Matthieu 11,1-9
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HOMÉLIE XXXVIII

« EN CE TEMPS-LA JÉSUS PASSAIT, UN JOUR DE SABBAT, A TRAVERS LES BLÉS ; ET SES DISCIPLES, AYANT FAIM, SE MIRENT A ROMPRE DES ÉPIS ET A MANGER. CE QUE VOYANT LES PHARISIENS, ILS LUI DIRENT : VOILA VOS DISCIPLES QUI FONT CE QU’IL N’EST POINT PERMIS DE FAIRE AU JOUR DU SABBAT. » (CHAP. XI, 1. 2, JUSQUES AU VERSET 9.)

ANALYSE

1. Qu’il faut fuir l’orgueil et aimer la simplicité.

2. Que le Fils est consubstantiel au Père. Contre l’hérétique Marcion. Que l’humilité est la mère des vertus.

3. Que la loi de Jésus-Christ est un fardeau léger.

4. Il en coûte encore plus pour satisfaire ses passions que pour les vaincre.

 

1. Considérez, mes frères, de combien de moyens Jésus-Christ se sert peur exciter les Juifs à croire en lui. Premièrement, il donne des louanges extraordinaires à saint Jean en leur présence, parce qu’en leur représentant la grandeur et la sainteté d’un homme si admirable, il leur faisait voir en même temps qu’ils devaient ajouter foi aux témoignages si avantageux qu’il rendait de lui. Secondement, il dit que le royaume des cieux souffrait violence, ce qui était non pas les porter simple. ment, mais comme les pousser et les entraîner à la foi. Troisièmement, il les assure que lès prophéties ont cessé, leur déclarant ainsi que c’était lui que les prophètes avaient promis. Quatrièmement, il leur apprend qu’il avait fait de son côté tout ce qu’il devait faire pour leur salut, ce qu’il exprime par la comparaison de ces enfants que nous avons vue. Cinquièmement, il reproche aux incrédules leur peu de foi, il déplore leur misère, et tâche de les étonner par les maux terribles dont il les menace. Et enfin il rend grâces à son Père pour ceux qui avaient cru en lui. Car ce mot: « Je vous rends gloire, » est la même chose que s’il disait : « Je vous rends grâces. Je vous rends grâces, » dit-il, « de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux « prudents. »

Quoi donc! est-ce qu’il se réjouit de la perte de ceux qui n’ont pas voulu croire? Nullement, mais Dieu garde cette conduite très-sage pour notre salut. Lorsque les hommes s’opposent à la vérité, et refusent de la recevoir, il ne les force point, mais il les rejette, afin qu’ayant méprisé celui qui les appelait, et ne s’étant point corrigés de leurs désordres, ils rentrent en eux-mêmes, en se voyant rejetés, et qu’ils commencent à désirer ce qu’ils avaient négligé. Cette conduite servait aussi à rendre plus ardents ceux qui avaient embrassé la foi.

Ces mystères donc, si grands et si divins, ne pouvaient être révélés aux uns sans que Jésus-Christ en ressentît de la joie, ni cachés aux autres, sans lui causer une profonde tristesse, comme il le témoigna en effet en pleurant sur cette Ville malheureuse. Ce n’est donc point parce que ces mystères sont cachés aux sages que Jésus-Christ se réjouit, mais parce que ce qui était caché aux sages était révélé aux petits. C’est ainsi que saint Paul dit: « Je rends grâces à Dieu de ce qu’ayant été auparavant esclaves du péché, vous avez obéi du fond du coeur à la doctrine de l’Evangile, à laquelle vous vous êtes conformés comme à votre modèle. » (Rom. VI, 7.) Il ne se réjouit pas de ce qu’ils avaient été esclaves du péché, mais de ce qu’ayant été tels, ils se sont convertis à Dieu.

Jésus-Christ, par ce mot de « sages, » entend les scribes et les pharisiens. Et il parle de (311) la sorte pour relever le courage de ses disciples, en leur représentant que tout pécheurs et grossiers qu’ils sont, ils ne laissent pas d’avoir reçu des lumières et des connaissances que les sages et les prudents avaient laissé perdre. Jésus-Christ marque donc par ce mot de « sage » non ceux qui le sont véritablement, mais ceux qui le croient être, parce qu’ils ont cette sagesse que le monde estime. Aussi il ne dit pas : « Et vous les avez révélées » aux fous et aux insensés, mais « aux petits, » c’est-à-dire à ceux qui sont simples et sans déguisement. Ce qui fait voir que si ces faux sages n’ont pas reçu cette grâce, ç’a été par une grande justice de Dieu.

Il nous avertit aussi par ces paroles de fuir la vaine gloire, et de rechercher avec ardeur la simplicité et l’humilité. C’est ce que saint Paul marque clairement et avec force, lorsqu’il dit: « Que nul ne se trompe soi-même: Si quelqu’un d’entre vous pense être sage selon le monde, qu’il devienne fou à l’égard du monde pour devenir vraiment sage. » (Cor. III, 17). C’est dans cette sainte folie que paraît la grâce de Dieu.

Mais pourquoi Jésus-Christ rend-il grâces de cette conduite à son Père, puisqu’il en est lui-même l’auteur? Comme il prie ailleurs son Père pour nous, il lui rend à cette occasion ces actions de grâces pour nous, et dans lés deux cas il montre l’excès de l’amour qu’il nous porte. Il fait voir encore par ces paroles que ces sages superbes sont rejetés de son Père comme de lui. Il pratique ici par avance ce qu’il a commandé à ses apôtres, lorsqu’il leur a dit: «Ne donnez point les choses saintes aux chiens. » (Matth. VII, 6.)

Il montre encore par là, et que lui et que son Père nous préviennent de leur bonne volonté, le Fils en se réjouissant et en rendant grâces des faveurs que nous recevons, et le Père en nous faisant voir qu’il les a faites de son mouvement propre, et sans y être excité par aucune prière. « Oui, » dit-il, « mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi. » Saint Paul nous apprend pourquoi il a plu à Dieu de cacher ses mystères à ces faux sages : « Parce que cherchant, » dit-il, « à établir leur propre justice, ils n’ont pas été assujétis à la justice de Dieu. » (Rom. I, 3.)

Dans quels sentiments croyez-vous qu’étaient alors les apôtres d’avoir des connaissances que les sages du monde n’avaient pas, de les avoir en demeurant toujours petits, et de les avoir par la révélation de Dieu même? Saint Luc marque que Jésus-Christ vit alors ses soixante-douze disciples revenir à lui, et lui dire « que les démons leur étaient assujétis, » et qu’il commença à se réjouir en esprit, et à dire ces paroles précédentes, qui leur inspiraient tout ensemble, et du zèle pour Dieu, et un humble sentiment d’eux-mêmes.

2. Cet empire qu’ils exerçaient sur les démons élevait naturellement les coeurs des disciples. Jésus-Christ les rabaisse par ces paroles, en leur montrant que les 1umières qu’ils avaient ne venaient que de la pure volonté de Dieu, et non point de leur mérite; comme s’il leur disait : Les scribes et les pharisiens qui ont été sages et prudents en eux-mêmes sont tombés par leur orgueil. Si donc Dieu leur a caché ces mystères à cause de leur présomption, vous, mes apôtres, appréhendez un traitement semblable, et demeurez toujours petits, puisque c’est cette simplicité et cette humilité d’enfants qui vous a fait mériter ces secrets du ciel, comme il n’y a que l’orgueil qui en ait privé ces sages. Lorsque Jésus-Christ dit à son Père: « Vous leur avez caché ces choses, » il ne marque pas qu’il soit le seul auteur de cette punition, sans qu’ils y aient contribué de leur part. Mais comme lorsque saint Paul, en disant que Dieu « a livré et abandonné les sages du monde à l’égarement d’un esprit dépravé et corrompu (Rom.I, 28), » n’entend pas que ce soit Dieu qui, de lui-même, les ait jetés dans ces ténèbres, mais qu’ils s’y sont précipités par leur faute; il faut entendre de même ce que Jésus-Christ dit en ce lieu : « Vous avez caché ces choses aux sages, et les avez révélées aux petits. »

Mais Jésus-Christ voulant empêcher qu’on ne crût par ces paroles « Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez révélé ces choses aux petits, » qu’il n’eût pas lui-même la puissance de faire ces révélations, il ajoute : « Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains (27). » Il semble dire à ses disciples qui se réjouissaient de ce que les dé-mous leur étaient assujétis Pourquoi admirez-vous tant que les démons vous obéissent? Tout est à moi : « Mon père m’a mis toutes choses entre les mains. » Quand vous entendez ces paroles : « Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains, » n’ayez point de pensées basses et terrestres. Car, de peur que (312) vous ne crussiez qu’il y eût deux dieux non engendrés, il se sert à dessein du mot de « Père», et il montre ainsi en plusieurs autres endroits qu’il est, et engendré du Père, et en même temps le Seigneur souverain de toutes choses. Mais il ajoute encore quelque chose de plus grand pour élever nos esprits plus haut.

« Nul ne connaît le Fils que le Père, comme « nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l’aura voulu révéler (47).» Ces paroles paraîtront peut-être à ceux qui n’ont pas assez de lumière n’avoir aucune liaison avec ce qui les précède, mais cette liaison existe. Après avoir dit : « Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains, » il semble qu’il ajoute: Pourquoi vous étonnez-vous que, je sois le Maître souverain? J’ai quelque chose encore de bien plus grand, savoir, de connaître parfaitement mon Père, et d’être de même substance que lui. Car c’est ce qu’il donne à entendre en disant qu’il est le seul qui connaît son Père.

Mais il ne leur parle ainsi, que lorsqu’il leur a donné par ses miracles une preuve de sa puissance, et que non-seulement ils lui voyaient faire ces miracles à lui-même, mais qu’ils en faisaient eux-mêmes, par la vertu de son nom. Et comme il venait de dire en parlant à son Père: « Vous avez révélé ces choses aux petits, » il montre que cette révélation venait aussi de lui-même en disant: « Nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l’aura voulu révéler;» non celui à qui Dieu aura ordonné, ou à qui il aura commandé de révéler le Père, « mais à qui le Fils l’aura voulu révéler. » Que « s’il révèle son Père, » il se révèle aussi lui-même; mais il ne le dit pas expressément parce que c’est une chose qui s’entend assez d’elle-même. Mais il marque positivement qu’il révèle son Père, il le fait ici et ailleurs encore, comme lorsqu’il dit : « Nul ne peut venir à mon Père, sinon par moi. » (Jean, XIV, 8.)

Il montre encore par ces paroles, qu’il n’a qu’une même volonté et qu’un même sentiment avec son Père: Je suis, dit-il, si éloigné d’avoir jamais de différend avec lui et de le combattre en rien, qu’il est au contraire impossible de venir à lui que par moi. Comme les Juifs étaient particulièrement scandalisés de ce que Jésus-Christ leur paraissait un adversaire de Dieu, un homme qui usurpait la Divinité, il s’efforce par tout, et par ses actions, et encore plus ici par ses paroles, de détruire cette pensée.

Quand il dit « que personne ne connaît le Père que le Fils, » il ne veut pas dire que tout le reste des hommes l’ignore entièrement, mais seulement que les hommes n’ont pas la même connaissance du Père qu’en a le Fils, et que de même ils ne connaissent point le Fils, comme le connaît le Père. Car Jésus-Christ ne dit pas ces paroles comme l’impie Marcion le croit, de quelque Dieu inconnu dont jamais personne n’ait eu la moindre connaissance; mais il marque ici une connaissance très-claire et très-parfaite; et cette connaissance, nous ne la possédons ni du Père, ni du Fils, selon cette parole de saint Paul: « Ce que nous avons maintenant de connaissance et de prophétie est très-imparfait. » (I Cor. XIII, 12.)

Le Fils de Dieu, après avoir excité par ces paroles l’ardeur de ses disciples, et leur avoir montré qu’il est tout-puissant, commence ensuite à les appeler à lui.

« Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai (28).» Il n’appelle point celui-ci ou celui-là en particulier, mais en général tous ceux qui sont accablés de soins, de tristesses, d’inquiétudes et de péchés. « Venez à moi, » leur dit-il, non pas afin que je tire vengeance de vos crimes, mais afin que je vous en délivre. « Venez à moi, » je vous invite, non que j’aie aucun besoin de vos louanges, mais parce que j’ai une ardente soif de votre salut. « Et je vous soulagerai. » Il ne dit pas seulement : Je vous sauverai, mais: Je vous établirai dans un très-parfait repos. . « Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau est léger (29, 30). » Ne tremblez point quand vous entendez parler de « joug, » car il est « doux. » Ne craignez point quand je vous parle d’un « fardeau, » car il est « léger. » Comment donc, me direz-vous, Jésus-Christ dit-il ailleurs: « que la porte est petite et la voie « étroite? » Elle est petite si vous êtes lâche, elle est étroite si vous êtes paresseux. Mais quand vous accomplirez ce que Jésus-Christ vous commande, son fardeau vous sera léger. C’est dans ce sens qu’il lui donne ici ce nom.

Mais comment, me direz-vous, pourrai-je accomplir ce que Jésus-Christ commande? Vous l’accomplirez, si vous êtes doux, modeste et humble. Car l’humilité est la mère de toutes les vertus. C’est pour cette raison que lorsque (313) Jésus-Christ, prêchant sur la montagne, veut apprendre aux hommes la loi de Dieu, il commence par l’humilité. Il confirme encore ici ce qu’il a dit alors, et il promet à cette vertu une grande récompense. Elle ne vous rendra pas, dit-il, seulement utile aux autres; vous serez le premier qui en recevrez le fruit, puisque « vous trouverez le repos de vos âmes. » Il vous donne dès ce monde ce qu’il vous prépare en l’autre, et il vous fait goûter par avance le repos » du ciel.

3. Mais pour vous rendre plus doux et plus agréable ce qu’il vous commande, il se propose lui-même pour modèle. Que craignez-vous? dit-il. Appréhendez-vous de paraître méprisable en vous humiliant? Regardez-moi; considérez en combien de manières je me suis humilié, et vous reconnaîtrez quel bien c’est que l’humilité.

Remarquez, mes frères, par combien de raisons Jésus-Christ exhorte ses apôtres à être humbles. Il leur propose son exemple: « Apprenez de moi, » dit-il, « que je suis doux et humble de cœur. » Il leur marque les récompenses des humbles: « Vous trouverez, » dit-il, « le repos de vos âmes. » Il leur promet lui-même de les assister : «Car je vous soulagerai, » dit-il. Enfin il les assure qu’il leur adoucira son joug: « Car mon Joug est doux, et mon fardeau est léger. » C’est ce que saint Paul tâche de persuader aux chrétiens, lorsqu’il leur dit: « Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons, produit en nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire. » (II Cor. IV, 17.)

Mais comment, me direz-vous, peut-on appeler ce fardeau léger; puisqu’il nous dit: « Si quelqu’un ne hait son père et sa mère et s’il ne porte sa croix et ne me suit, il n’est pas digne de moi. Si quelqu’un ne renonce à toutes choses, il ne peut être mon disciple (Luc, XIV, 26-29); » et qu’il nous commande même de donner notre propre vie? Il faut que saint Paul vous apprenne comment ces deux choses peuvent s’allier : « Qui nous séparera, » dit-il, de l’amour de Jésus-Christ? Sera-ce « l’affliction, ou les déplaisirs, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le fer et la violence? » (Rom VIII, 35.)

Il dit encore au même endroit : « Quand je considère les souffrances de la vie présente , je trouve qu’elles n’ont aucune pros portion avec cette gloire que Dieu doit découvrir un jour, et faire éclater en nous.» Mais passez des paroles aux actions, et considérez la joie que recevaient les apôtres, lorsqu’après avoir été fouettés dans les synagogues, ils s’en retournaient avec joie: « Parce qu’ils avaient été trouvés dignes de souffrir cette ignominie pour le nom de Jésus-Christ. » (Act. V, 54.) Que si après cela vous tremblez encore en entendant ce mot de « joug et de fardeau, » vous n’en devez accuser que votre propre paresse. Quand vous serez prêts à tout, et que vous vous offrirez de bon coeur à ce qui vous arrivera, tout vous paraîtra facile.

C’est pourquoi Jésus-Christ voulant nous montrer que nous devons nous efforcer de notre part à nous faire violence, évite égale. ment ou de ne nous dire que des choses douces et agréables, ou de ne nous en dire aussi que de pénibles et sévères ; mais tempérant les unes par les autres, il appelle sa loi un « joug, » mais un joug agréable; et un « fardeau, » mais un fardeau « léger ; » afin que vous n’en ayez ni horreur comme étant trop pénible, ni mépris comme étant trop léger.

Si donc la vertu vous paraît encore rude et austère, jetez les yeux sur les peines encore plus fâcheuses qui accompagnent la mauvaise vie. Jésus-Christ les indique assez, lorsqu’avant que de parler de son joug, il dit: « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, » pour montrer combien le péché est pénible, et que c’est un fardeau accablant et insupportable. li ne dit pas seulement « qui êtes fatigués; » mais il ajoute : « Qui êtes chargés, » ce que David marque plus clairement en exprimant quelle est la nature du péché: « Mes iniquités se sont appesanties sur « moi comme un lourd fardeau. » (Ps. XXX VII, 4.) Et le prophète Zacharie décrivant le péché l’appelle « un talent de plomb. » (Zach. V, 9.) Mais nous ne le sentons que trop par notre propre expérience. Rien ne rend l’âme si pesante, ne l’accable davantage, et ne la rend plus aveugle que le poids du péché, et la mauvaise conscience, comme il n’y a rien au contraire qui la rende plus légère, et qui l’élève plus à Dieu que la vertu.

Qu’y a-t-il de plus pénible en apparence que de ne rien posséder? que de tendre la joue droite quand on flous a frappés sur la gauche? que de ne point rendre le mal pour le mal, que de s’exposer à une mort violente? Cependant (314) si nous jugeons sainement des choses, non-seulement nous ne trouverons pas ces choses pénibles, mais elles nous paraîtront même très-douces et très-agréables. Ne soyez point surpris de ceci, et ne vous troublez pas de ce que je dis. Examinons avec soin chacune de ces choses dont je viens de vous parler. Commençons, si vous voulez, par ce qui paraît plus insupportable presque à tout le monde. Dites-moi donc lequel des deux vous choisiriez, d’avoir simplement le Soin de votre nourriture de chaque jour, ou de vous charger l’esprit de mille inquiétudes pour l’avenir? de n’avoir qu’un habit sans en désirer davantage, ou d’en posséder un grand nombre, et d’être tourmente jour et nuit par le soin de les garder, d’être toujours dans l’appréhension, ou que les vers ne les mangent, ou que les voleurs ne les emportent, ou qu’un serviteur ne vous les dérobe?

Je ne puis pas vous exprimer par mes paroles le bonheur de cet état autant qu’on le ressent par l’expérience, et je souhaiterais de tout mon coeur qu’il y eût ici un de ces chrétiens parfaits qui vivent retirés du monde. Vous reconnaîtriez le contentement ineffable dont il jouit dans cette profession, et vous verriez que, considérant sa pauvreté comme son trésor, il ne voudrait pas la changer contre tous les biens du monde. Mais les riches, dites-vous, voudraient-ils devenir pauvres, pour se décharger des soins qui les accablent? Il est vrai qu’ils ne le voudraient pas. Mais cet attachement qu’ils ont à leurs .richesses n’est pas une preuve de la satisfaction qu’ils y trouvent, mais de la maladie et du dérèglement de leur esprit. Je n’en veux point d’autres juges qu’eux-mêmes, puisqu’ils se trouvent tous les jours accablés de nouvelles inquiétudes, et qu’ils pro-testent que la vie leur est à charge. Ces pauvres évangéliques dont je parle ont bien différents. Ils sont toujours dans la joie, toujours dans la paix, et ils se glorifient plus de leur pauvreté que les rois de leur diadème.

4. Considérez aussi combien la pratique des conseils de l’Evangile peut contribuer à notre repos, puisqu’il est plus aisé de tendre l’autre joue à celui qui nous a donné un soufflet, que de se mettre en état de le lui rendre. L’un est la source des divisions et des guerres, l’autre apaise toutes les querelles. L’un allume encore davantage le feu de la passion qui brûlait dans notre frère, l’autre l’éteint, et dans lui et dans nous-mêmes. Or il est indubitable qu’il est plus doux de ne point brûler que d’être consumé du feu. Et si cela est vrai du corps, c’est encore plus vrai de l’âme.

Vous regardez de même la mort comme un grand mal, et cependant elle est un bien pour. les serviteurs de Dieu. Car lequel est le plus agréable de lutter dans le combat, ou d’être déjà vainqueur; de courir dans la carrière, ou d’être déjà couronné; de combattre encore contre les flots, ou d’être déjà arrivé au port ? La mort donc est préférable à la vie. L’une délivre de la tempête, l’autre en ajoute toujours de nouvelles, et nous expose à mille périls et mille malheurs qui nous rendent insupportables à nous-mêmes.

Si vous ne me croyez pas, demandez à ceux qui ont été témoins de la constance des martyrs; Ils savent que ces saints ont été battus de verges et déchirés par des ongles de fer, avec un visage serein et tranquille, qu’ils se sont étendus sur des grils brûlants, comme s’ils se fussent couchés sur des roses, et qu’ils ont trouvé les délices et une joie toute céleste dans les supplices les plus effroyables, et dans la mort même. C’est pourquoi saint Paul, près de mourir, et d’une mort violente, dit : « Je me réjouis et je me conjouis pour vous tous, et vous, réjouissez-vous de même, et conjouissez-vous avec moi. » (Philip. II, 16, 17.) Qui n’admirera le zèle avec lequel ce grand apôtre exhorte toute la terre à prendre part à sa joie? Tant il croyait que c’est un grand avantage de sortir bientôt de cette vie, et que la mort qui paraît si terrible n’a rien que d’aimable et de désirable à un disciple de Jésus-Christ!

On pourrait prouver encore par beaucoup d’autres raisons combien le joug du Sauveur est doux et léger, mais considérons maintenant combien celui du péché est dur et insupportable. Examinons ces avares qui ne rougissent point de leurs rapines et de leurs usures. Qu’y a-t-il de plus pénible que ce commerce infâme? combien de soins, combien d’afflictions, combien de périls, combien de piéges, combien de guerres naissent tous les jours de ce désir d’amasser? Comme la mer n’est point sans agitation, ainsi ces personnes ne sont jamais sans trouble et sans crainte. Les peines et les inquiétudes se succèdent les unes aux autres, et avant que les unes soient finies les (315) autres recommencent, et trouvant l’âme déjà blessée, lui font encore de nouvelles plaies.

Que si vous passez des avares aux personnes colères et insolentes, où trouverez-vous un supplice aussi grand que le leur? Combien se blessent eux-mêmes en blessant les autres, et combien est ardente cette fournaise qu’ils allument sans cesse dans leur coeur, dont la flamme secrète et intérieure ne s’éteint jamais?

Qu’y a-t-il encore de plus misérable que ceux qui sont possédés d’une passion brutale et honteuse? ils vivent comme Cala, toujours dans l’agitation, toujours dans la crainte; et ils sont plus touchés de la mort des personnes qu’ils aiment criminellement, qu’ils ne le sont de celles de leurs plus proches.

Qu’y a-t-il aussi de plus inquiet et de plus furieux que l’orgueilleux? Venez donc, venez tous à moi, dit Jésus-Christ : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes. » Car la douceur qui est humble est la mère de tous les biens. Ne craignez donc point ce joug, ne fuyez point ce fardeau, qui vous décharge de ces autres infiniment plus pesants. Soumettez-vous à ce joug de tout votre coeur, et vous reconnaîtrez combien il est doux. Il ne vous accablera point. Il vous sera un ornement plutôt qu’une charge. Il vous conduira dans la voie droite et royale sans tomber dans les précipices, à droite et à gauche, et il vous fera marcher avec plaisir et avec liberté dans le sentier de Jésus-Christ.

Puis donc que ce joug est si doux, qu’il nous met dans une si grande assurance, et qu’il nous remplit d’une joie ineffable, embrassons-le de tout notre coeur, et portons-le avec ardeur et avec zèle, afin que nous trouvions ici le repos de nos âmes, et dans le ciel les biens éternels, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui est la gloire et l’empire maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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