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HOMÉLIE XXXVIJÉSUS AYANT ACHEVÉ DE DONNER CES INSTRUCTIONS A SES DOUZE DISCIPLES, IL PARTIT DE LÀ POUR SEN ALLER ENSEIGNER ET PRÊCHER DANS LES VILLES DE CETTE CONTRÉE » (CHAP. XI, 1, JUSQUAU VERSET 7.) ANALYSE 1 et 2. Jalousie des disciples de Jean contre Jésus-Christ. 3. Les prophètes savaient que le Christ mourrait sur la croix. 4. Combien il faut craindre les supplices de lenfer. Que le seul crime davoir profané le corps et le sang de Jésus-Christ par des communions sacrilèges suffit pour justifier léternité des peines.
1. Après que Jésus-Christ a donné mission à ses apôtres, il se retire, et il les laisse pour leur donner lieu dagir par eux-mêmes, et de faire ce quil leur venait de prescrire. Car sil fût demeuré toujours avec eux, personne neût voulu quitter Jésus-Christ pour sadresser aux apôtres et leur faire guérir des malades. (295) « Mais Jean ayant appris dans la prison les oeuvres merveilleuses de Jésus-Christ lui fit dire par deux de ses disciples quil lui envoya, etc. (2). » Saint Luc marque que les disciples de saint Jean rapportèrent à leur maître les miracles de Jésus-Christ, et que saint Jean les envoya le trouver. Cette circonstance néanmoins ne fait aucune difficulté, mais elle renferme seulement une grande instruction, puisquelle fait voir que les disciples de saint Jean avaient comme une secrète envie contre le Sauveur. Mais la parole qui suit est un peu plus difficile et mérite que nous nous y arrêtions davantage. « Etes-vous celui qui doit venir, ou si nous « devons en attendre un autre (3)? » Comment celui qui avait connu Jésus-Christ avant même quil fît des miracles, à qui le Saint-Esprit lavait révélé, à qui la voix du Père lavait enseigné, qui avait dit hautement devant tout le monde: « Voilà lAgneau de Dieu (Jean, I, 29), » comment, dis-je, envoie-t-il savoir maintenant si cest celui qui doit venir, ou sil en doit venir un autre? Si vous doutez que Jésus soit le Christ, comment prétendez-vous quon vous croie lorsque vous rendez témoignage dune chose que vous ignorez? Avant quun homme assure une chose, il faut quil la sache tellement, quil mérite quon ajoute foi à ce quil dit. Nest-ce pas vous qui disiez: « Je ne suis pas digne de dénouer le cordon de ses souliers?» (Luc, III, 15). Navez-vous pas dit: «Pour moi je ne vous connaissais pas; mais celui qui ma envoyé baptiser avec de leau, ma dit: « Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, cest celui qui baptise par le Saint-Esprit? » (Jean, I, 33.) Navez-vous pas vu le Saint-Esprit sous la forme dune colombe? Navez-vous pas ouï la voix du Père? (Matth. III, 17.) Ne lavez-vous pas empêché vous-même, lorsquil sest venu faire baptiser ? Ne lui avez-vous pas dit: « Cest moi qui ai besoin dêtre baptisé par vous, et vous venez à moi?» (Ibid. 44.) Navez-vous pas dit à vos disciples : « Il faut quil croisse et que je diminue?»(Jean, III, 30.) Navez-vous pas enfin témoigné devant tout le peuple que ce serai lui « qui baptiserait par le Saint-Esprit, et par le feu, » et que « cétait lui qui était lAgneau de Dieu qui portait le péché du monde? » (Ibid.) Navez-vous pas rendu ces témoignages de Jésus-Christ avant quil fît aucun miracle ? Comment donc maintenant quil sest fait connaître par tant de prodiges, que sa réputation sest répandue dans toute la Judée, quil ressuscite les morts, quil chasse les démons, quil guérit toutes sortes de maladies, comment, dis-je, envoyez-vous maintenant savoir si cest celui qui doit venir, ou si on en doit attendre un antre? Tout ce que vous nous avez dit jusquici nétait donc quun songe et une fable, ou un artifice pour nous tromper? Qui serait, mes frères, lesprit un peu raisonnable qui pût avoir cette pensée, je ne dis pas de saint Jean, qui tressaillit de joie dès le ventre de sa mère ; qui annonça Jésus-Christ avant même que de naître; qui passa toute sa vie dans le désert, et y vécut comme un ange; mais je dis même du dernier des hommes? Pourrait-il, après tant de témoignages quon lui avait rendus de Jésus-Christ ou quil en avait rendus lui-même aux autres, douter encore de ce quil était? Il est donc visible que si saint Jean sinforme ainsi de Jésus-Christ, ce nest pas quil ne sût qui il était ou quil en doutât. On ne peut pas dire quà la vérité il lavait connu avant sa prison , mais que depuis il était devenu timide, et que sa crainte lui avait fait dissimuler ce quil savait. Pouvait-il espérer sa délivrance par cette ambassade? Et quand il laurait espérée, aurait-il pu trahir la vérité, lui qui était si résolu de mourir? Sil neût été ainsi préparé à la mort, aurait-il témoigné tant de vigueur et tant de force en parlant à tout un. peuple accoutumé depuis longtemps à répandre le sang des prophètes? Aurait-il repris avec une liberté si généreuse ce tyran incestueux en présence de ses sujets, et avec aussi peu de crainte que sil eût parlé à un homme du peuple? Si sa prison lavait rendu timide, comment neût-il pas rougi au moins devant ses disciples qui étaient témoins de tout ce quil avait publié de Jésus-Christ, et comment les eût-il choisis pour cette ambassade, puisquil aurait pu en envoyer dautres, et sépargner ainsi cette honte? Car il savait fort bien quils avaient conçu de la jalousie contre Jésus-Christ, et quils auraient été ravis de trouver une occasion de le décrier. Comment naurait-il point même appréhendé la confusion de témoigner, devant tous les Juifs, quil avait quelque doute touchant Jésus-Christ, après quen leur présence il lui avait rendu des (296) témoignages si avantageux? Que pouvait-il aussi espérer de cette ambassade pour. sa délivrance? Ce nétait point sur le sujet de Jésus-Christ, ni pour lui avoir rendu témoignage, quon lavait mis en prison , mais pour avoir condamné un mariage incestueux et illégitime. Il est donc clair, quà moins davoir perdu le sens , on ne peut porter de saint Jean un jugement si peu raisonnable. Mais quel est donc le sujet de cette ambassade? Et puisquil est visible par tout ce que nous venons de dire quil ne pouvait plus rester, je ne dis pas à saint Jean, mais à la personne du monde la plus grossière, le moindre doute touchant Jésus-Christ, nous devons rechercher maintenant quel a pu être le dessein de Jean lorsquil a envoyé ses disciples vers le Sauveur. On voit clairement par lEvangile que les disciples de ce saint avaient de léloignement pour Jésus-Christ, et quils ont toujours nourri une secrète jalousie contre lui. Cette disposition paraît assez, par ce quils disent à leur maître : « Celui qui était avec vous au delà du Jourdain, à qui vous avez rendu témoignage, baptise maintenant, et tout le monde vient à lui. » (Jean, II, 30.) Il séleva aussi quelque contestation entre eux et les Juifs au sujet de la purification. (Matt. XV.) On voit encore quils vinrent dire à Jésus-Christ: Pourquoi nous et les pharisiens jeûnons-nous souvent, et que vos disciples ne jeûnent pas? » (Matth. IX, 14.) Comme ils ne savaient pas encore qui était Jésus-Christ, et quils avaient de lui une opinion fort médiocre, et une très-grande, au contraire, de saint Jean, quils regardaient comme plus quun homme, ils ne pouvaient souffrir de voir la réputation de Jésus-Christ croître de jour en jour et celle de saint Jean diminuer, selon la parole de celui-ci. 2. Cest ce qui les empêchait de croire en Jésus-Christ; leur envie était comme un mur qui leur fermait la voie pour aller à lui. Tant que saint Jean hit avec eux, il les instruisait et les exhortait continuellement, sans quil pût rien gagner sur eux; mais se voyant près de mourir, il sy appliqua avec encore plus de soin. Il craignait quil ne restât dans leurs esprits quelque semence de schisme, et quils demeurassent toujours séparés de Jésus-Christ. Cétait lunique but que ce saint homme avait eu dès le commencement, et il avait tâché dès le principe de mener tous ses disciples au Sauveur. Nayant pu jusque-là les persuader, il fait ce dernier effort, lorsquil se voit près de mourir. Sil leur eût dit: Allez trouver Jésus-Christ, parce quil est plus grand que moi, lattachement quils avaient pour saint Jean les eût empêchés de lui obéir. Ils eussent pris ces paroles comme un effet de son humilité, de sa modestie, et bien loin de les détacher de lui, elles eussent encore redoublé cette grande affection quils avaient pour lui. Que sil eût gardé le silence, ce silence ne lui aurait pas été plus avantageux. Que fait-il donc? Il veut apprendre par eux-mêmes combien Jésus-Christ fait de miracles. Il ne veut pas même les envoyer tous à Jésus. Il en choisit deux quil savait être les plus disposés à croire, afin que sacquittant de leur mission sans prévention, ils vissent eux-mêmes par des effets sensibles la différence qui était entre Jésus-Christ et lui. « Allez, » leur dit-il, « et dites-lui : Etes-vous celui qui doit venir, ou en attendons-nous un autre? » Jésus-Christ, pénétrant dans la pensée de saint Jean, ne répond point à ces deux disciples : Oui, cest moi : ce que naturellement il devait faire; mais sachant quils en auraient été blessés, il aime mieux leur faire connaître ce quil est par les miracles quil fait devant eux. Car LEvangile remarque que plusieurs malades sapprochèrent alors de lui, et quil les guérit tous. Quelle conséquence aurait-on pu tirer lorsquon lui demande sil est le Christ, et que pour toute réponse il guérit beaucoup de malades, sinon quil voulait faire entendre ce que je viens de dire? Il savait que le témoignage des oeuvres est moins suspect que celui des paroles. Jésus-Christ donc étant Dieu, et connaissant les pensées de saint Jean, qui lui envoyait ses disciples, guérit aussi beaucoup daveugles, de boiteux et dautres malades, non pas pour apprendre à saint Jean qui il était, puisquil les avait déjà, mais seulement à ses disciples qui étaient encore dans le doute. Cest pourquoi après tous ces miracles il leur dit : « Allez dire à Jean ce que vous entendez, et ce que vous voyez (4). Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les. morts ressuscitent, lEvangile est annoncé aux pauvres (5).Et bienheureux celui qui ne prendra point de moi un sujet de scandale et de chute (6).» (297) Il leur montrait par ces paroles quil pénétrait dans leurs pensées. Sil leur eût dit: Oui, cest moi, cette réponse les eût blessés, et ils eussent pu dire, au moins en eux-mêmes, ce que lui dirent les Juifs: « Vous vous rendez témoignage à vous-même. » (Jean VIII, 27.) Pour éviter cela, il ne leur dit rien de lui; il les laisse juger eux-mêmes de toutes choses par les miracles quil fait devant eux, les instruisant ainsi de la manière la plus persuasive et la moins suspecte. Il leur fait même un reproche secret par ces paroles. Sachant quils étaient scandalisés en lui, il leur découvre leurs maladies cachées, mais nen rend témoin que leur propre conscience. Il leur fait voir à eux seuls le scandale où ils tombaient à son sujet, et il tâche en les épargnant de les attirer à lui davantage: « Heureux, » leur dit-il en les désignant, « celui qui ne tirera point de moi un sujet de chute et de scandale! » Mais pour éclaircir davantage cette difficulté, il est bon quaprès vous avoir dit ma pensée, je vous rapporte aussi celles des autres, afin quen les examinant et les comparant ensemble, nous en puissions tirer quelque lumière pour le discernement de la vérité. Il y en a qui soutiennent que saint Jean na pas envoyé cette ambassade au Sauveur pour la raison que nous venons de dire. Ils prétendent que saint Jean doutait en effet, non pas absolument si Jésus était le Christ, mais sil devait mourir pour les hommes, et que cest pour cette raison quil fait dire à Jésus-Christ: « Etes-vous celui qui doit venir? » cest-à-dire êtes-vous celui qui doit descendre dans les enfers pour en retirer les captifs? Mais ce sentiment est sans apparence, parce que saint Jean ne pouvait pas même ignorer ce quon dit quil ignorait, puisquil lavait prêché lui-même et quil avait dit : « Voilà lAgneau de Dieu qui porte le péché du monde. » Il lappelle « lagneau » pour marquer quil devait être immolé sur la croix; et il dit la même chose par ces autres paroles: «Cest lui qui ôte le péché du monde, » puisquil ne devait ôter le péché du monde quen mourant sur une croix. Cest ce que saint Paul déclare, lorsquil dit que Jésus-Christ a effacé « la cédule qui nous était contraire, et quil la entièrement abolie en la clouant à sa croix. » (Coloss. II, 14.) De plus saint Jean nous assurant que ce serait lui qui baptiserait par le Saint-Esprit, prédit comme prophète ce qui devait suivre la résurrection du Sauveur. 3. Il est vrai, réplique-t-on, que saint Jean savait que Jésus-Christ ressusciterait et quil donnerait le Saint-Esprit; mais il ne savait pas quil serait crucifié. Et moi je demande comment Jésus-Christ pouvait-il ressusciter sans être mort et sans avoir été crucifié? Comment saint Jean, qui était le plus grand de tous les prophètes, aurait-il ignoré ce que tous les autres prophètes avaient su et prédit de Jésus-Christ? Car on ne peut douter que saint Jean nait été le plus grand de tous les prophètes, puisque Jésus-Christ le dit lui-même; et on voit partout que les prophètes ont su et prédit la croix et la passion du Sauveur. (Matt. XI, 9.) « Il a été mené comme un agneau à la boucherie, » dit Isaïe, « et il se taira comme une brebis qui nouvre pas la bouche devant celui qui la tond. » (Is. LIII, 7.) Et il avait dit auparavant : « Il sortira une tige de Jessé doù naîtra Celui qui doit régner sur les Gentils, et les Gentils mettront en lui leur espérance. (Ibid. XI, 1.) Et marquant ensuite les souffrances et la gloire de la passion, il ajoute: « Le sépulcre où il reposera sera en honneur. » Isaïe ne prédit pas seulement que le Christ serait crucifié, mais il. marque ceux mêmes qui seraient compagnons de son supplice : « Il a été mis au nombre des scélérats. (Ibid.) Il prédit encore quil ne se défendrait pas : « Il nouvrira pas sa bouche, » et fait voir linjustice de ceux qui le condamneraient en ajoutant: « On lui a prononcé son arrêt dans son humilité. » (Ibid.) David avait prédit avant lui ces mêmes choses : « Pourquoi, » dit-il , « les nations se sont-elles assemblées en tumulte, et pourquoi les peuples ont-ils formé de vains projets? Pourquoi les rois de la terre et les princes se sont-ils élevés ensemble et ont-ils conspiré contre le Seigneur et contre son Christ?»(Ps. II, 1.) Il marque ailleurs la croix en particulier, lorsquil dit : « Ils ont percé mes pieds et mes mains. », (Ps. XXI, 17.) Et il décrit même exactement lattentat des soldats : « Ils ont partagé entre eux mes vêtements et ils ont jeté le sort sur ma robe. » (Ibid.) Il noublie pas même ailleurs de marquer le vinaigre quon lui présenta: « Ils mont donné pour mets du fiel très amer et lorsque jai eu soif, ils mont donné du vinaigre à boire. » (Ps. LXVIII.) Ainsi après (298) que les prophètes ont décrit si longtemps auparavant le jugement et la condamnation de ceux qui seraient crucifiés avec le Sauveur, le partage de ses vêtements, le sort quon, jetterait sur sa robe et plusieurs autres particularités semblables que je ne rapporte point de peur dêtre long, qui pourrait croire que le plus grand des prophètes aurait ignoré ces choses? Ce sentiment ne se soutient donc pas. Dailleurs si telle eût été la pensée de saint Jean, pourquoi ne disait-il pas clairement à Jésus-Christ : Etes-vous celui qui doit venir aux enfers, et non pas simplement « Etes-vous celui qui doit venir? » Ils ajoutent encore à cela quelque chose de bien plus ridicule, savoir, que saint Jean lui faisait cette question, afin dy annoncer sa venue prochaine. Ne peut-on pas dire à ces personnes ces paroles de saint Paul : « Mes frères, nayez point un esprit denfants ; mais soyez sans malice comme des enfants et ayez un esprit dhommes. » (I Cor. XIV, 17.) La vie présente est le temps auquel il faut penser à soi. On ne trouve plus à la mort que le jugement de Dieu et le supplice des coupables. David dit: « Qui vous confessera dans lenfer? » (Ps. VI, 5.) Comment donc, me direz-vous, Jésus-Christ « a-t-il brisé les portes dairain? comment a-t-il rompu les gonds de fer (Ps. C, 17), » comme il est dit dans le psaume? Je vous réponds que ce fut par la vertu de son corps. Car on vit alors, pour la première fois, un corps immortel vaincre la mort et détruire sa domination et sa tyrannie. Ce que prouvent ces paroles de lEcriture, cest que Jésus-Christ fut alors le vainqueur de la mort, mais non pas quil délivra de leurs péchés. ceux qui étaient morts avant sa venue au monde. Que si ce que je dis nétait pas, et sil était vrai que Jésus-Christ eût délivré de lenfer tous ceux qui y étaient auparavant, comment aurait-il dit lui-même : « Le peuple de Sodome et de Gomorrhe sera traité plus doucement alors? »(Luc, X, 12.) Il ne dit pas quils ne seront point punis alors, mais quils seront moins punis. Il suppose donc que ceux qui auront été punis comme ceux de Sodome, le seront encore éternellement. Que si ceux qui auront été châtiés si sévèrement dès ce monde ne laissent pas de lêtre dans lautre ; combien plus le seront ceux qui nauront point été punis de leurs crimes dans cette vie ? Vous me direz, peut-être, que la manière dont ceux qui sont morts avant Jésus-Christ, ont été traités, ne paraît pas juste. Si, leur punition est juste. Car ils pouvaient se sauver sans confesser Jésus-Christ. Dieu nexigeait point cela deux, mais seulement quils séloignassent de lidolâtrie, et quils adorassent le vrai Dieu : « Le Seigneur votre Dieu est seul Dieu. » Cest pourquoi nous admirons les Macchabées qui aimèrent mieux souffrir de si grands tourments que de trahir leur loi. Nous admirons encore ces trois enfants de la fournaise et beaucoup dautres dentre les Juifs qui vécurent sans reproche et qui conservèrent inviolablement cette connaissance quils avaient de Dieu, sans quon exigeât deux rien de plus. Car, comme jai déjà dit, il suffisait alors de connaître un seul Dieu. Mais il nen est plus ainsi maintenant. Il faut joindre à cette foi la connaissance de Jésus-Christ. Cest pourquoi il dit lui-même: « Si je nétais point venu et si je ne leur avais point parlé, ils nauraient point de péché; mais ils nont plus maintenant dexcuse de leur péché. » (Jean, XV, 22.) Nous sommes de même obligés de vivre plus saintement, et dêtre plus réglés dans les moeurs que nétaient les Juifs. Les Juifs étaient condamnés à mort quand ils avaient tué un homme, et un chrétien est condamné, lors seulement quil se met en colère contre un autre homme. On punissait alors celui qui commettait un adultère, et on punit maintenant jusquaux regards impudiques. Comme les connaissances sont devenues plus grandes dans la loi nouvelle, la morale aussi est devenue plus pure et plus parfaite que dans la loi ancienne. Nous voyons donc par tout ce que jai dit que Jésus-Christ navait pas besoin de précurseur dans les enfers. Car si les incrédules pouvaient se convertir après leur mort et croire en Dieu, personne ne périrait jamais, puisque tous se repentiront un jour et adoreront Jésus-Christ selon cette parole: « Toute langue confessera que Jésus-Christ est le Seigneur, et tout genou fléchira devant lui dans le ciel, sur la terre et dans les enfers. » (Phil. II, 14.) Et ailleurs: « La mort sera le dernier ennemi que Jésus-Christ détruira. » (I Cor. V, 11.) Mais toutes ces adorations seront alors très-inutiles, parce quelles ne viendront point dune humiliation volontaire, mais dune reconnaissance forcée. (299) 4. Eloignons de nous, mes frères, ces opinions puériles et ces fables judaïques. Ecoutons plutôt ce que dit saint Paul : « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront aussi sans la loi (Rom. II, 12) , » ce quil dit de ceux qui lont précédée; « et tous ceux qui ont péché dans la loi seront jugés par la loi, » ce quil dit de tous ceux qui sont venus après Moïse. « Car Dieu, » dit le même apôtre, « découvre du ciel sa colère et sa vengeance contre toute limpiété et linjustice des hommes. Laffliction et le désespoir accablera tout homme qui fait le mal, le juif premièrement, et puis le gentil. » Les histoires saintes et profanes nous font assez voir selon cette parole de saint Paul, combien les gentils dans tous les siècles ont souffert de maux. Car qui peut dire ce quont enduré les Babyloniens ou les Egyptiens? Et pour faire voir que ceux qui ont précédé Jésus-Christ, et qui sans lavoir pu connaître ont fui lidolâtrie et adoré le vrai Dieu en réglant leurs moeurs selon la justice, seront comblés de tous biens, il ne faut que considérer ce que dit saint Paul : « La gloire, lhonneur, la paix à tout homme qui fait le bien, au juif premièrement, et au gentil. » (Ibid.) Ainsi vous voyez clairement par tout ce que nous venons de dire, que Dieu récompense toujours les bons, comme il punit toujours les méchants. Où sont donc ceux qui croient quil ny a point denfer? Si ceux qui ont précédé lavènement de Jésus-Christ, qui nont jamais entendu parler de lenfer ni de la résurrection, et qui ont souffert de si grands maux en ce monde, ne laissent pas dêtre encore punis après cette vie, que deviendrons-nous nous autres, après avoir reçu de Dieu des connaissances si saintes et si relevées? Mais comment se peut-on persuader, me direz-vous, que ceux qui nont jamais entendu parler de lenfer durant leur vie y tombent après leur mort? Ne pourraient-ils pas dire à Dieu : Si vous nous aviez menacé de ces flammes éternelles, nous les aurions appréhendées, et nous aurions mieux vécu? Et moi je vous dis sur cela, mes frères, que ces personnes auraient donc été bien plus sages que nous puisque nous entendons à tout moment parler de lenfer, sans y faire la moindre réflexion et sans en devenir meilleurs. Mais sans marrêter à cela, ne peut-on pas dire que celui qui nest point retenu par les peines quil voit tous les jours dans ce monde le serait bien moins par tout ce quon pourrait lui dire de celles de lautre? Car les choses présentes touchent beaucoup plus les hommes grossiers et charnels que celles quils ne voient pas, et qui ne leur doivent arriver que longtemps après. Vous me direz, peut être: Si nous avons aujourdhui tant de sujets de crainte, que nont pas eu ceux qui ont précédé Jésus-Christ? Dieu les a-t-il traités avec toute la justice quil serait à souhaiter? Oui, mes frères, la conduite de Dieu est très-juste. Car nos obligations sont beaucoup plus grandes que nont été les leurs, Il était donc bien raisonnable que ceux qui étaient chargés de plus de préceptes, fussent aussi soutenus dun plus grand secours. Cest ce que Dieu a fait en augmentant notre crainte. Que si nous avons lavantage de mieux connaître lavenir que ceux qui ont précédé Jésus-Christ, ils ont eu eux aussi leur avantage sur nous: cest davoir vu dès ce monde des châtiments épouvantables qui les retenaient dans le devoir. Il y en a encore qui nous disent: Où est la justice de Dieu de punir et sur la terre et dans lenfer ceux qui nont péché que sur la terre? Voulez-vous bien rue permettre de vous répondre à cela par vous-mêmes, et que sans me mettre en peine de chercher dautres raisons, je vous prie seulement de vous rendre attentifs à ce que vous pensez, et à ce que vous dites tous les jours? Jai souvent ouï plusieurs dentre vous se plaindre, lorsquils voyaient conduire un voleur au supplice et dire hautement : Quoi ! ce scélérat a tué cent hommes durant sa vie, et il ne mourra quune fois? Où est la justice? Vous avouez vous-mêmes quune mort ne suffit pas à ce voleur pour le punir selon la justice : pourquoi donc jugez-vous autrement en cette rencontre, sinon parce quil sagit de vous-mêmes? Tant il est vrai que lamour-propre couvre lâme de ténèbres, et lempêche de voir ce qui est juste. Ainsi quand nous jugeons les autres, nous voyons clairement tout ce quil faut voir: mais quand nous nous jugeons nous - mêmes, nous sommes aveugles. Si nous tenions la balance aussi droite, lors. que nous examinons ce qui nous touche, que ce qui se passe dans les autres, nous jugerions de nous-mêmes selon léquité. Car combien avons-nous commis de crimes, qui ne méritent pas une ou deux, mais dix mille morts? (300) Souvenons-nous seulement, pour ne rien dire de tout le reste, combien de fois nous avons participé indignement aux saints mystères, et cependant selon saint Paul nous nous sommes rendus autant de fois coupables du corps et du sang de Jésus-Christ. Quand donc vous parlez avec tant dardeur contre les homicides, pensez à vous en même temps. Ce meurtrier a tué un homme, et vous vous êtes rendu coupable de la mort dun Dieu. Ce voleur, lorsquil a commis ses crimes, était banni de nos saints mystères; mais vous avez commis les vôtres, lorsque vous aviez lavantage dapprocher de cette table sacrée. Que dirai-je encore de ceux qui dévorent leurs frères, en quelque sorte, qui déchirent leur réputation et linfectent du venin de leur langue? Que dirai-je de ceux qui ravissent le pain du pauvre? Si celui qui ne donne pas laumône tue le pauvre, combien est plus meurtrier celui qui lui ravit son sang et sa vie? Nest-il pas vrai encore que les avares sont plus cruels que les voleurs, et que les usuriers sont plus barbares que les meurtriers et les violateurs des sépulcres? Com bien en voyons-nous à qui il ne suffit pas davoir pillé le bien des autres, mais qui sont encore altérés de leur sang? Non, non, dites-vous, personne nest assez cruel pour cela : Vous le dites maintenant; mais dites-le, lorsque vous aurez un ennemi. Dites-vous alors ces paroles à vous-mêmes, et arrêtez votre colère pour ne pas tomber dans le malheur de Sodome et de Gomorrhe, et pour ne pas vous exposer aux supplices de Tyr et Sidon; ou plutôt pour ne point offenser Jésus-Christ, ce qui est encore bien plus horrible. Car quoique plusieurs regardent lenfer comme le plus grand de tous les maux, je ne cesserai jamais néanmoins de publier et de soutenir que cest un mal sans comparaison plus grand, de voir Jésus-Christ irrité contre nous, que dêtre condamné au feu de lenfer. Et je vous conjure, mes frères, dentrer avec nous dans cette pensée, parce que cest le moyen déviter lenfer et de mériter la gloire de Jésus-Christ, par la grâce et la miséricorde de ce même Sauveur, à qui est la gloire et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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