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HOMÉLIE XXII«POURQUOI DE MÊME VOUS METTEZ-VOUS EN PEINE POUR LE VÊTEMENT CONSIDEREZ COMMENT CROISSENT LES LIS DES CHAMPS. ILS NE TRAVAILLENT POINT, » ETC. (CHAP. VI, 28, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) ANALYSE 1. La beauté de la création proclame la sagesse de Dieu. 2. Dieu qui donne ce qui paraît superflu donnera à bien plus forte raison le nécessaire. 3. Cest par le secours de Dieu que nous faisons tout le bien que nous faisons. 4. Comment il faut comprendre le mot : Malitia dans cette parole : sufficit diei malitia sua.- Est-ce une consolation que le délai du supplice de lenfer. 5. Il nest pas de péché qui ne cède à la pénitence; des conditions dune véritable prière. 6. Excellent modèle de la prière de la Chananéenne. 1. Après que Jésus-Christ a parlé de la nourriture la plus nécessaire, et quil a montré quil ne fallait sen point mettre en peine, il passe à ce qui est moins important, puisque le vêtement nest pas si nécessaire que la nourriture. On demandera peut-être pourquoi il ne rapporte pas encore ici lexemple des oiseaux, et doù vient quil ne parle point du paon, ou du cygne. Ou de la brebis, qui pouvaient lui fournir de nombreuses comparaisons. Il cite le lis afin de nous toucher plus fortement par le contraste quil nous fait voir entre une vile herbe, et lextrême magnificence dont Dieu sest plu à la décorer. Cest pourquoi, poursuivant son (181) raisonnement, il ne dit plus « un lis,» mais « le foin des champs. » Ce terme ne lui suffit même pas, il en ajoute un autre qui exprime encore plus fortement la vileté. « Le foin des champs qui est aujourdhui, et qui demain, » non seulement ne sera plus; mais, ce qui est beaucoup plus expressif, «sera jeté dans le four. » Et il ne dit pas simplement: «Que Dieu le pare, » mais « sil le pare de la sorte. » Voyez-vous que dexpressions vives et fortes? Le Sauveur les emploie pour faire une plus grande impression dans lesprit de ceux qui lécoutent. Cest toujours avec la même pensée quil conclut en disant: « Combien plus le fera-t-il pour vous? » Cette parole est dune emphase énergique ; et ce mot « vous » dans la bouche du Sauveur montre bien ce que vaut lhomme et lattention quil mérite : cest comme sil disait: Vous à qui Dieu a donné une âme raisonnable, dont il a formé le corps, pour qui il a fait le ciel et la terre, à qui il a envoyé ses prophètes et donné sa loi, quil a comblé de tant de biens, pour qui il a livré son Fils unique, et à qui il a donné enfin avec lui, la plénitude de ses bénédictions et de ses grâces. Mais après le souvenir de tant de dons, il fait à ses auditeurs une réprimande en les appelant « hommes de peu de foi. » Tel est le sage conseiller, il joint toujours le reproche à lexhortation, pour opérer plus sûrement la persuasion. Le Seigneur, par ces paroles, ne nous apprend pas seulement à ne nous inquiéter daucune chose, mais encore à nêtre point touchés de la beauté et de la magnificence des vêtements. A lherbe léclat de la parure, au gazon la beauté, nous dit-il, ou plutôt le foin de la prairie vaut encore mieux que son splendide vêtement. Pourquoi donc vous enorgueillir de choses dans lesquelles une simple plante lemporte sur vous de beaucoup? Mais remarquez comment Jésus-Christ adoucit tout dabord ce précepte par lopposition des contraires, puisquil semble ny porter les hommes, que pour les délivrer de la chose du monde quils craignent le plus. Car après avoir dit : « Considérez comment croissent les lis des champs, » il ajoute : « Ils ne travaillent point ni ne filent point. » De sorte que cest afin de nous délivrer de nos peines quil nous fait ce commandement. Ainsi on ne doit pas dire quil y a de la peine à suivre ce précepte, mais quau contraire il y en a à ne le pas suivre. De même quen disant « que les oiseaux ne sèment point, » Jésus-Christ na pas prétendu nous défendre de semer, mais seulement de nous absorber dans cette préoccupation; de même ici, lorsquil dit que « les lis ne travaillent, ni ne filent point, » ce nest pas le travail quil condamne, mais seulement lagitation inquiète. « Et cependant je vous déclare que Salomon même dans toute sa gloire, na jamais été vêtu comme lun deux (29). » Ainsi, selon la parole de Jésus-Christ, tout ce grand éclat de Salomon a cédé à celui des lis. Et on ne peut pas dire que sa magnificence a quelquefois égalé la beauté des lis, et que quelquefois aussi léclat des lis la surpassée; puisquil est marqué expressément quil na jamais été vêtu comme le lis « dans toute sa gloire, » cest-à-dire quil ny a eu aucun jour de son règne, où il ait été paré comme un lis. Que sil na pu égaler dans sa magnificence la fleur du lis, il na point non plus égalé les autres fleurs, mais il leur a cédé à toutes, puisque leur beauté vive et naturelle passe autant toutes les broderies dor et de soie, que la vérité passe le mensonge. Si donc le plus magnifique de tous les rois doit reconnaître ici quil est vaincu ! comment prétendez-vous par tout votre luxe, je ne dis pas surpasser le lis, mais approcher seulement de la beauté de la moindre fleur? Jésus-Christ nous avertit donc ici de ne point rechercher cette sorte déclat. Or, semble-t-il nous dire, voyez la fin de cette fleur; après le triomphe remporté par sa beauté, elle est jetée au four. Que si Dieu prend un tel soin de choses de si peu dimportance et de prix, comment pourrait-il oublier lhomme, qui est la plus excellente de ses créatures? Vous me demanderez peut-être, pourquoi Dieu a donné tant de beauté à ces fleurs? Je vous réponds que cest pour nous montrer sa sagesse et sa puissance, et pour nous faire admirer en toutes choses la magnificence de sa gloire. Car ce ne sont pas seulement «les cieux qui racontent la gloire de Dieu. » (Ps. XVIII, 4.) La terre le fait aussi comme le montre David lorsquil dit: « Louez le Seigneur, vous « arbres fruitiers, et tous cèdres. » (Ps. CXLVIII, 40.) Les uns, par la douceur de leurs fruits, les autres par la grandeur de leurs branches, les autres par une beauté particulière, publient la gloire de leur Créateur. Dieu ne pouvait mieux nous faire voir les richesses infinies de (182) sa puissance et de sa sagesse, quen répandant ainsi tant de beauté sur les choses les plus basses, puisquil ny a rien de plus vil que ce qui est aujourdhui, et qui cessera dêtre demain. Que si Dieu donne à ces herbes ce qui ne leur était point nécessaire, puisque cet éclat quelles ont ne sert nullement à nourrir le feu qui les brûle; comment vous refuserait-il à vous ce qui vous est nécessaire? Après avoir paré les moindres choses de tant dornements superflus, seulement pour montrer sa toute-puissance, comment vous négligerait-il, vous, qui êtes le chef-doeuvre de ses créatures? Comment vous refuserait-il ce qui vous est nécessaire pour le soutien de la vie? Après donc quil a ainsi montré aux hommes jusquoù sétend sa providence, il juge à propos de les réprimander, mais il ne le fait quavec beaucoup de retenue, et au lieu de les appeler des gens sans foi, il se contente de les appeler des «hommes de petite foi. » 2. « Si donc Dieu a soin de vêtir de la sorte une herbe des champs, qui est aujourdhui et que demain on jettera dans le four, combien plus le fera-t-il pour vous, hommes de peu de foi (30)? » Celui qui dit ces paroles, est celui-là même qui fait toutes choses: « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien na été fait. » (Jean, I, 3.) Cependant il ne dit pas comme Créateur. Il lui suffisait pour un temps de montrer son autorité en disant à chacun de ses commandements: « Il a été dit aux anciens, etc., mais moi je vous dis. » Ne vous étonnez donc pas après cela quil se cache dans la suite, et quil parle si humblement de lui-même. Il na point dautre but maintenant que de proportionner sa parole à la faiblesse de ceux qui lécoutent, et de témoigner partout quil nest pas un ennemi de Dieu, et quil saccorde parfaitement en toutes choses avec son Père. Cest ce quil observe particulièrement dans ce long sermon sur la montagne. Il y parle constamment du Père. Il relève partout sa providence, sa sagesse et sa bonté qui sétend généralement sur toutes choses, et qui veille autant sur les plus petites que sur les plus grandes. Quand il défend « de jurer par Jérusalem, » il lappelle «la ville du grand roi.» Quand il « parle du ciel, » il dit, « que cest le «trône de Dieu. » Quand il parle de la conduite et du gouvernement du monde, il lattribue tout à Dieu: « Il fait, » dit-il, « lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Il apprend de même à la fin de la prière quil a enseignée, que toute grandeur est à Dieu, en disant: « Que le royaume, que la puissance «et que la gloire sont à lui. » De même ici lorsquil veut montrer sa providence, et marquer combien elle est admirable dans les moindres choses : « Celui, » dit-il, « qui a soin de vêtir de la sorte une herbe des champs, » etc. Il ne le nomme jamais «son père;» mais seulement leur père; afin de les toucher et de les toucher par cet honneur, et de ne point exciter leur indignation, lorsquil appellerait Dieu son père. Si donc, mes frères, il ne faut pas se mettre en peine des choses les plus nécessaires, comment excusera-t-on ceux qui sempressent tant pour les superflues? ou plutôt, comment excusera-t-on ceux qui perdent même le dormir pour voler le bien des autres? « Ne vous mettez donc point en peine en disant: Où aurons-nous de quoi manger, de quoi boire, de quoi nous vêtir (31), comme font les païens qui recherchent toutes ces choses (32)?» Jésus-Christ fait encore ici un reproche à ses disciples, et il leur fait voir quil ne leur commande rien de fort difficile. Il disait auparavant: « Si vous aimez ceux qui vous aiment, vous ne faites rien dextraordinaire, puisque les païens en font autant, » et il stimulait ainsi ses disciples et les excitait à une plus haute vertu par la comparaison quil faisait deux avec les païens : il se sert encore ici de ce même exemple pour leur faire voir quil nexigeait deux quune conduite très juste et très raisonnable. Car si nous devons être plus justes que les scribes et que les pharisiens, que ne mériterons-nous point, si, bien loin dêtre plus justes que les juifs, nous nous rendons semblables aux païens, et si nous navons pas plus de confiance en Dieu quils nen ont? Mais après leur avoir fait cette réprimande pleine de sévérité et de force pour les réveiller de leur assoupissement, et pour leur imprimer une honte salutaire, il les console ensuite en disant : « Votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses (32). » Il ne dit pas, Dieu sait; mais « votre Père sait, » afin que ce mot de « Père» les fît entrer dans une confiance plus ferme et plus assurée. Car si vous avez un père, leur dit-il, et un père tel (183) que Dieu, il ne pourra pas sans doute vous laisser souffrir les dernières extrémités, puisque les pères dici-bas nont pas cette dureté à légard de leurs enfants. Il joint à ceci une autre raison: « Vous avez besoin, » dit-il, « de toutes ces choses; » comme sil disait: ce ne sont pas là des choses superflues, et dont Dieu puisse vous laisser manquer, lui qui ne dédaigne pas de donner aux fleurs des embellissements si peu nécessaires. Je sais que ces choses dont je vous défends le soin sont les plus nécessaires à la vie. Nais cette nécessité que vous regardez comme un motif légitime de souci, jestime au contraire que cest elle qui doit vous affranchir de tout souci. Vous dites : je dois me mettre en peine de ces choses parce que je ne puis men passer; et moi je vous dis au contraire, que cest pour cela même que vous ne vous en devez point mettre en peine, parce quelles sont nécessaires. Quand elles seraient superflues, vous ne devriez pas même alors concevoir de défiance, mais espérer que la bonté de Dieu ne laisserait pas rie vous les donner. Mais du moment quelles sont nécessaires, vous ne devez pas avoir le moindre doute quil ne vous les donne. Quel est le père qui refuse à ses enfants ce qui leur est le plus nécessaire pour la vie? Cest donc parce que cela est nécessaire que Dieu vous le donnera nécessairement. Cest lui qui a fait la nature humaine, et il en connaît parfaitement les besoins. Vous ne pouvez pas dire : Il est vrai que Dieu est notre père, et que ces choses sont entièrement nécessaires; mais il ne sait peut-être pas quelles nous manquent. Car puisquil connaît la nature, quil la créée, quil la faite ce quelle est, il est évident quil sait mieux ses besoins que vous-même qui les souffrez. Cest lui-même quia voulu que vous fussiez sujet à ces besoins, il nira donc pas contredire ce quil a voulu, en vous imposant dun côté cette nécessité impérieuse et en vous ôtant de lautre les moyens dy satisfaire. 3. Donc, mes frères, bannissons tous ces soins qui ne servent quà nous torturer lesprit inutilement. Puisque, soit que nous nous inquiétions ou que nous ne nous inquiétions pas, cest Dieu seul qui nous donne toutes ces choses et qui nous les donne dautant plus que nous nous en inquiétons moins, à quoi nous serviront tous nos soins, quà nous tourmenter et nous faire souffrir en pure perte ? Celui qui est invité à un festin magnifique, ne se met pas en peine sil y trouvera de quoi manger : et celui qui va à une source, ne sinquiète point sil y apaisera sa soif. Puis donc que nous avons la providence de Dieu, qui est plus riche que les plus magnifiques festins, et plus inépuisable que les sources les plus profondes, ne concevons ni inquiétude ni défiance. Dailleurs nous allons trouver, dans les paroles qui suivent, un nouveau sujet de confiance. « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît (33). » Après avoir dégagé nos âmes du soin de toutes choses, il nous avertit de tendre au ciel. Il était venu pour anéantir tout ce qui était vieux et pour nous rappeler à notre véritable patrie. Cest pourquoi il tâche par tous les moyens de nous dégager des choses superflues et de nous délivrer des soins de la terre. Cest dans ce dessein quil nous avertit de nous garder dimiter les païens, qui se mettent en peine de ces sortes de choses, dont tous les soins se bornent à la vie présente, qui nont aucun souci de lavenir, ni aucune pensée des biens du ciel. Pour vous, mes disciples, leur dit-il, ce nest pas là à quoi vous devez tendre. Vous avez un autre objet et une autre fin. En effet, nous ne sommes pas nés pour boire, pour manger et pour nous vêtir; mais pour plaire à Dieu et pour mériter les biens éternels. Comme donc ces besoins présents doivent tenir le dernier lieu dans nos pensées, quils tiennent aussi le dernier rang dans nos prières. «Cherchez, dit-il, premièrement le royaume et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît. »II ne dit pas seulement : « Vous seront données, mais vous seront données comme par « surcroît,» pour montrer quil ny a rien dans les dons qui regardent cette vie, qui mérite dêtre comparé avec les biens à venir. Cest pourquoi il nordonne point quon lui demande ces choses, mais quon lui en demande de plus importantes et quon espère de recevoir en même temps celles-ci, «comme par surcroît. » Cherchez les biens à venir et vous recevrez les biens présents. Ne désirez point les choses dici-bas et vous les posséderez infailliblement. Il est indigne de vous, dimportuner votre Seigneur pour des sujets qui le méritent si peu. Vous vous abaissez honteusement, si lorsque vous ne devez être occupés (184) que des biens ineffables de lautre monde, vous vous consumez dans les vains désirs des choses qui passent. Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ nous commande-t-il de lui demander notre pain? Oui, Jésus-Christ nous commande cela, mais en ajoutant « notre pain de chaque « jour; » et en marquent expressément, donnez -nous « aujourdhui.» Il fait ici la même chose : « Cest pourquoi ne vous mettez point en peine pour le lendemain; car le lendemain se mettra en peine pour soi-même. A chaque jour suffit son mal (34). » Il ne dit pas généralement: « Ne vous mettez point en peine;» mais il ajoute, « pour le lendemain; » nous donnant par ces paroles la liberté de lui demander les besoins du jour présent et bornant en même temps tous nos désirs aux choses les plus nécessaires. Car Dieu nous commande de lui demander ces choses, non parce quil a besoin que nous len avertissions dans nos prières, mais pour nous apprendre que ce nest que par son, secours que nous faisons tout ce que nous faisons de bien, pour nous lier et comme pour nous familiariser avec lui par cette obligation continuelle de lui demander tous nos besoins. Remarquez-vous comment il leur donne la confiance quil ne les laissera pas manquer des choses nécessaires, et que Celui qui leur donne si libéralement les plus grandes choses, ne leur refusera pas les plus petites ? Car je ne vous commande pas, leur dit-il, de ne vous mettre en peine de rien, afin que vous deveniez misérables et que vous nayez pas de quoi couvrir votre nudité, mais cest afin que vous soyez dans labondance de toutes choses. Rien sans doute nétait plus propre à lui concilier les esprits que cette promesse. Ainsi comme en les exhortant à ne point rechercher une vaine gloire dans leurs aumônes, il les y porte en leur promettant une autre gloire plus grande et plus solide : « Votre Père, » dit-il, « qui voit en secret, vous en rendra la récompense devant tout le monde ; » de même il les éloigne du soin des choses présentes, en leur promettant quil satisfera dautant plus à tous leurs besoins, quils se mettront moins en peine de les rechercher. Je vous défends, leur dit-il, de vous inquiéter, de ces choses, non afin quelles vous manquent; mais au contraire afin que rien ne vous manque. Je veux que vous receviez toutes choses dune manière digne de vous et qui vous soit véritablement avantageuse. Je ne veux pas quen vous bourrelant vous-mêmes dinquiétude, en vous laissant déchirer à mille soucis, vous vous rendiez indignes des secours du corps aussi bien que de ceux de lâme, et quaprès avoir été misérables en cette vie, vous perdiez encore la félicité de lautre. 4. « Ne vous mettez donc point en peine pour le lendemain. Car à chaque jour suffit son mal; » cest-à-dire son affliction et .sa misère. Hélas! ne vous suffit-il pas de manger « votre pain à la sueur de votre visage? » Pourquoi chercher dans linquiétude encore un nouveau tourment, vous qui devez même être affranchi de Celui-là? Ce mot de « mal, » ne signifie donc pas malice ou malignité; Dieu nous garde de cette pensée! mais il signifie le travail, les afflictions et les misères. Nous voyons encore dautres endroits dans lEcriture où ce mot de « mal,» se prend en ce même sens : « Il ny a point de mal dans la ville que le Seigneur nait fait.» (Amos, III, 6.) Ce que le Prophète nentend point de lavarice ou des rapines, ou des autres vices semblables; mais des plaies dont Dieu avait frappé les habitants: « Cest moi, » dit-il encore, « qui fais la paix, « et qui crée le mal (Isaïe, XLV, 7); » ce qui ne veut pas dire les crimes, mais la peste, la guerre, et la famine, et dautres choses semblables, qui passent pour de véritables maux, dans lesprit de la plupart des hommes, (I Rois, VI, 9.) Cest du reste ainsi quon les appelle ordinairement, par exemple, les prêtres et les devins de ces cinq villes, qui attelèrent à larche des vaches quils séparèrent de leurs veaux, et quils laissèrent aller seules, appelaient « mal » les plaies dont Dieu les avait frappés, et la douleur quils en ressentaient. Cest donc en ce sens quil faut prendre ces paroles: « A chaque jour suffit son mal; » parce quen effet il ny a rien qui tourmente plus une âme, que le soin et linquiétude. Cest pourquoi saint Paul, exhortant les hommes à lamour du célibat, leur dit : « Je voudrais vous voir dégagés de soins et dinquiétudes. » (I Cor. VII, 32.) Lorsque Jésus-Christ dit: « Le lendemain se mettra en peine pour « soi-même, » il ne marque pas que ce jour du lendemain soit capable en effet de quelque inquiétude; mais comme il parlait à un peuple grossier, et quil voulait lui rendre sensible ce quil lui disait, il personnifie ce temps (185) et ce jour, et en parlant aux hommes, il se sert dun langage ordinaire aux hommes. Et remarquez, mes frères, quil ne dit tout ceci que comme un conseil quil donne. Nous verrons dans la suite quil en fera un commandement absolu : « Nayez, » dira-t-il, « ni or, ni argent, ni bourse dans le chemin. » (Matth. X, 9.) Il ne faisait du reste que prescrire ce quil pratiquait lui-même: une loi déjà promulguée par les actions pouvait saccentuer plus hardiment par les paroles; la parole ne pouvait quêtre bien venue puisque les actions lui avaient aplani la voie. Mais où donc ce précepte nous a-t-il été donné en action? Ecoutez cette parole : « Le Fils de lhomme na pas où reposer sa tête. » (Matth. XVIII, 20) Mais non content de ce quil a fait lui-même, il a retracé encore dans ses disciples cette même forme de vie, et il leur a fait pratiquer une pauvreté semblable, sans les laisser manquer de rien. Remarquez, je vous prie, combien sa providence surpasse la tendresse de tous les pères. Je ne vous commande cela, leur dit-il, que pour vous délivrer dun soin superflu. En effet, quand vous auriez aujourdhui de linquiétude pour demain, vous ne laisseriez pas demain den avoir encore de même. Pourquoi donc vous tourmentez-vous inutilement? pourquoi forcer le jour présent à supporter plus de peine quil ne lui en revient? pourquoi, au faix qui lui est propre, ajouter encore le fardeau qui appartient au jour à venir, et cela sans pouvoir aucunement soulager celui-ci, ni rien gagner quun surcroît de peines superflues? Car pour produire plus deffet, il anime pour ainsi dire le temps, le jour, et il lintroduit comme un plaignant qui vient réclamer contre une injustice dont il est victime. Et en effet, Dieu vous donne le jour présent pour faire ce que présentement vous devez faire Pourquoi donc laccablez-vous encore du souci dun autre jour ?nest-il pas assez chargé de ses propres soins? pourquoi lui en ajoutez-vous dautres, et le surchargez-vous? Mes frères, cest le Législateur suprême, cest Celui qui nous jugera un jour, qui parle ainsi: reconnaissez donc quelle espérance il nous donne, et quel doit être le bonheur quil nous promet en lautre vie, puisquil nous assure quil trouve lui-même celle-ci si misérable, que cest tout ce que nous pouvons faire que dendurer chaque jour la peine qui laccompagne. Cependant après tant de promesses nous ne pouvons nous empêcher de nous inquiéter encore pour les besoins de cette misérable vie. Nous nélevons jamais notre esprit au ciel. Nous renversons tout lordre des choses, et nous combattons doublement le précepte de Jésus-Christ. Ne cherchez point, nous dit-il, les choses présentes: et cest de quoi nous nous occupons toujours. Cherchez, nous dit-il, les biens du ciel ; et cest à quoi nous ne nous appliquons jamais. Nous ny pouvons pas penser même durant une heure; et autant nous témoignons dempressement pour ce monde, autant et plus encore témoignons-nous de froideur pour lautre. Mais cette indifférence et cette ingratitude envers Dieu ne demeurera pas toujours impunie. Nous pouvons bien le négliger durant quelques mois et quelques années; mais tôt ou tard il faut enfin que nous tombions entre ses mains, et que nous paraissions devant ce tribunal si terrible. Mais ce délai nous console, direz-vous. Quelle est cette consolation dattendre chaque jour lheure du supplice? Si vous voulez que ce temps que Dieu vous donne vous soit un sujet de consolation, servez-vous-en pour vous corriger par une sérieuse pénitence. Si vous regardez comme un bien le retard du châtiment, que sera-ce de léviter? Usons donc de ce temps que Dieu nous donne, pour nous délivrer entièrement des maux à venir. Jésus-Christ ne nous a rien commandé donéreux ni de pénible. Tous ses préceptes au contraire sont si faciles, que pour peu que nous y apportions de bonne volonté, nous pouvons les accomplir tous, si grands pécheurs que nous ayons été. Manassès avait commis des crimes sans nombre , puisquil avait porté ses mains cruelles sur les saints; quil avait introduit dans le temple du Seigneur labomination des idoles; quil avait rempli la ville de carnage, et commis mille autres excès qui paraissaient le rendre indigne de toute miséricorde. Cependant, après tant de crimes, il trouva un moyen de se purifier entièrement. Quel moyen? Ce fut, mes frères, sa pénitence et la contrition de son coeur. 5. Car il ny a point, non, il ny a point de péché qui ne ,cède à la force de la pénitence, ou plutôt à la force de la grâce de Jésus-Christ. Aussitôt que nous nous convertissons, il devient lui-même notre force, et notre coopérateur (186) dans le bien. Si vous, voulez devenir vertueux, rien ne vous en empêchera; ou plutôt le démon tâchera de lempêcher, mais il ne le pourra faire, parce que vous laurez prévenu par vos saintes résolutions, et que vous aurez par elles attiré Dieu même à votre secours. Que si vous ne voulez pas demeurer fermes, et que vous vous rangiez du côté de votre ennemi, comment Dieu pourra-t-il vous secourir? Il ne veut pas user de violence ou de contrainte, et il ne sauve que celui qui veut se sauver. Si vous aviez un serviteur qui vous haït, qui eût horreur de vous, qui voulût toujours senfuir, vous ne pourriez vous résoudre à le retenir, et cela quand vous auriez besoin de son service: à plus forte raison Dieu qui na aucun besoin de vous, qui nexige de vous aucun service que pour votre bien, sera-t-il éloigné de vous faire violence pour vous retenir à son service malgré vous : si, au contraire, vous témoignez seulement quelque désir de lui plaire, il ne vous abandonnera point, quoi que puisse faire le démon. Nous sommes donc nous-mêmes les auteurs de notre perte, puisque nous navons jamais recours, à Dieu, et que. Nous ne nous approchons jamais de lui pour linvoquer comme il faut. Lorsque nous le prions, il semble que nous nattendions rien de lui. Nous ne partons point à la prière un coeur plein de foi et de ferveur. Nous sommes comme des personnes qui nont rien à demander ou à désirer; nous demeurons tout assoupis, sans application et sans vigueur. Cependant Dieu veut quon. le presse avec instance, et quon importune et il agrée limportunité de la prière. Cest le seul débiteur qui soit ravi quon lui redemande sa dette; il donne même sans quou lui ait rien prêté. Plus il voit que nous le. pressons, et, que nous lui faisons dinstances; plus il nous fait rie grâces, quoiquil ne nous doive rien. Que si nous sommes lâches à lui demander, il diffère aussi à nous donner, non quil nen ait le désir, mais parce quil veut être importuné, et quil prend plaisir quon lui fasse violence. Cest pourquoi il nous donne dans lEvangile pour modèle de la prière, tantôt lexemple dun homme qui va importuner son ami au milieu de la nuit, pour lui demander du pain; et tantôt lexemple de ce juge qui ne craignait ni Dieu ni les hommes, qui se laissa néanmoins fléchir par les instantes sollicitations de la veuve. Il ne sest pas contenté même de ces paraboles. Il y a joint des exemples effectifs, comme celui-de la Chananéenne quil renvoya après lavoir comblée dun si grand don. Il fit voir en cet occurrence, quil donne même ce qui est au-dessus du mérite de ceux qui le prient, lorsquils prient avec ferveur: « Il nest pas bon, » dit-il à cette femme, « de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens; » et cependant il le lui donna, parce quelle le demandait avec ardeur. Il nous montre encore dans la personne des Juifs, quil refuse de donner aux tièdes et aux négligents, ce qui leur appartenait légitimement. Bien loin de. recevoir de lui des grâces nouvelles, ils ont perdu celles quils avaient déjà reçues. Ils nont pu conserver ce qui était à eux, parce quils ont prié avec tiédeur. La Chananéenne, au contraire, priant avec ardeur et avec une violence toute sainte, est entrée dans lhéritage des autres; et après avoir été appelée « chienne, » elle a été mise au rang des « enfants. » Tant la prière a de force lorsquelle est pressante et persévérante ! Si vous vous adressez à Dieu de la sorte, quand vous ne seriez quun chien, vous précéderez les enfants paresseux et lâches. Ce que lon ne peut espérer de lamitié, lassiduité opiniâtre le procure. Ne dites donc point : Dieu est irrité contre moi, il -nécoutera point mes prières. Il vous écoutera bientôt si vous le priez avec importunité. Sil ne vous exauce pas parce quil vous aime, il vous exaucera parce que vous ne cessez point de le prier : linimitié, ni le contretemps, ni quoi que ce soit ne vous sera un obstacle. Ne dites pas non plus: Je ne suis pas digne de rien recevoir de Dieu, cest pourquoi je ne le prie pas. La Chananéenne était dans le même état que vous. Ne dites pas davantage : Jai beaucoup offensé Dieu, et je ne puis apaiser sa colère. Dieu ne considère point votre mérite, niais la disposition de votre coeur. Si une veuve a fléchi un juge qui ne craignait ni Dieu ni les hommes, combien plus une prière continuelle apaisera-t-elle un Dieu si doux et si plein de miséricorde? Quand donc vous ne seriez pas ami de Dieu; quand vous lui demanderiez des choses qui ne vous seraient point dues; quand vous auriez consumé tout le bien de votre père, comme lenfant prodigue; que vous auriez été longtemps banni de sa présence; que vous auriez (187) dégénéré dun tel père; que vous seriez devenu le dernier de tous les hommes; que vous présentant devant lui vous apercevriez sur son visage les marques de son indignation et de sa colère: commencez seulement à le prier et à vous rapprocher de lui, vous éteindrez la colère et la damnation, et vous recouvrerez votre première dignité. Mais je prie, me dites-vous, et mes prières ne me servent de rien. Cest parce que vous ne priez pas comme ceux que je vous cite; comme la Chananéenne, comme cet ami qui va au milieu de la nuit demander des pains, comme cette veuve qui importunait son juge, et comme cet enfant qui retourne à son père après avoir dissipé tout ce quil avait. Si vous aviez prié de la sorte, vous auriez été bientôt exaucé. Quoique vous ayez offensé Dieu, il ne laisse pas dêtre votre père. Quoique vous layez fâché, il ne laisse pas daimer ses enfants. Il ne cherche pas votre perte, mais votre salut. Il ne désire pas de se venger de linjure que vous lui avez faite, mais de vous voir vous convertir, et lui demander miséricorde. O si nous avions autant dardeur pour aller à lui, que ses entrailles paternelles ont de tendresse pour nous ! Sa charité est un feu brûlant. Il ne veut quune petite étincelle pour trouver entrée dans votre coeur, et pour lembraser et le combler de ses grâces. 6. Ce qui le fâche dans les outrages que vous lui faites, ce nest pas que loffense sadresse à lui, mais cest que vous en êtes lauteur, et que vous agissez sous limpulsion de livresse et de la fureur. Si, quelque méchante que nous soyons, nous ne laissons pas lorsque nos enfants nous insultent, den être plus affligés pour eux que pour nous; combien Dieu, que nos injures ne peuvent atteindre; en sera-t-il plus touché pour notre intérêt, que pour le sien? Si nous agissons de la sorte envers nos enfants, quoique notre amour ne soit quun effet de la nature; que devons-nous attendre de lamour de Dieu, qui est infiniment élevé au-dessus du nôtre ? « Quand une mère, » dit-il, « oublierait lenfant quelle a porté dans son sein, je ne vous oublierai pas. » (Is. XLIX, 15.) Approchons-nous donc de lui, et lui disons: « Oui, Seigneur; les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » (Matth. XV.) Approchons-nous de lui, soit à temps, soit à contre-temps. Mais je me reprends. Nous ne pouvons approcher de lui à contre-temps, ni lui être importuns. Cest limportuner que de ne le pas prier toujours. On ne peut sadresser à contre-temps à celui qui est en tout temps prêt à donner. Comme lhomme nest point importuné de respirer sans cesse lair qui le fait vivre; Dieu de même ne le sera point, lorsque nous lui demanderons toujours lesprit de sa grâce; et cest lui déplaire au contraire, que de ne pas le lui demander toujours. Comme notre corps a besoin à tout moment de respirer lair : notre âme de même a toujours besoin de ce secours et de cet Esprit que Dieu nous donne. Si nous le voulons nous lattirerons aisément en nous. Le prophète montre combien Dieu est prêt à nous faire toujours du bien, lorsquil dit: « Nous le trouverons toujours prêt comme le « jour du matin. » (Osée, VI, 3.) Toutes les fois que nous nous approcherons de lui, nous sentirons quil nattend que nos prières pour nous exaucer. Que si nous ne puisons rien dans cette source si abondante de-toutes les vertus, cest nous-mêmes que nous en devons accuser, et non la source. Cest ce quil reprochait aux Juifs, lorsquil leur disait : « Ma miséricorde est comme une nuée du matin, et comme une rosée qui tombe à la pointe du jour. »(Osée, VI, 4.) Comme sil leur disait: Pour moi, jai fait de mon côté, tout ce que je devais faire; mais pour vous, vous avez été comme un soleil brûlant qui sèche cette rosée et qui dissipe les nuées, et vous avez arrêté par votre malice, la source et les influences de ma bonté. Cette conduite de Dieu, mes frères, est un effet de sa miséricorde sur nous. Quand il voit que nous sommes indignes des grâces quil nous faisait, il les retient, de peur quil ne nous rende paresseux et lâches, en nous don. nant ce que nous ne daignons pas seulement lui demander. Mais si nous sortons enfin de cet assoupissement, et si nous reconnaissons seulement que nous lavons offensé, sa grâce coulera aussitôt sur nous comme une source abondante, ou plutôt elle se répandra sur nous comme une mer. Plus vous recevrez de lui, plus vous le comblerez de joie, et plus il sera porté à vous donner. Il regarde comme ses propres richesses le salut des âmes, et la grâce quil fait à ceux qui le prient. «Dieu est riche en miséricorde (Ephés. II, 4), » comme dit saint Paul, « et il répand ses richesses sur (188) tous ceux qui linvoquent. » (Rom. X, 12.) Il ne se fâche contre nous que lorsque nous ne nous adressons pas à lui en linvoquant. Il ne se détourne de nous, que lorsque nous ne nous approchons pas de lui. Car il ne sest fait pauvre que pour nous rendre riches, et il na tant souffert pour nous que pour nous encourager davantage à le prier. Cest pourquoi. ne tombons jamais dan sa défiance: mais puisque Dieu nous ouvre tant de voies de salut, et nous donne tant de raisons despérer en sa miséricorde, quand nous pécherions tous les jours, ne laissons pas de nous approcher de lui pour le prier, et conjurons-le continuellement de nous pardonner nos fautes. Cest ainsi que nous arrêterons le cours de nos péchés; que nous chasserons le démon de nos coeurs; que nous attirerons sur nous la miséricorde de Dieu et que nous jouirons enfin des biens éternels que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |