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HOMÉLIE XXXVIII« EN CE TEMPS-LA JÉSUS PASSAIT, UN JOUR DE SABBAT, A TRAVERS LES BLÉS ; ET SES DISCIPLES, AYANT FAIM, SE MIRENT A ROMPRE DES ÉPIS ET A MANGER. CE QUE VOYANT LES PHARISIENS, ILS LUI DIRENT : VOILA VOS DISCIPLES QUI FONT CE QUIL NEST POINT PERMIS DE FAIRE AU JOUR DU SABBAT. » (CHAP. XI, 1. 2, JUSQUES AU VERSET 9.) ANALYSE 1. Quil faut fuir lorgueil et aimer la simplicité. 2. Que le Fils est consubstantiel au Père. Contre lhérétique Marcion. Que lhumilité est la mère des vertus. 3. Que la loi de Jésus-Christ est un fardeau léger. 4. Il en coûte encore plus pour satisfaire ses passions que pour les vaincre.
1. Considérez, mes frères, de combien de moyens Jésus-Christ se sert peur exciter les Juifs à croire en lui. Premièrement, il donne des louanges extraordinaires à saint Jean en leur présence, parce quen leur représentant la grandeur et la sainteté dun homme si admirable, il leur faisait voir en même temps quils devaient ajouter foi aux témoignages si avantageux quil rendait de lui. Secondement, il dit que le royaume des cieux souffrait violence, ce qui était non pas les porter simple. ment, mais comme les pousser et les entraîner à la foi. Troisièmement, il les assure que lès prophéties ont cessé, leur déclarant ainsi que cétait lui que les prophètes avaient promis. Quatrièmement, il leur apprend quil avait fait de son côté tout ce quil devait faire pour leur salut, ce quil exprime par la comparaison de ces enfants que nous avons vue. Cinquièmement, il reproche aux incrédules leur peu de foi, il déplore leur misère, et tâche de les étonner par les maux terribles dont il les menace. Et enfin il rend grâces à son Père pour ceux qui avaient cru en lui. Car ce mot: « Je vous rends gloire, » est la même chose que sil disait : « Je vous rends grâces. Je vous rends grâces, » dit-il, « de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux « prudents. » Quoi donc! est-ce quil se réjouit de la perte de ceux qui nont pas voulu croire? Nullement, mais Dieu garde cette conduite très-sage pour notre salut. Lorsque les hommes sopposent à la vérité, et refusent de la recevoir, il ne les force point, mais il les rejette, afin quayant méprisé celui qui les appelait, et ne sétant point corrigés de leurs désordres, ils rentrent en eux-mêmes, en se voyant rejetés, et quils commencent à désirer ce quils avaient négligé. Cette conduite servait aussi à rendre plus ardents ceux qui avaient embrassé la foi. Ces mystères donc, si grands et si divins, ne pouvaient être révélés aux uns sans que Jésus-Christ en ressentît de la joie, ni cachés aux autres, sans lui causer une profonde tristesse, comme il le témoigna en effet en pleurant sur cette Ville malheureuse. Ce nest donc point parce que ces mystères sont cachés aux sages que Jésus-Christ se réjouit, mais parce que ce qui était caché aux sages était révélé aux petits. Cest ainsi que saint Paul dit: « Je rends grâces à Dieu de ce quayant été auparavant esclaves du péché, vous avez obéi du fond du coeur à la doctrine de lEvangile, à laquelle vous vous êtes conformés comme à votre modèle. » (Rom. VI, 7.) Il ne se réjouit pas de ce quils avaient été esclaves du péché, mais de ce quayant été tels, ils se sont convertis à Dieu. Jésus-Christ, par ce mot de « sages, » entend les scribes et les pharisiens. Et il parle de (311) la sorte pour relever le courage de ses disciples, en leur représentant que tout pécheurs et grossiers quils sont, ils ne laissent pas davoir reçu des lumières et des connaissances que les sages et les prudents avaient laissé perdre. Jésus-Christ marque donc par ce mot de « sage » non ceux qui le sont véritablement, mais ceux qui le croient être, parce quils ont cette sagesse que le monde estime. Aussi il ne dit pas : « Et vous les avez révélées » aux fous et aux insensés, mais « aux petits, » cest-à-dire à ceux qui sont simples et sans déguisement. Ce qui fait voir que si ces faux sages nont pas reçu cette grâce, ça été par une grande justice de Dieu. Il nous avertit aussi par ces paroles de fuir la vaine gloire, et de rechercher avec ardeur la simplicité et lhumilité. Cest ce que saint Paul marque clairement et avec force, lorsquil dit: « Que nul ne se trompe soi-même: Si quelquun dentre vous pense être sage selon le monde, quil devienne fou à légard du monde pour devenir vraiment sage. » (Cor. III, 17). Cest dans cette sainte folie que paraît la grâce de Dieu. Mais pourquoi Jésus-Christ rend-il grâces de cette conduite à son Père, puisquil en est lui-même lauteur? Comme il prie ailleurs son Père pour nous, il lui rend à cette occasion ces actions de grâces pour nous, et dans lés deux cas il montre lexcès de lamour quil nous porte. Il fait voir encore par ces paroles que ces sages superbes sont rejetés de son Père comme de lui. Il pratique ici par avance ce quil a commandé à ses apôtres, lorsquil leur a dit: «Ne donnez point les choses saintes aux chiens. » (Matth. VII, 6.) Il montre encore par là, et que lui et que son Père nous préviennent de leur bonne volonté, le Fils en se réjouissant et en rendant grâces des faveurs que nous recevons, et le Père en nous faisant voir quil les a faites de son mouvement propre, et sans y être excité par aucune prière. « Oui, » dit-il, « mon Père, parce quil vous a plu ainsi. » Saint Paul nous apprend pourquoi il a plu à Dieu de cacher ses mystères à ces faux sages : « Parce que cherchant, » dit-il, « à établir leur propre justice, ils nont pas été assujétis à la justice de Dieu. » (Rom. I, 3.) Dans quels sentiments croyez-vous quétaient alors les apôtres davoir des connaissances que les sages du monde navaient pas, de les avoir en demeurant toujours petits, et de les avoir par la révélation de Dieu même? Saint Luc marque que Jésus-Christ vit alors ses soixante-douze disciples revenir à lui, et lui dire « que les démons leur étaient assujétis, » et quil commença à se réjouir en esprit, et à dire ces paroles précédentes, qui leur inspiraient tout ensemble, et du zèle pour Dieu, et un humble sentiment deux-mêmes. 2. Cet empire quils exerçaient sur les démons élevait naturellement les coeurs des disciples. Jésus-Christ les rabaisse par ces paroles, en leur montrant que les 1umières quils avaient ne venaient que de la pure volonté de Dieu, et non point de leur mérite; comme sil leur disait : Les scribes et les pharisiens qui ont été sages et prudents en eux-mêmes sont tombés par leur orgueil. Si donc Dieu leur a caché ces mystères à cause de leur présomption, vous, mes apôtres, appréhendez un traitement semblable, et demeurez toujours petits, puisque cest cette simplicité et cette humilité denfants qui vous a fait mériter ces secrets du ciel, comme il ny a que lorgueil qui en ait privé ces sages. Lorsque Jésus-Christ dit à son Père: « Vous leur avez caché ces choses, » il ne marque pas quil soit le seul auteur de cette punition, sans quils y aient contribué de leur part. Mais comme lorsque saint Paul, en disant que Dieu « a livré et abandonné les sages du monde à légarement dun esprit dépravé et corrompu (Rom.I, 28), » nentend pas que ce soit Dieu qui, de lui-même, les ait jetés dans ces ténèbres, mais quils sy sont précipités par leur faute; il faut entendre de même ce que Jésus-Christ dit en ce lieu : « Vous avez caché ces choses aux sages, et les avez révélées aux petits. » Mais Jésus-Christ voulant empêcher quon ne crût par ces paroles « Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez révélé ces choses aux petits, » quil neût pas lui-même la puissance de faire ces révélations, il ajoute : « Mon Père ma mis toutes choses entre les mains (27). » Il semble dire à ses disciples qui se réjouissaient de ce que les dé-mous leur étaient assujétis Pourquoi admirez-vous tant que les démons vous obéissent? Tout est à moi : « Mon père ma mis toutes choses entre les mains. » Quand vous entendez ces paroles : « Mon Père ma mis toutes choses entre les mains, » nayez point de pensées basses et terrestres. Car, de peur que (312) vous ne crussiez quil y eût deux dieux non engendrés, il se sert à dessein du mot de « Père», et il montre ainsi en plusieurs autres endroits quil est, et engendré du Père, et en même temps le Seigneur souverain de toutes choses. Mais il ajoute encore quelque chose de plus grand pour élever nos esprits plus haut. « Nul ne connaît le Fils que le Père, comme « nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils laura voulu révéler (47).» Ces paroles paraîtront peut-être à ceux qui nont pas assez de lumière navoir aucune liaison avec ce qui les précède, mais cette liaison existe. Après avoir dit : « Mon Père ma mis toutes choses entre les mains, » il semble quil ajoute: Pourquoi vous étonnez-vous que, je sois le Maître souverain? Jai quelque chose encore de bien plus grand, savoir, de connaître parfaitement mon Père, et dêtre de même substance que lui. Car cest ce quil donne à entendre en disant quil est le seul qui connaît son Père. Mais il ne leur parle ainsi, que lorsquil leur a donné par ses miracles une preuve de sa puissance, et que non-seulement ils lui voyaient faire ces miracles à lui-même, mais quils en faisaient eux-mêmes, par la vertu de son nom. Et comme il venait de dire en parlant à son Père: « Vous avez révélé ces choses aux petits, » il montre que cette révélation venait aussi de lui-même en disant: « Nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils laura voulu révéler;» non celui à qui Dieu aura ordonné, ou à qui il aura commandé de révéler le Père, « mais à qui le Fils laura voulu révéler. » Que « sil révèle son Père, » il se révèle aussi lui-même; mais il ne le dit pas expressément parce que cest une chose qui sentend assez delle-même. Mais il marque positivement quil révèle son Père, il le fait ici et ailleurs encore, comme lorsquil dit : « Nul ne peut venir à mon Père, sinon par moi. » (Jean, XIV, 8.) Il montre encore par ces paroles, quil na quune même volonté et quun même sentiment avec son Père: Je suis, dit-il, si éloigné davoir jamais de différend avec lui et de le combattre en rien, quil est au contraire impossible de venir à lui que par moi. Comme les Juifs étaient particulièrement scandalisés de ce que Jésus-Christ leur paraissait un adversaire de Dieu, un homme qui usurpait la Divinité, il sefforce par tout, et par ses actions, et encore plus ici par ses paroles, de détruire cette pensée. Quand il dit « que personne ne connaît le Père que le Fils, » il ne veut pas dire que tout le reste des hommes lignore entièrement, mais seulement que les hommes nont pas la même connaissance du Père quen a le Fils, et que de même ils ne connaissent point le Fils, comme le connaît le Père. Car Jésus-Christ ne dit pas ces paroles comme limpie Marcion le croit, de quelque Dieu inconnu dont jamais personne nait eu la moindre connaissance; mais il marque ici une connaissance très-claire et très-parfaite; et cette connaissance, nous ne la possédons ni du Père, ni du Fils, selon cette parole de saint Paul: « Ce que nous avons maintenant de connaissance et de prophétie est très-imparfait. » (I Cor. XIII, 12.) Le Fils de Dieu, après avoir excité par ces paroles lardeur de ses disciples, et leur avoir montré quil est tout-puissant, commence ensuite à les appeler à lui. « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai (28).» Il nappelle point celui-ci ou celui-là en particulier, mais en général tous ceux qui sont accablés de soins, de tristesses, dinquiétudes et de péchés. « Venez à moi, » leur dit-il, non pas afin que je tire vengeance de vos crimes, mais afin que je vous en délivre. « Venez à moi, » je vous invite, non que jaie aucun besoin de vos louanges, mais parce que jai une ardente soif de votre salut. « Et je vous soulagerai. » Il ne dit pas seulement : Je vous sauverai, mais: Je vous établirai dans un très-parfait repos. . « Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau est léger (29, 30). » Ne tremblez point quand vous entendez parler de « joug, » car il est « doux. » Ne craignez point quand je vous parle dun « fardeau, » car il est « léger. » Comment donc, me direz-vous, Jésus-Christ dit-il ailleurs: « que la porte est petite et la voie « étroite? » Elle est petite si vous êtes lâche, elle est étroite si vous êtes paresseux. Mais quand vous accomplirez ce que Jésus-Christ vous commande, son fardeau vous sera léger. Cest dans ce sens quil lui donne ici ce nom. Mais comment, me direz-vous, pourrai-je accomplir ce que Jésus-Christ commande? Vous laccomplirez, si vous êtes doux, modeste et humble. Car lhumilité est la mère de toutes les vertus. Cest pour cette raison que lorsque (313) Jésus-Christ, prêchant sur la montagne, veut apprendre aux hommes la loi de Dieu, il commence par lhumilité. Il confirme encore ici ce quil a dit alors, et il promet à cette vertu une grande récompense. Elle ne vous rendra pas, dit-il, seulement utile aux autres; vous serez le premier qui en recevrez le fruit, puisque « vous trouverez le repos de vos âmes. » Il vous donne dès ce monde ce quil vous prépare en lautre, et il vous fait goûter par avance le repos » du ciel. 3. Mais pour vous rendre plus doux et plus agréable ce quil vous commande, il se propose lui-même pour modèle. Que craignez-vous? dit-il. Appréhendez-vous de paraître méprisable en vous humiliant? Regardez-moi; considérez en combien de manières je me suis humilié, et vous reconnaîtrez quel bien cest que lhumilité. Remarquez, mes frères, par combien de raisons Jésus-Christ exhorte ses apôtres à être humbles. Il leur propose son exemple: « Apprenez de moi, » dit-il, « que je suis doux et humble de cur. » Il leur marque les récompenses des humbles: « Vous trouverez, » dit-il, « le repos de vos âmes. » Il leur promet lui-même de les assister : «Car je vous soulagerai, » dit-il. Enfin il les assure quil leur adoucira son joug: « Car mon Joug est doux, et mon fardeau est léger. » Cest ce que saint Paul tâche de persuader aux chrétiens, lorsquil leur dit: « Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons, produit en nous le poids éternel dune souveraine et incomparable gloire. » (II Cor. IV, 17.) Mais comment, me direz-vous, peut-on appeler ce fardeau léger; puisquil nous dit: « Si quelquun ne hait son père et sa mère et sil ne porte sa croix et ne me suit, il nest pas digne de moi. Si quelquun ne renonce à toutes choses, il ne peut être mon disciple (Luc, XIV, 26-29); » et quil nous commande même de donner notre propre vie? Il faut que saint Paul vous apprenne comment ces deux choses peuvent sallier : « Qui nous séparera, » dit-il, de lamour de Jésus-Christ? Sera-ce « laffliction, ou les déplaisirs, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le fer et la violence? » (Rom VIII, 35.) Il dit encore au même endroit : « Quand je considère les souffrances de la vie présente , je trouve quelles nont aucune pros portion avec cette gloire que Dieu doit découvrir un jour, et faire éclater en nous.» Mais passez des paroles aux actions, et considérez la joie que recevaient les apôtres, lorsquaprès avoir été fouettés dans les synagogues, ils sen retournaient avec joie: « Parce quils avaient été trouvés dignes de souffrir cette ignominie pour le nom de Jésus-Christ. » (Act. V, 54.) Que si après cela vous tremblez encore en entendant ce mot de « joug et de fardeau, » vous nen devez accuser que votre propre paresse. Quand vous serez prêts à tout, et que vous vous offrirez de bon coeur à ce qui vous arrivera, tout vous paraîtra facile. Cest pourquoi Jésus-Christ voulant nous montrer que nous devons nous efforcer de notre part à nous faire violence, évite égale. ment ou de ne nous dire que des choses douces et agréables, ou de ne nous en dire aussi que de pénibles et sévères ; mais tempérant les unes par les autres, il appelle sa loi un « joug, » mais un joug agréable; et un « fardeau, » mais un fardeau « léger ; » afin que vous nen ayez ni horreur comme étant trop pénible, ni mépris comme étant trop léger. Si donc la vertu vous paraît encore rude et austère, jetez les yeux sur les peines encore plus fâcheuses qui accompagnent la mauvaise vie. Jésus-Christ les indique assez, lorsquavant que de parler de son joug, il dit: « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, » pour montrer combien le péché est pénible, et que cest un fardeau accablant et insupportable. li ne dit pas seulement « qui êtes fatigués; » mais il ajoute : « Qui êtes chargés, » ce que David marque plus clairement en exprimant quelle est la nature du péché: « Mes iniquités se sont appesanties sur « moi comme un lourd fardeau. » (Ps. XXX VII, 4.) Et le prophète Zacharie décrivant le péché lappelle « un talent de plomb. » (Zach. V, 9.) Mais nous ne le sentons que trop par notre propre expérience. Rien ne rend lâme si pesante, ne laccable davantage, et ne la rend plus aveugle que le poids du péché, et la mauvaise conscience, comme il ny a rien au contraire qui la rende plus légère, et qui lélève plus à Dieu que la vertu. Quy a-t-il de plus pénible en apparence que de ne rien posséder? que de tendre la joue droite quand on flous a frappés sur la gauche? que de ne point rendre le mal pour le mal, que de sexposer à une mort violente? Cependant (314) si nous jugeons sainement des choses, non-seulement nous ne trouverons pas ces choses pénibles, mais elles nous paraîtront même très-douces et très-agréables. Ne soyez point surpris de ceci, et ne vous troublez pas de ce que je dis. Examinons avec soin chacune de ces choses dont je viens de vous parler. Commençons, si vous voulez, par ce qui paraît plus insupportable presque à tout le monde. Dites-moi donc lequel des deux vous choisiriez, davoir simplement le Soin de votre nourriture de chaque jour, ou de vous charger lesprit de mille inquiétudes pour lavenir? de navoir quun habit sans en désirer davantage, ou den posséder un grand nombre, et dêtre tourmente jour et nuit par le soin de les garder, dêtre toujours dans lappréhension, ou que les vers ne les mangent, ou que les voleurs ne les emportent, ou quun serviteur ne vous les dérobe? Je ne puis pas vous exprimer par mes paroles le bonheur de cet état autant quon le ressent par lexpérience, et je souhaiterais de tout mon coeur quil y eût ici un de ces chrétiens parfaits qui vivent retirés du monde. Vous reconnaîtriez le contentement ineffable dont il jouit dans cette profession, et vous verriez que, considérant sa pauvreté comme son trésor, il ne voudrait pas la changer contre tous les biens du monde. Mais les riches, dites-vous, voudraient-ils devenir pauvres, pour se décharger des soins qui les accablent? Il est vrai quils ne le voudraient pas. Mais cet attachement quils ont à leurs .richesses nest pas une preuve de la satisfaction quils y trouvent, mais de la maladie et du dérèglement de leur esprit. Je nen veux point dautres juges queux-mêmes, puisquils se trouvent tous les jours accablés de nouvelles inquiétudes, et quils pro-testent que la vie leur est à charge. Ces pauvres évangéliques dont je parle ont bien différents. Ils sont toujours dans la joie, toujours dans la paix, et ils se glorifient plus de leur pauvreté que les rois de leur diadème. 4. Considérez aussi combien la pratique des conseils de lEvangile peut contribuer à notre repos, puisquil est plus aisé de tendre lautre joue à celui qui nous a donné un soufflet, que de se mettre en état de le lui rendre. Lun est la source des divisions et des guerres, lautre apaise toutes les querelles. Lun allume encore davantage le feu de la passion qui brûlait dans notre frère, lautre léteint, et dans lui et dans nous-mêmes. Or il est indubitable quil est plus doux de ne point brûler que dêtre consumé du feu. Et si cela est vrai du corps, cest encore plus vrai de lâme. Vous regardez de même la mort comme un grand mal, et cependant elle est un bien pour. les serviteurs de Dieu. Car lequel est le plus agréable de lutter dans le combat, ou dêtre déjà vainqueur; de courir dans la carrière, ou dêtre déjà couronné; de combattre encore contre les flots, ou dêtre déjà arrivé au port ? La mort donc est préférable à la vie. Lune délivre de la tempête, lautre en ajoute toujours de nouvelles, et nous expose à mille périls et mille malheurs qui nous rendent insupportables à nous-mêmes. Si vous ne me croyez pas, demandez à ceux qui ont été témoins de la constance des martyrs; Ils savent que ces saints ont été battus de verges et déchirés par des ongles de fer, avec un visage serein et tranquille, quils se sont étendus sur des grils brûlants, comme sils se fussent couchés sur des roses, et quils ont trouvé les délices et une joie toute céleste dans les supplices les plus effroyables, et dans la mort même. Cest pourquoi saint Paul, près de mourir, et dune mort violente, dit : « Je me réjouis et je me conjouis pour vous tous, et vous, réjouissez-vous de même, et conjouissez-vous avec moi. » (Philip. II, 16, 17.) Qui nadmirera le zèle avec lequel ce grand apôtre exhorte toute la terre à prendre part à sa joie? Tant il croyait que cest un grand avantage de sortir bientôt de cette vie, et que la mort qui paraît si terrible na rien que daimable et de désirable à un disciple de Jésus-Christ! On pourrait prouver encore par beaucoup dautres raisons combien le joug du Sauveur est doux et léger, mais considérons maintenant combien celui du péché est dur et insupportable. Examinons ces avares qui ne rougissent point de leurs rapines et de leurs usures. Quy a-t-il de plus pénible que ce commerce infâme? combien de soins, combien dafflictions, combien de périls, combien de piéges, combien de guerres naissent tous les jours de ce désir damasser? Comme la mer nest point sans agitation, ainsi ces personnes ne sont jamais sans trouble et sans crainte. Les peines et les inquiétudes se succèdent les unes aux autres, et avant que les unes soient finies les (315) autres recommencent, et trouvant lâme déjà blessée, lui font encore de nouvelles plaies. Que si vous passez des avares aux personnes colères et insolentes, où trouverez-vous un supplice aussi grand que le leur? Combien se blessent eux-mêmes en blessant les autres, et combien est ardente cette fournaise quils allument sans cesse dans leur coeur, dont la flamme secrète et intérieure ne séteint jamais? Quy a-t-il encore de plus misérable que ceux qui sont possédés dune passion brutale et honteuse? ils vivent comme Cala, toujours dans lagitation, toujours dans la crainte; et ils sont plus touchés de la mort des personnes quils aiment criminellement, quils ne le sont de celles de leurs plus proches. Quy a-t-il aussi de plus inquiet et de plus furieux que lorgueilleux? Venez donc, venez tous à moi, dit Jésus-Christ : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes. » Car la douceur qui est humble est la mère de tous les biens. Ne craignez donc point ce joug, ne fuyez point ce fardeau, qui vous décharge de ces autres infiniment plus pesants. Soumettez-vous à ce joug de tout votre coeur, et vous reconnaîtrez combien il est doux. Il ne vous accablera point. Il vous sera un ornement plutôt quune charge. Il vous conduira dans la voie droite et royale sans tomber dans les précipices, à droite et à gauche, et il vous fera marcher avec plaisir et avec liberté dans le sentier de Jésus-Christ. Puis donc que ce joug est si doux, quil nous met dans une si grande assurance, et quil nous remplit dune joie ineffable, embrassons-le de tout notre coeur, et portons-le avec ardeur et avec zèle, afin que nous trouvions ici le repos de nos âmes, et dans le ciel les biens éternels, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui est la gloire et lempire maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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