Matthieu 6,28-34
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Matthieu 28, 11-20

HOMÉLIE XXII

«POURQUOI DE MÊME VOUS METTEZ-VOUS EN PEINE POUR LE VÊTEMENT CONSIDEREZ COMMENT CROISSENT LES LIS DES CHAMPS. ILS NE TRAVAILLENT POINT, » ETC. (CHAP. VI, 28, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

ANALYSE

1. La beauté de la création proclame la sagesse de Dieu.

2. Dieu qui donne ce qui paraît superflu donnera à bien plus forte raison le nécessaire.

3. C’est par le secours de Dieu que nous faisons tout le bien que nous faisons.

4. Comment il faut comprendre le mot : Malitia dans cette parole : sufficit diei malitia sua.- Est-ce une consolation que le délai du supplice de l’enfer.

5. Il n’est pas de péché qui ne cède à la pénitence; des conditions d’une véritable prière.

6. Excellent modèle de la prière de la Chananéenne.

1. Après que Jésus-Christ a parlé de la nourriture la plus nécessaire, et qu’il a montré qu’il ne fallait s’en point mettre en peine, il passe à ce qui est moins important, puisque le vêtement n’est pas si nécessaire que la nourriture. On demandera peut-être pourquoi il ne rapporte pas encore ici l’exemple des oiseaux, et d’où vient qu’il ne parle point du paon, ou du cygne. Ou de la brebis, qui pouvaient lui fournir de nombreuses comparaisons. Il cite le lis afin de nous toucher plus fortement par le contraste qu’il nous fait voir entre une vile herbe, et l’extrême magnificence dont Dieu s’est plu à la décorer. C’est pourquoi, poursuivant son (181) raisonnement, il ne dit plus « un lis,» mais « le foin des champs. » Ce terme ne lui suffit même pas, il en ajoute un autre qui exprime encore plus fortement la vileté. « Le foin des champs qui est aujourd’hui, et qui demain, » non seulement ne sera plus; mais, ce qui est beaucoup plus expressif, «sera jeté dans le four. » Et il ne dit pas simplement: «Que Dieu le pare, » mais « s’il le pare de la sorte. »

Voyez-vous que d’expressions vives et fortes? Le Sauveur les emploie pour faire une plus grande impression dans l’esprit de ceux qui l’écoutent. C’est toujours avec la même pensée qu’il conclut en disant: « Combien plus le fera-t-il pour vous? » Cette parole est d’une emphase énergique ; et ce mot « vous » dans la bouche du Sauveur montre bien ce que vaut l’homme et l’attention qu’il mérite : c’est comme s’il disait: Vous à qui Dieu a donné une âme raisonnable, dont il a formé le corps, pour qui il a fait le ciel et la terre, à qui il a envoyé ses prophètes et donné sa loi, qu’il a comblé de tant de biens, pour qui il a livré son Fils unique, et à qui il a donné enfin avec lui, la plénitude de ses bénédictions et de ses grâces.

Mais après le souvenir de tant de dons, il fait à ses auditeurs une réprimande en les appelant « hommes de peu de foi. » Tel est le sage conseiller, il joint toujours le reproche à l’exhortation, pour opérer plus sûrement la persuasion. Le Seigneur, par ces paroles, ne nous apprend pas seulement à ne nous inquiéter d’aucune chose, mais encore à n’être point touchés de la beauté et de la magnificence des vêtements. A l’herbe l’éclat de la parure, au gazon la beauté, nous dit-il, ou plutôt le foin de la prairie vaut encore mieux que son splendide vêtement. Pourquoi donc vous enorgueillir de choses dans lesquelles une simple plante l’emporte sur vous de beaucoup?

Mais remarquez comment Jésus-Christ adoucit tout d’abord ce précepte par l’opposition des contraires, puisqu’il semble n’y porter les hommes, que pour les délivrer de la chose du monde qu’ils craignent le plus. Car après avoir dit : « Considérez comment croissent les lis des champs, » il ajoute : « Ils ne travaillent point ni ne filent point. » De sorte que c’est afin de nous délivrer de nos peines qu’il nous fait ce commandement. Ainsi on ne doit pas dire qu’il y a de la peine à suivre ce précepte, mais qu’au contraire il y en a à ne le pas suivre. De même qu’en disant « que les oiseaux ne sèment point, » Jésus-Christ n’a pas prétendu nous défendre de semer, mais seulement de nous absorber dans cette préoccupation; de même ici, lorsqu’il dit que « les lis ne travaillent, ni ne filent point, » ce n’est pas le travail qu’il condamne, mais seulement l’agitation inquiète. « Et cependant je vous déclare que Salomon même dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux (29). » Ainsi, selon la parole de Jésus-Christ, tout ce grand éclat de Salomon a cédé à celui des lis. Et on ne peut pas dire que sa magnificence a quelquefois égalé la beauté des lis, et que quelquefois aussi l’éclat des lis l’a surpassée; puisqu’il est marqué expressément qu’il n’a jamais été vêtu comme le lis « dans toute sa gloire, » c’est-à-dire qu’il n’y a eu aucun jour de son règne, où il ait été paré comme un lis. Que s’il n’a pu égaler dans sa magnificence la fleur du lis, il n’a point non plus égalé les autres fleurs, mais il leur a cédé à toutes, puisque leur beauté vive et naturelle passe autant toutes les broderies d’or et de soie, que la vérité passe le mensonge. Si donc le plus magnifique de tous les rois doit reconnaître ici qu’il est vaincu ! comment prétendez-vous par tout votre luxe, je ne dis pas surpasser le lis, mais approcher seulement de la beauté de la moindre fleur?

Jésus-Christ nous avertit donc ici de ne point rechercher cette sorte d’éclat. Or, semble-t-il nous dire, voyez la fin de cette fleur; après le triomphe remporté par sa beauté, elle est jetée au four. Que si Dieu prend un tel soin de choses de si peu d’importance et de prix, comment pourrait-il oublier l’homme, qui est la plus excellente de ses créatures?

Vous me demanderez peut-être, pourquoi Dieu a donné tant de beauté à ces fleurs? Je vous réponds que c’est pour nous montrer sa sagesse et sa puissance, et pour nous faire admirer en toutes choses la magnificence de sa gloire. Car ce ne sont pas seulement «les cieux qui racontent la gloire de Dieu. » (Ps. XVIII, 4.) La terre le fait aussi comme le montre David lorsqu’il dit: « Louez le Seigneur, vous « arbres fruitiers, et tous cèdres. » (Ps. CXLVIII, 40.) Les uns, par la douceur de leurs fruits, les autres par la grandeur de leurs branches, les autres par une beauté particulière, publient la gloire de leur Créateur. Dieu ne pouvait mieux nous faire voir les richesses infinies de (182) sa puissance et de sa sagesse, qu’en répandant ainsi tant de beauté sur les choses les plus basses, puisqu’il n’y a rien de plus vil que ce qui est aujourd’hui, et qui cessera d’être demain.

Que si Dieu donne à ces herbes ce qui ne leur était point nécessaire, puisque cet éclat qu’elles ont ne sert nullement à nourrir le feu qui les brûle; comment vous refuserait-il à vous ce qui vous est nécessaire? Après avoir paré les moindres choses de tant d’ornements superflus, seulement pour montrer sa toute-puissance, comment vous négligerait-il, vous, qui êtes le chef-d’oeuvre de ses créatures? Comment vous refuserait-il ce qui vous est nécessaire pour le soutien de la vie? Après donc qu’il a ainsi montré aux hommes jusqu’où s’étend sa providence, il juge à propos de les réprimander, mais il ne le fait qu’avec beaucoup de retenue, et au lieu de les appeler des gens sans foi, il se contente de les appeler des «hommes de petite foi. »

2. « Si donc Dieu a soin de vêtir de la sorte une herbe des champs, qui est aujourd’hui et que demain on jettera dans le four, combien plus le fera-t-il pour vous, hommes de peu de foi (30)? » Celui qui dit ces paroles, est celui-là même qui fait toutes choses: « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait. » (Jean, I, 3.) Cependant il ne dit pas comme Créateur. Il lui suffisait pour un temps de montrer son autorité en disant à chacun de ses commandements: « Il a été dit aux anciens, etc., mais moi je vous dis. » Ne vous étonnez donc pas après cela qu’il se cache dans la suite, et qu’il parle si humblement de lui-même. Il n’a point d’autre but maintenant que de proportionner sa parole à la faiblesse de ceux qui l’écoutent, et de témoigner partout qu’il n’est pas un ennemi de Dieu, et qu’il s’accorde parfaitement en toutes choses avec son Père.

C’est ce qu’il observe particulièrement dans ce long sermon sur la montagne. Il y parle constamment du Père. Il relève partout sa providence, sa sagesse et sa bonté qui s’étend généralement sur toutes choses, et qui veille autant sur les plus petites que sur les plus grandes. Quand il défend « de jurer par Jérusalem, » il l’appelle «la ville du grand roi.» Quand il « parle du ciel, » il dit, « que c’est le «trône de Dieu. » Quand il parle de la conduite et du gouvernement du monde, il l’attribue tout à Dieu: « Il fait, » dit-il, « lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Il apprend de même à la fin de la prière qu’il a enseignée, que toute grandeur est à Dieu, en disant: « Que le royaume, que la puissance «et que la gloire sont à lui. » De même ici lorsqu’il veut montrer sa providence, et marquer combien elle est admirable dans les moindres choses : « Celui, » dit-il, « qui a soin de vêtir de la sorte une herbe des champs, » etc. Il ne le nomme jamais «son père;» mais seulement leur père; afin de les toucher et de les toucher par cet honneur, et de ne point exciter leur indignation, lorsqu’il appellerait Dieu son père.

Si donc, mes frères, il ne faut pas se mettre en peine des choses les plus nécessaires, comment excusera-t-on ceux qui s’empressent tant pour les superflues? ou plutôt, comment excusera-t-on ceux qui perdent même le dormir pour voler le bien des autres? « Ne vous mettez donc point en peine en disant: Où aurons-nous de quoi manger, de quoi boire, de quoi nous vêtir (31), comme font les païens qui recherchent toutes ces choses (32)?» Jésus-Christ fait encore ici un reproche à ses disciples, et il leur fait voir qu’il ne leur commande rien de fort difficile. Il disait auparavant: « Si vous aimez ceux qui vous aiment, vous ne faites rien d’extraordinaire, puisque les païens en font autant, » et il stimulait ainsi ses disciples et les excitait à une plus haute vertu par la comparaison qu’il faisait d’eux avec les païens : il se sert encore ici de ce même exemple pour leur faire voir qu’il n’exigeait d’eux qu’une conduite très juste et très raisonnable. Car si nous devons être plus justes que les scribes et que les pharisiens, que ne mériterons-nous point, si, bien loin d’être plus justes que les juifs, nous nous rendons semblables aux païens, et si nous n’avons pas plus de confiance en Dieu qu’ils n’en ont? Mais après leur avoir fait cette réprimande pleine de sévérité et de force pour les réveiller de leur assoupissement, et pour leur imprimer une honte salutaire, il les console ensuite en disant : « Votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses (32). » Il ne dit pas, Dieu sait; mais « votre Père sait, » afin que ce mot de « Père» les fît entrer dans une confiance plus ferme et plus assurée. Car si vous avez un père, leur dit-il, et un père tel (183) que Dieu, il ne pourra pas sans doute vous laisser souffrir les dernières extrémités, puisque les pères d’ici-bas n’ont pas cette dureté à l’égard de leurs enfants.

Il joint à ceci une autre raison: « Vous avez besoin, » dit-il, « de toutes ces choses; » comme s’il disait: ce ne sont pas là des choses superflues, et dont Dieu puisse vous laisser manquer, lui qui ne dédaigne pas de donner aux fleurs des embellissements si peu nécessaires. Je sais que ces choses dont je vous défends le soin sont les plus nécessaires à la vie. Nais cette nécessité que vous regardez comme un motif légitime de souci, j’estime au contraire que c’est elle qui doit vous affranchir de tout souci. Vous dites : je dois me mettre en peine de ces choses parce que je ne puis m’en passer; et moi je vous dis au contraire, que c’est pour cela même que vous ne vous en devez point mettre en peine, parce qu’elles sont nécessaires. Quand elles seraient superflues, vous ne devriez pas même alors concevoir de défiance, mais espérer que la bonté de Dieu ne laisserait pas rie vous les donner. Mais du moment qu’elles sont nécessaires, vous ne devez pas avoir le moindre doute qu’il ne vous les donne. Quel est le père qui refuse à ses enfants ce qui leur est le plus nécessaire pour la vie? C’est donc parce que cela est nécessaire que Dieu vous le donnera nécessairement. C’est lui qui a fait la nature humaine, et il en connaît parfaitement les besoins.

Vous ne pouvez pas dire : Il est vrai que Dieu est notre père, et que ces choses sont entièrement nécessaires; mais il ne sait peut-être pas qu’elles nous manquent. Car puisqu’il connaît la nature, qu’il l’a créée, qu’il l’a faite ce qu’elle est, il est évident qu’il sait mieux ses besoins que vous-même qui les souffrez. C’est lui-même quia voulu que vous fussiez sujet à ces besoins, il n’ira donc pas contredire ce qu’il a voulu, en vous imposant d’un côté cette nécessité impérieuse et en vous ôtant de l’autre les moyens d’y satisfaire.

3. Donc, mes frères, bannissons tous ces soins qui ne servent qu’à nous torturer l’esprit inutilement. Puisque, soit que nous nous inquiétions ou que nous ne nous inquiétions pas, c’est Dieu seul qui nous donne toutes ces choses et qui nous les donne d’autant plus que nous nous en inquiétons moins, à quoi nous serviront tous nos soins, qu’à nous tourmenter et nous faire souffrir en pure perte ?

Celui qui est invité à un festin magnifique, ne se met pas en peine s’il y trouvera de quoi manger : et celui qui va à une source, ne s’inquiète point s’il y apaisera sa soif. Puis donc que nous avons la providence de Dieu, qui est plus riche que les plus magnifiques festins, et plus inépuisable que les sources les plus profondes, ne concevons ni inquiétude ni défiance. D’ailleurs nous allons trouver, dans les paroles qui suivent, un nouveau sujet de confiance.

« Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît (33). » Après avoir dégagé nos âmes du soin de toutes choses, il nous avertit de tendre au ciel. Il était venu pour anéantir tout ce qui était vieux et pour nous rappeler à notre véritable patrie. C’est pourquoi il tâche par tous les moyens de nous dégager des choses superflues et de nous délivrer des soins de la terre. C’est dans ce dessein qu’il nous avertit de nous garder d’imiter les païens, qui se mettent en peine de ces sortes de choses, dont tous les soins se bornent à la vie présente, qui n’ont aucun souci de l’avenir, ni aucune pensée des biens du ciel. Pour vous, mes disciples, leur dit-il, ce n’est pas là à quoi vous devez tendre. Vous avez un autre objet et une autre fin. En effet, nous ne sommes pas nés pour boire, pour manger et pour nous vêtir; mais pour plaire à Dieu et pour mériter les biens éternels. Comme donc ces besoins présents doivent tenir le dernier lieu dans nos pensées, qu’ils tiennent aussi le dernier rang dans nos prières.

«Cherchez, dit-il, premièrement le royaume et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. »II ne dit pas seulement : « Vous seront données, mais vous seront données comme par « surcroît,» pour montrer qu’il n’y a rien dans les dons qui regardent cette vie, qui mérite d’être comparé avec les biens à venir. C’est pourquoi il n’ordonne point qu’on lui demande ces choses, mais qu’on lui en demande de plus importantes et qu’on espère de recevoir en même temps celles-ci, «comme par surcroît. » Cherchez les biens à venir et vous recevrez les biens présents. Ne désirez point les choses d’ici-bas et vous les posséderez infailliblement. Il est indigne de vous, d’importuner votre Seigneur pour des sujets qui le méritent si peu. Vous vous abaissez honteusement, si lorsque vous ne devez être occupés (184) que des biens ineffables de l’autre monde, vous vous consumez dans les vains désirs des choses qui passent. Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ nous commande-t-il de lui demander notre pain? — Oui, Jésus-Christ nous commande cela, mais en ajoutant « notre pain de chaque « jour; » et en marquent expressément, donnez -nous « aujourd’hui.» Il fait ici la même chose : « C’est pourquoi ne vous mettez point en peine pour le lendemain; car le lendemain se mettra en peine pour soi-même. A chaque jour suffit son mal (34). » Il ne dit pas généralement: « Ne vous mettez point en peine;» mais il ajoute, « pour le lendemain; » nous donnant par ces paroles la liberté de lui demander les besoins du jour présent et bornant en même temps tous nos désirs aux choses les plus nécessaires. Car Dieu nous commande de lui demander ces choses, non parce qu’il a besoin que nous l’en avertissions dans nos prières, mais pour nous apprendre que ce n’est que par son, secours que nous faisons tout ce que nous faisons de bien, pour nous lier et comme pour nous familiariser avec lui par cette obligation continuelle de lui demander tous nos besoins. Remarquez-vous comment il leur donne la confiance qu’il ne les laissera pas manquer des choses nécessaires, et que Celui qui leur donne si libéralement les plus grandes choses, ne leur refusera pas les plus petites ? Car je ne vous commande pas, leur dit-il, de ne vous mettre en peine de rien, afin que vous deveniez misérables et que vous n’ayez pas de quoi couvrir votre nudité, mais c’est afin que vous soyez dans l’abondance de toutes choses. Rien sans doute n’était plus propre à lui concilier les esprits que cette promesse. Ainsi comme en les exhortant à ne point rechercher une vaine gloire dans leurs aumônes, il les y porte en leur promettant une autre gloire plus grande et plus solide : « Votre Père, » dit-il, « qui voit en secret, vous en rendra la récompense devant tout le monde ; » de même il les éloigne du soin des choses présentes, en leur promettant qu’il satisfera d’autant plus à tous leurs besoins, qu’ils se mettront moins en peine de les rechercher. Je vous défends, leur dit-il, de vous inquiéter, de ces choses, non afin qu’elles vous manquent; mais au contraire afin que rien ne vous manque. Je veux que vous receviez toutes choses d’une manière digne de vous et qui vous soit véritablement avantageuse. Je ne veux pas qu’en vous bourrelant vous-mêmes d’inquiétude, en vous laissant déchirer à mille soucis, vous vous rendiez indignes des secours du corps aussi bien que de ceux de l’âme, et qu’après avoir été misérables en cette vie, vous perdiez encore la félicité de l’autre.

4. « Ne vous mettez donc point en peine pour le lendemain. Car à chaque jour suffit son mal; » c’est-à-dire son affliction et .sa misère. Hélas! ne vous suffit-il pas de manger « votre pain à la sueur de votre visage? » Pourquoi chercher dans l’inquiétude encore un nouveau tourment, vous qui devez même être affranchi de Celui-là? Ce mot de « mal, » ne signifie donc pas malice ou malignité; Dieu nous garde de cette pensée! mais il signifie le travail, les afflictions et les misères. Nous voyons encore d’autres endroits dans l’Ecriture où ce mot de « mal,» se prend en ce même sens : « Il n’y a point de mal dans la ville que le Seigneur n’ait fait.» (Amos, III, 6.) Ce que le Prophète n’entend point de l’avarice ou des rapines, ou des autres vices semblables; mais des plaies dont Dieu avait frappé les habitants: « C’est moi, » dit-il encore, « qui fais la paix, « et qui crée le mal (Isaïe, XLV, 7); » ce qui ne veut pas dire les crimes, mais la peste, la guerre, et la famine, et d’autres choses semblables, qui passent pour de véritables maux, dans l’esprit de la plupart des hommes, (I Rois, VI, 9.) C’est du reste ainsi qu’on les appelle ordinairement, par exemple, les prêtres et les devins de ces cinq villes, qui attelèrent à l’arche des vaches qu’ils séparèrent de leurs veaux, et qu’ils laissèrent aller seules, appelaient « mal » les plaies dont Dieu les avait frappés, et la douleur qu’ils en ressentaient.

C’est donc en ce sens qu’il faut prendre ces paroles: « A chaque jour suffit son mal; » parce qu’en effet il n’y a rien qui tourmente plus une âme, que le soin et l’inquiétude. C’est pourquoi saint Paul, exhortant les hommes à l’amour du célibat, leur dit : « Je voudrais vous voir dégagés de soins et d’inquiétudes. » (I Cor. VII, 32.) Lorsque Jésus-Christ dit: « Le lendemain se mettra en peine pour « soi-même, » il ne marque pas que ce jour du lendemain soit capable en effet de quelque inquiétude; mais comme il parlait à un peuple grossier, et qu’il voulait lui rendre sensible ce qu’il lui disait, il personnifie ce temps (185) et ce jour, et en parlant aux hommes, il se sert d’un langage ordinaire aux hommes. Et remarquez, mes frères, qu’il ne dit tout ceci que comme un conseil qu’il donne. Nous verrons dans la suite qu’il en fera un commandement absolu : « N’ayez, » dira-t-il, « ni or, ni argent, ni bourse dans le chemin. » (Matth. X, 9.) Il ne faisait du reste que prescrire ce qu’il pratiquait lui-même: une loi déjà promulguée par les actions pouvait s’accentuer plus hardiment par les paroles; la parole ne pouvait qu’être bien venue puisque les actions lui avaient aplani la voie. — Mais où donc ce précepte nous a-t-il été donné en action? —Ecoutez cette parole : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » (Matth. XVIII, 20) Mais non content de ce qu’il a fait lui-même, il a retracé encore dans ses disciples cette même forme de vie, et il leur a fait pratiquer une pauvreté semblable, sans les laisser manquer de rien.

Remarquez, je vous prie, combien sa providence surpasse la tendresse de tous les pères. Je ne vous commande cela, leur dit-il, que pour vous délivrer d’un soin superflu. En effet, quand vous auriez aujourd’hui de l’inquiétude pour demain, vous ne laisseriez pas demain d’en avoir encore de même. Pourquoi donc vous tourmentez-vous inutilement? pourquoi forcer le jour présent à supporter plus de peine qu’il ne lui en revient? pourquoi, au faix qui lui est propre, ajouter encore le fardeau qui appartient au jour à venir, et cela sans pouvoir aucunement soulager celui-ci, ni rien gagner qu’un surcroît de peines superflues? Car pour produire plus d’effet, il anime pour ainsi dire le temps, le jour, et il l’introduit comme un plaignant qui vient réclamer contre une injustice dont il est victime.

Et en effet, Dieu vous donne le jour présent pour faire ce que présentement vous devez faire Pourquoi donc l’accablez-vous encore du souci d’un autre jour ?n’est-il pas assez chargé de ses propres soins? pourquoi lui en ajoutez-vous d’autres, et le surchargez-vous?

Mes frères, c’est le Législateur suprême, c’est Celui qui nous jugera un jour, qui parle ainsi: reconnaissez donc quelle espérance il nous donne, et quel doit être le bonheur qu’il nous promet en l’autre vie, puisqu’il nous assure qu’il trouve lui-même celle-ci si misérable, que c’est tout ce que nous pouvons faire que d’endurer chaque jour la peine qui l’accompagne. Cependant après tant de promesses nous ne pouvons nous empêcher de nous inquiéter encore pour les besoins de cette misérable vie. Nous n’élevons jamais notre esprit au ciel. Nous renversons tout l’ordre des choses, et nous combattons doublement le précepte de Jésus-Christ. Ne cherchez point, nous dit-il, les choses présentes: et c’est de quoi nous nous occupons toujours. Cherchez, nous dit-il, les biens du ciel ; et c’est à quoi nous ne nous appliquons jamais. Nous n’y pouvons pas penser même durant une heure; et autant nous témoignons d’empressement pour ce monde, autant et plus encore témoignons-nous de froideur pour l’autre. Mais cette indifférence et cette ingratitude envers Dieu ne demeurera pas toujours impunie. Nous pouvons bien le négliger durant quelques mois et quelques années; mais tôt ou tard il faut enfin que nous tombions entre ses mains, et que nous paraissions devant ce tribunal si terrible.

Mais ce délai nous console, direz-vous. — Quelle est cette consolation d’attendre chaque jour l’heure du supplice? Si vous voulez que ce temps que Dieu vous donne vous soit un sujet de consolation, servez-vous-en pour vous corriger par une sérieuse pénitence. Si vous regardez comme un bien le retard du châtiment, que sera-ce de l’éviter?

Usons donc de ce temps que Dieu nous donne, pour nous délivrer entièrement des maux à venir. Jésus-Christ ne nous a rien commandé d’onéreux ni de pénible. Tous ses préceptes au contraire sont si faciles, que pour peu que nous y apportions de bonne volonté, nous pouvons les accomplir tous, si grands pécheurs que nous ayons été.

Manassès avait commis des crimes sans nombre , puisqu’il avait porté ses mains cruelles sur les saints; qu’il avait introduit dans le temple du Seigneur l’abomination des idoles; qu’il avait rempli la ville de carnage, et commis mille autres excès qui paraissaient le rendre indigne de toute miséricorde. Cependant, après tant de crimes, il trouva un moyen de se purifier entièrement. Quel moyen? Ce fut, mes frères, sa pénitence et la contrition de son coeur.

5. Car il n’y a point, non, il n’y a point de péché qui ne ,cède à la force de la pénitence, ou plutôt à la force de la grâce de Jésus-Christ. Aussitôt que nous nous convertissons, il devient lui-même notre force, et notre coopérateur (186) dans le bien. Si vous, voulez devenir vertueux, rien ne vous en empêchera; ou plutôt le démon tâchera de l’empêcher, mais il ne le pourra faire, parce que vous l’aurez prévenu par vos saintes résolutions, et que vous aurez par elles attiré Dieu même à votre secours. Que si vous ne voulez pas demeurer fermes, et que vous vous rangiez du côté de votre ennemi, comment Dieu pourra-t-il vous secourir? Il ne veut pas user de violence ou de contrainte, et il ne sauve que celui qui veut se sauver.

Si vous aviez un serviteur qui vous haït, qui eût horreur de vous, qui voulût toujours s’enfuir, vous ne pourriez vous résoudre à le retenir, et cela quand vous auriez besoin de son service: à plus forte raison Dieu qui n’a aucun besoin de vous, qui n’exige de vous aucun service que pour votre bien, sera-t-il éloigné de vous faire violence pour vous retenir à son service malgré vous : si, au contraire, vous témoignez seulement quelque désir de lui plaire, il ne vous abandonnera point, quoi que puisse faire le démon.

Nous sommes donc nous-mêmes les auteurs de notre perte, puisque nous n’avons jamais recours, à Dieu, et que. Nous ne nous approchons jamais de lui pour l’invoquer comme il faut. Lorsque nous le prions, il semble que nous n’attendions rien de lui. Nous ne partons point à la prière un coeur plein de foi et de ferveur. Nous sommes comme des personnes qui n’ont rien à demander ou à désirer; nous demeurons tout assoupis, sans application et sans vigueur. Cependant Dieu veut qu’on. le presse avec instance, et qu’on importune et il agrée l’importunité de la prière. C’est le seul débiteur qui soit ravi qu’on lui redemande sa dette; il donne même sans qu’ou lui ait rien prêté. Plus il voit que nous le. pressons, et, que nous lui faisons d’instances; plus il nous fait rie grâces, quoiqu’il ne nous doive rien. Que si nous sommes lâches à lui demander, il diffère aussi à nous donner, non qu’il n’en ait le désir, mais parce qu’il veut être importuné, et qu’il prend plaisir qu’on lui fasse violence.

C’est pourquoi il nous donne dans l’Evangile pour modèle de la prière, tantôt l’exemple d’un homme qui va importuner son ami au milieu de la nuit, pour lui demander du pain; et tantôt l’exemple de ce juge qui ne craignait ni Dieu ni les hommes, qui se laissa néanmoins fléchir par les instantes sollicitations de la veuve. Il ne s’est pas contenté même de ces paraboles. Il y a joint des exemples effectifs, comme celui-de la Chananéenne qu’il renvoya après l’avoir comblée d’un si grand don. Il fit voir en cet occurrence, qu’il donne même ce qui est au-dessus du mérite de ceux qui le prient, lorsqu’ils prient avec ferveur: « Il n’est pas bon, » dit-il à cette femme, « de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens; » et cependant il le lui donna, parce qu’elle le demandait avec ardeur. Il nous montre encore dans la personne des Juifs, qu’il refuse de donner aux tièdes et aux négligents, ce qui leur appartenait légitimement.

Bien loin de. recevoir de lui des grâces nouvelles, ils ont perdu celles qu’ils avaient déjà reçues. Ils n’ont pu conserver ce qui était à eux, parce qu’ils ont prié avec tiédeur. La Chananéenne, au contraire, priant avec ardeur et avec une violence toute sainte, est entrée dans l’héritage des autres; et après avoir été appelée « chienne, » elle a été mise au rang des « enfants. » Tant la prière a de force lorsqu’elle est pressante et persévérante ! Si vous vous adressez à Dieu de la sorte, quand vous ne seriez qu’un chien, vous précéderez les enfants paresseux et lâches. Ce que l’on ne peut espérer de l’amitié, l’assiduité opiniâtre le procure.

Ne dites donc point : Dieu est irrité contre moi, il -n’écoutera point mes prières. Il vous écoutera bientôt si vous le priez avec importunité. S’il ne vous exauce pas parce qu’il vous aime, il vous exaucera parce que vous ne cessez point de le prier : l’inimitié, ni le contretemps, ni quoi que ce soit ne vous sera un obstacle. Ne dites pas non plus: Je ne suis pas digne de rien recevoir de Dieu, c’est pourquoi je ne le prie pas. La Chananéenne était dans le même état que vous.

Ne dites pas davantage : J’ai beaucoup offensé Dieu, et je ne puis apaiser sa colère. Dieu ne considère point votre mérite, niais la disposition de votre coeur. Si une veuve a fléchi un juge qui ne craignait ni Dieu ni les hommes, combien plus une prière continuelle apaisera-t-elle un Dieu si doux et si plein de miséricorde? Quand donc vous ne seriez pas ami de Dieu; quand vous lui demanderiez des choses qui ne vous seraient point dues; quand vous auriez consumé tout le bien de votre père, comme l’enfant prodigue; que vous auriez été longtemps banni de sa présence; que vous auriez (187) dégénéré d’un tel père; que vous seriez devenu le dernier de tous les hommes; que vous présentant devant lui vous apercevriez sur son visage les marques de son indignation et de sa colère: commencez seulement à le prier et à vous rapprocher de lui, vous éteindrez la colère et la damnation, et vous recouvrerez votre première dignité.

Mais je prie, me dites-vous, et mes prières ne me servent de rien. C’est parce que vous ne priez pas comme ceux que je vous cite; comme la Chananéenne, comme cet ami qui va au milieu de la nuit demander des pains, comme cette veuve qui importunait son juge, et comme cet enfant qui retourne à son père après avoir dissipé tout ce qu’il avait. Si vous aviez prié de la sorte, vous auriez été bientôt exaucé. Quoique vous ayez offensé Dieu, il ne laisse pas d’être votre père. Quoique vous l’ayez fâché, il ne laisse pas d’aimer ses enfants. Il ne cherche pas votre perte, mais votre salut. Il ne désire pas de se venger de l’injure que vous lui avez faite, mais de vous voir vous convertir, et lui demander miséricorde. O si nous avions autant d’ardeur pour aller à lui, que ses entrailles paternelles ont de tendresse pour nous ! Sa charité est un feu brûlant. Il ne veut qu’une petite étincelle pour trouver entrée dans votre coeur, et pour l’embraser et le combler de ses grâces.

6. Ce qui le fâche dans les outrages que vous lui faites, ce n’est pas que l’offense s’adresse à lui, mais c’est que vous en êtes l’auteur, et que vous agissez sous l’impulsion de l’ivresse et de la fureur.

Si, quelque méchante que nous soyons, nous ne laissons pas lorsque nos enfants nous insultent, d’en être plus affligés pour eux que pour nous; combien Dieu, que nos injures ne peuvent atteindre; en sera-t-il plus touché pour notre intérêt, que pour le sien? Si nous agissons de la sorte envers nos enfants, quoique notre amour ne soit qu’un effet de la nature; que devons-nous attendre de l’amour de Dieu, qui est infiniment élevé au-dessus du nôtre ? « Quand une mère, » dit-il, « oublierait l’enfant qu’elle a porté dans son sein, je ne vous oublierai pas. » (Is. XLIX, 15.)

Approchons-nous donc de lui, et lui disons: « Oui, Seigneur; les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » (Matth. XV.) Approchons-nous de lui, soit à temps, soit à contre-temps. Mais je me reprends. Nous ne pouvons approcher de lui à contre-temps, ni lui être importuns. C’est l’importuner que de ne le pas prier toujours. On ne peut s’adresser à contre-temps à celui qui est en tout temps prêt à donner. Comme l’homme n’est point importuné de respirer sans cesse l’air qui le fait vivre; Dieu de même ne le sera point, lorsque nous lui demanderons toujours l’esprit de sa grâce; et c’est lui déplaire au contraire, que de ne pas le lui demander toujours. Comme notre corps a besoin à tout moment de respirer l’air : notre âme de même a toujours besoin de ce secours et de cet Esprit que Dieu nous donne. Si nous le voulons nous l’attirerons aisément en nous.

Le prophète montre combien Dieu est prêt à nous faire toujours du bien, lorsqu’il dit:

« Nous le trouverons toujours prêt comme le « jour du matin. » (Osée, VI, 3.) Toutes les fois que nous nous approcherons de lui, nous sentirons qu’il n’attend que nos prières pour nous exaucer. Que si nous ne puisons rien dans cette source si abondante de-toutes les vertus, c’est nous-mêmes que nous en devons accuser, et non la source. C’est ce qu’il reprochait aux Juifs, lorsqu’il leur disait : « Ma miséricorde est comme une nuée du matin, et comme une rosée qui tombe à la pointe du jour. »(Osée, VI, 4.) Comme s’il leur disait: Pour moi, j’ai fait de mon côté, tout ce que je devais faire; mais pour vous, vous avez été comme un soleil brûlant qui sèche cette rosée et qui dissipe les nuées, et vous avez arrêté par votre malice, la source et les influences de ma bonté.

Cette conduite de Dieu, mes frères, est un effet de sa miséricorde sur nous. Quand il voit que nous sommes indignes des grâces qu’il nous faisait, il les retient, de peur qu’il ne nous rende paresseux et lâches, en nous don. nant ce que nous ne daignons pas seulement lui demander. Mais si nous sortons enfin de cet assoupissement, et si nous reconnaissons seulement que nous l’avons offensé, sa grâce coulera aussitôt sur nous comme une source abondante, ou plutôt elle se répandra sur nous comme une mer. Plus vous recevrez de lui, plus vous le comblerez de joie, et plus il sera porté à vous donner. Il regarde comme ses propres richesses le salut des âmes, et la grâce qu’il fait à ceux qui le prient. «Dieu est riche en miséricorde (Ephés. II, 4), » comme dit saint Paul, « et il répand ses richesses sur (188) tous ceux qui l’invoquent. » (Rom. X, 12.) Il ne se fâche contre nous que lorsque nous ne nous adressons pas à lui en l’invoquant. Il ne se détourne de nous, que lorsque nous ne nous approchons pas de lui. Car il ne s’est fait pauvre que pour nous rendre riches, et il n’a tant souffert pour nous que pour nous encourager davantage à le prier.

C’est pourquoi. ne tombons jamais dan sa défiance: mais puisque Dieu nous ouvre tant de voies de salut, et nous donne tant de raisons d’espérer en sa miséricorde, quand nous pécherions tous les jours, ne laissons pas de nous approcher de lui pour le prier, et conjurons-le continuellement de nous pardonner nos fautes. C’est ainsi que nous arrêterons le cours de nos péchés; que nous chasserons le démon de nos coeurs; que nous attirerons sur nous la miséricorde de Dieu et que nous jouirons enfin des biens éternels que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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