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HOMÉLIE LXII« JÉSUS AYANT ACHEVÉ CES DISCOURS, PARTIT DE GALILÉE, ET VINT DANS LES TERRES DE JUDÉE LE LONG DU JOURDAIN ». (CHAP. XIX, 1, JUSQUAU VERSET 19) ANALYSE 1. Les Pharisiens viennent faire à Jésus-Christ une question captieuse et sen retournent confus. 2. Loi chrétienne touchant le mariage; cest la loi primordiale ; la loi mosaïque sur cette matière nétait quune loi temporaire et de condescendance. 3. Jésus-Christ exhorte indirectement à létat de virginité. Réfutation des manichéens et des fatalistes. 4 et 5. Quil faut une grâce spéciale très-grande pour suivre létat de virginité. Que lhumilité nous doit rendre semblables aux petits enfants. Quon voit par lexemple de Saül et de David que lorgueil abaisse les hommes et que lhumilité les relève. Que les ambitieux sont des esclaves à vendre, qui sont capables ides plus grandes lâchetés.
1. Obligé fréquemment de séloigner de la Judée par la jalousie de ses ennemis, Jésus-Christ y revient maintenant, parce que le temps de sa passion approche. Il ne va pas encore néanmoins dans la ville de Jérusalem; mais « il vient dans la .terre de Judée, le long du Jourdain ». Il se contente de se tenir sur les frontières de la Judée. « Et de grandes troupes le suivirent, et il les guérit (2) ». Il ne sarrêtait pas à prêcher toujours, ou à faire toujours des guérisons miraculeuses. Il mêlait les instructions avec les miracles, et il passait de lun à lautre, guérissant après avoir parlé, et parlant après avoir guéri les malades. Ainsi il procurait, en diverses manières, le salut de ceux qui sattachaient à lui et qui le suivaient. Il autorisait sa doctrine par léclat de ses miracles, il rendait ses miracles plus utiles par la sainteté de ses instructions, et il se servait de cette double grâce pour attirer les hommes à la connaissance de Dieu. Mais, remarquez avec moi, mes frères, que les évangélistes disent en un mot, et comme en passant, que des peuples entiers venaient à Jésus-Christ pour être guéris, sans nommer personne en particulier, pour nous apprendre à fuir la vanité dans nos actions les plus éclatantes. Jésus-Christ guérissait ceux-ci, afin que leur guérison servît et à ceux quil guérissait et à plusieurs autres encore. Car cette puissance souveraine, par laquelle il chassait les maladie faisait connaître à plusieurs, mais non pas aux pharisiens. Ils en devenaient au contraire plus furieux. Leur envie augmente à proportion quil fait de plus grandes choses, et ils sapprochent de lui pour le tenter. Comme ils ne pouvaient rien blâmer dans tout ce quils lui voyaient faire, ils tâchent de le surprendre en hit proposant des questions pleines de malice et dartifice. « Alors les pharisiens vinrent à lui pour le tenter, et ils lui dirent : Est-il permis à un homme de quitter sa femme pour quelque cause que ce soit (3) »? Qui ne serait surpris de linsolence de ces hommes, qui croient pouvoir fermer la bouche à Jésus-Christ par leurs demandes, après tant dexpériences quils avaient de sa vertu et de sa sagesse infinie? Tout ce quil leur avait répondu quand ils laccusaient de violer le sabbat; quand ils lappelaient blasphémateur; quand ils disaient quil était possédé; quand ils reprenaient ses disciples de presser des grains de froment entre leurs mains en passant par des blés; ou de se mettre à table sans laver leurs mains; tout ce quil leur avait dit en tant dautres rencontres, sétait effacé de leurs esprits, et ils ne se souvenaient plus quil les avait réduits au silence, et contraints de se retirer couverts de confusion et de honte. Ils ne peuvent encore cesser de le tenter et de lui tendre des piéges. Cest là, mes frères, le génie de la malice et (486) de lenvie. Cest une passion impudente audacieuse. Elle ne se rebute jamais. Après avoir été cent fois repoussée, elle revient et elle nous attaque tout de nouveau. Mais remarquez, je vous prie, avec quel artifice ils font cette question à Jésus-Christ. Ils ne lui disent point: Vous nous avez déjà commandé de ne point répudier nos femmes, ce qu il avait fait dans le sermon sur la montagne. Ils ne le font point souvenir de cette défense, afin de le surprendre plus adroitement, et de lenvelopper dans une contradiction manifeste. Ils ne lui disent point: Vous nous avez ordonné telle et telle chose, mais, dissimulant quil leur eût jamais parlé sur ce sujet, ils demandent avec une grande apparence de simplicité, sil était permis de répudier sa femme, croyant quil aurait oublié ce quil leur avait dit autrefois. Ils se tenaient prêts, sil eût dit que cela était permis, à le réfuter par lui-même et à lui objecter la défense quil en avait faite, ou, sil demeurait dans le même sentiment, de le décrier comme contraire a Moise. Que fait donc Jésus-Christ? Il ne leur dit point : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous » ? quoiquil leur fit ce reproche ailleurs, mais il lévite ici, afin de leur faire voir une souveraine humilité dans une souveraine puissance. Il observait en ces occasions de ne pas demeurer toujours dans le silence, de peur quils ne simaginassent quil ne connaissait pas leurs mauvais desseins; et il ne le reprenait pas non plus toujours, pour nous apprendre à souffrir avec douceur toute la malignité de nos adversaires. Que leur répond-il donc? «Navez-vous point lu que celui qui fit lhomme au commencement, les fit mâle et femelle (4); et quil dit : pour cette raison, lhomme abandonnera son père et sa mère, et il demeurera attaché à sa femme, et ils ne feront tous deux quune seule chair (5). Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que lhomme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint (6) ». Considérez, mes frères, la sagesse du Sauveur. Lorsquon linterroge si le divorce était permis, il ne répond pas dabord que non, pour ne leur pas donner lieu de se récrier tout dun coup, et dexciter centre lui du bruit et du tumulte. Il prévient sa réponse par lautorité de lEcriture et montre que sa loi était conforme à celle que Dieu son Père avait établie dès le commencement du monde; et que ce nétait pas pour contredire Moïse quil enseignait ces choses. Et remarquez quil nautorise pas seulement cette vérité par la création de lhomme et de la femme, mais encore par le commandement de Dieu- même. Car il ne dit pas seulement Dieu na fait quun seul homme et quune seule femme ; mais encore il a commandé quun homme népousât quune seule femme. Sil eût voulu quun homme eût plusieurs femmes, après avoir fait lhomme, il ne se fût pas contenté de ne lui faire quune femme, mais il en eût créé plusieurs. Ainsi Dieu autrefois a montré clairement, par la création de lhomme et par la loi quil lui donna dabord, quon ne doit avoir quune femme, et que lunion du mariage ne doit jamais être rompue. «Celui qui fit lhomme au commencement, les fit mâle et femelle »; cest-à-dire, quils sortirent dun même principe, et quils se réunirent dans un même corps. « Car ils ne feront tous deux quune seule chair ». Il frappe ensuite de terreur ceux qui oseraient blâmer ou contredire cette loi, et il laffermit davantage en ne disant pas simplement: ne rompez donc pas le mariage; ne séparez donc pas cette union, mais, que lhomme « donc ne sépare pas ce que Dieu a joint ». Que si vous mobjectez lautorité de Moïse, je vous allègue celle du Maître de Moïse; et je métablis sur une autorité plus puissante et plus ancienne que la vôtre. Car « Dieu créa au commencent un homme et une femme ». Quoiquil semble donc que je sois maintenant lauteur de cette loi, vous voyez combien elle est ancienne, et quelle a été très-religieusement établie dès le commencement du monde. Car Dieu, ne sest pas contenté de dire quun homme prendra une femme mais « quil abandonnera son père et sa mère », non pour sunir simplement avec sa femme, mais pour sy attacher dun lien si étroit «quils ne fassent plus tous deux quune seule chair ». 2. Après quil a ainsi proposé la première et la plus ancienne loi, fondée dans la nature même, dans les paroles et dans la conduite du Créateur, il interprète avec autorité la loi de Moïse, en établissant la sienne: « Ils ne sont plus deux », dit-il, « mais une seule chair». Comme donc cest un crime que de diviser en même corps : cen est un de même de diviser le mari davec la femme. Et sans sen tenir là, il autorise encore ce quil a dit par le respect (487) et la crainte quon doit à lordre de Dieu: « Que lhomme », dit-il, « ne sépare pas ce que Dieu a joint » : montrant que le divorce était, également contre la loi de Dieu et contre celle de la nature; contre lordre de la nature, parce quil séparait une même chair; et contre lordre de Dieu, parce quaprès que Dieu a commandé à lhomme de ne point séparer ce quil avait joint, vous navez pas laissé de le séparer. Après des paroles si sages, les Juifs ne devaient-ils pas garder le silence et admirer cette réponse? Ne devaient-ils pas être frappés détonnement en voyant une si grande uniformité de doctrine entre Jésus-Christ et son Père? Cependant ils sont bien éloignés dune modération si équitable. Ils entreprennent au contraire dattaquer le Sauveur dune autre manière. Ils lui disent: « Pourquoi donc Moïse a-t-il ordonné quun homme pût renvoyer sa femme en lui donnant un écrit par lequel il déclare quil la répudiée (7) ».? Quoique Jésus-Christ pût faire plus raisonnablement cette objection aux Juifs, que les Juifs ne la lui faisaient à lui-même, il ne refuse pas néanmoins de leur répondre; et sans leur dire que cela ne le regardait point, et quil nétait point responsable de ce quavait ordonné Moïse, il veut bien satisfaire à leur demande. Sil avait été ennemi de lancien Testament, comme le disent quelques hérétiques, il ne se serait pas ainsi mis en peine de justifier Moïse il naurait pas entrepris dautoriser tout ce qui sétait fait dans ces premiers temps ; et il naurait pas tant affecté de faire voir que tout ce quil enseignait avait un rapport et une union parfaite avec la loi de Moïse. Mais pourquoi les pharisiens choisissent-ils ce qui concerne le mariage pour opposer Moïse à Jésus-Christ, au lieu de choisir les observances si nombreuses. instituées par Moïse touchant les viandes et les sabbats? - Cest parce quils voulaient exciter contre Jésus-Christ tous les hommes. Car pour les Juifs le divorce était une chose indifférente; ils en usaient sans scrupule. Aussi, de tous les commandements promulgués par Jésus-Christ dans le sermon sur la montagne, cest celui-ci quils choisissent de préférence pour lui tendre un piége. Mais la sagesse infinie du Sauveur sait bien trouver le moyen dexcuser Moïse. « Moïse vous a permis de quitter vos femmes, à cause de la dureté de votre coeur (8) ». Il ne veut laisser aucun sujet daccuser Moïse. Comme ce prophète avait établi cette loi par lordre de Dieu, Jésus-Christ le justifie, et il fait retomber sur les Juifs mêmes la nécessité inévitable où Moïse était de la publier. Cest une conduite dont il use presque partout. Lorsque les pharisiens accusaient ses disciples darracher des épis de blé, il montre à ses accusateurs si sévères que si ses disciples étaient coupables, ils létaient aussi eux-mêmes. Quand ces mêmes ennemis les blâmaient de ne point laver leurs mains en se mettant à table, et de violer ainsi la loi, il leur fait voir que cétait au contraire eux-mêmes qui la violaient. Il fait la même chose dans laccusation du violemment du sabbat. Cest ce quil fait encore ici et presque dans toutes les rencontres semblables. Mais comme ce quil venait de dire pouvait paraître un peu fort, et donner lieu à ces hommes daccuser le Sauveur de les traiter avec trop de dureté, il reprend aussitôt son premier discours de lancienne loi de Dieu. « Il nen a pas été ainsi dès le commencement (8) ». Cest-à-dire, Dieu vous a donné une loi toute contraire par létat même dans lequel il a créé lhomme. Il semble quil prévienne cette objection quils lui pouvaient faire. Doù savez-vous que « Moïse na fait cette loi quà cause de la dureté de notre coeur » ? Il veut encore une fois les réduire au silence sur ce point. Car si cette loi de Moïse eût été la plus considérable et la plus naturelle, Dieu nen aurait . pas établi dès le commencement du monde une autre qui lui est tout opposée. Il naurait pas créé lhomme avec une seule femme, et il naurait pas dit, quils ne seraient tous deux quune seule chair ». « Aussi je vous déclare que quiconque quitte sa femme, si ce nest en cas dadultère, et en épouse une autre, commet ladultère; et que celui qui épouse celle quun autre a quittée, commet ladultère (9) ». Après les avoir ainsi confondus, il leur parle ensuite avec plus dautorité. Il avait déjà gardé la même conduite, en parlant du discernement des viandes et de la violation du sabbat. Car, après avoir réfuté toutes leurs raisons sur le discernement des viandes, il appelle enfin ses disciples, et leur dit : « Ce nest pas ce qui entre dans lhomme qui le rend impur ». (Matth. XV.) Après avoir parlé sur le violement du sabbat, il conclut ensuite : « Il est donc permis de faire du bien le jour du sabbat». Ainsi il garde partout la même conduite . Mais (488) comme nous avons vu alors quaprès quil eut ainsi renvoyé les Juifs tout confus, les apôtres tout troublés vinrent avec saint Pierre dire à leur Maître : « Expliquez-nous cette parabole », ils viennent encore de même ici dans le même trouble lui dire: « Si la condition dun homme est telle a légard de sa femme, il nest pas avantageux de se marier (10) ». Ils regardaient comme un joug insupportable une loi qui les obligeait de retenir une femme quelque fâcheuse quelle fût, et de garder dans leur maison un esprit inquiet et violent, comme un serpent qui nous ronge les entrailles. 3. Et jour faire voir que ce trouble les avait étrangement frappés, saint Marc dit clairement quils vinrent trouver Jésus-Christ « en particulier », et lui dirent: « Si la condition dun homme est telle à légard de sa femme (Marc, X, 10.) »; cest-à-dire, sils sont liés de telle sorte quils deviennent une même chair, et que quand le mari aurait de très-justes sujets de répudier sa femme, il ne le pourrait faire sans péché, « il ne lui est pas avantageux de se marier », il lui est plus aisé de combattre contre lui-même et contre la concupiscence de la nature que de souffrir limportunité dune femme de mauvaise humeur. Jésus-Christ ne leur dit point que cette conséquence était vraie, de peur quils ne crussent quil leur proposait 1e célibat comme une loi et un précepte, mais il dit seulement: « Tout le monde nest pas capable de cela, mais ceux-là seulement qui en ont reçu le don (11) » ; relevant ainsi le célibat, et montrant que cétait une grande chose; afin que les louanges quil lui donnait y attirassent à lavenir ses disciples. Mais considérez ici une contrariété apparente qui se trouve entre les paroles de Jésus-Christ et celles des apôtres. Jésus-Christ dit que cest une grande chose que le célibat, et un don qui nest pas commun, et les apôtres au contraire le regardent comme une chose facile, en disant quil valait mieux le garder que de sexposer à demeurer toute sa vie avec une femme de mauvaise humeur. Cest sans doute par une grande sagesse de Dieu quon peut remarquer dans lEvangile cette diversité de sentiments : Jésus-Christ dit dune part que cest une grande chose de ne point se marier, afin de rendre plus vigilants et plus courageux ceux qui voudraient aspirer à cet état; et les apôtres disent que le célibat est plus a souhaiter que le mariage, afin dinviter par cette facilité à embrasser une profession si sainte. Comme plusieurs nauraient pu souffrir quon les exhortât à demeurer toujours vierges, le Fils de Dieu se contente de proposer la loi indispensable de ne point rompre les mariages, afin que cette nécessité seule déterminât à une virginité perpétuelle ceux sur qui lamour de cette vertu naurait pas eu assez vie force. Mais pour montrer ensuite la facilité de cet état, Jésus-Christ ajoute: « Il y a des eunuques qui sont nés tels dès le ventre de leur mère; il y en a que les hommes ont rendus eunuques; et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes pour gagner le royaume des cieux (12) ». Tout ce discours tend secrètement à porter les hommes à choisir létat du célibat, par la facilité quil leur y fait voir. Cest comme sil leur disait : Représentez-vous, ou que la nature même vous a obligés de le garder, comme elle y oblige quelques-uns, et quelle vous a mis dans limpuissance de vous marier; ou que la violence des hommes vous a réduits dans cette nécessité. Que feriez-vous alors en ces états où vous seriez privés du mariage, sans en pouvoir espérer de récompense? Rendez donc grâces à Dieu de ce que vous pouvez être si glorieusement récompensés dun état dont les autres ne doivent attendre aucun avantage, et qui vous doit être même beaucoup plus aisé et plus doux quà eux: puisque, outre la récompense que vous attendez, vous avez la joie de faire en cela une action sainte, et que vous nêtes pas si exposés. aux tentations que le sont les autres. Car ce nest pas tant la disposition du corps que celle de lesprit qui nous préserve de ce mal; ou plutôt cest lesprit seul qui se rend maître du corps. Cest donc pour cette raison que Jésus-Christ propose ici ces « eunuques » par nécessité; il les compare avec ceux « qui se sont faits eunuques pour le ciel », afin que létat de ceux-ci paraisse beaucoup plus doux que celui des autres; et, sil navait eu cette fin; il naurait point du tout parlé des premiers. Quand il dit « quil y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes, il ne parle point du corps mais de lesprit, et du retranchement de toutes les pensées et de tous les désirs déréglés ; car il est certain dailleurs que ce1ui « qui se ferait eunuque » par violence, serait maudit de Dieu. Cest ce qui fait dire à saint (489) Paul: « Plût à Dieu que ceux qui vous troublent fussent retranchés ». Et cest avec raison que ce saint, apôtre parle ainsi, puisque ceux qui se mutileraient feraient sur eux-mêmes une action de meurtriers et dhomicides; quils appuieraient linsolence de ceux qui osent accuser louvrage et la sagesse de Dieu dans ses créatures ; quils donneraient des armes à limpiété des manichéens; et quils suniraient de sentiment avec les païens qui se traitent de la sorte. Car il est certain quil ny a que le démon qui puisse être lauteur de cette cruauté et de cette violence, lui qui dès le commencement du monde sest élevé contre louvrage de Dieu, et qui a voulu déshonorer la plus parfaite de ses créatures, afin que portant les hommes à attribuer toutes leurs vertus, non à la grâce, mais à la nature et à la disposition du corps, ils sabandonnassent ensuite à toute sorte de déréglements, comme sils nen devaient rendre à Dieu aucun compte.Ainsi il a blessé lhomme tout ensemble et dans le corps et dans lesprit: dans le corps, en le traitant dune manière cruelle et honteuse; et dans lesprit, en lui persuadant faussement quil nétait pas libre pour faire le bien. Il sest servi encore de ces principes si faux pour introduire dans le monde lerreur pernicieuse dune nécessité fatale et inévitable, tâchant en .toutes manières de détruire la liberté que Dieu a donnée à lhomme, de lui persuader que le mal était une chose naturelle et nécessaire, et de le faire tomber dune manière secrète et imperceptible en beaucoup dautres opinions impies et très-dangereuses, qui naissent de ces premières comme de leur source. Car cest ainsi que la malice du démon est ingénieuse pour couvrir le poison dont il tue les âmes. Cest pourquoi je vous conjure, mes frères, de navoir aucune part à ce désordre. Car, outre ce que jai déjà dit, on. peut ajouter encore que ce nest point là, un remède contre le dérèglement de la nature, mais quil lirrite au contraire encore davantage. On napaise point ces tempêtes par une cruauté quon exerce sur le corps. Quelques-uns disent que lorigine naturelle de ce mal est dans le cerveau et dans limagination, dautres « dans les reins », dont lEcriture parle souvent. Mais pour moi je crois que le déréglement de lesprit , et la négligence dune vie molle et relâchée, en est le principe et la source véritable. Car lorsque lesprit est réglé et soumis à Dieu, il est comme dans un port qui le défend de tous ces flots et de toutes ces agitations de la nature. Après donc que Jésus-Christ a parlé de ces eunuques, qui le seraient en vain naturellement sils né réglaient en même temps tous les mouvements de leurs âmes ; et de ces autres qui se réduisent à cet état pour gagner le royaume des cieux, il ajoute : « Qui peut comprendre ceci le comprenne (12) ». Il dit ces paroles pour animer les hommes encore davantage à la recherche de cette vertu, en leur représentant combien elle est élevée, et en ne les y obligeant point comme à une loi quil leur impose. Cest donc par une grande miséricorde quil nous parle de la sorte, et quil montre en même temps que ce quil propose est possible, afin de nous donner encore plus denvie et plus dardeur pour cette vertu. 4. Vous me direz peut-être: Si le célibat, la virginité vient de notre choix et de notre volonté, comment Jésus-Christ a-t-il dit auparavant: « Tout le monde nest pas capable de cela, mais ceux-là seulement qui en ont reçu le don » ? Je vous réponds que Jésus-Christ parle de la sorte pour vous montrer que cette vertu a besoin dun grand combat; mais non pour nous faire croire quelle se donne comme par le sort et par une nécessité involontaire. Dieu fait ce don à lâme qui en a la volonté. Jésus-Christ nous enseigne donc par ces paroles, que celui qui entreprend ce combat, a besoin dune grande grâce de Dieu, qui lui sera toujours donnée den-haut, lorsquil en aura un désir et une volonté sincère. Toutes les fois que Jésus-Christ parle de quelque grande vertu, il parle aussi du don de Dieu, comme lorsquil disait à ses apôtres: « Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux ». Et il est facile de voir en cet endroit que « le don » du ciel nexclut nullement notre volonté. Car si la virginité était un pur « don» de Dieu, auquel les hommes ne contribuassent en rien de leur part, ce serait en vain que Jésus-Christ leur promettrait le royaume du ciel pour leur récompense et quil les distinguerait ainsi de ces autres « eunuques » qui ne le sont que par une nécessité involontaire. Mais considérez, je vous prie, comment des mêmes choses les uns tirent le bien, et les autres le mal. Les Juifs proposent un doute à Jésus-Christ. Il leur (490) répond dune manière toute pleine dinstruction et de sagesse, et néanmoins ils nen profitent point, parce quils lui avaient fait cette demande son pour sinstruire, mais pour le tenter. Les apôtres au contraire prennent sujet de la réponse quil fait aux Juifs pour sinstruire très utilement. « Alors on lui présenta de petits enfants afin quil leur imposât les mains et quil priât pour eux. Et comme ses disciples les repoussaient avec des paroles rudes (13), Jésus leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez point, parce que le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent (14). Et leur ayant imposé les mains, il partit de là (15)». Pourquoi les disciples repoussaient-ils ainsi ces enfants, sinon pour rendre plus de respect à leur Maître? Mais Jésus prend ces enfants et leur impose les mains; apprenant ainsi à ses apôtres à fouler aux pieds la gloire du monde et à être humbles et petits comme des enfants, parce « que le royaume des cieux sera pour ceux qui leur ressemblent » ; ce quil avait déjà dit en un autre endroit de lEvangile. Cest pourquoi, mes frères, si nous désirons être les héritiers du royaume des cieux, tâchons de devenir comme de petits enfants, et appliquons-nous de tout notre coeur à nous affermir dans lhumilité, Etre sage et en même temps être simple et sans déguisement, cest le plus haut comble de la sagesse, cest une imitation de la vie des anges. Lâme dun petit enfant est pure et libre de toutes les passions. Il ne se souvient point du mal quon lui a fait, il ne désire point de sen venger, il est prêt à caresser ceux qui viennent de lui faire outrage. Plus sa mère le châtie, plus il la recherche et il la préfère à tout. Quand il verrait une reine parée de tout ce quelle aurait de plus magnifique et de plus superbe, il ne la préférerait pas à sa mère, quoiquelle ne fût couverte que de haillons. Car il ne discerne, point ceux de sa famille davec les étrangers par la pauvreté ou par les richesses, mais seulement par lamitié quils ont pour lui et quil a pour eux. Il ne prend de nourriture quautant quil lui est nécessaire ; et lorsque la nature est contente il quitte la mamelle. Il ne safflige point comme nous pour des sujets frivoles, comme pour avoir perdu de largent. Il ne se réjouit point aussi pour toutes ces choses qui sont des objets de notre ambition et de notre orgueil, et la beauté du corps ne peut faire sur lui la moindre impression qui blesse son innocence. Cest donc avec grande raison que Jésus-Christ dit: Que le royaume du, ciel est pour ceux qui ressemblent aux enfants, pour nous exhorter à faire par vertu ce quils font par le mouvement de la nature. Les pharisiens faisaient paraître partout un esprit double et corrompu: Jésus-Christ, au contraire, porte toujours ses disciples à être simples et, humbles; et par les instructions mêmes quil leur donne, il marque obscurément combien il condamne la malice et linsolence des autres. Car rien nélève tant les hommes que de se voir dans le premier rang, et dans ces avantages que donnent les dignités. Comme donc les apôtres allaient être respectés par toute, la terre, Jésus-Christ par avance leur prépare le coeur et lesprit, afin quils ne se laissent point aller à cette faiblesse qui nous est si naturelle; quils ne désirent point que les peuples les honorent, et quils an fassent rien par ostentation et par vaine gloire. Ces désirs dhonneur paraissent souvent un défaut léger, et ils sont néanmoins la source des plus grands maux. Ainsi les pharisiens, pour avoir aimé à être salués, à être honorés, à être toujours au premier rang, sont montés comme par degrés jusques au comble de la malice. Car, après avoir nourri longtemps leur vanité par ces déférences recherchées, ils ont conçu une passion si ardente ou plutôt si furieuse pour la vaine gloire, quils nont point voulu reconnaître le Sauveur, et quils sont tombés de lorgueil dans limpiété. Cest pourquoi nous voyons que, sapprochant ici de Jésus-Christ seulement pour le tenter, et par un esprit superbe et envieux, ils sen retournent confus, et ils nattirent sur eux que sa malédiction et sa haine; et que ces petits enfants, au contraire, qui étaient incapables de ces passions, sont favorisés et bénis de Jésus-Christ. Imitons ces âmes innocentes, mes chers frères. Devenons comme des petits enfants, sans orgueil, sans déguisement et sans malice. La simplicité est la porte du ciel. Il ny en a point dautre par où nous y puissions entrer. La malignité, au contraire, et la fourberie nous précipitent dans lenfer, et dès ce monde dans une infinité de maux. « Si vous êtes méchant», dit lEcriture, « vous le serez pour vous-même; si vous êtes bon, vous le serez et pour vous et pour votre prochain ». (Prov. IX, 12.) Les exemples des siècles passés nous (491) confirment cette vérité. Y eut-il jamais une malignité pareille à celle de Saül; ou une plus grande simplicité que celle de David ? Cependant qui des deux fut le plus puissant? David eut entre ses mains la vie de Saül par deux différentes fois, et il le laissa aller. Il le tenait comme dans une prison dans cette grotte, où il sétait mis entre ses mains sans y penser. Ses gens le pressaient de tuer le prince, qui lavait traité de la manière du monde la plus injuste, et néanmoins il lui pardonna. Cependant Saül persécutait David avec une armée, et David avec une petite troupe de gens fuyait devant lui, errant par les déserts les plus reculés, et se cachant tantôt dans un lieu et tantôt dans un autre ; et néanmoins ce fugitif si abandonné lemporta sur un roi si puissant, parce quil avait de son côté linnocence et la justice, et que lautre nétait animé que de fureur et denvie. Car ne fallait-il pas que Saül fût tout ensemble le plus injuste et le plus insensé de tous les hommes, de persécuter avec cette barbarie un homme si rare qui commandait sous lui ses armées, qui battait toujours ses ennemis, et qui, après avoir gagné des batailles, lui donnait tout lhonneur de la victoire; ne se réservant que les périls et la gloire de le servir ? Mais cest là proprement lesprit de lenvie. Celui qui en est possédé devient lennemi de lui-même: Il se tend des pièges, il se ronge les entrailles, il senveloppe dans une infinité de malheurs. Tant que David demeura auprès de Saül; ce misérable prince ne se vit jamais réduit à faire cette plainte quil a faite depuis: « Je suis percé de douleur ; je suis accablé dennuis. Les étrangers sélèvent contre moi de tous côtés, et le Seigneur mabandonné ». (II Rois, XXVIII, 15.) Tant que David demeura auprès de lui, il fut craint dans la guerre et il fut, heureux, parce que la valeur du général de ses armées était la gloire de ses armes et de sa personne. 5. Car David neut jamais la moindre pensée dusurper sa couronne, et de se mettre en sa place. Au contraire, il sexposait pour lui dans toutes les occasions, comme un serviteur très affectionné et très-fidèle. Et il est aisé de juger de la disposition où il était alors par ce que nous voyons quil fit depuis. Car tant quil demeura dans les troupes de Saül, on peut dire quil ne lui était pas possible de rien faire contre lui. Mais après que Saül leut chassé de ses Etats, qui leût empêché, sil avait eu de mauvais desseins, de soulever le peuple contre lui, et de lui faire la guerre? Doù vient quil ne pensa pas alors à se défaire dun ennemi qui lavait voulu perdre tant de fois, à qui il navait jamais donné le moindre sujet de se plaindre de lui, et quil avait toujours servi avec une fidélité inviolable ? Il était très-persuadé que tant que Saül vivrait, il ne serait jamais en repos ni en sûreté ; quil serait toujours obligé dêtre errant et vagabond et de craindre toujours pour sauver sa vie. Cependant toutes ces considérations ne peuvent le faire résoudre à tremper ses mains dans le sang de Saül. Lorsquil le voit seul, quil est maître de sa vie, quil le trouve assoupi avec tous ses gens dun profond sommei., que tous les siens lexhortent à se venger, et quils tâchent de lui persuader que Dieu lui a présenté cette occasion pour se défaire de son ennemi mortel, il les repousse; il les réprimande, il les menace, et il sauve la vie à celui qui la lui voulait ôter. Il accuse même les officiers du roi davoir eu si peu de soin de veiller auprès de leur maître, comme sil fût venu pour le garder et non pas pour le combattre. Y eut-il jamais rien dégal à cette générosité et à cette douceur de David? Mais si elle parait grande lorsquon la considère en elle-même, elle le paraîtra encore davantage si on la compare avec ce que nous voyons aujourdhui. Car la vertu des saints paraît encore plus illustre et plus éclatante, lorsque nous la comparons avec lobscurité et le déréglement de notre vie. Je vous conjure donc, mes frères, dimiter un si grand saint. Si vous êtes passionné pour la gloire, et que ce désir vous porte à chercher des moyens de vous venger de votre ennemi, ne voyez-vous pas quen vous mettant au-dessus de la vengeance, vous acquerrez beaucoup plus de gloire? Car, comme la passion des richesses nous empêche souvent de nous enrichir, ainsi le désir dêtre honoré est souvent un obstacle pour acquérir de lhonneur. Et je vous supplie, mes frères, de considérer avec moi en particulier, combien ce que je vous dis est véritable. Car, comme toutes les considérations des biens du ciel et des supplices de lenfer vous sont indifférentes et vous touchent peu, il faut que anus tâchions de vous exciter au moins par des considérations plus humaines et plus sensibles. Si vous jugez équitablement des (492) choses, ne verrez-vous pas que les hommes quon méprise le plus aujourdhui sont ceux qui témoignent plus de passion pour la gloire, et quau contraire on honore davantage ceux qui la méprisent? Que si le désir de la gloire est un vice, et si le superbe la désire et la recherche, il est clair quil est dès lors vicieux et méprisable, et quainsi sa passion pour lhonneur est son déshonneur, Mais les ambitieux sexposent encore au mépris des hommes en beaucoup dautres manières. Car cette passion pour la gloire les engage dans mille bassesses et dans des servitudes honteuses; et ils perdent ainsi ce quils voulaient gagner, comme il arrive souvent aux avares. Que si ceux qui sont possédés dune passion brutale, en se rendant esclaves et idolâtres des femmes, nattirent souvent que leurs insultes et leur mépris, il arrive aussi la même chose aux ambitieux. Plus ils veulent sélever, plus on les rabaisse, et la gloire les fuit dautant plus quils la recherchent avec plus dardeur. Car les hommes sont superbes et jaloux naturellement: et lorsquils voient un esprit glorieux qui veut sélever au-dessus des autres, ils prennent plaisir à le combattre et à rabaisser sa présomption et son insolence. De là vient que les orgueilleux, pour conserver à quelque prix que ce soit cette fausse apparence de gloire, sabandonnent à toute sorte de lâchetés, de complaisances et de flatteries, et quils se prostituent à tout le monde comme des esclaves qui sont à vendre à quiconque les veut acheter. Que ces vérités, mes frères, nous fassent renoncer à cette passion détestable, afin quelle ne nous attire point une punition sévère dans ce monde et une éternelle dans lautre. Devenons passionnés pour la vertu qui nous rendra heureux et dans cette vie et dans, lautre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |