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HOMÉLIE XXXIII« JE VOUS ENVOIE COMME DES BREBIS AU MILIEU DES LOUPS. SOYEZ DONC PRUDENTS COMME DES SERPENTS ET SIMPLES COMME DES COLOMBES. » (CHAP. X, 16 JUSQUAU VERSET 25. » ANALYSE 1. Les brebis du Christ vainquent les loups qui sont partout dans le monde. 2. Unir la simplicité et la patience. Cest la patience qui seule fait des chrétiens. 3. Constance et fermeté des apôtres. 4. Que les philosophes les plus fameux sont loin dégaler les. Apôtres. 5. Ferveur initiale et persévérance finale. 6 et 7. Que la souffrance des premiers chrétiens devrait confondre notre mollesse. Quil faut se préparer aux grands maux par les petits. Vertu de Job égale à celle des apôtres.
1. Nous avons vu, mes frères, que Jésus-Christ a assuré ses disciples quils ne manqueraient de rien; quil leur a ouvert les maisons de tous les fidèles; quil leur a prescrit même avec combien de modération et de retenue ils y devaient entrer, non comme des vagabonds et des mendiants, mais comme des hommes graves qui venaient obliger ceux qui les recevaient et qui étaient même fort au-dessus deux; cest en effet ce qui découle comme conséquence de ce quil a dit: « Que celui qui travaille mérite quon le nourrisse ; » de ce quil leur a commandé de sinformer de ceux qui seraient dignes dêtre honorés de leur visite, de demeurer chez eux, et de les saluer en entrant; de ce quil prononce de terribles menaces contre ceux qui ne les recevraient pas. Après donc que le Sauveur a délivré ses apôtres de tous ces soins, quil les a comme armés de la puissance de faire des miracles, et que par ce dégagement même de tous les embarras de la vie, il les a rendus fermes comme le fer et le diamant, il leur prédit enfin les maux qui leur allaient arriver: et non-seulement ceux dont ils étaient bientôt menacés, mais encore ceux qui leur arriveraient durant tout le cours de leur vie, pour les former de bonne heure à cette guerre si difficile et si dangereuse quils allaient entreprendre contre les démons. Ces prédictions leur étaient extrêmement utiles. Car premièrement elles faisaient voir la toute-puissance de Celui à qui lavenir était présent. Secondement elles empêchaient quon ne pût attribuer les maux que souffriraient les apôtres à la faiblesse et à limpuissance de leur Maître. En troisième lieu, elles prévenaient les troubles où ils auraient pu tomber, sils avaient été surpris de ces afflictions contre leur attente. Et enfin elles les disposaient à ne pas sétonner lorsque Jésus-Christ leur prédirait sa mort, quand il serait sur le point de la souffrir. Car ils furent étonnés alors, et Jésus-Christ même leur fait ce reproche « Parce que je vous ai dit, ces choses, la tristesse a rempli votre coeur, et personne de vous ne me demande : où allez-vous ?» (Jean, XVI, 3.) Il ne leur parle point encore ici de lui-même. Il ne leur dit point quil serait lié, quil serait flagellé, et quil serait attaché en croix: ce qui sans doute les aurait extraordinairement troublés , mais il leur prédit seulement les maux qui leur devaient arriver. Il leur fait voir ensuite combien la guerre à laquelle il les destinait était nouvelle, et comme la manière même de combattre serait tout à fait extraordinaire. il leur avait déjà dit quil les envoyait sans armes, nayant quune robe, sans souliers, sans bâton, sans bourse, sans vivres, et leur commandant de manger chez ceux qui les recevraient. Mais (270) il va encore plus loin, et pour leur montrer son ineffable puissance, il dit : allez ainsi et néanmoins montrez-vous doux comme des brebis, et cela lorsque cest contre des loups que je vous envoie, et non-seulement contre des loups mais au milieu des loups. Outre la douceur des agneaux, il leur commande encore davoir la simplicité de la colombe. Cest ainsi, leur dit-il, que je signalerai ma toute-puissance, lorsque les agneaux se trouvant au milieu des loups, et étant déchirés par leurs morsures cruelles, non-seulement les agneaux ne céderont pas aux loups, mais quils changeront même les loups en agneaux. Il est sans doute bien plus admirable de transformer son ennemi en un autre homme que de le vaincre; et de lui changer lesprit et le coeur, que de lui ôter la vie. Mais ce qui est encore plus étrange, cest quil nenvoie que douze agneaux pour sassujétir toute la terre qui était pleine de loups. Rougissons donc, nous autres, qui faisons maintenant tout le contraire de ce que Jésus-Christ ordonne aux apôtres, et qui combattons nos ennemis non comme des agneaux, mais comme des loups. Tant que nous demeurerons agneaux, nous serons vainqueurs; mais si nous devenons des loups, nous serons vaincus, parce que nous serons abandonnés de ce pasteur souverain qui paît des agneaux et non pas des loups. Il se retire de vous alors, et il vous abandonne; parce que vous lempêchez de faire éclater en vous sa toute-puissance. Car lorsquen souffrant beaucoup de vos ennemis vous ne témoignez contre eux aucune aigreur, à lui est attribué tout lhonneur de la victoire. Mais si vous vous élevez contre eux, et si vous les attaquez, vous obscurcissez léclat de son triomphe. Mais je vous prie de considérer ici quels sont ceux à qui Jésus-Christ prédit des choses si capables de les remplir de frayeur. Ce sont des hommes timides, ignorants , grossiers, sans lettres, sans aucune connaissance des lois et du barreau, enfin des pêcheurs et des publicains, en qui il ny a rien que de bas, puisque tout conspire à leur abaisser lesprit et le coeur. Si des choses si grandes et si difficiles auraient pu étonner les coeurs les plus haut placés, et ébranler les courages les plus fermes, comment des hommes sans expérience, qui navaient jamais pensé à rien de grand, ont-ils pu les entendre sans être abattus et atterrés? Et cependant ils ne le furent pas. Il ny a rien détonnant à cela, dira quelquun, puisque Jésus-Christ leur avait donné la puissance de guérir les lépreux et de chasser les démons. Et moi je réponds au contraire que cest ce qui les devait troubler davantage, quen ressuscitant les morts et faisant tant de miracles ils dussent souffrir néanmoins des maux si épouvantables, endurer les prisons et les chaînes, être traînés devant les tribunaux, enfin être en butte aux attaques de tous et devenir lhorreur du genre humain. Rien nétait plus capable de les étonner, que cette alliance incompréhensible des plus grands maux avec les miracles. 2. Que leur reste-t-il donc pour les consoler, sinon la puissance de Celui qui les envoie? Cest pourquoi il dit dès lentrée de ce discours : « Je vous envoie. » Cela seul suffit pour vous consoler: cela seul suffit pour vous donner du courage, et pour vous empêcher de craindre ceux qui vous attaqueront. Qui admirera cette autorité, cette puissance, cette force à qui rien nest difficile? Il semble quil leur dise : Ne vous troublez point de ce que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, et de ce que je vous commande dêtre simples comme des colombes. Il me serait aisé de choisir une autre conduite. Je pourrais bien vous dispenser si je le voulais de tous les maux que je vous prédis. Je pourrais bien empêcher que vous ne fussiez exposés à vos ennemis comme des agneaux à des loups, et vous rendre au contraire plus terribles que des lions. Mais il est mieux que je me conduise de la sorte, puisque ma puissance et votre vertu en paraîtront davantage. Cest ce quil dit lui-même ensuite à saint Paul: « Ma grâce vous suffit, parce que ma force se perfectionne dans linfirmité. » (II Cor. XXI, 9.) Cest donc moi, leur dit-il, qui ai voulu vous rendre ainsi doux comme des agneaux. Car lorsquil leur dit : je vous envoie comme des brebis, il leur donne ceci à entendre: ne vous laissez point abattre, car je sais, je sais très certainement que cest principalement par cette douceur que vous serez invincibles à tous les efforts de vos ennemis. Et voulant ensuite que ses apôtres fissent tout ce qui dépendait deux-mêmes sans se négliger, comme si tout devait venir de la grâce, ou quon pût recevoir la couronne sans: lavoir justement méritée, il ajoute : « Soyez (271) donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes (16) » Mais quel avantage tirerons-nous de toute «notre prudence » parmi de si grands périls? Comment pourrons-nous appliquer notre raison et notre jugement au milieu de ces tempêtes? De quoi servira à lagneau toute sa sagesse, lorsquil est environné de loups et de loups si furieux? De quoi servira à la colombe dêtre simple, lorsquelle est assaillie de tant de vautours? Il est vrai que cela est inutile dans ces animaux; mais vous en retirerez vous autres de grands avantages. Il veut que la prudence quil demande de ses apôtres soit une « prudence de serpent. » Car, comme le serpent abandonne tout son corps pour conserver sa tête, ainsi abandonnez tous vos biens, votre corps et votre vie même sil est besoin, pour conserver votre foi. Elle est votre tête, elle est votre racine. Conservez-la seule, et quand vous auriez tout perdu, tout refleurira avec plus dabondance, et vous recouvrerez tout avec plus de gloire. Cest pourquoi il ne leur commande point séparément ou dêtre simples, ou dêtre prudents, mais il allie ensemble ces deux qualités, afin quunies lune à lautre, elles deviennent des vertus. Il demande une prudence de serpent, afin que pour sauver votre tête vous exposiez tout le reste; et une simplicité de colombe, afin que vous ne vous vengiez point de ceux qui vous font injure, et que vous ne désiriez point la punition de ceux qui vous dressent des piéges pour vous perdre. Car toute la prudence du serpent serait inutile, si elle nétait accompagnée de cette douceur de la colombe. Quelquun me dira peut-être : Quy a-t-il de plus pénible que ce précepte? Ne suffit-il pas de souffrir tout le mal quon veut nous faire? Non, répond Jésus-Christ. Cela ne vous suffit pas, mais je vous défends encore deu ressentir la moindre aigreur. Et cest en cela que je veux que vous ayez la simplicité de la colombe. Nest-ce pas, mes frères, la même chose que si quelquun jetant un roseau dans le feu, non-seulement lui défendait de brûler; mais lui commandait même déteindre le feu? Cependant ne nous troublons point. Lévénement a justifié la sagesse de ce précepte. On la vu accompli parfaitement. Les. apôtres ont effectivement été sages comme des serpents et simples comme des colombes, non en changeant de nature, mais en demeurant toujours des hommes semblables à nous. Que personne donc ne croie que ces commandements de Jésus-Christ soient impossibles. Personne ne connaît mieux le véritable état des choses que celui-là même qui donne ces lois. Il sait parfaitement que laudace ne sabat point par laudace, et. quelle ne cède quà la douceur. Si vous désirez de savoir comment ce précepte a été accompli, lisez les Actes des apôtres. Vous y verrez combien de fois, lorsque le peuple juif se levait furieux contre les apôtres, et quil aiguisait déjà ses dents comme une bète fauve, ils se sont sauvés de sa rage en imitant la douceur de la colombe; vous verrez que cest en répondant avec une grande modération, quils ont apaisé la colère, éteint la fureur, arrêté lemportement. Lorsque les Juifs leur dirent: « Ne vous avons-nous pas commandé très-expressément de ne point parler au peuple, et de ne le point enseigner en ce nom (Act. IV)? » au lieu quils pouvaient se justifier par une infinité de miracles, ils ne font et ne disent rien qui puisse témoigner la moindre aigreur, mais ils répondent avec une souveraine modération: « Jugez vous-mêmes sil est juste que nous vous écoutions plutôt que Dieu. » Vous voyez dans ces paroles la douceur et la simplicité de la colombe, voyez maintenant la prudence du serpent: « Car nous ne pouvons pas ne point dire ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu. » Considérez donc, mes frères, combien nous devons être sur nos gardes, afin que dun côté nous ne soyons point abattus par les dangers, et que de lautre nous ne, soyons point emportés par la colère. Cest dans cette vue que Jésus-Christ leur dit : « Mais donnez-vous de garde des hommes, car ils vous feront comparaître devant lassemblée de leurs magistrats et ils vous feront fouetter dans leurs synagogues (17). Et vous serez menés à cause de moi devant les gouverneurs et devant les rois; afin que ce leur soit un témoignage tant à eux quaux gentils (18). » Il les avertit encore ici dêtre sur leurs gardes et de se préparer à tout, en ne leur promettant que des maux, et permettant aux hommes de les affliger pour nous apprendre quon ne peut vaincre quen souffrant, et que cest la patience qui nous couronne. Il ne leur dit point : Combattez contre eux et résistez à ceux qui vous attaqueront. Il leur prédit seulement quils souffriront les dernières extrémités. 3. Qui peut assez admirer dun côté la puissance (272) du Maître qui parle et de lautre la vertu des disciples qui lécoutent? Car ne doit-on pas sétonner comment de pauvres gens accoutumés à la pêche, et qui ne connaissaient que leurs filets et le lac où ils pêchaient, ne se sont pas retirés aussitôt quils ont entendu ces paroles, comme ils nont point dit en eux-mêmes: De quel côté fuirons-nous à lavenir? Tous les tribunaux sont déclarés contre nous, tous les souverains nous persécutent, les princes des prêtres sont nos ennemis, les synagogues nous haïssent. Les juifs et les gentils, les princes et les peuples sont unis et conspirent tous ensemble contre nous. Vous ne nous parlez plus seulement de la Judée. Vous nous dites que nous serons menés « devant les gouverneurs et devant les rois. » Ainsi vous nous faites voir tout un monde armé contre nous, les peuples, les magistrats et les souverains. Vous dites même, ce qui est encore plus horrible, que notre doctrine fera massacrer les frères par les frères, les fils par les pères, les pères par les fils dans tous les lieux de la terre. « Le frère, dites-vous, livrera son frère à la mort, et le père son fils, les enfants se soulèveront contre leurs pères et leurs mères, et les feront mourir. » Comment donc pourra-t-on croire ce que nous dirons, si lon voit que nous sommes cause que le frère tue son propre frère, le père son fils et le fils son père, et que toute la terre soit remplie de meurtres et de parricides? Ne nous chassera-t-on pas comme de mauvais démons, comme des corrupteurs des hommes, comme des pestes publiques, lorsquon verra les familles divisées, la tendresse la plus naturelle changée en haine et les plus proches sentre-tuer les uns les autres? Est-ce ainsi que nous devons donner la paix à ceux qui nous recevront dans leurs maisons, auxquels, au contraire, nous ne devons apporter que la guerre, le sang et le meurtre? Quand nous serions un grand nombre au lieu que nous ne sommes que douze; quand nous serions savants et éloquents au lieu que nous sommes ignorants et grossiers; enflez quand nous serions rois au lieu de pauvres que nous sommes, et que nous aurions des richesses immenses et de puissantes armées, nous ne pourrions néanmoins jamais persuader aux hommes de recevoir une doctrine qui doit produire parmi eux des guerres domestiques et civiles, et plus que civiles. Enfin, quand nous mépriserions notre propre vie comme vous nous le commandez, que gagnerions-nous après tout cela, pour acquérir quelque créance dans lesprit des hommes? Les apôtres ne pensent et ne disent rien de semblable. Ils ne pénètrent point trop curieusement dans les ordres quon leur prescrit, et ils nen demandent point les raisons. Ils se rendent simplement à ce quon leur ordonne, et obéissent à ce quon leur commande. Et cette soumission était une preuve non-seulement de la vertu des disciples, mais encore plus de la sagesse du Maître. Car je vous prie de considérer comme il apporte à chacun de ces maux le remède et la consolation qui lui était propre. Il dit dabord contre ceux qui ne les recevraient pas, « que le peuple de Sodome et de Gomorrhe endurerait des maux plus supportables que la ville qui les rejetterait. »Après quil leur a dit « quils seraient menés devant les tribunaux des juges et devant les rois, » il ajoute aussitôt : « à cause de moi, pour leur être en témoignage ainsi quaux gentils.» Voilà une grande consolation, de souffrir pour Jésus-Christ et pour servir de témoignage à légard de ceux même qui nous font souffrir. Car lorsque Dieu a entrepris une chose, il la fait réussir infailliblement, et il lexécute lui-même, quoique par des voies inconnues à tous les hommes. Ces paroles consolaient les apôtres, non parce quils désiraient de voir leurs ennemis punis, mais parce quelles leur donnaient la confiance de trouver Dieu présent partout, lui qui savait tout et qui leur avait tout prédit, et en même temps, parce quils souffraient comme des ministres de Dieu, et non comme des méchants et des criminels. Ce quil leur dit ensuite est encore un sujet de grande consolation. « Lorsquils vous livreront aux juges, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez ni de ce que vous leur devez dire. Car ce que vous leur devez dire vous sera donné à lheure même (19). Ce nest pas vous qui parlez, mais cest lEsprit de votre père qui parle en vous (20). » Il veut leur ôter tout sujet de dire : Comment pourrons-nous leur persuader ce que nous leur prêcherons, lorsque notre doctrine produira de si étranges effets? Cest pourquoi il leur ordonne dattendre de lui ce quils devront répondre pour se défendre. Il leur dit ailleurs: « Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne (273) pourront contredire ni résister.» (Luc, XXI, 15.) Et il dit ici: « Cest lEsprit de votre père qui parle en vous : » les égalant ainsi aux prophètes qui parlaient par lEsprit de Dieu. Ce nest quaprès leur avoir marqué la force invincible qui leur serait donnée, quil leur parle de meurtres et de massacres. « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils; les enfants se soulèveront contre leurs pères et leurs mères et ils les feront mourir (21). » Il ne sarrête pas même à cela. Il dit des choses plus horribles, qui pouvaient ébranler des coeurs de marbre et de diamant. « Vous serez, » dit-il, « haïs de tous les hommes, » à quoi il joint aussitôt la consolation, lorsquil ajoute ces paroles: « à cause de mon nom; » et ces autres: « Celui-là sera sauvé qui persévérera jusquà la fin (22). » Dailleurs rien nétait si propre à les consoler que de savoir que leur prédication serait si puissante quelle rendrait les hommes capables de rompre toutes les liaisons de la parenté et du sang, et de mépriser tout ce quil y a de plus aimable ou de plus redoutable dans la vie. Cest comme si Jésus-Christ leur disait: Qui pourra vous vaincre si vous surmontez la nature même et si elle est contrainte de céder à la vertu de vos paroles, quelque absolue quelle soit dailleurs sur lesprit des hommes? Cependant nespérez pas pour cela que votre vie en soit plus tranquille et plus assurée. Vous aurez pour ennemis tous les hommes, et vous serez comme en butte à la haine et à laversion de toute la terre. 4. Où est maintenant ce Platon si célèbre parmi les païens? où est ce Pythagore? où sont tous les stoïciens ensemble? Nest-il pas certain que si Platon sest acquis une grande réputation, il a néanmoins été méprisé de telle sorte quil a même été vendu sans quil ait jamais pu persuader ses sentiments à un seul tyran? Quant à lautre, tout le monde sait quaprès avoir trahi ses disciples il finit misérablement sa vie. Et les ordures des cyniques se sont évanouies il y a longtemps comme des songes et comme des fables. Cependant ces philosophes nont point été haïs comme le Fils de Dieu le prédit à ses apôtres. Ils ont été au contraire très-estimés pour leur éloquence, au point que les Athéniens exposèrent en public les lettres de Platon envoyées par Dion. Quelques-uns dentre eux ont vécu dans la mollesse et dans les délices, et ont possédé de grandes richesses. On rapporte dAristippe quil a eu des prostituées quil avait achetées à grand prix. Un autre fit un testament par lequel il laissa de grandes sommes à ses héritiers. Un autre était si superbe quil se faisait comme un pont de ses disciples et marchait sur eux. On écrit de Diogène quil commettait des infamies en pleine place publique. Voilà donc les actions déclat de ces grands esprits. On ne voit rien de semblable dans les apôtres. Toute leur conduite a été modeste, et toutes leurs actions ont été réglées. ils ne sont pas tombés dans le vice, ils lui ont déclaré une guerre mortelle. Ils ont entrepris détablir dans toute la terre le règne de la vérité et de la piété, et lorsquon les u tourmentés et tués cruellement, ils ont vaincu et ils ont triomphé dans la mort même. Vous me direz peut-être quon a vu aussi parmi ces anciens de grands courages et des capitaines illustres comme Thémistocle et Périclès. Mais si vous comparez ce quils ont fait avec ce que des pêcheurs ont accompli parmi nous, vous verrez que ces grandes actions de ces sages de la Grèce nont été que des jeux denfants. Car en quoi consiste la grandeur de Thémistocle? Est-ce en ce quil a persuadé aux Athéniens de monter sur leurs vaisseaux, lorsque Xerxès entrait dans la Grèce avec une puissante armée? Mais nous ne voyons plus ici une armée de Perses qui attaque les Grecs. Nous voyons le diable même, qui vient avec tous les hommes de la terre et tous les dénions de lenfer attaquer douze pêcheurs et leur faire une guerre mortelle, non pas durant quelque temps, mais pendant toute leur vie. Cependant ces douze hommes ont soutenu ces efforts, et sont demeurés vainqueurs, non en tuant leurs ennemis, mais, ce qui est plus admirable, en les convertissant et en leur faisant changer de vie. Car il ne faut pas oublier que les apôtres ne se sont pas défaits de leurs ennemis par la force et par la violence, mais quils les ont transformés heureusement, et que des démons ils ont fait des anges. Ils ont tiré la nature humaine des chaînes du démon, de cette servitude si honteuse et si misérable, et ils ont chassé ces tyrans et ces séducteurs des âmes non-seulement des maisons et des villes, mais des autres déserts les plus reculés. On voit la vérité de ce que je dis par ces troupes de moines et de solitaires dont ils ont peuplé (274) toutes les solitudes du monde, purifiant par la force de leur prédication, non-seulement toute la terre habitable, mais encore jusquaux déserts eux-mêmes. Et ce qui est plus admirable, cest que pour accomplir ces grandes actions, ils nont eu besoin ni darmes, ni de corps darmées, mais quils sont venus à bout de tout par leurs travaux et par leurs souffrances! Les villes, les synagogues et les rois avaient au milieu deux douze hommes pauvres et grossiers quils tenaient dans les prisons, quils chargeaient de chaînes, quils déchiraient par les fouets et par mille autres tourments, quils faisaient errer de ville en ville, et de province en province; et cependant ils ne pouvaient leur fermer la bouche. Il leur était aussi impossible de lier leur langue quil le serait de lier les rayons du soleil. Et nous ne devons pas nous en étonner, parce quun si grand miracle nétait point louvrage de ceux qui parlaient, mais du Saint-Esprit qui parlait par eux. Ce fut par cette force invisible que saint Paul vainquit Agrippa, et Néron même, le plus méchant de tous les. hommes. « Le « Seigneur, » dit-il, « ma secouru de sa présence, il ma fortifié, et ma délivré de la gueule du lion. » (II Tim. IV, 16.) Mais admirez comment, après avoir entendu ces paroles : « Ne vous mettez en peine de rien, » ils les pratiquent en effet, sans se laisser ébranler par tout ce quil y a de plus terrible. Que si vous dites quils ont été assez fortifiés par cette parole «LEsprit de votre Père parlera en vous, » je dis au contraire que ce qui métonne davantage, cest que, loin de chanceler dans leur résolution, ils nont pas même désiré dêtre délivrés de tant de maux, dont ils se voyaient menacés non pas durant un an ou deux ans, mais pendant toute leur vie. Car cest le sens de cette parole: « Celui-là sera sauvé, qui persévérera jusquà la fin. » Il ne veut pas que sa grâce fasse tellement tout dans eux, quils ny contribuent en rien de leur part. Il y a des choses qui viennent de lui seul, et dautres qui viennent aussi des apôtres. Les miracles étaient de lui seul; le renoncement à tous les biens était aussi des apôtres. Cette entrée libre dans toutes les maisons des chrétiens venait de Dieu seul; mais cette retenue qui les bornait au seul nécessaire venait aussi deux : « Car celui qui travaille mérite quon le nourrisse. » La puissance de donner la paix en entrant était une grâce de Dieu seul, mais le soin de ne chercher que ceux qui en étaient dignes, et dé naller pas indifféremment chez tout le monde, était leffet de leur sagesse. La punition de ceux qui ne les recevaient pas, était de Dieu seul, mais la douceur quils témoignaient dans ces rencontres, en se retirant sans aigreur et sans reproches, était des apôtres. Cétait Dieu qui leur donnait le Saint-Esprit, et qui les empêchait de se mettre en peine de ce quils devraient dire, mais cétait par leur constance et par leur sagesse quils enduraient tout avec courage, et quils étaient doux comme des brebis et simples comme des colombes. Cétait par leur force quils voyaient sans sabattre cette haine que tous les hommes avaient pour eux; mais cétait la grâce de Celui qui les envoyait qui les faisait persévérer, et qui les sauvait. Cest pour ce sujet quil disait: « Celui qui persévérera jusquà la fin sera sauvé.» Comme plusieurs ont coutume de commencer dabord avec ferveur et avec zèle, et de se relâcher ensuite, je vous avertis, leur dit-il, que je considère principalement la fin. Que sert-il que les grains fleurissent dabord, sils sèchent aussitôt après? 5. Il veut donc que ses apôtres aient une patience persévérante pour empêcher quon ne crût que Dieu faisait tout dans les apôtres, sans quils y eussent aucune part, et quon ne devait pas beaucoup admirer leur courage, puisquils nauraient rien de bien pénible à souffrir. Il leur dit clairement quils auraient besoin de patience: Quand je vous délivrerai dun péril, ce sera pour vous laisser tomber dans un autre. Vous passerez dun moindre dans un plus grand, et la fin de tous vos travaux sera la perte de votre vie. Cest ce quil leur promet par ces paroles : « Celui-là sera sauvé qui persévérera jusquà la fin. » Cest pourquoi leur ayant dit ici: «Ne soyez point en peine de ce que vous répondrez, » il dit ailleurs : « Soyez prêts à répondre à toutes sortes de personnes qui vous demanderont compte de votre foi. » Quand nous navons à disputer quavec nos amis, il semble quil nous laisse à nous, et quil veut que nous nous mettions nous-mêmes en peine de ce que nous devons dire. Mais quand nous sommes devant le tribunal dun juge sévère, environnés dune populace (275) furieuse, et que tout est capable de nous frapper de terreur, il nous assiste alors de sa force, pour nous rendre fermes de coeur et, desprit, et pour nous faire répondre avec hardiesse, sans blesser en rien ni la vérité ni la justice. Car représentez-vous, je vous prie, un homme qui ne sest occupé toute sa vie que de pêche, ou de cuirs, que de banque, et qui paraît tout dun coup devant des rois assis dans leurs trônes, environnés de grands officiers, de gardes et dépées nues et dune fouIe innombrable de peuple, et qui entre seul devant tout ce monde, ayant les mains liées et les yeux baissés vers la terre; croyez-vous quun homme en cet état aurait eu seulement la hardiesse douvrir la bouche, et de dire une parole? On ne pouvait même souffrir quils parlassent pour se justifier, et pour défendre la vérité de leur doctrine, mais on les regardait comme .des corrupteurs et des perturbateurs de toute la terre, quil fallait exterminer et condamner aux plus effroyables supplices : « Voilà, » disaient-ils, « ces gens qui troublent toute la terre (Act. XVI) , » ces séditieux « qui osent parler contre les édits de César, en appelant Jésus-Christ roi. » (Ibid. XVII.) Ainsi les juges étaient prévenus contre eux par ces fausses impressions, et il était besoin davoir une force et une lumière toute divine, pour persuader ces deux choses : lune que la doctrine quils prêchaient était vraie; et lautre quelle nétait point contraire aux lois civiles et aux intérêts de lEtat. Car si, dune part, ils soutenaient la vérité quils prêchaient, ou les accusait de renverser les lois de lEtat; et si de lautre, ils se mettaient en peine de prouver quils nétaient point contraires au bien des Etats, ils étaient en danger daffaiblir en quelque chose la vérité et la sainteté de lEvangile. Cependant nous savons avec quelle sagesse saint Pierre et saint Paul, et tous les autres apôtres se sont conduits dans de semblables rencontres. On lés accusait partout comme des factieux, comme des gens qui voulaient introduire des nouveautés par des intrigues et par des cabales, et néanmoins non-seulement ils se sont purgés de toutes ces fausses accusations, mais ils ont même donné des impressions toutes différentes de leur conduite, et tout le monde a reconnu quils étaient les sauveurs de la terre, les bienfaiteurs. et les pères communs de tous les hommes. Et ils se sont acquis cette réputation par leurs longs travaux, et par une extrême patience. Cest pourquoi saint Paul disait de lui-même quil mourait chaque jour : « Je meurs tous les jours,» dit-il, et ainsi sa vie na été quune souffrance et une mort continuelle. Après cela, mes frères, comment pouvons-nous nous excuser davoir de si grands exemples et de vivre dans une mollesse criminelle, lorsquil nous serait si aisé de servir Dieu dans la paix de son Eglise? Nous nous laissons tuer sans que personne nous fasse la guerre. Nous mourons sans quaucun ennemi nous persécute. Dieu nous commande de nous sauver, nous sommes en pleine paix, et nous ne le pouvons faire. Les apôtres voyant toute la terre en feu, se jetaient au milieu des flammes, et en retiraient tous ceux qui brûlaient. Nous sommes, nous autres, dans le plus grand calme du monde, et nous ne pouvons nous sauver nous-mêmes. Après cela quelle excuse nous restera-t-il? Nous ne sommes plus menacés ni de prisons ni de chaînes. On ne parle plus ni de fouets ni de tortures.. Les princes et les synagogues ne fulminent plus, darrêts contre nous. Tout est changé maintenant. Nous dominons et nous régnons, puisque nous avons des princes fidèles et religieux. Le nom chrétien est en vénération et en honneur, et ceux qui en font profession sont dans les magistratures et dans lés premières charges; et cependant nous nous laissons vaincre au milieu de cette paix. Les apôtres et leurs disciples, alors battus de verges et tourmentés de mille manières, faisaient leurs délices de leurs tourments; et nous qui ne souffrons pas aujourdhui le, moindre mal, nous sommes plus mous que de la cire. Mais, me direz-vous, les apôtres faisaient des miracles? Mais leurs miracles les empêchaient-ils de souffrir les fouets, les prisons et les bannissements?Et ce quil y a détrange, cest précisément quils étaient si cruellement traités par ceux qui recevaient leurs bienfaits, et quils ne se troublaient point de cette ingratitude et quils recevaient sans sétonner de si grands maux au lieu des grands biens quils avaient faits. Vous au contraire, si vous avez rendu à quelquun le moindre service, et quensuite il vous désoblige en quelque chose, vous entrez dans le trouble, vous avez lesprit aigri et agité, et vous vous repentez du bien que vous lui avez fait. (276) 6. Que serait-ce sil arrivait, ce que je prie Dieu de ne pas permettre; que serait-ce, dis-je, sil arrivait quelque persécution dans lEglise? Quel désordre ne verrait-on pas, et à quelle confusion ne serions-nous pas exposés? Car où est le fidèle qui pourrait combattre, puisque personne ne sexerce avant le combat? Quel est lathlète qui puisse vaincre son adversaire, et remporter le prix aux jeux olympiques, si dès sa jeunesse il ne sest formé dans lart de la lutte? Ne devrions-nous pas courir tous les jours dans la carrière de la foi et combattre tous les jours? Ne voyez-vous pas que. les athlètes qui nont pas dantagonistes se servent dun sac plein de sable, pour faire ainsi lessai de leurs forces, et que les plus jeunes dentre eux sexercent contre dautres plus robustes pour se .préparer à un combat véritable? Imitez-les, vous qui êtes les athlètes de Jésus-Christ. Exercez-vous dans les combats de la piété et de la sagesse. Nous trouvons tous les jours des personnes qui nous portent à laigreur et à la colère, et qui allument en nous le feu de nos passions. Résistez à ces ennemis invisibles, supportez ces peines de lâme, pour vous rendre plus supportables celles du corps. Si le bienheureux Job ne se fût ainsi exercé avant le combat, il neût jamais témoigné dans loccasion une patience si inimitable. Sil ne se fût longtemps étudié à étouffer tous les murmures et les ressentiments de son coeur il eût sans doute dit quelque parole déréglée, lorsquil se vit tout dun coup accablé de tant de maux.. Mais parce quil sétait acquis une grande force en saccoutumant à tout souffrir, il ne put être abattu ni par la perte de tous ses biens, ni par la mort si soudaine de tous ses enfants, ni par la fausse compassion de sa femme, ni par les plaies horribles de tout son corps, ni par les reproches de ses amis, ni par les insultes de ses domestiques. Que si vous désirez de savoir quels furent les exercices par lesquels il se prépara à ce grand combat, écoutez jusquà quel point il témoigne lui-même quil méprisait les richesses. « Vous savez, Seigneur, » dit-il à Dieu, «si je me suis réjoui davoir de grands biens, si jai regardé lor comme mon appui, et si jai mis ma confiance dans les pierres précieuses. » (Job, XXXI, 25.) Ainsi il ne se troubla point dêtre devenu pauvre, parce quil navait point eu de joie de se voir si riche. Considérez aussi de quelle manière il gouvernait ses enfants. Sa conduite envers eux nétait point molle et relâchée comme la nôtre; niais pleine de vigilance et dune sage sévérité. Car sil avait tant de soin doffrir à Dieu des victimes pour leurs fautes secrètes, avec quel zèle les a-t-il dû reprendre pour celles qui étaient visibles? Si vous voulez voir encore comment il sexerçait à la continence, voyez ce quil dit: « Jai fait un pacte avec mes yeux, pour navoir pas seulement une pensée dune vierge. » (Job, XXXI, 1.) Nous voyons aussi que sa femme ne put abattre son grand courage, parce quil ne laimait que comme un homme sage doit aimer sa femme. Cest pourquoi jai admiré souvent en moi-même comment le démon osa tenter ce saint homme, et comment il entreprit même de le vaincre, lui qui savait que par un long exercice il sétait élevé jusquau comble de la vertu. Mais le démon est comme une bête cruelle. Il est toujours altéré de sang. Il ne se rebute point, et il ne désespère jamais de nous perdre. Son opiniâtreté est la condamnation dé notre mollesse, puisquil ne désespère jamais de nous perdre, au lieu que nous désespérons au contraire si aisément de nous sauver. Mais considérez encore comment ce saint homme se préparait aux maux du corps et aux plaies horribles dont il fut frappé. Comme il navait rien à souffrir en lui-même, parce quil vivait dans les richesses, dans labondance de toutes choses et dans la magnificence, il arrêtait ses yeux sur les misères des autres. Et cest ce qui lui fait dire: « Le mal que je craignais mest arrivé, et les afflictions que je considérais avec frayeur sont tombées sur moi. » Et ailleurs: « Jai répandu des larmes sur toutes les personnes affligées, et jai soupiré quand jai vu un homme dans la misère. » (Job, III, 25.) Cest là ce qui la rendu invincible dans sa douleur et invulnérable à tous les traits du démon. Car il ne faut pas seulement compter parmi ses maux la perte de ses biens, la mort de ses enfants, les plaintes empoisonnées de sa femme et les plaies incurables de out son corps. Il faut jeter les yeux sur dautres encore beaucoup plus sensibles. Cela vous surprend sans doute, et vous demandez en vous-même ce que Job a souffert de plus . grand et de plus sensible que ce que nous venons de dire, puisque cest tout ce que lEcriture nous en rapporte. Je ne métonne pas de votre doute. Je (277) sais avec quelle négligence vous lisez lEcriture, et ainsi je ne métonne pas que vous y remarquiez si peu de chose. Mais ceux qui pèsent la parole de Dieu comme lor et qui savent le prix de ces perles spirituelles, y trouvent bien dans cette histoire dautres sujets de douleur pour ce saint homme. Ils considèrent premièrement quil navait pas encore une connaissance bien claire du royaume du ciel et de la résurrection des hommes. Cest ce qui lui faisait dire: « Je nai point à vivre éternellement, pour ne me lasser point dans ma patience. » (Ibid. VII.) Secondement, quil se voyait accablé de maux, après le grand nombre dactions saintes quil avait faites. Troisièmement, quil ne se sentait coupable daucun crime. En quatrième lieu, quil croyait que Dieu était lauteur des maux quil souffrait, et que quand même il les eût attribués au démon, cen était encore assez pour le troubler. Cinquièmement, quil voyait que ses amis étaient devenus ses accusateurs et quils lui disaient : « Vous navez pas encore souffert autant que vous le méritez. » Sixièmement, quil considérait que des hommes plongés dans le vice étaient comblés de biens, et quils lui insultaient dans son malheur. Septièmement , quil ny avait eu encore personne avant lui qui eût souffert de la sorte et dont lexemple le pût consoler. 7. Pour comprendre combien toutes ces circonstances aggravaient son mal, il nen faut juger que parce que nous voyons aujourdhui. Car encore que nous croyions maintenant avec tant dassurance au royaume des cieux et à la résurrection de la chair; que nous nous sentions coupables de tant de péchés; que nous ayons tant de grands exemples et tant de modèles excellents de toutes sortes de vertus; cependant sil nous arrive de perdre quelque argent que peut-être nous avions volé, ce seul mal, sans être accompagné ni des reproches dune femme, ni de la mort dun enfant, ni des accusations dun ennemi, ni des insultes dun domestique, lorsquau contraire beaucoup de choses pourraient et devraient ladoucir, ne laisse pas de nous être insupportable et de nous rendre la vie odieuse. Quelles louanges donc mérite Job, qui, après avoir perdu en un moment ce quil avait amassé par un juste travail durant tant dannées, voit comme pleuvoir sur lui les malheurs de toutes parts sans que sa constance soit ébranlée, et sans cesser jamais de rendre à son Créateur les actions de grâces qui lui sont dues? Car, pour ne point parler de tout le reste, les seules paroles de sa femme nauraient-elles pas été capables débranler les pierres les plus dures? Considérez , je vous prie, avec quelle adresse elle tâche de le surprendre. Elle ne se plaint point de la perte de ses biens. Elle ne lui parle point de ses chameaux, de ses brebis et de tout le reste, parce quelle savait combien son mari méprisait toutes ces choses. Elle sarrête à la mort de ses enfants, qui pouvait le plus le toucher. Elle la déplore avec des plaintes excessives; elle lexagère autant quelle peut. Que si lon a vu souvent des personnes qui , dans un état très-heureux, nont pas laissé de faire de grandes fautes par la persuasion de leurs femmes; quel courage devait avoir cette âme héroïque, pour repousser sa femme qui venait lattaquer avec tant davantage et pour étouffer en même temps deux passions si fortes, lamour et la compassion? il est arrivé souvent que ceux qui avaient résisté à la première de ces passions ont succombé à la seconde. Le patriarche Joseph foula aux pieds lamour impudique, en repoussant lEgyptienne avec tous les attraits et tous les artifices dont elle usa; mais il ne put résister à la compassion ni retenir ses larmes, lorsquil vit ses frères qui lavaient vendu autrefois; et ne pouvant plus souffrir le déguisement et la feinte , il se fit reconnaître pour ce quil était. Lors donc que ce nest pas un frère qui parle à son frère,. mais une femme qui parle à son mari et qui lui dit des choses touchantes, quelle est dailleurs secondée par la conjoncture du temps, par les plaies, par la douleur et par mille maux de celui à qui elle parle, il est certain quà moins davoir un coeur plus ferme que le diamant on ne peut pas résister à cette tempête. Permettez-moi, mes frères, de vous déclarer avec liberté ce que je pense de ce saint homme. Je ne dis pas que Job a été plus grand que les apôtres. Mais jose dire quil leur a été égal. Les apôtres avaient une très-grande consolation que Job navait pas. Ils savaient quils souffraient pour Jésus-Christ, ce qui était un si grand soulagement dans leurs maux que Jésus-Christ ne manque jamais de marquer cette circonstance en leur disant: « Vous souffrirez (278) à cause de moi : vous souffrirez pour mon nom. Sils ont appelé le maître Béelzébub, comment ne traiteront-ils pas de même ses disciples? » Mais Job ne pouvait pas se consoler par une si haute considération. Il navait point reçu comme les apôtres le don de faire des miracles et il nétait point assisté de Dieu si puissamment. Car il navait point reçu le Saint-Esprit dans cette plénitude avec laquelle il a depuis été donné à lEglise. Nous devons encore considérer que Job avait été nourri dans une grande délicatesse; quil avait vécu dans les plaisirs et dans la jouissance de toutes sortes de biens; quil était en cela bien différent des apôtres, pêcheurs accoutumés à une vie dure et pauvre ; et quainsi il fallait une grande vertu pour passer tout dun coup du comble des délices dans une extrême misère. Il a souffert aussi comme les apôtres, les injures, les outrages et les insultes; mais ceux qui le traitaient de la sorte étaient ses propres amis et ses domestiques, car il était également haï de ses ennemis, et de ceux quil avait le plus obligés. Mais dans tous ces maux il na point eu le bonheur, comme nous lavons déjà remarqué, dêtre soutenu par cette ancre sacrée qui rassurait les apôtres parmi toutes les tempêtes de ce monde, cest-à-dire de souffrir « pour Jésus-Christ et pour le nom du Sauveur. » Jadmire ces trois jeunes hommes de la fournaise, qui résistèrent à ce tyran si redoutable, et qui méprisèrent toute la violence des flammes. Mais considérez aussi ce quils disent à ce roi barbare : « Nous nadorons point vos dieux, et nous nadorerons jamais cette idole que vous avez faite.» (Dan. III, 7.) Cétait là leur grande consolation, de savoir quils souffraient pour Dieu tout ce quils souffraient. Job au contraire ne savait pas que tout ce quil souffrait venait dun combat qui se passait dans sa personne entre Dieu et le démon; et sans doute que sil leût su, cette pensée laurait rendu insensible à tous ses maux. Cest pourquoi, aussitôt quil eût entendu ces paroles du Seigneur: «Croyez-vous que je vous aie ainsi affligé pour un autre sujet que pour faire connaître et publier votre vertu et votre justice (Job, XXIV, 3)? » vous voyez comme à cette parole, il reprend une nouvelle force, comme il sanéantit en lui-même, et comment il croit navoir pas même souffert ce quil a souffert. « Pourquoi,» dit-il, «croit-on encore que Dieu mait traité de la sorte pour mes péchés, après avoir entendu ces paroles, moi qui ne suis rien? » (Job, XXIV, 13.) Et ailleurs : «Je ne pouvais que vous écouter auparavant, mais maintenant mon oeil vous a vu. Cest pourquoi je me méprise moi-même, je me fonds et je mécoule comme leau, et je me regarde comme la poussière et la cendre. » (Job, XLII, 5.) Imitons, mes frères, ce courage si fort et si humble. Imitons, nous qui ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce, un homme qui vivait avant la loi et avant le temps heureux de la grâce, afin que nous puissions mériter dentrer un jour comme lui dans les tabernacles éternels où je prie Dieu de nous conduire, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire et lempire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (279) |