|
|
HOMÉLIE LXXIV.« MALHEUR A VOUS, DOCTEURS DE LA LOI ET PHARI SIENS HYPOCRITES, QUI BÂTISSEZ DES TOMBEAUX AUX PROPHÈTES ET ORNEZ LES MONUMENTS DES JUSTES, ET QUI DITES : SI NOUS EUSSIONS ÉTÉ DU TEMPS DE NOS PÈRES, NOUS NE NOUS FUSSIONS PAS JOINTS AVEC EUX POUR RÉPANDRE LE SANG DES PROPHÈTES ». (CHAP. XXIII, 29, 30, JUSQUAU CHAP. XXIV.) ANALYSE 1 et 2. Continuation des Vux contre les pharisiens. 3-5. Le Sauveur, sadressant à Jérusalem, sattendrit en lui prédisant les malheurs qui puniront ses crimes. Quil faut se corriger pendant quon en a le temps. Du malheur des pénitences tardives. Que nous devons être sensibles aux maladies de nos âmes. Que les apôtres sont les vrais médecins des hommes, et que nous trouvons dans leurs écrits les remèdes de nos maux. Divers avis très-importants pour les riches.
1. Ce nest point, mes frères, parce que les pharisiens bâtissaient des tombeaux aux prophètes, ou parce quils accusaient la cruauté et linjustice de leurs pères qui les avaient tués, que Jésus-Christ prononce ces malédictions contre eux; mais parce quen feignant de condamner limpiété de leurs pères, ils commettaient eux-mêmes de plus grands excès. Car saint Luc marque assez que cette condamnation quils portaient contre leurs pères nétait que feinte, lorsquil dit « quils étaient de même sentiment avec eux. Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes que vos pères ont tués. Ne témoignez-vous pas que vous consentez aux actions de vos pères, puisquils ont tué les prophètes, et que vous, vous leur bâtissez des tombeaux »? (Luc, XI, 47.) (573) Il condamne par ces paroles le dessein quils avaient en bâtissant ces tombeaux, et il fait voir que ce nétait point pour honorer la mémoire des prophètes qui avaient été tués si injustement, mais pour leur insulter encore davantage, et pour empêcher que le temps, en détruisant leurs sépulcres, ne fît en même temps perdre toutes les traces de la violence de leurs pères. Ainsi ils renouvelaient ces tombeaux afin quils fussent comme un trophée toujours nouveau de laudace et de linsolence de leurs ancêtres. Les excès, leur dit Jésus-Christ, auxquels vous vous portez encore aujourdhui avec tant de hardiesse, découvrent assez que ce nest que dans cette pensée que vous rebâtissez ces tombeaux. Quoique vous témoigniez par vos paroles être dans un autre sentiment, et condamner en apparence vos pères en disant: « Que si vous aviez été de leur temps, vous ne e vous fussiez pas joints avec eux pour répandre le sang des prophètes »; on ne peut pas ignorer néanmoins ce qui vous fait parler de la sorte; et pour le marquer obscurément il dit ensuite : « Ainsi vous vous rendez témoignage à vous-mêmes, que vous êtes les enfants de ceux qui ont tué les prophètes (31). Achevez donc aussi de combler la mesure de vos pères (32) ». Car quel crime serait-ce à un homme dêtre le fils dun homicide et dun meurtrier, lorsquil condamne la violence de son père? Nest-il pas visible quun fils ne devient point coupable des excès de son père? Ainsi Jésus-Christ ne leur fait ce reproche que pour les accuser de leur propre malice, comme les paroles suivantes le montrent « Serpents, race de vipères, comment pourrez-vous éviter dêtre condamnés au feu de lenfer (33)»? Comme les vipères ont le même venin que les autres vipères dont elles sont sorties, vous ressemblez de même à vos pères dans cette humeur audacieuse et cruelle, qui se plaît à répandre le sang des justes. Après avoir ainsi découvert ce quils cachaient dans leur coeur, et qui était encore inconnu aux hommes, il confirme ce quil dit par les grands excès quils allaient bientôt commettre à la vue de tout le monde. Car comme il leur avait déjà dit: « Vous rendez témoignage que vous êtes « les enfants de ceux qui ont tué les prophètes », pour montrer quils étaient encore plus leurs enfants par la ressemblance de, leurs moeurs que par la nature, et que ce nétait que jar un déguisement quils disaient « que sils avaient été de leur temps, ils nauraient pris aucune part à leurs violences », il ajoute aussitôt : « Achevez donc aussi de combler la mesure. de vos pères», non pour leur commander de le faire, mais pour leur prédire quils le feraient; entendant par ce « comble de la mesure », la mort quils lui allaient faire souffrir. Ainsi, après avoir réfuté ces paroles quils disaient, « savoir que sils avaient été du temps de leurs pères, ils ne se seraient pas joints avec eux pour répandre le sang des prophètes », et après avoir montré combien ce prétexte était vain, puisque ceux qui ont la hardiesse de tuer le maître nauraient pas sans doute épargné ses serviteurs; il leur parle ensuite avec force et avec des paroles mordantes : « Serpents, race de vipères, comment pourrez-vous éviter dêtre condamnés au feu de lenfer », puisquayant assez de hardiesse pour commettre de si grands crimes, vous avez assez de malice pour les vouloir déguiser, et pour couvrir vos sacrilèges sous des prétextes de piété? Il ajoute aussitôt pour les condamner encore davantage: « Cest pourquoi je men vais vous envoyer des prophètes, des sages, et des docteurs; et vous tuerez les uns, vous crucifierez les autres, vous fouetterez les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville ». Il semble que cest pour les prévenir et pour les empêcher de dire un jour: Il est vrai que nous avons crucifié le Maître, mais nous naurions jamais tué les prophètes, si nous avions été de leur temps, quil leur dit ici ces paroles : « Je men rais vous envoyer des prophètes, des sages, et des docteurs, et vous les tuerez ». Il veut marquer par ces paroles quon ne devra pas sétonner, si ceux à qui il parle deviennent ses homicides, puisquils sont les enfants barbares de ces pères si cruels, et quils surpassent même en cruauté ceux qui leur en ont donné un si audacieux exemple. Il montre encore combien leur vanité est insupportable. Car en disant: «Si nous avions été du temps de nos pères, nous ne nous fussions pas joints avec eux pour répandre le sang des prophètes », ces hypocrites ne parlaient de la sorte que par un excès dorgueil, et cette modération quils affectaient dans leurs paroles, était détruite par leurs actions. « Serpents» , leur dit-il, « race de vipères » cest-à-dire, cruels enfants de pères cruels, vous avez encore enchéri sur la dureté et sur (574) la barbarie de vos pères. Vous vous êtes rendus encore plus coupables queux, soit parce que vous aviez dû être plus sages étant venus après eux; ou parce que lattentat que vous devez commettre, sera sans comparaison plus grand que ceux quils ont commis, ou parce que vous ajoutez lorgueil à la cruauté, en disant que si vous aviez été du temps de vos pères, vous nauriez jamais répandu comme eux le sang des prophètes. Et, en effet, mes frères, les pharisiens nont-ils pas comblé les excès de leurs pères? Leurs pères nont tué que les serviteurs qui venaient leur demander le fruit de la vigne, mais ils ont tué le Fils même, puis les serviteurs qui les invitaient aux noces. Jésus-Christ les appelle «serpents et race de vipères », pour leur faire voir quils nétaient point de la race dAbraham, et pour leur montrer quils ne devaient rien espérer de cette liaison charnelle quils avaient avec ce saint patriarche, puisquils étaient si éloignés dimiter ses actions. Cest pourquoi il ajoute: « Comment pourrez-vous éviter dêtre condamnés au feu de lenfer», puisque vous suivez les traces de ceux qui ont commis tant de violences? Il les fait encore souvenir par ces paroles de ces reproches que saint Jean leur avait faits; puisquil leur donne ici le même nom de « vipères», que saint Jean leur avait donné, et quil les menace comme lui des supplices à venir. Mais Jésus-Christ, voyant que ni la crainte de son jugement ni les menaces du feu de lenfer ne faisaient aucune impression sur leurs esprits, cherche à. les effrayer au moins par lappréhension des malheurs de cette vie. « Je men vais vous envoyer»,leur dit-il, «des prophètes, des sages et des docteurs, et vous tuerez les uns, vous crucifierez les autres, vous fouetterez les autres dans vos synagogues, et vous les persécuterez de ville en ville; afin que. tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre retombe sur vous, depuis le sang dAbel le juste jusquau sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et lautel (35). Je vous dis en vérité que tout cela viendra fondre sur cette génération (36) ». 2. Par combien de considérations différentes Jésus-Christ tâche-t-il de rappeler ces hommes à lui? Il leur a dit dabord: «Vous condamnez vos pères en disant que vous nauriez pas avec eux répandu le sans des prophètes, etc. » Cette parole était déjà bien propre à les faire réfléchir; puis il ajoute : « Mais tout en condamnant vos pères, vous faites encore pis »; et ce reproche était bien de nature à les couvrir de confusion. Il les assure de plus que tant de maux ne demeureraient pas impunis, et il les effraie par les menaces de lenfer. Mais comme ces maux nétaient que pour lavenir, il sefforce enfin de les effrayer par les malheurs quils souffriraient dès cette vie. « Tout cela », dit-il, « viendra fondre sur cette génération ». Il montre par la manière dont il leur parle quils deviendront le plus malheureux peuple qui fut jamais, et que tant de maux néanmoins ne les rendront pas meilleurs. Que si vous me demandez, mes frères, pourquoi Dieu les punit avec plus de rigueur quil na jamais puni aucun peuple, je vous réponds que cest parce quils lont plus offensé quaucun autre peuple de la terre, et que rien na pu retenir leur malice ni dompter la dureté de leur coeur. Ne savez-vous pas ce qua dit Lamech? « On sest vengé sept fois de Caïn, mais on se vengera septante fois sept fois de Lamech ». (Gen., IV, 23.) Cest-à-dire je mérite bien plus de supplices que Caïn. Cependant il navait pas tué son frère comme Caïn avait fait. Mais parce que lexemple et la punition de Caïn ne lavait pas rendu sage, il fut puni avec cette juste -sévérité. Cest ce que Dieu dit ailleurs : « Je venge les péchés des pères sur « les enfants jusquà la quatrième génération ». (Exod. XX, 5.) Ce qui ne veut pas dire que Dieu punisse personne pour les péchés des autres, mais que celui qui a vu dans les siècles qui lont précédé, tant dhommes punis avec rigueur pour les mêmes péchés quil commet, sans que cette considération lait pu retenir, souffrira lui seul les peines de tous les autres. Jésus-Christ parle ici avec grande raison « du juste Abel », pour montrer que ce nétait aussi que lenvie qui animait les Juifs contre sa personne. Que pouvez-vous donc dire, ô pharisiens, pour vous excuser? Ignorez-vous quelle vengeance Dieu a tirée de Caïn? Direz-vous que Dieu ne punit point ce parricide et quil ne témoigna point combien il lavait eu en horreur? Ignorez-vous de quelle manière ont été traités vos pères pour avoir tué les prophètes? Ne les a-t-on pas vus souffrir les dernières extrémités, et finir enfin une misérable vie par une plus (575) misérable mort? Comment donc nêtes-vous point devenus plus sages par ces exemples? Mais pourquoi marrêtai-je à vous représenter moi-même ce quont fait et ce quont enduré vos pères? Pourquoi vous, qui les condamnez, les surpassez-vous en malice? Navez-vous pas prononcé la sentence contre vous-mêmes en disant de quelle manière Dieu devait traiter ceux qui nétaient que votre figure : « Il fera périr malheureusement les méchants » ? (Matth. XXI, 41.) Et quelle espérance donc vous peut-il rester encore, puisque vous navez fait que redoubler vos crimes, après cet arrêt que vous avez prononcé vous-mêmes contre vous-mêmes? Mais quel est ce « Zacharie » dont Jésus-Christ parle? Les uns croient que cétait le père de saint Jean-Baptiste; les autres que cétait quelque autre prophète, les autres que cétait un prêtre qui avait deux noms, et que lEcriture appelle encore ailleurs Judas : « Que vous avez tué », dit-il, « entre le temple et lautel ». Remarquez, mes frères, deux sacrilèges dans une action des Juifs, puisque non-seulement ils tuaient une personne sainte, mais quils le faisaient même dans un lieu saint. Ces paroles devaient dune part frapper étrangement les Juifs, et de lautre consoler beaucoup les apôtres, en montrant à ces derniers quavant eux des hommes très-justes avaient été les victimes de la fureur de ce peuple: et en faisant voir aux autres que, puisque Dieu navait pas épargné leurs pères, ils devaient sattendre eux-mêmes à éprouver la rigueur de ses jugements. Il dit « quil leur enverra des prophètes, des sages et des scribes » , pour leur ôter toute excuse. Il ne veut pas quils puissent dire quon ne leur avait envoyé que des gentils, et que cétait pour ce sujet quils ne les avaient pas reçus. Ainsi, cétait le seul plaisir quils trouvaient dans ces cruautés et la seule soit du sang innocent dont ils étaient altérés, qui les portaient à ces violences. Cest ce que les prophètes leur ont souvent reproché en leur disant « quils mêlaient le sang au sang, et quils étaient des hommes de sang ». Que si Dieu a bien voulu ordonner dans la loi quon lui offrît du sang en sacrifice pour nous témoigner que le sang des bêtes ne lui était pas désagréable, il nous a fait assez juger combien celui des bommes lui devait être plus précieux. Cest ce quil marque clairement, lorsque parlant à Noé il lui dit: « Je vengerai tout le sang qui aura été répandu », Il y a beaucoup dautres endroits semblables par lesquels Dieu défend aux Juifs de verser le sang; il va jusquà leur défendre de manger de la chair des bêtes qui auraient été étouffées. « Je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes ». O admirable bonté de Dieu, qui, prévoyant que tous ces prophètes et que tous ces sages seraient inutiles à ce peuple, ne laisse pas néanmoins de les leur envoyer, et de faire de son côté tout ce quil peut pour les faire rentrer en eux-mêmes! « Je vous envoie», leur dit-il, « des prophètes », quoique je sois assuré que vous devez les tuer. Il ne fallait que cela pour convaincre la fausseté de ce quils disaient, « quils ne se fussent jamais joints avec leurs pères pour répandre le sang des prophètes ». Car ils en ont aussi tué eux-mêmes dans les synagogues sans avoir aucun respect ni pour leurs personnes sacrées, ni pour la sainteté du lieu. Car ce nétait point des hommes ordinaires quils sacrifiaient à leur fureur. Ils sattaquaient aux prophètes mêmes de Dieu, et ils les tuaient cruellement pour rendre muettes ces bouches saintes, dont ils ne pouvaient plus souffrir les reproches. Il marque par ces « prophètes » et ces «sages », ses apôtres et ceux qui les accompagneraient ou qui viendraient après eux, parmi lesquels il y en avait beaucoup qui étaient prophètes. Et pour augmenter encore la crainte de ces menaces, il ajoute : « Je vous dis en vérité que tout cela viendra fondre sur cette «génération ». Je ferai fondre sur vous, leur dit-il, tous les maux dont jai puni ceux que vous imitez, et je tirerai de vous une vengeance proportionnée à votre opiniâtreté et à la dureté de votre coeur. Car celui qui, voyant les crimes et la punition de ceux qui ont été avant lui, non-seulement nen devient pas plus sage, mais se rend encore plus coupable queux, mérite sans doute dêtre puni avec plus de rigueur que tous les autres. Il aurait pu beaucoup profiter de lexemple des autres pour se rendre meilleur; mais, puisque rien ne peut le corriger, il devient dautant plus criminel, que limage du supplice des autres na pu lempêcher de commettre les mêmes choses dont ils ont été punis. 3. Enfin Jésus-Christ adresse son discours à la ville capitale des Juifs, pour tâcher au moins de les fléchir par ce moyen : « Jérusalem, (576) Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi (37)». Cette répétition, « Jérusalem, Jérusalem », marque dans le Sauveur une grande compassion et une grande tendresse pour cette ville, Il semble quil se veuille justifier de tout ce quelle allait souffrir, Il lui représente quil- la toujours aimée, et-quil sest efforcé de la convertir et de la rappeler à son devoir, mais quelle avait toujours résisté à sa voix et sétait elle-même précipitée dans les crimes qui devaient attirer bientôt sur elle une juste vengeance. Cest ce quil lui dit souvent par la bouche de ses prophètes : « Je vous ai dit : Convertissez-vous à moi, et vous ne vous êtes pas convertie ». Mais, après lavoir appelée deux fois par son nom, il commence à lui reprocher ses crimes. « Qui tues », dit-il, « les prophètes, et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi, combien de fois ai-je voulu rassembler les enfants «et tu ne las pas voulu »? Il continue de se justifier : Quoique vous ayez toujours résisté à ma parole, lui dit-il, vous navez pu néanmoins ralentir cette affection ardente que jai toujours eue pour vous. Je nai pas laissé, après des traitements si injurieux que vous mavez faits, de vous appeler encore non une ou deux, mais plusieurs fois. Car « combien de fois ai-je voulu rassembler vos enfants comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et vous ne lavez pas voulu »? Il leur marque par ces paroles que. cétait eux-mêmes qui se perdaient en se retirant par leurs égarements de dessous ses ailes saintes. Il use de cette comparaison tour leur témoigner lexcès de son amour, parce que rien négale laffection que la, poule a pour ses petits. Les prophètes se servent de cette même comparaison, et- représentent laffection tendre que Dieu a pour nous, par celle que quelques oiseaux ont pour leurs petits. Il en est parlé dans le cantique de Moïse et dans les psaumes de David. « Le temps sapproche que vos maisons demeureront désertes (38) »; cest-à-dire, lorsque je les abandonnerai et que je cesserai de vous secourir. Il vent dire par là que comme cétait lui-même qui dans les siècles passés les avait toujours soutenus et protégés par sa puissance, ce serait lui aussi qui les punirait selon que leurs crimes le méritaient. Il les menace ici de la peine quils appréhendaient le plus, en leur prédisant la ruine de leur ville. «Car je vous dis en vérité que vous ne me verrez plus désormais jusquà ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (39) » . Il témoigne encore ici quil a une extrême affection pour les Juifs, et quil fait les derniers efforts pour les porter à la vertu, en rappelant dans leur esprit et le mal quils oui fait autrefois, et celui quils doivent souffrir. Car il marque dans ces dernières paroles le jour de son second avènement. Vous me demanderez peut-être si les Juifs ne virent plus Jésus-Christ depuis quil leur eut dit ces paroles? Ils le virent jusquà sa passion; et ce mot «désormais comprend tout le temps jusque-là. Parce quils le regardaient toujours comme un ennemi de Dieu et comme un homme opposé à sa Loi sainte, il voulait faire voir au contraire quil était uni en tout avec Dieu, pour les attirer davantage à son amour. Il use pour ce sujet des paroles mêmes des prophètes, pour leur faire mieux reconnaître que cétait lui que les prophètes avaient annoncé. Il marque obscurément sa résurrection dans ces paroles, mais il y découvre tout à fait son second avènement, et il déclare qualors les coeurs les plus endurcis et que les esprits les plus opiniâtres dans leur incrédulité seront forcés de ladorer. Il leur découvre ces mystères, en leur prédisant beaucoup de choses , en leur disant quil leur enverrait ses prophètes, quils les tueraient, et même dans leurs synagogues; quils seraient punis de ces violences par des malheurs horribles, que leurs maisons demeureraient désertes, et quils tomberaient dans des maux auxquels il ny a rien eu de semblable. Toutes ces prédictions marquaient aux plus aveugles le second avènement du Fils de Dieu et les hommages profonds que tout le monde sera forcé de lui rendre. En effet, interrogeons les Juifs, et demandons-leur si Jésus-Christ ne leur a pas envoyé des prophètes et des sages? Sils ne les ont pas tués dans leurs synagogues? Si leurs maisons et leurs villes nont pas été entièrement ruinées; et si tous les maux que le Sauveur leur a prédits ne leur sont pas arrivés? Nul dentre eux ne le niera. Comme donc jusquici toutes ces prédictions ont été vérifiées. peut-on douter que le reste narrive de même, que les juifs ne reconnaissent un jour que Jésus-Christ est le vrai Dieu, et quils ne soient forcés de se soumettre à sa souveraine puissance? Mais ces respects forcés, et ces hommages contraints (577) ne leur serviront. de rien, pas plus que leurs regrets et leurs larmes autrefois ne purent empêcher que leur ville ne fût détruite. Cest pourquoi, mes frères, pendant que nous en avons le temps, appliquons-nous à faire le bien. Comme il fut inutile aux Juifs autrefois dans la ruine de leur ville de se repentir trop tard de leurs excès passés, il nous sera inutile de même de nous repentir de nos fautes, lorsque Dieu viendra nous juger. Le pilote ne petit plus sauver un vaisseau lorsque, par sa négligence, leau y entre de toutes paris et le coule à fond ; ni le médecin guérir un malade lorsquil est près de mourir. Il faut quil se hâte de secourir son malade avant quil meure, et lautre son vaisseau avant quil périsse. A moins de cela tous leurs travaux seront inutiles. Puis donc quil ny a plus de remède à attendre après, et que tant que nous vivons nous sommes continuellement malades, adressons-nous au Médecin de notre âme, et népargnons ni bien, ni travail pour la tirer de la maladie mortelle, afin que nous nous trouvions parfaitement guéris à la mort. Ayons au moins autant de soin pour les maux de nos âmes que nous en avons pour nos serviteurs, lorsquils sont malades. Quoique notre âme nous doive être sans comparaison plus chère que nos domestiques, puisquelle est beaucoup plus excellente que le corps; je mestimerais heureux, néanmoins si vous aviez le même soin pour lune que vous en témoignez pour les autres. Mais si nous sommes assez injustes pour refuser à nos âmes une partie de nos soins quelle mériterait davoir seule tout entiers, quelle excuse pourrons-nous trouver, lorsque Dieu viendra nous juger à notre mort? 4. Vous me direz peut-être : Mais qui est assez misérable ou assez lâche pour navoir pas au moins autant damour pour son âme quil en a pour son serviteur? Cest vous, mes frères, qui êtes en cet état; et, ce qui mafflige, cest que nous ayons une telle indifférence pour notre propre salut, que nous traitons notre âme avec plus de mépris que nos serviteurs mêmes. Quand ils sont malades nous faisons venir les médecins; nous les mettons dans une chambre commode et séparée du bruit, nous les exhortons à bien obéir au médecin qui les voit, et à suivre ponctuellement ses ordonnances; nous leur témoignons du mécontentement et de la douleur lorsquils ne les ont pas gardées; nous leur donnons des gardes pour les veiller et pour les empêcher de suivre leurs désirs déréglés. Si les médecins ordonnent des remèdes de grands prix, nous les achetons aussitôt. Nous sommes fidèles à suivre toutes leurs ordonnances, et nous avons soin de les bien récompenser de leur peine. Mais lorsque nous-mêmes nous sommes malades, ou plutôt quoique nous ne soyons jamais un moment sans être malades, nous nappelons point les médecins, nous ne voulons pas faire la moindre dépense ; et nous avons plus dindifférence pour notre âme, lorsquelle est si dangeureusement malade, que nous nen aurions pour le plus grand de nos ennemis sil était dans le même état où nous nous trouvons. Je vous dis ceci, mes frères, non pour blâmer le soin que vous avez de vos domestiques, mais pour vous exhorter den témoigner au moins autant pour vos âmes. Vous me demanderez peut-être ce que vous devez donc faire pour remédier à un si grand mal. Je vous le dis en un mot. Votre âme est malade, appelez un médecin pour la guérir. Ce médecin, cest lévangéliste saint Matthieu. Ce médecin, cest saint Jean, le disciple bien-aimé. Présentez-vous à ces admirables médecins, et consultez-les pour savoir quel remède il faut appliquer aux maladies de votre âme. Ils vous le diront, Ils ne vous cacheront rien, et vous pouvez suivre toutes leurs ordonnances sans rien craindre, car ces grands hommes vous peuvent secourir, même après leur mort. Tout morts quils sont, ils sont encore vivants, et ils nous parlent tous les jours. Vous me répondrez peut-être que votre âme est tout occupée de son mal, et quelle na pas la liberté découter leurs sages avis. Faites-lui donc violence afin quelle les écoute. Excitez ce quil y a en elle de plus raisonnable et de plus spirituel, et réveillez-la de son assoupissement; faites paraître les prophètes devant elle, afin quils lassistent de leurs conseils. Ces médecins ne demandent point dargent ni pour leur peine, ni pour les remèdes; mais ils vous ordonnent seulement devons faire miséricorde à vous-même en la faisant aux pauvres. Pour tout le reste, vous verrez quils vous donnent, au lieu de penser à rien recevoir de vous. Car en vous ordonnant dêtre sobres, combien vous épargnent-ils de folles et dinutiles dépenses. Ne vous enrichissent-ils pas, lorsquils vous (578) exhortent à ne plus boire de vin, et à retrancher toutes les voluptés? Après cela, qui nadmirera lart et la sagesse de ces médecins spirituels, qui vous donnent en même temps la santé et les richesses? Allez donc vous présenter à eux. Apprenez deux la qualité et la nature de votre mal. Si vous êtes possédé de lavarice, si vous désirez largent avec autant dardeur quun homme qui a la fièvre désire un verre deau froide, écoutez ce quils vous diront pour guérir ce mal. Comme les médecins des corps vous prédisent ce qui vous arrivera si vous suivez vos désirs déréglés, saint Paul vous dit de même : « Que ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège, et en diverses passions insensées et pernicieuses, qui précipitent les hommes dans labîme de la perdition et de la damnation ». (I Tim. VI, 9.) Si vous êtes sujet à limpatience, écoutez encore ce quil vous dira sur ce sujet: « Dans fort peu de temps», dit-il, « celui qui doit venir viendra et ne tardera point. Le Seigneur est proche, ne soyez en peine de rien». (Héb. X, 37, Philip. IV.) Et ailleurs: « La figure de ce monde passe». (I Cor. VII, 31.) Car ce grand Apôtre ne se contente pas de nous donner seulement des avis si sages et des conseils si salutaires. Il nous console encore comme un bon père, et il adoucit toutes nos peines : et comme les médecins des corps ont des remèdes pour désaltérer leurs malades et pour suppléer à leau fraîche quils leur défendent; celui-ci de même substitue à nos désirs et à nos affections déréglées dautres désirs et dautres affections plus justes et plus innocentes. Désirez-vous, nous dit-il, de vous enrichir? Je ne vous défends point dêtre riches en toutes sortes de bonnes oeuvres. Voulez-vous amasser de grands trésors? Mettez-les en dépôt dans le ciel. Et comme les médecins disent encore que les choses froides nuisent aux os, aux nerfs et aux dents, saint Paul de même dit en un mot avec une brièveté toute divine, que « lavarice est la source de tous les maux». (I Tim. VI, 10.) Que devons-nous donc faire, me direz-vous? Ce même apôtre vous la marqué : Il dit quil faut au lieu de lavarice aimer la modération. «Cest une grande richesse », dit-il, « que la piété et la modération dun esprit qui se contente de ce qui suffit ». (I Tim. VI, ) Si vous ne suivez pas cet avis, et si le désir damasser du bien vous empêche de donner votre superflu, vous trouverez encore des avis pour cette maladie : « Que ceux », dit-il, qui « se réjouissent soient comme ne se réjouissant point; ceux qui achètent comme ne possédant point, et ceux qui usent de ce monde comme nen usant point. » ( I Cor. VII, 30.) Vous voyez donc quels sont ces avis si saints que ce saint médecin du ciel nous donne pour nous guérir. Voulez-vous maintenant que nous en consultions un autre? On ne doit point craindre à propos de ces médecins ce qui arrive pour les médecins du corps, qui sont assez souvent cause, par leur ambition et par leur jalousie, de la mort de leurs malades. Ceux-ci nont point dautre but que la santé de ceux qui les appellent et qui les consultent, et ils ne se proposent jamais pour fin leur réputation et leur propre gloire. Ne craignez donc point leur grand nombre. Ils sont plusieurs, et ils ne sont quun, puisque Jésus-Christ seul parle par eux tous. Ecoutons encore un autre médecin, saint Matthieu, qui parle terriblement de cette même maladie de lavarice : ou plutôt écoutons Jésus-Christ, dont il rapporte ces paroles redoutables : « Vous ne pouvez servir en même temps Dieu et largent». (Matth. VI, 24.) 5. Mais comment cela se pourra-t-il faire, me direz-vous, et comment pourrons-nous étouffer tous ces désirs? Voyez ce quil vous dit au même endroit : « Ne vous faites point de trésors dans la terre, où les vers et la rouille les mangent, et où les voleurs les déterrent et les dérobent ». (Ibid. VI, 9.) Vous voyez, mes frères, combien Jésus-Christ sefforce de nous éloigner du désir des biens dici-bas, parla considération du lieu ou nous les mettons en dépôt; de la terre et des accidents qui nous les font perdre, tels que les vers, la rouille et les voleurs, afin que cette vue nous porte à prendre pour le dépositaire de tous nos trésors, Dieu même qui nous les gardera avec une sûreté entière. Car si vous vouiez mettre vos richesses dans un lieu où ni la rouille ni les voleurs ne leur puissent nuire, vous vous guérirez sans peine de votre avarice, et votre âme senrichira des biens véritables et spirituels. Jésus-Christ ajoute à cela un exemple étonnant et capable de vous toucher. Il imite les médecins qui, craignant pour leurs malades, leur disent : Un tel est mort pour avoir bu de leau froide dans ses accès. (Matth. XIX.) Cest (579) ainsi que le Fils de Dieu fait paraître un riche qui, frappé de cette maladie dont nous parions, et désirant néanmoins la santé avec ardeur, ne put la recouvrer à cause de cette étrange attache quil avait à ses richesses. Un autre évangéliste rapporte encore lexemple dun autre riche qui ne peut au milieu des flammes trouver une goutte deau pour désaltérer sa soif. (Luc, XVI, 24.) Jésus-Christ, pour montrer ensuite que les ordonnances quil nous donne sont aisées à pratiquer, ajoute ces mots: « Considérez les « oiseaux du ciel ». (Matth. VI, 26.) Mais cet adorable Médecin des âmes a tant de condescendance pour votre faiblesse, que, bien que vous soyez riche, et par conséquent dans un état dangereux pour votre salut, il vous défend néanmoins den désespérer, et vous assure lui-même que « ce qui est impossible « aux hommes, est possible à Dieu ». (Matth. XIX, 26.) Ainsi, quoique vous soyez riche, vous pouvez encore vous sauver, puisque Dieu ne vous a pas tant défendu dêtre riche, que de vous attacher à vos richesses et den devenir lesclave et lidolâtre. Que doit donc faire un riche afin quil se puisse sauver? Il faut que tout ce quil possède lui soit commun avec les pauvres, comme le bienheureux Job vous dit lui-même quil faisait. Il faut quil arrache de son coeur tout lamour de ce qui est superflu, quil mette des bornes à ses désirs, et quil ne passe point au delà des règles de la nécessité. Jésus-Christ vous montre encore lexemple dun publicain qui, après avoir été longtemps possédé de cette passion si basse, en fut guéri tout dun coup. Il passa en un moment dune avarice insatiable dans un mépris prodigieux de largent, parce quil obéit fidèlement aux avis et aux ordonnances de son Médecin. Tous les disciples que Jésus-Christ a eus ont été dabord attaqués des mêmes maladies que nous, et ils en ont été guéris sans beaucoup de peine. Le Sauveur nous les propose tous pour modèles, afin que nous ne désespérions point de nous-mêmes. Jetez donc les yeux sur ce publicain qui est devenu Evangéliste. Voyez aussi cet autre chef des publicains, nommé Zachée, qui se résolut tout à coup à rendre au quadruple tout ce quil avait volé, et à donner la moitié de son bien aux pauvres pour se rendre digne de recevoir Jésus-Christ. Mais vous avez peut-être une ardeur furieuse pour le bien : Suivez-moi donc, vous dit le Sauveur, et vous serez riches. Regardez tout le bien des autres hommes comme étant à vous. Je vous donne plus que vous ne pouvez demander. Je vous ouvre les maisons de tous les riches qui sont dans toute la terre. Car «celui qui abandonnera pour moi son père, sa mère, ses terres ou sa maison, en recevra le centuple », (Matth. XXIX.) Ainsi, non-seulement vous retrouverez plus que vous navez quitté, mais vous éteindrez même cette soif si extrême qui vous brûle; vous supporterez plus doucement tous les accidents de la vie, et vous mépriserez non-seulement le superflu, mais souvent même le nécessaire. Ainsi, saint Paul souffrait quelquefois la faim, et il sen réjouissait plus que des festins et de la bonne chère, parce quun athlète qui combat pour remporter la victoire, ne peut préférer un lâche repos à un combat qui se termine par une fin si glorieuse : et un marchand, qui a éprouvé une fois combien on gagne en trafiquant sur la mer, ne peut plus se résoudre à vivre chez lui dans loisiveté et dans la mollesse. Ainsi, quand nous aurons commencé à avoir quelque goût des biens du ciel, nous nen aurons plus pour les biens de la terre, lorsque nous goûterons et nous nous trouverons saintement enivrés dun plaisir céleste. Goûtons donc ces délices sacrées, mes chers frères, pour jouir dune véritable paix, et dans cette vie et dans lautre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (580)
|