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HOMÉLIE LXVI« ET COMME ILS SORTAIENT DE JÉRICHO, IL FUT SUIVI DUNE GRANDE TROUPE DE PEUPLE. ET DEUX AVEUGLES QUI ÉTAIENT ASSIS LE LONG DU CHEMIN, AYANT ENTENDU DIRE QUE JÉSUS PASSAIT, COMMENCÈRENT A CRIER: SEIGNEUR, FILS DE DAVID, AYEZ PITIÉ DE NOUS. ET COMME LE PEUPLE LES REPRENAIT ET LES VOULAIT FAIRE TAIRE, ILS SE MIRENT A CRIER ENCORE PLUS HAUT: SEIGNEUR, FILS DE DAVID, AYEZ PITIÉ DE NOUS ». (CHAP. XX, 29, 30, 34, JUSQUAU VERSET 12, DU CHAP. XXI.) ANALYSE 1. Ces aveugles, par leurs cris persévérants, nous enseignent à nous-mêmes la persévérance qui obtient tout de Dieu par elle seule. 2. La vue de Jésus-Christ est notre modèle en tout. 3-5. Quon donne au monde avec profusion et à Jésus-Christ avec parcimonie. Le saint rougit davoir parlé si souvent de ce sujet avec si peu de fruit. Quon doit donner aux pauvres, ce qui reste de son revenu sans vouloir augmenter son bien. Quil ny a point de rente plus assurée que largent quon donne aux pauvres, ni de meilleur bien quon puisse laisser à ses enfants. 1. Dans le voyage que Jésus-Christ fait à Jérusalem, on peut considérer, mes frères, doù il part, et encore plus par où il passe ; et pourquoi il ne va pas dans la Gaulée, mais passe par la Samarie. Nous laissons néanmoins cette dernière question à résoudre à ceux qui sappliquent avec soin à lintelligence de lEcriture. Car si on examine bien ce que dit saint Jean, on trouvera quil en marque la raison, quoique dune manière assez obscure. Poursuivons donc notre dessein, et écoutons ces aveugles qui étaient plus éclairés que beaucoup de ceux qui voient bien clair. Quoi quils naient point de guide, et quils ne puissent voir Jésus-Christ qui venait à eux, ils ont néanmoins un désir ardent de laller trouver. Ils crient vers lui, et plus on les veut faire taire, plus ils élèvent la voix. Cest là la marque dune âme ferme et constante. Plus on soppose à elle, plus elle fait defforts pour vaincre tout les obstacles. Jésus-Christ permettait quon les pressât si fort de se taire, pour nous faire mieux reconnaître lardeur de leur foi, qui les rendait si dignes dêtre guéris. Cest pourquoi il ne leur demande point comme il faisait à tant dautres, sils croyaient quil les pût guérir. Leurs cris redoublés et les efforts quils faisaient pour sapprocher du Sauveur, en rendaient un assez grand témoignage. Et ceci nous fait voir, mes frères, que quelque petits et méprisables que nous soyons, si nous approchons de Dieu avec ardeur et avec foi, nous pourrons obtenir par nous-mêmes tout ce que nous désirons. Nous ne voyons point quaucun des apôtres ait parlé au Fils de Dieu pour ces aveugles. Plusieurs au contraire tâchaient de leur fermer la bouche et de leur imposer silence, et néanmoins, malgré tous ces obstacles, ils ont trouvé enfin moyen de se présenter à Jésus-Christ. LEvangile même ne témoigne pas que leur vertu ait pu leur donner cette confiance. La seule ferveur quils font paraître en ce moment, leur tient lieu de tout. Imitons-les, mes frères. Et quand Dieu différerait de nous donner ce que nous lui demandons, quand plusieurs sopposeraient à nos demandes, ne cessons point de prier, puisque rien nest plus capable dattirer sur nous la miséricorde de Dieu que cette persévérance pleine de foi. Cest la grande instruction que nous donnent ces aveugles. Ni la pauvreté, ni la cécité; ni linutilité de leurs cris, qui dabord ne sont point exaucés, ni la violence de ce peuple qui veut les forcer à se taire, ne peut ralentir lardeur de leur zèle. Tant il est vrai quune âme .qui a une grande foi dans la (516) douleur qui la presse, se met enfin au~dessus de tout. Que, fait Jésus-Christ en cette rencontre? « Alors Jésus sarrêta, et les appelant à lui, il leur dit: Que voulez-vous que je vous fasse (32) ? Seigneur, lui dirent-ils, ouvrez-nous les yeux (33) ». Pourquoi leur demande-t-il ce quils désiraient de lui ? Cest pour empêcher quon ne crût quil leur donnait autre chose que ce quils lui demandaient. Car Jésus-Christ dans 1Evangile rend toujours témoignage devant tout le monde à la vertu, et à la foi de ceux qui sapprochaient de lui pour lui demander quelque grâce et il les guérit ensuite, soit pour exciter les autres par leur exemple, soit pour montrer aussi quils étaient dignes de cette grâce. Cest ainsi quil traita la chananéenne, le centenier, et lhémorroïsse; cette dernière avait fait ce quelle avait pu pour rester cachée, mais elle ny réussit point, et fut découverte devant tout le monde, après quelle eut été guérie. Ainsi lon voit partout que Jésus-Christ affectait de révéler devant tout le monde la foi de ceux qui sapprochaient de lui. Cest ce quil pratique encore en cette rencontre, après que ces aveugles lut eurent témoigné ce quils désiraient de lui. « Et Jésus ému de compassion leur toucha les yeux, et ils virent au même moment et le suivirent (34) ». Cette compassion. de Jésus-Christ est la seule cause de leur guérison; comme cest la seule qui la fait venir dans le monde. Néanmoins, quoique ce soit sa grâce et sa bonté qui fasse tout, il cherche des personnes qui sen rendent dignes; or, ces aveugles létaient comme on le voit assez par les grands cris quils font entendre et par leur persévérance à ne point se rebuter; et enfi,n par cette reconnaissance si humble quils témoignèrent après avoir reçu ce quils souhaitaient. Ainsi leur courage paraît avant leur guérison, et leur reconnaissance après quils lont reçue. Cest pourquoi lEvangile ajoute « quils le suivirent ». « Et comme ils approchaient de Jérusalem étant déjà arrivés à Bethphagé, près de la montagne des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, leur disant (Ch. XXI, 1): Allez-vous-en dans ce village qui est devant vous, et vous y trouverez aussitôt une ânesse liée et son ânon auprès delle, déliez-la et me lamenez (2). Et si quelquun vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin; et aussitôt il les laissera aller (3). Or tout ceci sest fait afin que cette parole du Prophète fût accomplie (4): Dites à la fille de Sion: Voici votre roi qui vient à vous plein de douceur monté sur une ânesse et sur lânon de celle qui est sous le joug (5) ». Jésus-Christ avait souvent été à Jérusalem; mais il ny avait jamais paru avec cet éclat. Doù vient donc quil y voulut alors entrer de la sorte? Cest parce quau commencement de sa prédication nétant pas encore fort connu, ni si près de sa passion, il se mettait indifféremment avec les autres comme un homme du commun, et cherchait plutôt à se cacher quà se découvrir. Car sil eût voulu paraître plus tôt ce quil était, il ne se fût pas acquis tant de respect par sa modération, et on lui aurait porté plus denvie. Mais enfin, après avoir donné tant de marques de sa puissance, et étant à la veille de sa passion, il fait paraître sa grandeur avec plus déclat, quoique ses adversaires ne la voient que dun oeil jaloux. Il aurait pu faire dès le commencement de sa prédication ce quil fait à la fin: mais cette humilité avec laquelle il sest caché si longtemps nous est plus utile. Considérez ici, mes frères, combien Jésus-Christ fait de miracles en un seul jour, et combien il accomplit de prophéties. Il prédit à ses disciples quils trouveraient un âne, et ils le trouvent. Il les assure que personne ne les empêcherait de lamener, et personne ne les en empêche. Et certes cette facilité était la confusion des Juifs et le sujet dun grand reproche pour eux; puisque ceux qui navaient peut-être jamais vu le Sauveur, lui accordent à la moindre parole tout ce quil désire; pendant que les Juifs qui lui voyaient tous les jours faire tant de miracles et par lui-même et par ses disciples, ne peuvent se résoudre à le recevoir. 2. Ne regardez pas cette action comme une chose peu considérable. Car, qui a pu persuader à ces personnes apparemment pauvres et qui peut-être gagnaient leur vie par leur travail, de laisser ainsi emmener ces animaux sans sy opposer, et non-seulement sans sy opposer, mais sans demander même pourquoi on les emmenait, ou comment après lavoir demandé les laissaient-ils aller sans aucune résistance? Car lun et lautre me paraît également admirable, ou de ne point sopposer lorsquon emmenait leurs bêtes, ou de se contenter quon leur dît pour toute raison: (517) « que le maître en avait besoin », sans savoir même quel était ce maître, puisquils ne le voyaient pas, mais seulement ses disciples. Après cela, qui ne croira que lorsque les Juifs ont entrepris de se saisir de sa personne, il aurait pu sil eût voulu les arrêter tous dun clin doeil? Et napprenait-il pas par cet exemple à tous ses disciples quils devaient lui donner de bon coeur tout ce quil leur demanderait, quand ce serait leur propre vie? Car si des inconnus obéissent au moindre mot que Jésus-Christ leur fait dire, que doivent faire les disciples de ce divin Maître? Nous pouvons dire encore que Jésus-Christ, par cette action, accomplit une double prophétie, lune daction et lautre de paroles: la première en sasseyant sur un âne, et la seconde parce que le prophète Zacharie avait prédit quil sassiérait ainsi comme étant roi. Mais en accomplissant une ancienne prophétie, il donnait lieu à une nouvelle dont il traçait la figure, marquant la vocation des gentils, qui, après avoir vécu jusqualors comme des animaux impurs, devaient ladorer peu après et sassujétir à lui, afin quil reposât sur eux. Ainsi, laccomplissement dune prophétie était le commencement dune autre. Pour moi, je ne crois pas que ce soit pour cette seule raison que Jésus-Christ voulut faire cette entrée dans Jérusalem, monté comme il était sur une ânesse. Il a voulu par cette action si humble nous donner encore lexemple de lhumilité et de la modération chrétienne. Car Jésus-Christ a voulu non-seulement accomplir les prophéties par toutes ses actions, et établir les dogmes et les vérités que nous devons croire ; mais il a voulu encore se rendre le modèle de notre vie, et nous apprendre par toute sa conduite à nous borner toujours à la seule nécessité et à garder une grande modération en toutes choses. Cest pour ce sujet que, devant naître au monde, il ne chercha point de maisons magnifiques, et ne choisit point une mère riche et illustre, mais urne femme pauvre, mariée à un charpentier. Il naît dans une grotte, et on le met dans une crèche. Il choisit pour disciples, non des orateurs, non des philosophes ou des personnes riches et de naissance, mais de pauvres gens qui étaient entièrement inconnus au monde. Sa table était souvent couverte de pain dorge, ou du pain que ses disciples achetaient au moment quils en avaient besoin. Il se mettait sur la terre pour manger, et pour y faire manger les autres. Il shabillait fort pauvrement, et navait rien dans ses vêtements qui fût différent de ceux du commun du peuple. Il navait point de maison qui fût à lui. Quand il allait dun lieu à un autre, il faisait tous ses voyages à pied, jusque-là même que souvent il en était fatigué. Quand il voulait se reposer, il ne se servait ni de chaise, ni doreiller. Il se mettait sur la terre, tantôt sur une montagne, tantôt auprès dune fontaine, comme lorsquil parla à la femme de Samarie. Voulant nous donner encore un exemple de modération jusque dans nos douleurs et dans nos tristesses, lorsquil pleura la mort du Lazare quil aimait particulièrement, il ne versa que peu de larmes, pour nous donner ainsi en toutes choses des règles de la modération chrétienne, et nous en marquer les bornes que nous ne devions jamais passer. Cest pourquoi, prévoyant quil se trouverait assez de personnes faibles qui ne-pourraient aller à pied, il leur apprend ici, par son exemple, quelle modération il convient en cela de garder : il choisit la monture la plus simple, quelle leçon pour ces riches qui excèdent toute mesure dans la magnificence de leurs équipages ! Mais voyons maintenant quelle est cette prophétie dactions et de paroles dont je parlais: « Fille de Sion », dit le Prophète, « voici votre Roi qui vient à vous plein de douceur, monté sur une ânesse et sur lânon de celle qui est sous le joug ». Il ne fera point cette entrée monté sur un char magnifique comme les rois, il nimposera point de tributs, il, nexigera point dimpôts, il ne sera point fier et superbe. Il ne se fera point craindre par le grand nombre de gardes qui laccompagnent; mais il témoignera en toute chose une douceur et une humilité toute divine. Quon demande aux juifs quel autre roi que Jésus est jamais entré dans Jérusalem monté sur un âne? Mais Jésus-Christ voulait figurer ainsi lavenir; et ce petit ânon marquait lEglise des gentils, qui, jusque-là ayant été toujours vicieuse et indomptée, allait devenir toute pure, aussitôt que Jésus-Christ se serait reposé sur elle. Et il est bon de considérer toutes les circonstances de cette histoire , et les rapports admirables qui se trouvent entre la figure et la vérité. Les apôtres « délient» ces animaux; ce sont en effet les apôtres qui nous ont (518) appelés à la connaissance de Jésus-Christ, et à cette foi qui a donné ensuite de lémulation aux juifs. Cest pourquoi on voit ici que cette ânesse suit lânon, parce que, lorsque Jésus-Christ sest reposé parmi les gentils, les juifs, excités par leur exemple, ont voulu aussi embrasser la foi. Saint Paul marque cette vérité, lorsquil dit : « Quune partie des juifs est « tombée dans lendurcissement, afin que la « multitude des nations entrât cependant dans « lEglise et quainsi tout Israël fût sauvé ». (Rom. xI, 25.) Pour faire voir encore que tout ce qui se passait ici était une prophétie, il ne faut que considérer toutes les paroles de cette histoire. Car sans cela qui croirait que le Prophète se fût arrêté à parler si particulièrement « dun petit ânon » ? Ce qui confirme encore ceci, cest que les apôtres ne trouvent aucune résistance, lorsquils veulent « délier » ces animaux : ce qui marquait que dans létablissement de. lEglise, rien ne les empêcherait de rompre les liens des gentils, et de les affranchir de lidolâtrie : « Les disciples donc sen étant allés, firent ce que Jésus leur avait commandé (6); et amenèrent lânesse et lânon, et les ayant couverts de leurs vêtements, le firent monter dessus (7): Or, une grande multitude de peuple couvrit le chemin de ses vêtements. Les autres coupaient des branches darbres et les jetaient par où il passait (8). Et tout le peuple, tant ceux qui allaient au-devant de lui que ceux qui le suivaient, criaient: Hosanna, salut et gloire au Fils de David. Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur: Hosanna, salut et gloire lui soit au plus haut des cieux (9) ». Jésus-Christ ne sassied sur lânon quaprès que les apôtres lont couvert de leurs vêtements. Car ils se dépouillèrent eux-mêmes de bon coeur pour le revêtir. Cest ce que marque saint Paul, lorsquil dit: « Pour ce qui est de moi, je donnerai très-volontiers tout ce que jai, et je me. donnerai encore moi-même pour le salut de vos âmes ». (II Cor. XII, 45.) Mais considérons encore comment cet ânon, qui navait point été dompté, ni assujéti au frein, ne regimbe point cependant, mais se soumet paisiblement à tout ce que lui demande Celui qui le monte. Dieu nous marquait par cette figure quelle devait être lobéissance des gentils, et comment ils devaient passer en un moment dune vie toute déréglée à une vie sainte. Cest cette parole toute-puissante qui fait tout : « Déliez-le et amenez-le-moi ». Cest elle qui a mis lordre dans le déréglement du monde, et qui a purifié les âmes impures. 3. Mais qui pourrait ne pas sétonner de la bassesse desprit que les juifs témoignent. Après une multitude infinie de toutes sortes de miracles, rien ne les surprend tant que cette action. Ils admirent que tout le peuple coure après lui : « Et comme il entrait à Jérusalem, toute la ville sémut en disant : Qui est celui-ci (10)? Mais le peuple disait : Cest Jésus le prophète qui est de Nazareth, en Galilée (11) ». Lorsquils croient élever le Sauveur, et dire quelque chose de fort considérable à sa louange, cest alors quils ne témoignent que de la bassesse. Jésus-Christ se fait rendre cet honneur par ce peuple, non parce quil aimait la pompe et le faste, mais pour accomplir les prophéties, et pour nous donner un modèle de vertu. Il voulait encore consoler ainsi ses apôtres, afin quils crussent à sa mort- quil ne serait outragé quautant quil voudrait, puisquil sétait fait rendre tous les honneurs quil lui avait plu pendant sa vie. Remarquez encore avec quelle exactitude le Prophète décrit toute cette histoire, et combien David et le prophète Zacharie en avaient marqué toutes les circonstances. Imitons, mes frères, ce peuple qui reçoit aujourdhui le Fils de Dieu en triomphe. Chantons comme lui ses louanges, et offrons-lui ce que nous avons pour lhonorer. Ce peuple donne ses vêtements, ou pour couvrir lâne sur lequel Jésus-Christ est monté, ou pour les étendre sous ses pieds, et nous autres, nous le voyons nu lui-même en la personne de ce pauvre, sans que nous pensions à le revêtir, quoiquil ne soit pas besoin pour cela de nous dépouiller, mais seulement de lui donner un peu de ce que nous avons de trop. Ce peuple sempresse pour (aire honneur à Jésus-Christ, les uns en marchant devant lui, et les autres en le suivant, et nous autres, au contraire, nous le rebutons avec mépris et avec injure lorsquil sapproche de nous. De quels tourments devrait être puni un outrage si horrible? Votre Seigneur et votre Maître se trouve réduit dans un extrême besoin, il approche de vous pour recevoir quelque assistance, et vous ne voulez pas même écouter sa prière. vous le querellez, vous lui insultez, vous (519) rendez à ses demandes si humbles, des réponses aigres et outrageuses. Si vous témoignez tant de répugnance pour lui donner seulement un peu de pain ou un peu dargent, que feriez-vous sil vous redemandait tout ce quil vous a donné? Vous voyez tous les jours des hommes qui veulent passer pour magnifiques, donner avec profusion des sommes immenses aux théâtres, à des femmes impudiques, et vous ne pouvez vous résoudre den donner à Jésus-Christ, non pas la moitié, mais la centième partie? Le démon vous commande dun côté de donner par vanité à ces personnes infâmes, et vous le faites, quoique vous soyez assurés de navoir point dautre récompense de ces profusions que lenfer; Jésus-Christ vous commande de lautre de donner aux pauvres, et vous promet le ciel même pour récompense, et non-seulement vous ne le faites pas, mais vous les outragez de paroles. Vous aimez mieux obéir au démon en vous perdant, que dobéir à Jésus-Christ en vous sauvant. Y a-t-il rien de plus déplorable que cette folie? Le démon vous offre lenfer, et Jésus-Christ le ciel, et vous quittez le ciel pour prendre lenfer. Vous rebutez Jésus-Christ qui vient à vous, et vous appelez de loin le démon, afin de vous donner à lui. Ne faites-vous pas à Jésus-Christ le même outrage que vous feriez à un roi si vous le repoussiez, lorsquil vous offre la pourpre et la couronne, pour écouter un voleur qui vous présente une épée pour vous tuer? Comprenons donc notre aveuglement, mes frères. Ouvrons les yeux, quoique tard, et réveillons-nous enfin de notre sommeil. Je rougis de vous avoir parlé-si souvent de laumône et de nen avoir pas retiré tout le fruit que jen attendais. Je sais que quelques-uns ont fait quelque .effort, mais on na pas fait encore ce que javais espéré. Jen vois quelques-uns semer, à la vérité, mais dune main si resserrée, que je tremble quand je prévois quelle sera la moisson. Pour vous faire voir combien vous êtes resserrés dans vos aumônes, vous navez quà considérer dans cette ville quel est le plus grand nombre ou des riches ou des pauvres, et combien il y en a de ceux qui ne sont, ni extrêmement pauvres, ni aussi extrêmement riches, mais qui tiennent comme le milieu entre ces extrémités. Je crois que les personnes fort riches font la dixième partie de la ville, et que les gens fort pauvres font une autre dixième partie, et que le reste est entre ces deux états, cest-à-dire, ni pauvre ni riche. Partageons donc ce nombre de personnes extrêmement pauvres dans toute la ville, et vous verrez dans ce partage quel sujet de confusion vous aurez de vos duretés. Le nombre des personnes fort riches est assez petit, mais celui des gens médiocrement riches est-très-grand, et celui des pauvres, tout à fait pauvres, est assez restreint relativement aux deux autres classes; il sensuit que le nombre des gens pouvant faire laumône est très-considérable, et bien suffisant pour nourrir tous l-es pauvres; et cependant, il y a tous les jours dans cette ville beaucoup de nos frères qui sendorment le soir avant davoir pu apaiser leur faim; non, je le répète, parce que nous sommes dans limpuissance de les secourir, mais parce que notre dureté nous en ôte le désir. Car si les riches et ceux qui ont du bien médiocrement, avaient soin de partager entre eux tous les pauvres, à peine cent cinquante personnes en auraient-elles un à nourrir.Et cependant on voit les pauvres se plaindre tous les jours de leur misère au milieu de tout le monde qui les en pourrait délivrer. Pour vous faire voir plus clairement jusquoù va cette dureté des riches, considérez à combien de pauvres, de veuves et de vierges cette église distribue tous les jours les revenus quelle a reçu dun seul riche, qui ne létait pas même extraordinairement. Le nombre qui en est écrit sur le catalogue va jusquà trois mille, sans parler des assistances quon rend à ceux qui sont dans les prisons, de ceux qui sont malades dans les hôpitaux, des étrangers, des lépreux, de toue ceux qui servent à lautel, de tant de personnes qui surviennent tous les jours, auxquelles elle donne la nourriture et le vêtement, sans que néanmoins ses richesses diminuent. Si seulement dix personnes riches voulaient assister ainsi les pauvres de leurs biens, on ne verrait plus un seul pauvre dans toute la ville dAntioche. 4. Vous me direz peut-être Si nous dépensons ainsi notre bien, que laisserons-nous à nos enfants? Vous leur laisserez au moins le fonds, et puis lé revenu si bien, dispensé, se multiplierait sans doute; vos aumônes sont comme en dépôt dans le ciel où vous vous amassez un trésor. Que si cela vous paraît trop rude, ne donnez aux pauvres que la moitié de (520) votre revenu, ou la troisième partie, ou si vous voulez la quatrième, ou tout au moins la dixième. Je crois que, par la miséricorde de Dieu, la ville dAntioche est dans un tel état, quelle seule pourrait nourrir chaque jour tous les pauvres de dix autres villes. Nous en ferions aisément la supputation, si la chose nétait si claire quelle parle delle-même. Car je vous prie de. considérer combien chaque maison fournit dargent tous les ans pour des taxes et pour des dépenses publiques, sans vous appauvrir pour cela, et sans presque même que vous vous en aperceviez. Si donc chaque riche voulait ainsi se taxer lui-même pour nourrir les pauvres, il ne lui faudrait que très-peu de temps pour ravir le ciel. Après cela, quelle excuse nous restera-t-il, mes frères, lorsque nous verrons en rougissant que nous aurons été infiniment plus resserrés à donner. aux pauvres que les gens du monde ne lauront été à donner à des comédiens, quoique nous fussions assurés que cette libéralité sainte nous aurait été si avantageuse? Quand nous devrions vivre toujours sur la terre, nous serions néanmoins obligés dêtre libéraux envers les pauvres; mais devant en sortir si tôt, et en sortir nus et dépouillés de tout, comment nous excuserons-nous de ne leur donner rien de tant de biens dont nous jouissons? Je ne vous ordonne point de diminuer votre fonds. Javoue néanmoins que je le souhaiterais, mais je vous y vois peu disposés. Tout ce que je vous conjure donc de faire, cest de donner au moins de votre revenu, et de nen rien épargner pour le serrer dans vos coffres. Nest-ce pas assez que ces revenus coulent chaque jour dans vos maisons comme une source abondante qui ne tarit point? Faites-en donc découler aussi quelque partie sur les pauvres, et soyez de sages économes des biens que Dieu vous a donnés. Mais je paie, me direz-vous, tant de taxe et tant dimpôts. Négligerez-vous donc à cause de cela de donner laumône aux pauvres, parce que personne ne vous y contraint? Quand vos terres nauraient rien produit, vous ne laisseriez pas de payer ces impôts sans oser même vous plaindre : et lorsque Jésus-Christ vous traite avec tant de bonté, quil ne vous demande de vos biens que lorsque lannée a été abondante, vous refusez non-seulement dé lui en donner, mais même de lui répondre avec douceur. Après une telle dureté qui pourra jamais vous délivrer de lenfer? Si les peines établies par la justice séculière, vous rendent si exact à payer tous ces impôts que lon exige; que ne vous souvenez-vous quil y a dautres peines que celles quon souffre en ce monde, et qui sont infiniment plus à craindre, et qualors on ne vous renferme point dans un cachot, mais dans un abîme dun feu éternel? Que ce soit donc là les premiers tributs que nous ayons soin de payer à lavenir, puisquen cette occasion notre fidélité ou notre négligence doit être suivie dune éternité de biens ou de maux. Que si vous me dites que vous avez à nourrir beaucoup de soldats, qui vous défendent contre les barbares, considérez quil y a une autre armée de pauvres qui vous doit défendre contre les démons. Quand vous avez soin de les assister, ils attirent sur vous par leurs prières la grâce de Dieu, ils écartent de vous ces anges de ténèbres; ils dissipent les pièges quils vous tendent, ils arrêtent leurs efforts, et ils délivrent votre âme de leur tyrannie. 5. Puis donc que ce sont là les soldats qui combattent chaque jour pour vous contre le démon, exigez de vous-mêmes un tribut pour eux, et contribuez à leur subsistance. Nous avons un Roi qui est bien plus doux que ceux du monde. Il nexige rien par violence. Il reçoit ce quen lui donne, quelque peu que ce puisse être, et sil arrive que par quelque nécessité vous demeuriez longtemps sans lui rien payer, il ne vous force point de donner ce que vous navez pas. Ainsi nabusons point de sa patience. Amassons-nous un trésor non de colère, mais de grâce et de salut; non de mort, mais de vie; non de confusion et de tourments, mais de joie et de gloire. Il ne sera point besoin de convertir en argent ce que vous avez, ni den payer le transport. Il suffira que vous le donniez aux pauvres, votre Seigneur fera tout le reste. Il le transportera dans le ciel, il vous en tiendra un compte exact; et ce sera lui-même qui aura soin pour vous de tout ce trafic qui vous doit enrichir pour jamais. Ce que vous lui donnez nest pas comme ce que vous donnez aux rois de la terre. Votre argent périt pour vous, lorsquil, est employé pour faire subsister les soldats; mais il vous demeurera tout entier et avec usure. Ce que vous donnez pour les impôts ne vous revient plus; mais ce que vous donnez aux pauvres est toujours à vous, et vous le retrouverez avec un gain, non-seulement temporel, mais même (521) spirituel. En payant les tributs vous vous acquittez dune dette, mais en donnant aux pauvres, vous mettez votre argent à rente. Dieu vous en passe le contrat lui-même, et il vous dit: « Celui qui a pitié du pauvre, prête à Dieu son argent ». (Prov. XIX, 16.) Quoiquil soit Dieu et le Seigneur de tout le monde, il na pas dédaigné toutefois de nous donner des gages, des témoins et des promesses. Ces gages sont le bien quil nous fait en cette vie, et tant de grâces temporelles et spirituelles, qui sont comme les arrhes et les prémices des biens à venir. Comment donc pouvez-vous différer un si heureux commerce, vous qui avez déjà tant reçu de Celui à qui vous confiez votre argent, et qui espérez, den recevoir encore plus à lavenir? Avez-vous bien pensé à ce quil vous a déjà donné? 11 a formé votre corps, il a créé votre âme; il vous a-honoré du don de la raison et de lintelligence. Il vous u donné lusage de tout ce qui se voit sur la terre. Il vous a fait la grâce de le connaître. Il vous a donné son propre Fils, et la livré à la mort pour vous. Il vous a ouvert dans le baptême la source de tous les biens. Il vous a préparé une table sainte, il vous a promis un royaume et. des richesses incompréhensibles. Après tant de biens quil vous a faits, et tant dautres quil veut vous faire, vous craignez de lui donner un peu dargent? Méritez-vous après cela quil vous regarde? Quelle excuse alléguerez-vous? Direz-vous que lorsque vous considérez vos enfants, vous ne pouvez vous empêcher dêtre retenu dans vos aumônes? Que naccoutumez-vous, au contraire, vos enfants à cette, usure sainte et spirituelle dont je vous parle? Nest-il pas vrai que si vous aviez une rente sur une personne bien riche, et qui aurait de laffection pour vous, vous aimeriez infiniment mieux la laisser à vos enfants quun argent comptant, parce quils seraient assurés dêtre bien payés, sans avoir besoin de retirer leur fonds, et de le placer ailleurs? Laissez-donc à vos enfants Dieu même pour débiteur, et quil leur soit redevable dune grande somme. Vous avez soin de ne point vendre vos terres afin de les laisser à vos enfants, et que le revenu leur en demeure, et vous craignez de leur laisser une rente, dont les arrérages passent le revenu de toutes les terres, et dont le fonds est aussi assuré que Dieu même? Ne faut-il pas avoir perdu la raison pour agir de la sorte, lorsque surtout, laissant à vos enfants le contrat de cette rente, vous lemportez en même temps avec vous? Car cest le propre des choses spirituelles de se multiplier ainsi, et de suffire en même temps à plusieurs. Enfin, mes frères, ne demeurons point pauvres et misérables par notre faute. Ne soyons point cruels et inhumains envers nous-mêmes. Entreprenons de grand coeur ce trafic si louable et si utile, afin que nous en recueillions le fruit après notre mort, quil passe encore à nos enfants, et quil nous fasse jouir de ces biens ineffables, que je vous souhaite par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit est la gloire, lhonneur et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (522) |