans lesprit que cette principauté souveraine et éternelle, qui leur fait mépriser toute la grandeur passagère de celle du monde. Qui nous empêche donc, mes frères, de sortir de notre bassesse pour aller voir ces âmes si heureuses et si élevées? Nirons-nous jamais voir ces anges couverts du corps dun homme? « Ne nous revêtirons-nous » jamais comme eux « de ces vêtements si purs et si blancs » , afin de nous présenter « à ces noces » spirituelles, avec une bienséance digne de Dieu? Demeurerons-nous toujours dans notre première « pauvreté » , mendiant misérablement notre vie « dans les carrefours », et ne différant en rien des pauvres qui nous demandent laumône , sinon peut-être en ce que nous sommes encore plus misérables queux? Un riche qui est méchant est bien plus malheureux quun pauvre qui est bon, et il vaut sans comparaison mieux demander laumône que de prendre le bien dautrui. On excuse lun, mais on punit lautre. Lun noffense point Dieu, mais lautre offense également Dieu et les hommes ; et, après avoir bien travaillé pour amasser du bien par ses rapines , il en laisse souvent le fruit aux autres. Comprenons ces vérités, mes frères: renonçons à lavarice et au désir des biens de la terre. Namassons que les biens du ciel, et ravissons, avec une sainte et généreuse violence, ce royaume que Dieu nous promet, pour y jouir du bonheur éternel que je vous souhaite par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire , dans tous les siècles des siècles. Ainsi-soit-il. (546) |