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HOMELIE XLI« JÉSUS CONNAISSANT LEURS PENSÉES LEUR DIT : TOUT ROYAUME DIVISÉ CONTRE LUI-MÊME SERA RUINÉ ; ET TOUTE VILLE OU TOUTE MAISON DIVISÉE CONTRE ELLE-MÊME NE POURRA SUBSISTER. QUE SI SATAN CHASSE SATAN, IL EST DIVISÉ CONTRE LUI-MÊME. COMMENT DONC SON ROYAUME SUBSISTERA-T-IL ? » (CHAP. XII, 25, 26, JUSQUAU VERSET 33.) ANALYSE 1. Jésus-Christ en révélant les secrètes pensées des coeurs, prouve sa divinité. 2. Jésus-Christ daigne se justifier devant les Juifs qui le calomniaient en disant quil chassait le démon par le démon.- En quel sens le blasphème contre le Saint-Esprit nest point remis. 3. et 4. Quil faut se représenter tous ses péchés pour en concevoir un vif regret Quil faut faire attention aux péchés intérieurs, non moins quaux autres. Quon doit guérir les plaies de lâme par les vertus qui leur sont opposées.
1. Les Juifs avaient déjà dit de Jésus-Christ quil chassait les démons au nom de Béelzébub. Jésus-Christ ne les en avait pas repris. Il sétait contenté de leur faire connaître sa puissance par la multitude de ses miracles et par la sainteté de sa doctrine. Mais voyant quils continuent à tenir les mêmes propos, il se croit enfin obligé de leur répondre. Il commence par leur faire connaître sa divinité, en déclarant publiquement ce quils avaient dans le coeur, et en délivrant en leur présence les possédés avec une facilité toute-puissante. Quelque imprudente et absurde que fût cette calomnie, parce que, comme jai dit, lenvie ne se met pas en peine de ce quelle dit pourvu quelle dise une injure, néanmoins Jésus-Christ ne néglige pas dy répondre. Il le fait avec une douceur et une modération digne de lui, voulant nous apprendre à être doux à légard même de nos ennemis, quand ils publieraient de nous des choses dont nous ne nous sentons point coupables, et qui nont pas la moindre vraisemblance. Il veut que nous ne nous troublions point alors, mais que nous leur rendions raison de notre conduite avec beaucoup de douceur et de patience. Cest ce quil pratiqué lui-même en cette rencontre, afin que sa modestie fût même la conviction de leur fausseté, puisquun homme possédé du démon naurait pu être ni assez éclairé pour pénétrer dans le fond des coeurs, ni assez humble pour leur répondre si modérément. La pensée quils avaient de lui était trop effroyable pour oser la publier devant le peuple, mais ils sen entretenaient en eux-mêmes. Jésus-Christ veut leur faire connaître quil voyait à nu tout ce quils pensaient, et, sans publier leurs calomnies, ni découvrir leur, malice, il se contente de répondre au mouvement de leur coeur, laissant ensuite à leur conscience à leur reprocher, lexcès de leur propre malice. Car lunique but du Sauveur était de convertir les pécheurs, et non pas de les confondre. Rien ne lempêchait, sil leût voulu, de les convaincre par ses raisons, de les rendre ridicules et de punir leur impiété très-sévèrement. Mais il ne veut pas le faire. Il oublie ses intérêts pour ne sappliquer quà les guérir de leur prévention haineuse et à les rendre plus doux et plus susceptibles de conversion. Mais comment se détend-il? Il ne leur oppose point lEcriture, parce quils négligeaient eux-mêmes de sy appliquer, et quils la corrompaient par de faux sens. Il se sert de raisons communes et dexemples qui arrivent tous les jours. « Tout royaume, » dit-il, « qui « est divisé contre lui-même sera ruiné; et toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne pourra subsister (25). » On (328) sait assez que les guerres domestiques et civiles sont bien plus dangereuses que le étrangères il en est de même pour nos corps et généralement pour toutes choses. Il aime mieux d abord leur rapporter deux exemple plus communs, et quils pouvaient mieux connaître. Car quy a-t-il sur la terre de plus fort quun puissant royaume ? Cependant, si la division sy mêle, il se détruit aisément. Que si lon dit quun royaume ne se détruit si aisément, lorsquil se divise, que parce que son étendue et la multitude des parties qui le composent, contribuent beaucoup à sa ruine, Jésus-Christ montre que la division fait le même effet dans une seule ville, et même dans une maison particulière. Il est donc clair que tout ce qui subsiste, quil soit grand ou petit, périt lorsqu'il se divise. Si donc, dit Jésus-Christ, je chasse tes démons parce que je suis possédé d'un démon, n'est-il pas évident que les démons se combattent, qu'ils sont opposés les uns aux autres, et qu'ainsi leur puissance, étant divisée contre elle-même, ne pourra plus subsister? « Si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même. Comment donc son royaume subsistera-t il (26)? » Il ne dit pas si Satan chasse les démons mais « si Satan chasse Satan, » afin de faire mieux voir lunion qui est entre eux «Il est divisé contre lui-même ». S'il est divisé il est affaibli et ruine, et sil est affaibli et ruine, comment pourra-t-il chasser les autres? Voyez donc combien cette accusation des Juifs est ridicule, combien elle est extravagante, et comme elle se combat et se détruit elle- même Car c'est assurément bien mal raisonner de reconnaître que le règne des démons subsiste, lorsque les démons chassent les démons, et de prétendre qu'en se combattant de la sorte, ils établissent leur règne, au lieu que cette division même serait la destruction de leur règne. Voila la première réponse que Jésus-Christ fait à leurs accusations. Lautre est celle quil tire de ses disciples et des miracles qu ils faisaient sur les possédés. Car Jésus-Christ ne se contente pas de réfuter leurs objections impertinentes par une seule raison. Il leur en oppose plusieurs pour confondre davantage leur impudence. Cest ainsi quil a détruit cette vaine accusation de la. violation du sabbat, non seulement en produisant l'exemple du roi David, mais encore en rapportant la conduite ordinaire des prêtres, puis cet endroit de lEcriture, où Dieu dit: Je veux la miséricorde et non pas le sacrifice, » en ajoutant enfin que l'institution du sabbat avait été faite pour lhomme même. Il réfute ici de même cette objection par une seconde raison plus claire que la première en disant : 2. « Si donc je chasse les démons par la vertu de Béelzébub, par qui vos enfants les chassent-ils (27)? » Considérez, mes frères, combien il est doux encore et modéré dans cette réponse. Il ne dit pas, mes disciples ou mes apôtres, mais « vos enfants, et il leur donne ainsi le moyen de se rendre dignes de la même grâce quavaient reçue ceux qui étaient Juifs comme eux ; mais sils voulaient au contraire demeurer toujours dans leur ingratitude, il les rend entièrement inexcusables. Voici donc ce qu'il leur dit : « Si je chasse les démons par la vertu de Béelzébub, par qui les chassent vos enfants ? » Car les apôtres avaient déjà chassé les démons par la puissance que Jésus-Christ leur avait donnée. Cependant les Juifs ne les accusaient point, comme Jésus-Christ, de chasser les démons au nom des démons parce qu ils nen voulaient pas à la chose même, mais à la personne. Ainsi pour leur faire voir que tout ce quils disaient contre lui ne venait que de leur envie, il leur propose ses apôtres qui chassaient aussi les démons, comme s'il leur disait : Si je chasse les démons par la vertu de Béelzébub, cest aussi par Béelzébub que vos enfants les doivent chasser, puisqu'ils n'ont point dautre puissance que celle que je leur ai donnée. Cependant vous n'avez point eu d'eux ces pensées. Comment donc les pouvez-vous avoir de moi? Pourquoi me condamnez vous, lorsque vous les justifiez, quoique je naie fait que ce quils font? Ce jugement favorable que vous portez sur vous, vous rendra encore plus coupables pour l'injustice que vous me faites; aussi, il ajoute ensuite: « C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges (27). » Juifs comme vous et suivant même loi que vous, ils ont obéi en toute chose; ils condamneront donc un jour tout ce que vous faites, et tout ce que vous dites contre moi avec tant dinsolence et tant dimposture. « Mais si je chasse les démons par lEsprit de s Dieu, vous devez donc croire que le règne (329) de Dieu est parvenu jusquà vous (28). » Quel est ce royaume de Dieu » ? Cest ma présence sur la terre. Remarquez encore combien il attire à lui les Juifs, combien il cherche à les guérir, et à faire en sorte quils le connaissent. Il leur représente quils sopposent eux-mêmes aux grands biens quil leur veut faire et quils agissent contre leur propre salut. Au lieu que vous devriez vous réjouir et être ravis de ce que je suis ici pour vous dispenser les grâces que les prophètes ont prédites au-autrefois, et de ce que le temps de votre bonheur est enfin venu, vous faites tout le contraire, et non-seulement vous vous opposez aux grands dons que je vous offre, mais vous me déshonorez même par vos fausses accusations et par vos calomnies. Saint Matthieu dit ici: « Que si je chasse les démons par lEsprit de Dieu; » et saint Luc: « Que si je chasse les démons par le doigt de Dieu, » ce qui montre que cest louvrage de la toute-puissance de Dieu de chasser ainsi les démons, et non pas leffet dune grâce qui soit ordinaire. Il veut aussi quils puissent conclure de là que le Fils de Dieu est venu. Mais il ne le dit pas clairement. Il se sert dune expression figurée en disant: « Vous devez croire que le règne de « Dieu est parvenu jusquà vous. » O sagesse admirable du Sauveur ! Il établit son incarnation et prouve son avènement au monde par les accusations mêmes de ses ennemis. Et pour les attirer davantage à lui, il ne dit pas seulement: « Le royaume de Dieu est venu, » mais il dit, « est parvenu jusquà vous; » comme sil disait : ces grands biens sont venus pour vous. Pourquoi donc recevez-vous avec chagrin et avec tristesse la nouvelle de votre bonheur? Pourquoi combattez-vous votre salut ? Voici le temps que les prophètes vous ont marqué autrefois. Ils ont prédit que je viendrais, et ils ont donné pour marque de mon avènement, quil se ferait alors des miracles par une puissance toute divine. Vous êtes témoins que ces miracles se font, et ils sont assez grands pour faire voir quil ny a que Dieu qui les puisse faire. Le démon ne peut être maintenant plus puissant quil la été jusquici. Il faut nécessairement quil soit plus faible. Et il est impossible que le démon étant faible chasse un autre démon qui est très-fort. Cest ainsi quil leur parlait, pour leur montrer que toute la force vient de la charité et de lunion, et toute la faiblesse de la division et du schisme. Cest pourquoi il exhorte sans cesse et à tout propos ses disciples à la charité, leur représentant que le démon fait tous ses efforts pour la détruire. Après cette seconde raison Jésus-Christ en donne une troisième. « Aussi comment quelquun peut-il entrer dans la maison dun « homme fort et puissant et piller ses armes et ce quil possède, si auparavant il ne le lie pour pouvoir ensuite piller sa maison (29)?» Il est clair par ce qui a déjà été dit que Satan ne peut point chasser Satan. Il est encore évident que personne ne peut chasser un homme fort, si auparavant il ne le surmonte. Que devez-vous donc conclure de là, dit Jésus-Christ aux Juifs, sinon la vérité de ce que je vous al déjà dit, de ce qui vous est encore une fois démontré ici avec un surcroît de force? savoir, que je suis si éloigné de faire ces miracles par la puissance du démon et davoir quelque intelligence avec lui, que je lui fais au contraire une guerre continuelle, que je lai vaincu, et que je le tiens dans les chaînes? Et je ne veux point vous en donner dautre preuve que ces dépouilles que je lui ai arrachées. Considérez, mes frères, comment Jésus-Christ tire toujours des raisonnements des Juifs le contraire de ce quils avaient prétendu. Ils voulaient montrer que Jésus-Christ ne faisait pas ces miracles par lui-même, mais par la vertu des démons. Et Jésus-Christ au contraire prouve quil a vaincu non-seulement les démons, mais leur prince même et leur chef, et quil le tient « enchaîné » par sa puissance. Et il le prouve par les effets. Car si les démons ont un chef et un prince, comment aurait-il pu prendre leurs dépouilles, sans avoir auparavant vaincu leur prince? Il me semble quil parle ici prophétiquement, parce que non seulement les démons sont « les vases » et les instruments de Satan, mais encore tous les hommes qui vivent comme le démon leur commande. Il déclare donc ici quil ne chasse pas seulement les démons, mais quil va encore bannir de la terre toutes les erreurs dont ils lont remplie; quil va détruire tous les enchantements dont il aveuglait les âmes, et rendre inutiles toute sa méchanceté et ses artifices. Il ne dit pas quil ravira, mais quil « pillera », pour marquer quil le fera avec plus dautorité et de puissance. Il lui donne le nom de « fort », non (330) quil soit tel par lui-même, Dieu nous garde de cette pensée! mais pour marquer la tyrannie quil avait exercée. jusque-là sur les hommes, dans laquelle il ne sétait affermi que par notre lâcheté et par notre faiblesse. 3. « Celui qui nest point avec moi est contre moi : et celui qui namasse point avec moi dissipe au lieu damasser (30). » Voici la quatrième raison dont Jésus-Christ se sert pour réfuter laccusation des Juifs. Que désiré-je, dit Jésus-Christ, si ce nest de convertir les hommes à Dieu, de les instruire dans la vertu, et de leur annoncer un nouveau royaume? Que veut au contraire le diable et tous les démons, sinon la perte des hommes et leur éternelle damnation? Comment donc celui qui « nest point avec moi, et qui namasse point « avec moi, » pourrait-il maider de son secours, et contribuer à mes desseins? Mais que dis-je, contribuer à mes desseins? A-t-il dautre désir que de dissiper ce que jaurais amassé moi-même? Est-il donc vraisemblable que celui qui non-seulement ne recueille pas avec moi, mais qui tâche même de dissiper ce que jaurais amassé, voulût saccorder avec moi pour chasser ensemble les démons? Mais si cette parole de Jésus-Christ fait voir que le démon est contre lui, et quil travaille à détruire tout ce que fait Jésus-Christ, elle montre aussi que Jésus-Christ est toujours opposé au démon, et quil renverse tout ce que le démon établit. Comment doit-on entendre ces paroles: « Celui qui nest point avec moi est contre moi? » Cest-à-dire par cela même quil ne recueille et namasse pas avec lui. Si cela est vrai, mes frères, combien plus celui-là sera-t-il lennemi de Jésus-Christ, qui soppose à lui, et qui le combat? Si celui qui ne saccorde pas avec Jésus-Christ, et qui ne contribue pas à ses desseins, est son adversaire, combien plus le sera celui qui lui déclare une guerre ouverte? Il parle de la sorte pour marquer davantage linimitié immortelle qui est entre lui et lé démon. Car dites-moi, je vous prie, si vous aviez un ennemi à combattre et que quelquun ne voulût pas vous assister contre lui, ne le regarderiez-vous pas comme un homme qui vous serait opposé? Que si Jésus-Christ dit ailleurs: « Celui qui nest pas « contre vous est pour vous (Luc, IX); » cela ne contredit pas ce qui est dit ici, car il parle ici des personnes qui sont entièrement opposées à ses disciples; et il parle en cet autre endroit de celles qui ne seraient pour eux quen partie: « Nous avons vu quelquun qui chassait « les démons en votre nom. » (Matth. IX, 22) Mais il me semble quici il désigne particulièrement les Juifs quil met du côté des démons. Car ils étaient opposés à Jésus-Christ, et ils dispersaient tout ce quil avait amassé. Il déclare assez quil avait cette pensée lorsquil dit: « Cest pourquoi je vous déclare que tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes (31). » Après sêtre défendu; après avoir satisfait à toutes les objections; après avoir découvert limpudence de ses ennemis, il les effraye ensuite. par ses menaces. Car ce nest pas une petite preuve du zèle quil avait du salut des hommes, de ne pas se contenter de se justifier devant eux et de les persuader de son innocence, mais de les intimider même par les menaces. Cest ce quil fait souvent à leur égard dans les avis quil leur donne, et dans les lois quil leur impose. Cette parole dabord paraît fort obscure; mais si nous la considérons avec soin, nous ny trouverons plus de difficulté. Il est donc important de la peser et de la bien examiner : « Tout péché, » dit-il, « et tout blasphème sera remis aux hommes. » « Mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne leur sera point remis (31). Et si quelquun parle contre le Fils de lhomme, il lui sera remis, mais sil parle contre le Saint-Esprit, il ne lui sera remis ni en ce siècle ni en lautre (32). » Que veut-il dire par ces paroles? Vous avez, leur dit-il, publié contre moi plusieurs choses. Vous avez dit que jétais un séducteur et un ennemi de Dieu. Je vous pardonne ces excès, et je ne vous en punirai point si vous en faites pénitence, mais le blasphème contre le. Saint-Esprit ne sera point remis à ceux même qui en feront pénitence. Quoi donc! ce blasphème ne sera-t-il point pardonné même à ceux qui sen repentiront? Qui pourrait raisonnablement le croire, après que nous avons vu effectivement ce crime pardonné à ceux qui se sont repentis de lavoir commis? Plusieurs de ceux qui avaient blasphémé ainsi contre Jésus-Christ, ont ensuite cru en lui, et Dieu leur a pardonné leurs crimes. Quest-ce donc que Jésus-Christ veut faire entendre par ces paroles, sinon que ce péché était de tous celui qui se pardonne le moins? Car celui quils commettaient contre (331) Jésus-Christ était plus excusable, puisquils ne le connaissaient pas; au lieu quils ne pouvaient ignorer le Saint-Esprit, après tant de preuves quils en avaient. Car cétait par lui que les prophètes avaient prédit de Jésus-Christ tout ce quils en avaient annoncé. Et généralement tous les saints de lAncien Testament avaient eu une grande connaissance du Saint-Esprit. Il semble donc que Jésus-Christ leur dise: Je demeure daccord que vous ayez eu quelque sujet dêtre scandalisés à mon sujet à cause de cette chair dont vous me voyez revêtu; mais pouvez-vous dire du Saint-Esprit que vous ne le connaissez pas? « Je vous déclare donc que le blasphème contre le Saint-Esprit ne vous sera point remis; et vous en serez punis ici et en lautre monde. » Plusieurs dentre les pécheurs nont été châtiés quen cette vie, (comme le fornicateur de Corinthe et les autres Corinthiens qui participaient indignement aux saints mystères), mais vous autres vous serez punis, et en ce monde et en lautre. Je vous pardonne toutes les injures que vous avez publiées contre moi durant ma vie; je vous pardonne même ma mort, cet outrage sanglant de la croix; il ny a que votre infidélité qui ne vous sera point remise. Il dit ceci parce que plusieurs dentre ceux qui avaient cru en lui avant sa passion navaient pas une foi pleine. Cest pourquoi il est souvent obligé dordonner à ceux quil guérissait de ne le point découvrir avant sa mort; et sur la croix même il prie son Père de pardonner à ceux qui ly avaient attaché. Mais pour ce qui regarde, leur dit-il,. les blasphèmes que vous dites contre lEsprit-Saint, cest un crime irrémissible. Il marque donc quil entend ces paroles des injures quon lui disait avant sa passion, lorsquil ajoute : « Si quelquun parle contre le Fils de lhomme, il lui sera remis, mais sil parle contre le Saint-Esprit, il ne lui sera remis ni en ce siècle, ni en lautre. » Pourquoi? Parce que le Saint-Esprit ne vous est pas inconnu, et que vous attaquez impudemment une vérité trop claire. Car si vous dites que vous ignorez qui je suis, pouvez-vous ne pas connaître le Saint-Esprit, et pouvez-vous ignorer que chasser les démons et guérir miraculeusement les maladies, ne peut être louvrage que du Saint-Esprit? Ce nest donc pas nous seulement que vous offensez. Vos outrages retombent sur lEsprit-Saint. Cest pourquoi vous ne pourrez éviter dêtre punis de ce crime et en ce monde et en lautre. De tous les hommes qui sont sur la terre, les uns sont punis et en cette vie et en lautre; les autres ne le sont quici; les autres ne le seront quen lautre monde; enfin les autres ne le seront ni en celui-ci ni en lautre. Les Juifs ont été punis et en cette vie et en lautre. Ils ont été punis ici lorsque les Romains ont assiégé leur ville et quils ont souffert des maux effroyables, mais temporels, doù ils sont passés dans les supplices éternels. Les peuples de Sodome et de Gomorrhe et plusieurs autres ont souffert de même sur la terre et dans les enfers. Dautres ne sont punis quen lautre monde, comme le mauvais riche, qui, après avoir vécu dans un si grand luxe, ne trouva pas même une goutte deau après sa mort. Dautres ne sont punis quici, comme le fornicateur de Corinthe. Et dautres ne sont punis ni en ce monde ni en lautre, comme les saints apôtres, comme les prophètes et comme le bienheureux Job. Car les maux quils ont souffert nétaient point la punition de leurs crimes, mais lépreuve de leur vertu. 4. Travaillons,.mes frères, à être du nombre de ces saints amis de Dieu; et si nous ne sommes pas assez heureux pour leur ressembler, soyons au moins de ceux qui ont expié leurs péchés en cette vie. Car le tribunal de ce grand Juge sera terrible, en lautre vie. Larrêt de la condamnation ne se révoquera point, et les tourments seront insupportables. Si vous voulez empêcher que Dieu ne vous punisse même en cette vie, jugez-vous vous-mêmes, et punissez-vous de vos péchés. Ecoutez ce que dit saint Paul: « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés de Dieu.» (I Cor. XI, 31.) Si vous suivez ce conseil, et si vous vous avancez peu a peu dans cette voie, vous remporterez enfin, la couronne. Et comment, direz-vous, pouvons nous nous juger et nous punir nous-mêmes. ? Pleurez, soupirez dans lamertume de votre cur, gémissez amèrement, humiliez-vous, affligez-vous, souvenez vous de tous vos péchés en particulier. Ce souvenir est un supplice secret et intérieur, qui n est connu que de celui qui est entre dans les sentiments dune vive componction et qui a éprouvé combien la mémoire des fautes passées est sensible à une âme touchée dun véritable regret. Cest pourquoi Dieu propose la justification comme le prix de cette pénitence sincère. « Accusez-vous le premier de vos péchés, » dit-il, « afin que vous deveniez juste. » (Isaïe, XLIII, 26). Car cest, nen doutons pas, un moyen bien propre pour nous corriger, que de rassembler tous les péchés de notre vie, de les repasser dans notre mémoire, et de nous en occuper sans cesse. Celui qui en usera de la sorte sera tellement percé de douleur quil se croira même indigne de vivre. Et ce sentiment le tiendra tellement humilié sous la main de Dieu, quil le rendra flexible à tous ses ordres comme de la cire. Mais ne rappelez pas seulement en votre mémoire les crimes honteux, les fornications, les adultères et les autres péchés semblables qui font horreur à tout le monde. Rappelez-y tous ces péchés intérieurs et invisibles : ces calomnies et ces médisances cachées , ces pièges tendus en secret, cet amour dola vaine gloire, ces mouvements denvie, et tons les dérèglements de cette nature. Car pour être invisibles ils nen seront pas moins punis. Les calomniateurs seront précipités dans la géhenne, les ivrognes nauront aucune part dans le royaume du ciel, et celui qui naime pas son frère est tellement rejeté de Dieu, que le martyre même ne lui servirait de rien. Celui qui na pas soin de ses proches a renoncé la foi, et celui qui méprise le pauvre sera condamné au feu. Ne négligez pas ces fautes comme peu considérables, mais recueillez-les toutes ensembles et écrivez-les dans votre coeur comme dans un livre. Si vous les écrivez dans votre, mémoire, Dieu les effacera de la sienne. Si vous négligez de les marquer, Dieu.les marquera lui-même, et en tirera la vengeance. Ne vaut-il donc pas beaucoup mieux nous en souvenir, afin que Dieu les oublie, que de les oublier afin que Dieu nous les représente et nous les reproche devant toute la terre dans son effroyable jugement? Pour éviter ce malheur, rappelons dans notre souvenir tous nos désordres passés et nous nous trouverons étrangement redevables à la justice de Dieu. Qui par exemple est pur et exempt de toute avarice ? ne me dites point que vous ne tirez de vos usures quun gain modéré. Ce peu de gain que vous faites, vous coulera un jour de grands supplices Pensez-y sérieusement et faites-en pénitence Qui peut dire quil na jamais outragé son frère? Cependant Jésus-Christ dit lui-même, que qui traite mal son frère sera jeté dans lenfer. Quel est celui qui na point parlé mal en secret de son prochain ? Cependant les calomniateurs seront éternellement bannis du royaume. Qui na point eu de mouvements dorgueil? Qui ne sest point enflé de vanité? Et cest ce crime néanmoins qui est le plus horrible de tous. Qui na jamais jeté de regards déshonnêtes sur une femme ? Vous savez cependant ce que Jésus-Christ dit de ces regards. Qui ne sest point mis en colère contre son frère sans aucun sujet? Cependant celui qui le tait se rend coupable de jugement. Qui na jamais tait de jurements? Et lEvangile nous assure que les jurements viennent dune mauvaise cause. Qui ne sest jamais parjuré? Et cela néanmoins vient dune cause bien plus mauvaise. Qui na point été lesclave de largent ? Cependant on ne peut lêtre sans se retirer de la bienheureuse servitude de Jésus-Christ. Je pourrais rapporter encore beaucoup dautres choses encore plus considérables. Mais ceci suffira pour toucher les coeurs qui ne seront pas plus durs que la pierre. Si chacun de ces péchés suffit en particulier, pour jeter une personne dans lenfer, que sera-ce de tous ensemble? Comment donc, me direz-vous, est-il possible de se sauver? Nous le ferons si nous appliquons à nos maux des remèdes tout contraires, la, miséricorde, les aumônes, les prières, la componction, la pénitence, lhumilité, la contrition du coeur, et le mépris de toutes les choses de ce monde. Dieu nous a ouvert mille voies, pour nous sauver, si nous y voulons prendre garde. Veillons donc sur nous-mêmes; tâchons de guérir nos plaies par toutes sortes de remèdes. Faisons laumône; pardonnons à ceux qui semportent de colère contre nous ; rendons grâces à Dieu de tout ; jeûnons autant que nous le pourrons ; prions avec assiduité, et faisons-nous des amis de notre bien. Car cest ainsi que, nous pourrons obtenir de Dieu le pardon de nos fautes, et recevoir de lui les biens, quil nous a promis. Je le prie de nous faire à tous cette grâce, par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (333) |