Matthieu 6,1- 16
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HOMELIE XIX

« PRENEZ BIEN GARDE DE NE FAIRE PAS VOS AUMÔNES DEVANT LES HOMMES POUR EN ÊTRE REGARDÉS. » (CHAP. VI, 1, JUSQU’AU VERSET 16)

ANALYSE

1. Que la vaine gloire assaillit même les bons. — Définition de la vraie aumône.

2. Dommage que porte l’ostentation.

3. C’est de l’élan de l’âme et non de la multiplicité des paroles que la prière a besoin.

4. A qui prie la persévérance est nécessaire. — Ils sont tous également nobles ceux qui peuvent appeler Dieu leur père.

5. La vertu ne dépend pas seulement de notre volonté mais aussi de la grâce d’En-Haut.

6. Il nous sera pardonné dans la mesure que nous aurons pardonné nous-mêmes.

7. Soyons les fils de Dieu, non-seulement par la grâce mais encore par les oeuvres. — Dieu nous aime plus qu’un père et une mère.

8. et 9. Que sous nous devons tenir très heureux de pouvoir obtenir le pardon de nos péchés, en pardonnant à ceux qui nous ont offensés.

 

1. Jésus-Christ attaque ici la passion de toutes la plus violente, cet amour furieux de la vaine gloire, qui tourmente ceux qui sont délivrés des autres vices. Il n’en a rien dit d’abord, parce que cela était superflu avant que de nous avoir montré nos devoirs et la manière de nous en bien acquitter. Mais après nous avoir inspiré l’amour de la plus haute vertu, il a soin de combattre cette passion qui l’attaque d’ordinaire et qui en est l’ennemie la plus mortelle. Car cette maladie ne naît pas tout d’abord et comme au hasard dans nos âmes, mais seulement après que nous avons fait beaucoup d’oeuvres saintes. C’est donc avec grande raison que Jésus-Christ établit premièrement et plante en quelque sorte dans le coeur les racines de la vertu la plus-pure et qu’il entreprend ensuite de la défendre de cette vapeur contagieuse, qui en corrompt les fruits les plus excellents.

Il commence par l’aumône, par la prière et par le jeûne, parce que c’est dans ces exercices (157) de vertu, que la vanité d’ordinaire se plaît davantage. C’était de cela que le pharisien s’enorgueillissait : « Je jeûne, » dit-il, « deux fois la semaine et je donne la dîme de tout ce que je possède.» (Luc, XVIII, 15.) Il tirait même vanité de sa prière, puisqu’il ne la faisait que par ostentation. Comme il n’y avait là personne excepté le publicain, il indiquait celui-ci et disait: « Je ne suis pas comme le reste des hommes, ni comme ce publicain. »

Mais considérez comment Jésus-Christ, en commençant à parler de cette passion, en parle comme d’un serpent subtil et dangereux, capable de surprendre ceux qui ne s’appliquent pas avec grand soin à veiller sur eux-mêmes.

« Prenez garde, » dit-il, « de ne pas faire votre aumône devant les hommes pour en être regardés (1).» C’est ainsi que saint Paul parle au peuple de Philippes: « Prenez garde aux chiens. » (Philip. III, 4.) Cette bête cruelle entre dans l’âme sans se faire sentir et elle infecte toutes les vertus qu’elle y trouve, par un poison secret et imperceptible.

Nous avons vu par ce qui précède comment il a parlé au long de l’aumône et qu’il y a exhorté les hommes par l’exemple de Dieu même, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Après leur avoir persuadé d’aimer à donner et de le faire avec une grande effusion de coeur, il veut prévenir tout ce qui pourrait corrompre cette vertu , lorsqu’elle fleurit dans le coeur, comme un olivier beau et fertile. « Prenez bien garde, » dit-il, « que vous ne fassiez votre aumône devant les hommes. » Il dit « votre aumône, » parce que l’autre, dont il est parlé auparavant, est comme l’aumône de Dieu. Mais après avoir dit : « Ne faites point votre aumône devant les hommes, » il ajoute aussitôt, « pour en être regardés. » Il semble que cela était enfermé dans ce qu’il venait de dire. Mais celui qui examinera ces paroles, verra bien que ce second avis est différent du premier et que Jésus-Christ y témoigne une grande tendresse envers nous et un admirable soin de tout ce qui nous regarde. Car un homme peut faire l’aumône devant les hommes, sans avoir dessein d’en être vu, et au contraire une personne qui la fera en secret, peut souhaiter quelquefois d’être vue des hommes. C’est pourquoi le Seigneur ne considère pas simplement l’action, mais il discerne la volonté; et c’est elle qu’il punit ou qu’il récompense. Si Jésus-Christ n’eût point marqué si exactement cette circonstance, ce commandement eût pu servir de prétexte à plusieurs, pour se refroidir dans leurs aumônes, parce qu’on ne peut pas toujours les faire dans le secret. C’est pourquoi il ne vous impose point cette nécessité et il vous assure que ce n’est point l’action extérieure, mais l’intention secrète, qu’il jugera digne de punition ou de récompense. Vous auriez dit peut-être en vous-même : Pourquoi suis-je coupable de ce qu’un autre me voit quand je fais l’aumône? Mais je vous réponds encore : Il ne vous demande point le secret de l’action, mais la droiture de la volonté et la pureté de l’intention. Car Dieu veut guérir votre âme par votre aumône et la délivrer de ses maladies.

Mais après qu’il a défendu de rien faire par vanité, qu’il a montré combien cette passion serait pernicieuse, comme ce serait travailler inutilement et perdre tout le fruit des bonnes oeuvres, il relève ensuite les pensées des auditeurs, en leur parlant de son Père et du ciel, pour ne pas les toucher par la seule crainte de ce qu’ils peuvent perdre, mais pour les encourager encore par le souvenir de Celui qui les a créés.

« Autrement vous ne recevrez point la récompense de votre Père qui est dans le « ciel (1). » Il ne s’arrête pas là, mais il va plus loin et se sert de plusieurs moyens pour dé. tourner de la vaine gloire. Comme il leur a proposé auparavant les publicains elles païens pour confondre par cette comparaison ceux qui les imiteraient, il leur propose ici de même les hypocrites.

« Lors donc que vous ferez l’aumône ne faites point sonner la trompette devant vous, «comme le font les hypocrites dans les synagogues et dans les places publiques, pour être honorés des hommes. Je vous dis en vérité que déjà ils ont reçu leur récompense (2). » Je ne parle pas de la sorte pour marquer qu’en effet ces personnes sonnent de la trompette en donnant l’aumône, mais pour montrer seulement la passion furieuse qu’ils avaient d’être vus des hommes, se moquant d’eux par cette expression figurée. Et c’est avec grande raison qu’il les appelle « hypocrites, » puisqu’ils sont charitables en apparence, mais cruels et inhumains dans le coeur. Car ils ne donnent pas l’aumône par une sincère compassion de leur prochain, mais par (158) un désir de s’acquérir de la gloire. Et n’est-ce pas une cruauté extrême, lorsque votre. frère meurt de faim, de penser à vous procurer de l’estime et non à le soulager dans ses maux? Ainsi la vertu de l’aumône ne consiste pas simplement à donner, mais à donner de la manière et pour la. fin que Dieu nous commande.

2. Après qu’il a blâmé la vanité des hypocrites, jusqu’à faire rougir ceux de ses auditeurs qui en étaient coupables, il apporte maintenant le remède à une âme frappée de ce mal, et, après avoir dit ce qu’il faut éviter en faisant l’aumône, il dit ensuite ce qu’il faut y observer.

« Mais lorsque vous ferez l’aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main-droite (3).» Il ne parle point encore ici de la main du corps, mais il se sert de cette expression, comme s’il disait: Il faudrait, si cela se pouvait faire, que vous ignorassiez vous-même ce que vous faites, et que vos propres mains dont vous vous servez pour faire vos bonnes oeuvres ne les sussent pas. Il n’entend pas par ce mot de main gauche, comme pensent quelques-uns, que nous ne devons nous cacher que des personnes injustes. Dieu étend ce commandement du secret à l’égard de toutes sortes de personnes.

Considérez maintenant quelle est la récompense qu’il promet. Comme il a fait voir le châtiment à encourir par l’ostentation, il montre maintenant la récompense à mériter par la modestie, double considération dont il se sert pour exciter plus puissamment et pour conduire à des préceptes plus relevés. Car il nous invite à ne pas perdre de vue que Dieu est présent partout; que nos biens ou nos maux ne se terminent pas à cette vie; que nous devons eu sortant de ce monde être présentés à un tribunal terrible, où nous rendrons un compte exact de toutes nos actions, pour en recevoir ou la peine, ou la récompense; enfin qu’aucune chose grande ou petite n’est cachée aux yeux de ce juge, si bien cachée soit-elle à ceux des hommes. C’est ce que Jésus-Christ insinue en ces termes :

« Afin que votre aumône se fasse en secret, et votre Père qui voit ce qui est de plus secret, vous en rendra lui-même la récompense devant tout le monde (4). » Il semble qu’il expose l’homme sur un grand et magnifique théâtre, et qu’il lui donne ce qu’il désirait, avec une magnificence qu’il n’aurait osé espérer. Car que prétendez-vous? lui dit-il. N’est-ce pas d’avoir quelques témoins de vos bonnes oeuvres? Et vous aurez pour témoins non les anges et les archanges, mais Dieu même. Que si vous souhaitez que les hommes en soient spectateurs, je ne vous priverai pas même de cette satisfaction, lorsque le temps en sera venu, et ce que je vous donnerai passera. tous vos souhaits. Si vous vouliez faire paraître ici vos bonnes oeuvres, vous le feriez peut-être à l’égard de dix, ou de vingt, ou de cent personnes; mais si vous avez soin de les cacher, Dieu lui-même les découvrira en présence de toute la terre. C’est pourquoi, si vous avez tant de désir que les hommes connaissent vos bonnes actions, cachez-les ici un peu de temps, et ils les verront un jour avec plus d’éclat, lorsque Dieu les fera paraître, qu’il les louera, et qu’il les exposera aux yeux de tout l’univers. Ceux qui s’aperçoivent ici que vous voulez être vu, vous blâment comme un homme vain. Mais quand ils vous verront un jour couronné de gloire, non seulement ils ne vous blâmeront pas, mais ils vous admireront. Puis donc que vous pouvez, en différant un peu de temps, recevoir une plus grande récompense, et vous acquérir une gloire pins solide; quel aveuglement serait-ce de perdre par votre précipitation, l’un et l’autre, et de souhaiter. que les hommes soient spectateurs du bien que vous faites, sans vous contenter qu’il soit vu de Dieu seul, de qui vous en attendez le prix et la récompense? Que si nous souhaitons d’avoir quelque témoin de nos actions, qui devons-nous choisir plutôt que notre Père qui est dans le ciel, puisque lui seul a le pouvoir de nous couronner ou de nous punir? Mais quand même notre vanité ne nous devrait pas coûter la perte de notre salut, il serait néanmoins indigne de celui qui est jaloux de la gloire, d’aimer mieux avoir pour témoins de ses actions les yeux des hommes que ceux de Dieu. Car qui serait assez fou dans le monde, pour ne pas se contenter qu’un roi fût spectateur d’une action héroïque qu’il aurait faite, mais qui souhaiterait d’être regardé alors, et d’être loué par les plus méprisables de tous les hommes? C’est pourquoi Jésus-Christ ne nous défend pas seulement de ne point aimer à faire voir nos bonnes oeuvres, mais il nous commande même de les cacher. Car il y a bien de la différence entre ces deux choses, et c’est (159) bien moins de n’affecter point de faire paraître ses bonnes oeuvres, que de s’étudier même à les tenir secrètes.

« Ainsi lorsque vous priez, ne faites point comme les hypocrites qui affectent de prier en se tenant debout dans les synagogues et dans les coins des rues, afin qu’ils soient vus des hommes : Je vous dis en vérité que déjà ils ont reçu leur récompense (5). »

« Mais vous, lorsque vous priez, entrez en un « lieu retiré de votre maison, et fermant la porte, priez votre Père en secret (6). » Jésus-Christ appelle encore ces personnes hypocrites, et très justement, puisque, feignant de prier Dieu, ils ne font que regarder les hommes autour d’eux, et qu’ils ressemblent moins à des suppliants qu’à des comédiens. Car celui qui prie vraiment Dieu, quitte tout le reste, et n’est attentif qu’à Celui qui a le pouvoir de lui accorder sa demande. Que si vous le quittez pour porter ailleurs votre attention et vos regards, et partout à la ronde, vous vous en retournerez les mains vides, c’est-à-dire avec ce que vous avec demandé. C’est pourquoi Jésus-Christ ne dit pas que ces personnes ne recevront point leur récompense, mais qu’ils l’ont déjà reçue; c’est-à-dire qu’ils l’ont reçue des hommes, et qu’ils ont trouvé ce qu’ils désiraient. Ce n’était pas là le dessein de Dieu. Il voulait nous donner lui-même la récompense de notre prière. Mais lorsqu’on la prétend d’ailleurs, on ne mérite pas de rien recevoir de lui, puisqu’on n’attend rien de lui. Qui n’admirera la bonté de Dieu, qui promet de nous récompenser, même de ce que nous lui avons demandé ses grâces?

3. Après avoir blâmé ceux qui abusent de la prière, en leur reprochant le lieu qu’ils affectent et leur intention corrompue, et fait voir qu’ils sont plus dignes d’être moqués que d’être exaucés, il enseigne ensuite une excellente manière de prier, à laquelle il attache une grande récompense: « Entrez, dit-il, dans un « lieu retiré de votre maison. » Vous me direz peut-être, ne faut-il point prier dans l’église? Oui, il le faut, mais dans la même disposition de coeur que si vous étiez en un lieu secret. Car Dieu considère toujours le but et la fin qu’on se propose, puisque quand vous entreriez dans le lieu le plus retiré de votre logis, et que vous fermeriez la porte sur vous, si vous le faisiez par vanité, toute cette retraite ne vous servirait de rien. C’est donc avec grande sagesse que Jésus-Christ ajoute ce mot, « afin qu’ils soient vus des hommes. » Quoique vous preniez soin de fermer la porte de votre cabinet, il veut que vous en preniez encore plus de fermer celle de votre coeur et de votre intention. Car on doit toujours combattre et rejeter la vaine gloire, mais particulièrement en priant. Que si lors même que nous sommes exempts de cette passion, nous ne laissons pas d’être égarés et distraits dans nos prières; que sera-ce si nous y apportons une intention si corrompue? Comment nous écouterons-nous nous-mêmes? Et si nous, qui prions et qui sommes dans le besoin, ne nous écoutons pas dans la prière, comment voulons-nous que Dieu nous écoute? Cependant, après tant de menaces que Jésus-.Christ fait ici, il se trouve des personnes qui ont si peu de honte et de retenue dans~les prières, que, si elles sont cachées de corps, elles tâchent de se faire entendre de tout le monde par des exclamations, des soupirs et un fatras de paroles qui les rendent la risée des autres. Un homme trouverait mao. vais qu’on vînt en pleine rue le prier de la sorte, et il repousserait celui qui le ferait. Lorsqu’au contraire quelqu’un prie modestement et comme il convient, tous ceux qui peuvent lui donner sont plus portés à le faire,

Apportons donc à la prière, non la posture du corps, ru les cris de la bouche, mais la ferveur de l’esprit et le cri du coeur. Ne faisons point un bruit qui nous fasse remarquer, ni qui incommode nos frères; mais prions modestement, avec un coeur brisé, devant Dieu, et des larmes répandues en sa présence. Que si vous me dites que vous ne pouvez retenir vos cris dans la douleur dont vous êtes saisi; Je vous réponds que rien n’est plus propre à ceux qui sont touchés de douleur que de prier de la manière que je viens de dire. Moïse, percé de douleur, priait en silence, et Dieu entendit le cri de son coeur, lorsqu’il lui dit: « Pourquoi criez-vous vers moi? » (Exod. XX, 13.) Anne, mère de Samuel (I Rois, I, 12), pria de même sans qu’on entendît sa voix; et il obtint de Dieu tout ce qu’elle voulait, parce que son coeur criait vers lui. Abel aussi criait devant Dieu, non seulement dans son silence, mais même étant mort (Gen. IV, 13), et sou sang élevait au ciel une voix plus puissante et plus forte que le bruit des trompettes. Criez vous-même comme ces saints et je ne vous en empêcherai pas. « Déchirez votre coeur,» comme (160) dit le Prophète, « et non pas vos vêtements. u (Joét, me) « Criez au Seigneur, comme David (Ps. CXXIV), « de la profondeur » où vous vous trouvez, du fond de votre coeur, et faites que rotre oraison soit une chose secrète, et soit un m~st ère. Ne voyez-vous pas que devant les rois tout est en silence, et que tout tumulte cesse? Vous entrez ici dans un palais bien plus terrible que ceux des rois de la terre, dans le palais du roi du ciel, gardez-y donc une parfaite modestie. Vous avez part au choeur des anges; vous entrez en société avec les archanges et vous joignez vos chants à ceux des séraphins mêmes. Ces habitants du ciel témoignent une frayeur modeste, et offrent à Dieu, avec crainte et tremblement, des hymnes saints et des concerts ineffables. Mêlez-vous avec eux lorsque vous priez, et tâchez d’imiter leur retenue et leur modestie toute céleste. Car ce n’est pas un homme que vous priez, mais Dieu qui est présent partout, qui vous entend avant même que vous lui parliez et qui voit ànu tous les secrets de votre coeur. Si vous priez de la sorte, vous en recevrez une grande récompense.

« Et votre Père qui voit ce qu’il y a de plus secret, vous en rendra la récompense devant tout le monde (6).» Il ne dit pas, vous donnera, mais «vous rendra. » Car il veut bien se rendre votre débiteur et c’est un grand honneur qu’il vous fait. Mais comme il est invisible lui-même, il veut aussi que votre prière soit secrète et invisible; il marque ensuite la manière dont nous devons prier.

« Ne soyez pas grands parleurs dans vos prières comme font les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils obtiendront ce qu’ils demandent (7). » Lorsqu’il a parlé de l’aumône, il s’est contenté d’en retrancher la vanité sans spécifier de quoi il faut faire l’aumône, c’est-à-dire d’un bien acquis par un juste travail, et non pas par l’avarice ou par les rapines. Cela était si clair que personne n’en pouvait douter, et il l’avait déjà assez marqué lorsqu’il appelait « bienheureux ceux qui auraient faim et soif de la justice. » Mais lorsqu’il parle de l’oraison, il ajoute quelque chose de plus en retranchant le trop de paroles. En parlant de la vanité des aumônes, il avait rapporté l’exemple des hypocrites, il rapporte ici celui des païens, afin de confondre partout ses auditeurs par la bassesse des personnes avec qui il les compare. Il se sert de ce moyen pour nous corriger, parce qu’il n’y a presque rien qui nous touche plus que lorsqu’on nous compare à des personnes méprisables.

Jésus-Christ appelle ici « grands discours » toutes les demandes que nous lui faisons, qui ne nous sont pas utiles, les dignités, les honneurs, l’avantage sur nos ennemis, l’abondance des richesses, et en un mot tout ce qui ne nous sert pas pour notre salut.

« C’est pourquoi ne vous rendez pas semblables à eux; parce que votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez (8).»

4. Il me semble encore que par là il défend tes longues prières. Mais j’appelle longues prières celles qui le sont, non par le temps, mais par la multitude des paroles. Car il est bon de persévérer longtemps à demander à Dieu une même chose. «Soyez assidus à l’oraison (Coloss. IV, 14),» dit saint Paul. Et lorsque Jésus-Christ nous propose l’exemple de cette veuve qui fléchit par l’assiduité de ses prières la dureté d’un juge cruel et impitoyable, et celui d’un homme qui vient trouver son ami au milieu de la nuit, et qui obtient de lui non tant par amitié que par importunité qu’il se lève, et qu’il lui donne ce qu’il lui demande; il ne nous ordonne autre chose que de nous présenter continuellement devant lui, non pour lui offrir une prière longue et étendue en paroles, mais pour lui exposer simplement notre besoin. C’est ce qu’il exprime cri disant que « les païens s’imaginent qu’à force de paroles ils obtiendront ce qu’ils demandent. C’est pourquoi, » ajoute-t-il, « ne vous rendez pas semblables à eux, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » S’il sait ce dont nous avons besoin, dites-vous, pourquoi le lui demander? Ce n’est pas pour l’en instruire, mais pour le toucher; afin que vous acquériez avec lui une divine familiarité par le commerce continuel que vous avez avec lui dans vos prières; afin que vous vous humiliiez devant lui, et que vous vous souveniez souvent de vos péchés.

« Voici donc comme vous prierez : Notre Père qui êtes dans les cieux (9).» Voyez comment il relève d’abord les esprits, et rappelle en notre mémoire toutes les grâces que nous avons reçues de Dieu. En nous apprenant à appeler Dieu « notre Père, » Il marque en même temps (161) par ce seul mot la délivrance des supplices éternels, la justification des âmes, la sanctification, la rédemption, l’adoption au nombre des enfants de Dieu, l’héritage de sa gloire qui nous est promis, l’association à son Fils unique; et enfin l’effusion de son saint Esprit. Car il est impossible à celui qui n’a pas reçu tous ces biens, d’appeler avec vérité Dieu « son Père. » II nous attire donc à. Dieu par deux considérations très puissantes par la majesté de celui que nous invoquons, et par la grandeur des dons que nous en avons reçus. Quand il dit que « Dieu est dans les cieux, » ce n’est pas comme pour le berner et l’y renfermer; mais pour retirer de la terre l’esprit de celui qui prie et pour l’attacher au ciel.

Il nous apprend encore à faire nos prières en commun pour tous nos frères. Car il ne dit pas: Mon père « qui êtes dans les cieux; » mais « notre père, » afin que notre oraison soit généralement pour tout le corps de l’Eglise, et que chacun ne regarde point son intérêt particulier, mais celui de tous. Il bannit aussi par là toutes les aversions, et les inimitiés; il réprime l’orgueil, il chasse l’envie, et il introduit dans les âmes la charité, cette mère divine de tous les biens. Il détruit encore toutes les inégalités et les différences de conditions et d’états, et il égale admirablement le pauvre avec le riche, et le sujet avec le prince; puisque nous nous trouvons tous unis dans les choses les plus importantes et les plus nécessaires, qui sont celles du salut.

En quoi peut donc nous nuire la bassesse de notre naissance selon la chair, puisqu’une autre naissance nous unit tous, sans que l’un ait aucun avantage sur l’autre: ni le riche sur le pauvre; ni le maître sur le serviteur; ni le magistrat sur le particulier; ni le roi sur le soldat; ni le philosophe sur le barbare; ni le plus savant sur le plus simple et le plus ignorant? Car Dieu rend tous les hommes également nobles, lorsqu’il veut bien s’appeler également le père de tous.

Après donc qu’il a représenté à ses disciples cette noblesse et la grandeur de ce don de Dieu; l’égalité qui doit régner entre eux, et la charité qu’ils doivent avoir les uns pour les autres; après qu’il les a relevés de la terre pour les attacher au ciel, voyons ce qu’il leur ordonne de demander. Il est vrai que les premières paroles de cette prière semblaient devoir suffire pour le leur apprendre. Car il est bien juste que celui qui appelle Dieu « son Père, » et un père commun à tous, vive de telle sorte qu’il ne paraisse pas indigne d’une qualité si haute, et qu’il corresponde à l’excellence de ce don par la sainteté de sa vie. Mais Jésus-Christ ne s’arrête pas là, et il ajoute :

« Que votre nom soit sanctifié(9). » C’est une prière digne d’un homme qui vient d’appeler Dieu son Père, de n’avoir rien tant à coeur que la gloire de ce Père, et de mépriser toutes les autres choses en comparaison de celle-là. Car ce mot « soit sanctifié, » veut dire, soit glorifié. Dieu a sa gloire qui est toujours pleine, toujours infinie, et qui demeure toujours la même. Et il commande néanmoins à celui qui le prie de vouloir qu’il soit encore honoré par là sainteté de notre vie. C’est ce qu’il avait déjà dit en ces termes : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans le ciel. » (Matth. V, 15.) Quand les séraphins louent Dieu, ils ne disent que ces paroles : «Saint; saint, saint. » C’est pourquoi ce mot : « Que votre nom soit sanctifié, » veut dire, qu’il soit glorifié. Daignez, s’il vous plaît, disons-nous à Dieu, régler et purifier notre vie de telle sorte, que tout le monde vous glorifie en nous voyant. C’est là la perfection d’un chrétien d’être si irréprochable dans toutes ses actions, que chacun de ceux qui le voient en rende à Dieu la gloire qui lui est due.

5. « Que votre règne arrive (10).» C’est encore là la prière d’un véritable enfant de Dieu, de ne point s’attacher aux choses visibles, et de ne point estimer les biens présents ; mais de nous soupirer toujours vers son Père, et de désirer les biens à venir. C’est là l’effet d’une bonne conscience, et d’une âme dégagée de la terre. C’était le souhait continuel de saint Paul. C’était ce qui lui faisait dire : « Nous qui avons reçu les prémices de l’Esprit, nous soupirons et nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’effet de l’adoption divine, c’est-à-dire la rédemption et la délivrance de notre corps.» (Rom. VIII, 43.) Celui qui est brûlé de ce désir ne peut plus s’enfler des avantages de ce monde, ni s’abattre dans ses maux, mais comme s’il était déjà dans le ciel, il n’est plus sujet à l’une et l’autre de ces deux inégalités si différentes.

« Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel (40). » Il y a une admirable (162) suite dans ces paroles. Il nous commande bien de désirer les biens futurs, et de tendre toujours au ciel : mais il veut de plus qu’en attendant cet avenir, nous imitions même sur la terre, la vie des anges dans le ciel. Vous devez, nous dit-il, désirer le ciel et les biens que je vous y prépare; mais je vous commande cependant de faire de la terre un ciel, et d’y vivre, d’y parler et d’y agir comme si vous étiez déjà dans le ciel. C’est cette grâce que vous devez me demander. Quoique vous soyez sur la terre, vous devez néanmoins tâcher de vivre comme ces puissances célestes, puisque vous pouvez tout ensemble être ici-bas, et vivre comme elles. Voici donc ce que nous marquent ces paroles de Jésus-Christ. Comme les anges dans le ciel obéissent librement et toujours avec la même ferveur, comme ils ne sont point inconstants, obéissant dans une occasion et n’obéissant point dans l’autre; mais qu’ils se soumettent toujours et demeurent parfaitement assujettis, parce qu’ils sont «puissants en vertu,» dit le Prophète, « pour accomplir les ordres de Dieu (Ps. CII, 20) ;» faites-nous cette même grâce à nous autres hommes, de ne point faire votre volonté en partie, mais de l’accomplir entièrement en toutes choses.

Considérez aussi comment Jésus-Christ nous apprend à être humbles, en nous faisant voir que notre vertu ne dépend pas de notre seul travail, mais de la grâce de Dieu. Il ordonne encore ici à chaque fidèle qui prie de le faire généralement pour toute la terre. Car il ne dit pas: « Que votre volonté soit faite » en moi ou en nous, mais « sur toute la terre; » afin que l’erreur en soit bannie; que la vérité y règne; que le vice y soit détruit; que la vertu y refleurisse; et que la terre ne soit plus différente du ciel. Car si Dieu était ainsi obéi dans le monde, quoique les habitants du ciel soient bien différents de ceux de la terre, la terre néanmoins deviendrait un ciel, et les hommes seraient des anges, parce qu’ils vivraient comme les anges.

«Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour (11). » Comme il vient de dire : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme « au ciel, » et qu’il parlait à des hommes environnés d’une chair fragile, sujets à diverses nécessités, et incapables de jouir encore de l’impassibilité des anges, il veut bien nous commander d’accomplir la volonté de Dieu, aussi parfaitement que les anges, mais il condescend en même temps à la faiblesse de notre nature : J’exige de vous, dit-il, la vertu de mes anges, mais non leur impassibilité. La fragilité de votre nature en est incapable, et elle a nécessairement besoin d’une nourriture qui la soutienne.

Mais remarquez combien il veut en nous de spiritualité même dans ce qui regarde le corps. Car il ne nous commande point de lui demander des richesses, ou des plaisirs, ou des habits précieux, ou rien de semblable, mais seulement du pain, et le pain dont nous avons besoin le jour où nous vivons, sans nous mettre en peine du lendemain : « Donnez-nous, » dit-il, « notre pain de chaque jour. » Et non content de cela, il ajoute encore : « Donnez-nous aujourd’hui,» afin d’exclure entièrement de nos esprits le soin et l’embarras du jour suivant. Car pourquoi vous tourmenter du soin d’un jour que vous n’êtes pas assuré de voir? Aussi il s’étend plus au long sur ce sujet dans la suite : « Ne vous mettez point en peine du lendemain,» dit-il. Car il veut que nous soyons toujours ceints pour le voyage, et tout prêts à prendre notre essor vers le ciel, ne donnant au corps que ce que la nécessité commande.

Mais parce qu’un chrétien ne devient pas impeccable par le baptême, Jésus-Christ nous témoigne encore ici sa tendresse, en nous prescrivant cette prière pour fléchir la bonté de Dieu, et pour lui demander le pardon de vos péchés.

« Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent (12).» Considérez jusqu’où va l’excès de l’amour que Dieu porte aux hommes. Il croit encore dignes du pardon ceux qui l’offensent après avoir été délivrés de tant de maux., et après avoir reçu des grâces si ineffables. Car c’est pour les fidèles que cette prière est faite, comme la coutume de l’Eglise nous le montre, et le premier mot même de cette oraison, puisqu’une personne qui n’est pas encore baptisée ne peut pas appeler Dieu son « Père.» Si donc cette prière est pour les fidèles, et s’ils demandent à Dieu le pardon de leurs péchés, il est visible que Dieu ne nous refuse pas, même après le baptême, le remède de la pénitence. S’il n’avait voulu nous persuader cette vérité, il ne nous aurait pas prescrit cette prière. Mais en parlant des péchés, et en nous commandant d’en demander le pardon; en nous apprenant le moyen (163) de l’obtenir par cette voie facile, qui consiste à remettre afin qu’on nous remette; il est clair qu’il a voulu nous montrer par là que les péchés peuvent encore être effacés après le baptême, et que c’est pour nous le persuader qu’il nous commande de prier de cette manière. Ainsi en nous faisant souvenir de nos péchés, il nous inspire des sentiments d’humilité. En nous commandant de pardonner aux autres, il efface de notre esprit le souvenir des injures. En nous promettant de nous pardonner nos fautes, il relève nos espérances. Et en nous rendant les imitateurs de sa douceur et de sa bonté ineffable, il nous élève jusqu’au comble de la sagesse.

Mais voici qui est extrêmement remarquable: puisqu’il avait renfermé dans chacune de ces demandes toute la perfection chrétienne, il y avait compris par conséquent l’obligation de pardonner les injures. Comme en effet l’abrégé de toute la vertu est dans cette parole : «Votre nom soit sanctifié; » ou dans cette autre : « Que votre volonté soit faite sur la terre, comme elle l’est dans le ciel; » ou dans cette faveur qu’il nous donne d’appeler Dieu «notre Père, » on peut dire que toutes ces vertus renferment aussi la nécessité d’oublier les injures que nous avons reçues de nos frères. Et cependant il ne se contente pas de cette recommandation implicite, et pour montrer combien il avait à coeur ce précepte, il en fait un article exprès de la prière qu’il nous prescrit, et quand il l’a achevée, il n’en répète aucun autre que celui-là seul, en nous assurant : « Que si nous ne pardonnons point aux hommes les péchés qu’ils ont commis contre nous, notre Père céleste ne nous pardonnera point aussi les nôtres. »

Ainsi Dieu fait dépendre de nous notre fin, et nous rend maîtres de l’arrêt qu’il doit prononcer un jour. Car afin que, quelque déraisonnable que vous soyez, vous ne puissiez vous plaindre en quoi que ce soit du jugement que Dieu doit prononcer, il veut que vous, qui êtes le coupable, soyez néanmoins le maître de votre sentence. Comme vous aurez jugé de vous, ainsi en jugerai-je moi-même, et si vous pardonnez à un homme comme vous, je vous promets de vous pardonner. Et néanmoins Dieu égale en cela deux choses bien inégales. Car vous pardonnez, parce que vous avez besoin qu’on vous pardonne; mais Dieu fait grâce sans avoir besoin de rien. Vous pardonnez comme serviteur à celui qui est ce que vous êtes; mais Dieu pardonne comme un maître à son esclave. Vous faites grâce, parce que vous êtes chargé de péchés; Dieu fait grâce, étant la sainteté même, incapable de la moindre faute.

Mais il y a encore ici une grande preuve de sa bonté. Car il pouvait absolument vous pardonner vos péchés; mais en ne le faisant qu’à proportion que vous pardonnez aux autres, il vous fait naître mille occasions d’exercer la douceur et la charité. Il vous donne lieu d’éteindre votre colère, et d’étouffer dans votre coeur tout ce qui y pourrait être de brutal et d’inhumain, et il vous apprend à vous unir très étroite. ment avec vos frères, qui font avec vous partie du même corps.

Après cela de quelle excuse vous couvrirez-vous? Direz-vous que votre frère vous a mal. traité sans sujet? C’est ce qu’on suppose, puis. qu’on vous commande de lui pardonner. S’il y avait de la justice dans ce qu’il a fait, il n’y aurait plus de péché. C’est donc son injustice, c’est son péché qu’on vous exhorte de lui pardonner, comme c’est pour des péchés semblables, et pour beaucoup d’autres encore plus grands, que vous demandez à Dieu qu’il vous pardonne. Mais avant même qu’il vous accorde le pardon, il vous fait grâce, en vous commandant de le demander de la sorte, et en vous apprenant ainsi à être doux et charitable envers vos frères. Et de plus il vous promet après cela une grande récompense, en vous assurant qu’il ne vous demandera plus compte d’aucun de vos péchés.

De quel supplice donc serons-nous dignes, si après que Dieu a mis ainsi notre salut en notre pouvoir, nous nous trahissons nous-mêmes, et nous nous perdons volontairement? Comment osons-nous demander à Dieu, qu’il soit doux et indulgent envers nous, puisque dans une chose qui dépend de nous, nous sommes si cruels et si inhumains envers nous-mêmes?

« Et ne nous laissez point succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal, parce qu’à vous appartient la royauté, la puissance et la gloire, dans tous les siècles, Amen (13).» Rien de plus propre à nous faire voir notre bassesse et à rabattre notre présomption que ces paroles qui nous enseignent à ne pas fuir les combats, mais aussi à ne pas nous y jeter de nous-mêmes, C’est ainsi et qu’il nous sera plus glorieux (164) de vaincre, et plus honteux au démon d’être vaincu. Car lorsque nous sommes forcés de combattre, il faut le faire avec fermeté et avec vigueur: mais quand nous n’y sommes point appelés, il faut nous tenir en repos, et attendre le temps du combat, afin de montrer tout ensemble de l’humilité et du courage. Il entend par ce mot, « du mal, » qui signifie aussi « du méchant, » le malin esprit, et il nous exhorte à avoir contre lui une inimitié irréconciliable. Il nous apprend aussi qu’il n’est pas méchant par sa nature. Car la malice n’est pas naturelle à la créature, mais elle vient du choix de la volonté. Jésus-Christ l’appelle absolument « le méchant, » parce qu’il l’est au suprême de gré; et comme, sans avoir jamais reçu de nous la moindre injure, iI nous fait une guerre qui ne connaît pas de trêve, le Seigneur nous fait dire non pas: « Délivrez-nous des méchants, »mais « du méchant; » afin de nous commander de n’avoir point d’aigreur contre nos frères dans les maux que nous en souffrons, mais de tourner toute notre haine sur cet esprit de malice, l’auteur et le principe véritable de tous les maux.

Après nous avoir excités au combat par le souvenir de cet ennemi, et exhortés à fuir la tiédeur et la paresse, il nous encourage de nouveau, et relève nos esprits en nous représentant quel est le roi que nous servons, et nous faisant voir qu’il est lui seul plus puissant que tous: «Car à vous appartient la  royauté, la puissance et la gloire. » Si donc la royauté appartient à Dieu, il ne faut rien craindre, puisqu’il n’y a personne qui soit capable de lui résister, et qui puisse lui ravir son pouvoir suprême. Lorsqu’il dit, « la royauté est à vous, » il fait voir que cet ennemi même qui nous attaque, lui est soumis, et que s’il nous fait la guerre, ce n’est que parce que Dieu le souffre. Il est du nombre de ses esclaves, quoique déjà condamné et réprouvé par lui, et quelque furieux qu’il soit, il n’oserait attaquer un homme, s’il n’en avait reçu le pouvoir de Dieu. Que dis-je, qu’il n’oserait attaquer un homme? Il n’osa pas même autrefois entrer dans des pourceaux, sans en avoir reçu auparavant la permission de Jésus-Christ; comme il n’osa non plus toucher aux boeufs et aux brebis du saint homme Job, qu’après que Dieu même lui en eut donné le pouvoir. Quand vous seriez donc mille fois plus faible que vous n’êtes, si vous êtes juste, vous devez avoir toute confiance, ayant un si grand roi, un roi qui peut faire par vous tout ce qu’il lui plaît.

7. « A vous appartient la gloire dans tous les siècles. Amen. » Dieu ne vous délivre pas seulement de vos maux, il peut encore vous donner la gloire. Comme sa puissance est infinie, sa gloire est ineffable, et l’une et l’autre s’étendront dans tous les siècles. Vous voyez combien de choses il nous propose pour nous exciter à combattre, et pour nous inspirer la fermeté et la confiance.

Et pour montrer ensuite, comme je vous l’ai déjà dit, qu’il ne hait rien tant que le souvenir des injures, et qu’il n’aime rien tant que la douceur et la modération qui lui est opposée; après qu’il a achevé cette prière, il reprend cet article, et il nous exhorte, et par la peine dont il nous menace si nous ne le pratiquons, et par la récompense qu’il nous promet, si nous avons soin d’y obéir.

« Car si vous pardonnez aux hommes, votre  Père céleste vous pardonnera aussi (14).  Mais si vous ne leur pardonnez point, votre Père ne vous pardonnera point (15). » Il parle encore d’un « Père » et d’un « Père céleste, » afin de nous faire rougir de honte, si, ayant un tel Père, nous devenions durs et inhumains comme les bêtes, et si, appelés au ciel, nous n’avions que des pensées basses et terrestres. Ce n’est pas assez d’être enfants de Dieu par la grâce qu’il nous a faite, il faut l’être encore par nos actions. Rien ne nous rend si semblables à Dieu, que la douceur et la charité que nous témoignons envers ceux qui nous outragent avec le plus de malice et de violence. C’est ce qu’il a marqué lui-même, lorsqu’il a dit que Dieu « fait lever son  soleil sur les bons et sur les méchants. » C’est pour ce sujet qu’il est indiqué dans tous les articles de cette prière qu’elle doit se faire en commun. « Notre Père, » dit-il, « que votre nom soit sanctifié; que votre royaume arrive; que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel. Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour, et remettez-nous nos dettes; ne nous laissez point succomber à la tentation, et délivrez-nous du mal. » Il veut que nous parlions toujours en commun pour nous apprendre que nous devons être toujours parfaitement unis, sans qu’il nous reste la moindre trace d’animosité ou d’aversion contre notre frère.

Quel supplice donc mériteront ceux qui, (165) après ces préceptes de Jésus-Christ, non seulement ne pardonnent point à leurs ennemis, mais osent même prier Dieu de les en venger, et qui ne craignent pas de combattre sa loi sainte, et ce soin qu’il nous témoigne en tant de manières de prévenir toutes nos divisions, et tout ce qui peut mettre dans nos esprits quelque semence d’aversion ou de haine. Comme il sait que la charité est la racine de tous les biens, il veut retrancher de nous tout ce qui pourrait l’altérer en quelque manière, afin que nous demeurions parfaitement unis, en nous réunissant tous ensemble, comme membres d’un même corps. Car il n’y a personne, non, je le dis encore une fois, il n’y a personne sur la terre, sans excepter père,. mère, ou quelque autre ami que ce soit, qui nous aime autant que Dieu nous a aimés. Il n’en faut point d’autre preuve que les grâces qu’il nous fait tous les jours, et les commandements qu’il nous prescrit.

Que s’il vous semble que es maladies, les misères publiques, et les autres maux dont Dieu nous afflige dans cette vie, ne s’accordent pas avec cette affection si tendre qu’il a pour nous; considérez combien vous l’offensez fous les jours, et vous ne vous étonnerez plus, quand vous en souffririez encore davantage. Vous serez surpris, au contraire, lorsque vous recevrez quelque bien. Mais pour nous, nous nous arrêtons à considérer les différents maux que nous souffrons, et nous ne considérons jamais cette multitude de fautes que nous commettons de jour en jour. De là vient que nous tombons dans la tristesse, et que nous nous abattons aisément.

Que si nous voulions compter exactement, seulement durant un jour, les péchés que nous commettons, nous reconnaîtrions aussitôt que nous mériterions de souffrir encore beaucoup plus que nous ne souffrons. Je ne m’arrêterai pas aux péchés que chacun de vous peut avoir jusqu’ici commis; je ne veux que vous représenter ceux de ce jour. Je ne sais pas en détail tout ce qui se passe chez, vous, cependant le nombre de nos fautes est. si grand, que ceux qui ne les peuvent toutes comprendre, peuvent au moins en connaître une partie par ce que je vais vous dire. Car qui de nous n’a pas été négligent dans ses prières? qui n’a point eu de vanité? qui ne s’est point enorgueilli? qui n’a point médit de son frère? qui n’a point eu de mauvais désir? qui n’a point jeté un regard trop libre? qui n’a point senti quelque émotion et quelque trouble en se souvenant de son ennemi.

Si jusque dans l’église et durant si peu de temps, nous nous sommes rendus coupables de tant de maux, que deviendrons-nous quand nous en serons sortis? Si nous ressentons tant d’orages dans le port, lorsque nous rentrerons au milieu de la mer, je veux dire au milieu du monde et des affaires de ce siècle, comment pourrons-nous nous reconnaître nous-mêmes? Cependant Dieu nous a donné un moyen bien court et bien facile pour nous délivrer de ce poids effroyable de tant de péchés. Car quelle peine, y a-t-il de pardonner à celui qui vous a offensé? Il y a de la peine à nourrir de l’aversion dans son coeur, mais il n’y en a point à pardonner., Car en étouffant notre colère, nous assurons la paix de notre âme, et notre volonté seule suffit pour cela. Il ne faut ni passer les mers, ni faire de longs voyages, ni traverser les montagnes, ni dépenser notre bien, ni lasser notre corps. Il suffit de vouloir, et tout le mal que notre ennemi nous a fait est effacé.

8. Mais si, au lieu de lui pardonner, vous vous adressez à Dieu afin qu’il vous venge de lui, quelle espérance vous restera-t-il de votre salut, puisque tors même que vous devriez fléchir la colère de Dieu, vous l’irritez davantage, et qu’ayant l’apparence d’un suppliant, vous vous expliquez par des paroles qui seraient plus dignes d’une bête farouche que d’un homme, et qui sont comme autant de flèches mortelles que vous donnez au démon, afin qu’il s’en serve pour percer votre âme? C’est pourquoi saint Paul, parlant de la prière, ne recommande rien tant que de pratiquer ce précepte : « Levez au ciel vos mains pures, »dit-il, « sans colère et sans dispute. » (I Thess. II, 5.) Car si, lors même que vous avez besoin de miséricorde, bien loin d’étouffer votre colère, votas en nourrissez le ressentiment, quoi. que ce soit alors vous mettre vous-même le poignard dans le sein: quand pourrez-vous prendre des sentiments plus doux, et quand rejetterez-vous de votre coeur cette humeur maligne qui vous empoisonne et qui vous tue?

Que si vous ne comprenez pas encore la grandeur de ce péché, jugez-en par ce qui se passe parmi les hommes, et vous reconnaîtrez alors combien grand est l’outrage que vous osez faire à Dieu. Bien que vous ne soyez (167) qu’un homme, si quelqu’un venait vous demander pardon, et qu’apercevant son ennemi, lorsqu’il serait à vos pieds, il se levât et vous quittât tout à coup pour aller le tuer, n’est-il pas certain qu’il vous irriterait encore davantage par cette satisfaction si offensante? Jugez par là de ce qui se passe entre Dieu et vous. Vous offrez à Dieu votre prière, vous vous abaissez devant lui, et après cela vous le quittez soudain, pour attaquer votre ennemi par des imprécations sanglantes. Ce n’est pas là prier Pieu, c’est le déshonorer. Vous invoquez contre celui qui vous a offensé Celui qui vous commande de lui pardonner, et vous le priez de faire le contraire de ce qu’il vous ordonne. une vous suffit pas de violer la loi de Dieu; mais pour augmenter votre supplice, vous le priez encore de la violer lui-même. Croyez-vous qu’il ait oublié ce qu’il ordonne? Est-ce avec un homme que vous traitez, qui peut quelquefois manquer de mémoire, ou avec un Dieu qui sait tout, et qui veut qu’on garde ses lois très exactement? Aussi est-il si éloigné de taire ce que vous lui demandez, qu’il ne peut souffrir seulement la demande que vous lui faites, qu’il vous a en horreur, et qu’il vous destine déjà au dernier supplice. Comment donc prétendez-vous obtenir de lui ce qu’il vous commande de fuir avec tant de soin?

Cependant il y a des personnes si insensées, que non seulement elles prient Dieu contre leurs ennemis, niais encore contre les enfants de leurs ennemis, et que dans la fureur qui les possède, elles voudraient les dévorer si cela leur était possible; ou plutôt elles les dévorent en effet. Et ne me dites point que vous n’avez point déchiré avec les dents la chair de ces personnes. Vous les avez déchirées encore plus cruellement par les désirs de votre coeur, lorsque vous avez conjuré Dieu de faire tomber sur elles toute sa colère, que vous avez souhaité qu’elles fussent damnées éternellement, et que toute leur famille pérît avec elles. Quelles plaies sont aussi cruelles? quels traits sont aussi envenimés que ces désirs?

Ce n’est pas là ce que Jésus-Christ vous a appris. Il ne vous a point enseigné à ensanglanter ainsi votre bouche. Vous êtes plus horrible aux yeux de Dieu par ces prières détestables, que vous ne le seriez aux yeux des hommes si vous aviez la bouche pleine du sang et de la chair de vos ennemis. Comment donnerez-vous en cet état le baiser de paix à vos frères? Comment approcherez-vous, du sacrifice? comment pourrez-vous boire le sang de Jésus-Christ ayant le coeur si plein de poison? Quand vous dites : Mon Dieu, étendez ,votre malédiction sur mon ennemi, renversez toute sa famille, qu’il périsse avec tout ce qui est à lui, et que vous lui souhaitez ainsi mille morts, en quoi êtes-vous différent d’un assassin et d’un meurtrier, ou plutôt des bêtes les plus farouches?

9. Bannissons de nous, mes frères, cette fureur et cette manie. Témoignons envers ceux qui nous offensent la, douceur que Jésus-Christ nous commande, afin que nous soyons semblables à notre Père qui est dans les cieux. Nous le serons si nous rappelons en notre mémoire tous les péchés de notre vie, si nous examinons avec soin combien nous offensons Dieu, soit dans notre maison, soit dehors, soit dans les lieux publics ou dans les églises. Quand nous n’aurions point fait d’autre mal, la seule négligence que nous témoignons en ce lieu si saint suffirait pour nous rendre dignes du dernier supplice. Les prophètes font retentir ici leurs divins oracles; tes apôtres nous prêchent, Dieu nous parle lui-même, et notre esprit cependant s’échappe et s’égare, et s’occupe des soins et des affaires du monde.

Nous n’écoutons pas dans l’église la loi de Dieu avec autant de silence et de retenue, que ceux qui assistent aux théâtres, en témoignent pour les édits de l’empereur. Les consuls alors, les sénateurs, les magistrats, et tout le peuple, se lèvent et se tiennent debout pour écouter ce qui se lit avec un profond respect. Si quelqu’un osait faire du bruit et élever sa voix dans ce grand silence, on punirait ce crime de mort, comme étant commis contre la majesté du prince. Et ici lorsqu’on lit publiquement les lettres que Dieu nous écrit du ciel, tout est en tumulte et on n’entend que du bruit de tons côtés. Cependant Celui qui nous écrit ces lettres est bien plus grand que l’empereur; et cette assemblée où on les lit est bien plus auguste que celle de vos théâtres. Il n’y a que des hommes dans ces assemblées; mais celle-ci, les anges s’y trouvent avec les hommes. De plus les prix qui sont promis par ces décrets du ciel à ceux qui seront vainqueurs, sont sans comparaison plus grands que ne sont toutes ces vaines récompenses d’ici-bas.

C’est pourquoi non seulement les hommes, mais les anges, les archanges, tous les chœurs (167) du ciel, et tous les peuples de la terre, doivent rendre ici leur commun hommage à leur commun roi, selon ce commandement exprès que nous en fait l’Ecriture: « Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes ses ouvrages. » (Daniel, III, 30.) Car tous ses ouvrages sont admirables. Ils sont élevés au-dessus de la raison, et l’esprit humain ne les peut comprendre. Les prophètes nous les annoncent tous les jours, et chacun d’eux en relève différemment l’excellence et la grandeur. L’un dit: « Dieu montant en haut a emmené avec lui la captivité même captive, il a fait des dons aux hommes (Ps. XVII, 49);» et: « Le Seigneur est puissant, Dieu est fort dans les armées. »(Ps. XXIII, 8.) L’autre dit : « Il divisera les dépouilles des puissants, parce qu’il est venu pour annoncer aux captifs leur délivrance, et pour rendre la vue aux aveugles. » (Isaïe, XIII, 12.) Un autre chantant la gloire que Dieu a remportée sur la mort, s’écrie: « O mort, où est ta victoire? ô enfer, où est ton aiguillon? »(Osée, XIII, 14.) Un autre prédisant la paix profonde qui régnerait dans le monde dit: « On « brisera les épées pour les employer au fer « des charrues, et on changera les lances en «faux. » (Isaïe, II, 4.) Un autre parlant a Jérusalem lui dit : « Tressaillez de joie, fille de Sion fille de Jérusalem, annoncez partout que votre roi vient vous voir et vous témoigner sa douceur, qu’il est assis sur une ânesse et sur un ânon. » (Zachar. IX, 9.) Un autre prédit son avènement, et dit : « Le Seigneur que vous cherchez viendra, et qui pourra soutenir le jour de son avènement? Tressaillez de joie et bondissez comme de jeunes veaux qu’on a déliés. » (Joël II,2.) Un autre encore s’écrie sur le même sujet avec admiration : « C’est là notre Dieu et il n’y en a point d’autre qu’on puisse lui comparer. »(Deut. IV, 35.) Cependant lorsque nous entendons tant de merveilles, au lieu de trembler dans ce lieu saint, et de croire que nous sommes plutôt dans le ciel que sur la terre, nous faisons du bruit comme si nous étions dans un marché. Nous remplissons de tumulte le temple de Dieu, et nous y passons une grande partie du temps à parler de folies et de bagatelles.

Lors donc que nous sommes si négligents et en public et en particulier, et dans I’Eglise même, et à écouter la parole de Dieu, et dans toutes nos actions grandes ou petites; et que de plus nous faisons tant d’imprécations contre nos ennemis, comment espérons-nous de nous sauver, puisque nous ajoutons à tant de crimes des prières encore plus criminelles? Après cela devons-nous nous étonner s’il nous arrive quelque malheur; et ne serait-ce pas plutôt une merveille s’il ne nous en arrivait pas? Le premier effet semble naturel et ordinaire; et le second est contraire à la raison. Car il serait tout à fait injuste, qu’étant ennemis de Dieu, et l’irritant continuellement, nous jouissions de son soleil, de ses pluies et de tous ses autres biens qui découlent de lui comme de leur source : puisque n’ayant que l’apparence d’hommes, nous sommes en effet plus cruels que les bêtes les plus sauvages; puisque nous nous déchirons les uns les autres et que nous trempons notre langue dans le sang de nos frères. Et cela après avoir mangé avec eux à la table divine et spirituelle; après avoir reçu tant de grâces pour cette vie, et tant de promesses pour être éternellement heureux en l’autre.

Pensons, mes frères, à ces vérités si importantes. Rejetons de nos âmes ce poison mortel, brisons ces chaînes de la haine et de la colère, offrons à Dieu des prières dignes de lui et de nous; et au lieu d’être cruels comme les démons, devenons doux et charitables comme les anges. De quelque manière qu’on nous ait outragés, que le souvenir de nos péchés, et la récompense que Jésus-Christ joint à ce précepte de pardonner aux autres, adoucisse notre esprit, et arrête tous les mouvements de notre colère, afin qu’ayant toujours conservé la pair dans notre coeur pendant cette vie, Dieu nous traite dans l’autre avec autant de bonté, que nous en aurons témoignée envers nos frères. Si ce tribunal d’un Dieu nous épouvante, rendons-le-nous favorable en pardonnant à nos ennemis, et ouvrons-nous maintenant la porte de sa miséricorde, pour paraître alors devant lui avec confiance. Si nous n’avons pu mériter cette grâce en ne péchant point, nous l’obtiendrons, en pardonnant à ceux qui auront péché contre nous. Cette condition est sans doute très avantageuse pour nous, et elle ne nous sera point pénible. Faisons du bien à nos ennemis, et nous amasserons un trésor de miséricorde. Ainsi nous serons aimés non-seulement des hommes, mais de Dieu même, qui nous couronnera enfin, et nous fera jouir des biens éternels que je vous souhaite, par la (168) grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il

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