|
|
HOMÉLIE XLIII« ALORS QUELQUES-UNS DES DOCTEURS DE LA LOI ET DES PHARISIENS LUI DIRENT: MAÎTRE, NOUS VOU DRIONS BIEN QUE VOUS NOUS FISSIEZ VOIR QUELQUE PRODIGE. MAIS IL LEUR RÉPONDIT : CETTE RACE MÉCHANTE ET ADULTÈRE DEMANDE UN PRODIGE., ET ON NE LUI EN ACCORDERA POINT DAUTRE QUE CELUI DU PROPHÈTE JONAS. » (CHAP. XII, 38, 39, JUSQUAU VERSET 46.) ANALYSE 1. Cette génération perverse et adultère demande un signe. Cette génération est adultère parce quelle repousse son légitime maître ; ainsi par cette parole quil adresse aux Juifs incrédules, Jésus-Christ montre quil est légal de Dieu le Père. 2. Que la passion et la mort de Jésus-Christ ont été réelles et non pas seulement apparentes comme le voulait lhérésiarque Marcion. Jonas, figure de Jésus-Christ. 3. Condamnation des Juifs déicides; leur punition dès cette vie. 4 et 5. Combien on doit craindre dirriter Dieu, et de sendurcir comme Pharaon. Description du feu et des tourments effroyables de lenfer. Quon doit éviter ces peines par un véritable changement de vie. Comment on peut se sauver au milieu des engagements et des soins du monde. 1. Peut-on trouver quelquun de plus déraisonnable et plus impie que les pharisiens, qui après tant de miracles que Jésus-Christ a faits devant eux, lui disent ici comme sil nen avait fait aucun: «Maître, nous voudrions bien que « vous nous fissiez voir quelque prodige? »Pourquoi donc lui font-ils cette question? Cest encore dans le dessein de le surprendre. Après que Jésus-Christ leur a souvent fermé la bouche, après quil a réprimé leur audace par la force de ses paroles, ils lui demandent de nouveaux miracles. Cest ce que lévangéliste admire, lorsquil dit: « Alors quelques-uns des docteurs de la loi et des pharisiens demandèrent un prodige. » Car quel temps marque-t-il en disant : « Alors? » un temps où les Juifs devaient le plus céder à Jésus-Christ, ladmirer, être épouvantés de ses raisons, séloigner de lui avec confusion? Cétait au contraire alors que leur malice redoublait, et quils étaient plus opiniâtres. Mais remarquez combien leurs paroles sont pleines de flatteries et dillusion tout ensemble. Car ils espéraient le gagner par là. Tantôt ils linjurient, et tantôt ils le flattent. Ils lappellent quelquefois « démoniaque »; et quelquefois ils lappellent « maître. » Lun et lautre de ces traitements si opposés venaient dun même fond de malice. Cest aussi ce qui oblige Jésus-Christ à leur faire une sévère réprimande. Lorsquils lui parlaient avec aigreur, et quils linterrogeaient fièrement, il leur répondait avec une douceur admirable ; mais lorsquils le flattaient, il leur parlait avec force. Il montrait ainsi quil était au-dessus de toutes ces passions, et que comme leur colère ne lirritait pas, leurs flatteries aussi ne le touchaient point. Mais remarquez que cette réprimande nest pas une simple réprimande, mais quelle est encore une preuve et une conviction de leur malice. Car voici ce quil répond: « Cette race méchante et adultère demande un prodige (39). » Il semble quil leur dise par ces paroles.: faut-il sétonner que vous me traitiez de la sorte, lorsque vous ne me connaissez pas encore, puisque vous traitez aussi indignement mon Père, dont vous avez tant de fois éprouvé la puissance? Vous lavez quitté néanmoins souvent pour courir aux idoles, et pour en attirer dautres à ce culte impie. Cest le reproche continuel que leur faisait le prophète Ezéchiel. (Ezéchiel, XV.) Jésus-Christ leur parlait ainsi pour leur montrer quil était parfaitement daccord avec son Père, et quils ne faisaient, eux, que ce que leurs pères avaient (340) déjà fait. Il voulait leur montrer quil connaissait clairement le secret de leurs pensées et lintention hypocrite et malveillante avec laquelle ces prodiges lui étaient demandés. Cest pour ce sujet quil les appelle « une race méchante, » parce quils avaient toujours été ingrats aux bienfaits de Dieu, devenant dautant plus méchants quils en recevaient plus de grâces, ce qui est le comble de la malice. Il les appelle encore une « race adultère, » pour marquer leur infidélité passée et leur incrédulité présente. Et il montre en cela -même quil est égal à son Père, puisque, lâme se rend également adultère ou en ne croyant pas au Fils, ou en ne croyant pas au Père. Après cette forte réprimande il ajoute : « Mais on ne lui en accordera point dautre que celui du prophète Jonas (39). » Il commence à marquer ici sa résurrection et à la prouver par lexemple de ce prophète qui en fut une figure. Vous me direz peut-être: mais le Fils de Dieu na-t-il pas donné « un prodige à cette race méchante et adultère, » puisquil a fait depuis tant de miracles? Je vous réponds quil na point donné ici ses miracles à la demande de ces pharisiens, puisquil ne les a point faits pour les convertir, connaissant trop leur opiniâtreté et leur aveuglement, mais seulement, pour servir aux autres. Nous pouvons dire encore quil ne devait point leur faire voir de miracle semblable à celui de Jonas. Dieu leur a donné un autre signe, lors par exemple que les afflictions qui les accablèrent leur firent sentir quelle était la puissance de Celui quils avaient crucifié. Cest de quoi il les menace ici, quoiquassez obscurément, comme sil disait: je vous ai comblé de bienfaits, sans que rien vois ait pu attirer à moi, et que vous ayez voulu reconnaître et adorer ma souveraine puissance. Mais vous la connaîtrez un jour non plus par la grandeur de mes dons, mais par les effets de ma justice, lorsque vous verrez votre ville prise et pillée, vos murs abattus, votre temple démoli, votre Etat ruiné, votre liberté perdue, vos cérémonies abolies, et que vous serez errants et fugitifs sur toute la ferre. Tout ceci . vous arrivera après que vous maurez crucifié, et cest là le grand prodige que je vous réserve. Car nest-ce pas en effet un prodige épouvantable, que le peuple juif soit toujours accablé des mêmes maux, et que malgré les efforts que plusieurs ont faits pour le soulager, il demeure néanmoins toujours misérable, depuis que la main de Dieu sest une fois appesantie sur lui pour le châtier? Mais Jésus-Christ ne leur parle quobscurément de ces choses, qui ne devaient être éclaircies que par ce qui devait arriver un jour. Il se contente ici de leur parler de sa résurrection dont ils devaient être plus pleinement informés par ce quils souffriraient dans la suite. « Car comme Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine; ainsi le Fils de lhomme sera trois jours et trois nuits dans le coeur de la terre (40). » Il ne leur dit pas néanmoins quil ressusciterait, parce que ces impies sen seraient moqués; il se contente de le leur marquer en énigme pour leur faire voir, quand cela serait arrivé, quil le leur avait prédit. Car pour se convaincre que les pharisiens comprenaient ce que Jésus leur disait par ces paroles, il ne faut que voir ce quils dirent à Pilate. « Ce, séducteur a dit, lorsquil « était encore vivant : je ressusciterai après « trois jours. » (Matth. XXVII, 43.) Cependant ses disciples mêmes ignoraient cela parce quils étaient bien plus grossiers et plus ignorants alors que les pharisiens. Cest pourquoi les Juifs ont été convaincus par leur propre lumière, et se sont condamnés eux-mêmes. 2. Mais remarquez avec quelle exactitude Jésus-Christ parle, de sa résurrection, quoique en termes énigmatiques. Car il ne dit pas quil sera dans la terre, mais « dans le coeur de la terre, » pour mieux marquer son sépulcre, et pour empêcher quon ne crût que sa mort nétait quune feinte. Cest pour cette même raison quil a voulu demeurer mort durant trois jours, afin que personne nen pût douter, Il a voulu confirmer la certitude de sa mort, non-seulement en mourant sur une croix devant tout le monde, mais encore en demeurant trois jours dans le sépulcre. Toute la suite des temps devait rendre témoignage à sa résurrection, mais on eût pu douter de sa mort, sil ne leût établie par des preuves très-constantes et très-assurées. Que si lon eût douté de sa mort, on eût douté aussi par une suite nécessaire de sa résurrection. Cest pourquoi il donne à sa mort le nom « de signe, » et il naurait point « donné ce signe » sil neût point été crucifié. Il rapporte aussi une figure de sa mort, afin quon en crût la vérité. Car je vous prie de me (341) dire si Jonas nétait quen figure « dans le ventre « de la baleine? » Et si lon ne peut dire cela avec quelque apparence de raison, pourquoi veut-on douter que Jésus-Christ nait été de nième «dans le coeur de la terre? » Est-il croyable que la figure ait été réelle, et que la vérité nait été quune illusion? Cest pourquoi nous avons tant de soin dannoncer partout la mort de Jésus-Christ, et dans les sacrés mystères, et dans le baptême, et généralement en toutes choses. De là vient encore que saint Paul crie si hautement: « A Dieu ne plaise que je « mette ma gloire en autre chose que dans la « croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ! » (Gal. VII, 14.) Cest, mes frères, ce qui nous fait voir que ceux qui sont infectés de lhérésie de Marcion sont les vrais enfants du diable, parce que, en soutenant, comme cet hérésiarque, qua Jésus-Christ na point été crucifié et nest point mort véritablement, ils se rendent les ministres du diable, sefforçant comme lui deffacer le souvenir de choses dont Dieu a voulu éterniser la mémoire, je veux dire la croix et la passion. Cest pourquoi Jésus-Christ dit dans un autre endroit de lEvangile : « Détruisez ce temple et je le réédifierai en trois jours (Jean, II, 17);» et ailleurs : « Les jours viendront quon leur ôtera lépoux. » Et ici: «On ne leur donnera point dautre prodige que celui du prophète Jonas, » montrant quil souffrirait pour eux, mais que ce serait inutilement, et quils ne tireraient aucun fruit de ses souffrances, ce quil témoigne clairement un peu après. Il le savait, et néanmoins, il na pas laissé de mourir, tant était grande sa charité ! Et ne croyez pas que le sort réservé aux Juifs ressemble à celui des Ninivites que Dieu, après avoir été sur le point de les perdre, sauva à cause de leur pénitence en faisant reculer les barbares qui les menaçaient; ne croyez pas, dis-je, que les Juifs doivent se convertir après la résurrection du Sauveur, écoutez plutôt comment Jésus-Christ assure le contraire. Car ce quil dit ensuite dun démon qui rentre dans celui dont il avait été chassé, fait voir clairement que les Juifs néviteraient point la colère de Dieu comme les Ninivites, et que rien narrêterait les malheurs dont ils étaient menacés, et il déclare que leur punition sera très-juste. Il suit en cela la même conduite quil avait suivie dans les siècles passés. Car sur le point de ruiner Sodome, il sen justifie auparavant devant Abraham, et il fait voir que la vertu était si rare et si inconnue dans cette ville quil ny avait pas seulement dix personnes justes. Il fait voir de même à Loth combien ce peuple quil allait ruiner était ennemi de lhospitalité, et combien il était plongé dans des vices détestables, et après cela il les consume par le feu du ciel. Il en usa de même au temps du déluge, ayant voulu que toute sa conduite fit voir à Noé combien était juste une si effroyable punition. Il fit voir de même à Ezéchiel, lorsquil était a Babylone, les maux qui se commettaient dans Jérusalem. Il agit ainsi encore envers Jérémie, lorsquil lui disait comme pour se justifier: « Ne priez point pour eux, « car ne voyez-vous pas ce quils font? » (Jérém. XXIII, 10.) Enfin on voit quil garde partout la conduite dont il use ici. « Les Ninivites sélèveront au jour du jugement contre ce peuple, et le condamneront, parce quils ont fait pénitence à la prédication de Jonas, et cependant celui qui est ici est plus grand que Jouas (41).» Jonas était le serviteur, et moi le Maître. Il est sorti dune baleine, et je sortirai vivant du tombeau. Il a annoncé à un peuple la ruine de sa ville, et moi je vous annonce le royaume des cieux. Les Ninivites ont cru sans aucun miracle. Et moi jen ai fait un très-grand nombre. Ils navaient reçu aucune instruction avant la prédication de ce prophète, et moi je vous ai instruits de toutes choses, et je vous ai découvert les secrets de la plus haute sagesse. Jonas est venu aux Ninivites comme un serviteur qui leur parlait de la part de son maître, et moi je suis venu en Maître et en Dieu. Je nai point menacé comme lui, je ne suis point venu pour vous juger, mais pour vous offrir à tous le pardon de vos péchés. De plus ces Ninivites étaient un peuple barbare, au lieu que les Juifs avaient toujours entendu les prédications des prophètes. Personne navait prédit aux Ninivites la naissance de Jonas, et les prophètes avaient prédit de Jésus-Christ une infinité de choses, et les événements répondaient ponctuellement aux prophéties. Jouas prit la fuite, et voulut se dispenser de sa prédication, de peur dêtre raillé des Ninivites; et moi qui savais devoir être attaché en croix et moqué, je suis néanmoins venu. Jonas ne put souffrir dêtre méprisé de ceux quil devait convertir, et moi je souffre (342) pour eux la mort, et une mort honteuse, et je leur envoie encore après moi mes apôtres pour achever mon ouvrage. Enfin Jonas était un étranger inconnu aux Ninivites; et moi je suis de la même race que les Juifs, et jai selon la chair les mêmes aïeux queux. On pourrait trouver ainsi dautres avantages de la prédication de Jésus-Christ sur celle de Jonas, si on sarrêtait à les bien, considérer. Mais Jésus-Christ ne se contente pas dé cet exemple. Il en joint aussitôt un autre. 3. « La reine du midi sélèvera au jour du jugement contre ce peuple, et le condamnera, parce quelle est venue des extrémités de la terre, pour entendre la sagesse de Salomon, et cependant celui qui est ici est plus grand que Salomon (42).» Cet exemple est encore plus puissant que e premier. Car Jonas au moins alla trouver les Ninivites, mais la reine du midi nattendit pas que Salomon la vînt trouver. Elle le prévint et le visita dans son royaume. Elle ne considéra ni son sexe, ni sa qualité détrangère, ni léloignement des lieux. Elle se résolut à ce long voyage, non par la terreur des menaces, ni par la crainte de la mort, mais par le seul amour de la sagesse: « Et cependant celui qui est ici est plus grand que Salomon. » Là cest une femme qui va trouver un roi; ici au contraire cest un Dieu qui cherche des hommes. Elle vient trouver Salomon des extrémités de la terre; et moi, descendu du haut du ciel, je viens vous chercher dans vos bourgs et dans vos villes. Salomon discourait sur les arbres et sur les plantes, ce qui ne pouvait pas être fort utile à celle qui le venait chercher; et moi je vous annonce des choses également terribles et salutaires. Après donc les avoir mis dans leur tort, et leur avoir prouvé par tant de raisons, quils ne méritaient point le pardon de leurs péchés; après avoir montré et par lexemple des Ninivites, et par celui de la reine du midi que leur désobéissance et leur incrédulité ne venait pas de la faiblesse du maître qui les instruisait, mais de leur opiniâtreté inflexible; il leur déclare enfin le châtiment qui devait fondre sur eux. Il ne le fait que par des énigmes obscures, mais qui ne laissent pas dimprimer la crainte dans les esprits. « Lorsque lesprit impur est sorti dun homme, il sen va par des lieux arides cherchant du repos, et il nen trouve point (43). Alors il dit : Je retournerai dans ma maison doù je suis sorti, et venant il la trouve vide, nettoyée et bien parée (44). En même temps il sen va prendre avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, et entrant dans cette maison ils y habitent. Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier. Cest ce qui arrivera à cette race (45). » Jésus-Christ montre clairement par ces paroles que les Juifs souffriraient détranges tourments, non-seulement dans lautre monde, mais même dès celui-ci. Comme il leur avait dit que les Ninivites sélèveraient contre eux au jour du jugement, et quils les condamneraient, de peur que ces menaces si éloignées ne fissent pas une assez forte impression sur eux pour les tirer de leur négligence, il leur marque les maux qui devaient leur arriver dès cette vie. Le prophète Osée leur avait prédit aussi ces malheurs, lorsquil leur dit: « Quils seraient « comme un prophète et comme un homme « qui aurait perdu le sens et qui serait possédé « dun mauvais esprit. » (Osée, VIII, 7.) Cest-à-dire, comme des furieux, comme des démoniaques, et comme des faux prophètes possédés du malin esprit. Car Osée, par ce mot de « prophète », entend ici les faux prophètes, comme sont les devins et autres semblables. Cest ce que Jésus-Christ montre ici, lorsquil dit que les Juifs souffriraient les dernières extrémités. Considérez comme il tente toutes sortes de voies pour forcer ce peuple à lécouter. Il les presse de tous côtés. Il leur représente le présent et lavenir; il les stimule par de beaux exemples comme ceux des Ninivites et de la reine du midi : il les effraie par lexemple de ceux qui ont péché comme du peuple de Tyr et de Sodome. Cest ce quont fait tous les prophètes, lorsquils ont proposé aux Juifs, tantôt lexemple « des Réchabites (Jérém. XXXV, 8) »; tantôt celui dune « épouse » qui ne peut oublier ses ornements (Osée, XXIV); tantôt celui « du boeuf »qui connaît son maître, et « de lâne » qui nignore pas létable de celui qui le nourrit. (Isaïe, I.) Jésus-Christ suit donc ici la coutume de ces hommes éclairés de Dieu; et après avoir fait connaître aux Juifs lexcès de leur ingratitude, en les comparant avec dautres moins ingrats queux, il leur déclare enfin quels seraient les tourments dont cette ingratitude sera punie. (343) Mais examinons ce que veut dire lexemple que Jésus-Christ leur rapporte dun homme possédé du démon. Comme ceux, dit-il, qui sont délivrés dun démon qui les possédait, et qui deviennent ensuite lâches et paresseux, attirent de nouveau le démon en eux, et en sont possédés encore plus dangereusement; ainsi vous arrivera-t-il. Vous étiez possédés du démon, lorsquautrefois vous adoriez les idoles, et que vous égorgiez vos enfants pour en faire des sacrifices au diable, avec une cruauté qui fait horreur. Cependant je ne vous ai pas abandonnés en cet état. Jai chassé ce démon qui vous possédait, par la voix de mes prophètes, et je suis venu moi-même pour vous purifier et pour vous guérir entièrement. Mais puisque vous ne voulez pas mécouter, et que vous vous plongez toujours dans de nouveaux crimes, puisquaprès avoir persécuté les prophètes, vous voulez couronner votre malice en me tuant moi-même aussi bien queux; ne vous étonnez pas si vous souffrez des maux qui égalent vos offenses, et qui surpasseront tout ce que vous avez jamais souffert en Egypte, à Babylone et sous Antiochus. En effet, Vespasien et Titus ont fait plus de mal aux Juifs que leurs anciens ennemis. Cest pourquoi Jésus-Christ dit: « Il y aura alors une affliction telle « que lon nen a jamais vue et quon nen « verra jamais de pareille. » (Matth. XXIV, 31.) Mais cet exemple du possédé montre encore que les Juifs, alors destitués de toute vertu, seront dautant plus susceptibles de toutes les impressions des démons. Quand ils péchaient autrefois, ils avaient des hommes de Dieu parmi eux qui les reprenaient. La providence de Dieu leur tendait la main pour les secourir. La grâce du Saint-Esprit veillait sur eux pour les redresser. Elle faisait tout pour les rappeler au bien. Mais quand le temps de la colère sera venu, ils seront entièrement privés de tous ces secours, ce qui rendra la vertu bien plus rare, le crime bien plus commun, et la tyrannie du démon bien plus violente. Vous savez tous ce que nous avons vu de notre temps sous lempire de ce Julien, qui a surpassé en impiété tous ceux qui avaient régné avant lui, et que lorsquil portait le fer et le feu contre lEglise, les Juifs se sont unis avec les païens, quils ont pris leurs cérémonies, et quils ont adoré comme eux les idoles. Sils paraissent un peu plus sages maintenant, ce nest que la crainte des empereurs qui les retient dans le devoir. Si leur malice navait ce frein qui larrête, ils seraient plus cruels que jamais, et ils se porteraient à des excès encore plus grands. Car on voit que dans les autres crimes, tels que les enchantements, la magie, et limpudicité, ils vont plus loin que nont jamais été leurs pères. Et quoique retenus par un frein si fort, ils nont pas laissé de conspirer souvent, et de se soulever contre les empereurs, et de sattirer ainsi deffroyables maux. 4. Où sont donc ceux qui demandent des prodiges et des miracles? Quils reconnaissent enfin que tout ce que nous devons désirer, cest davoir un esprit sage et une volonté reconnaissante envers Dieu; et que lorsque cela nous manque tous les miracles sont inutiles. Les Ninivites ont cru sans avoir vu de miracles, et les Juifs, après tant de prodiges, sont devenus pires quauparavant. Ils ont été possédés de nouveau par des démons encore plus furieux, et ils se sont attiré un déluge de maux. Et certes cest avec justice, puisque celui qui une fois délivré dune affliction temporelle, nen devient pas plus sage et plus retenu, mérite den souffrir une encore plus grande. Cest pourquoi Jésus-Christ dit que ce démon , après quil est sorti, «ne trouve plus de repos,» cest-à-dire, quil attaquera de nouveau lhomme où il était avec tarit dadresse quil y rentrera une seconde fois. Ces deux choses les devaient faire rentrer en eux-mêmes: les maux quils avaient soufferts et la délivrance quils en avaient obtenue. Une troisième devait même encore leur faire plus dimpression, savoir, la crainte de tomber dans un état encore plus funeste que le premier. Mais ce qui se passe aujourdhui nous fait bien voir que ces paroles nont pas été seulement dites pour les Juifs. Elles nous regardent comme eux, puisquaprès avoir été éclairés de la lumière de Dieu, et avoir renoncé à nos anciens égarements, nous y retombons encore. Faut-il douter après cela que les péchés que nous commettons maintenant ne soient un jour plus sévèrement punis ? Cest lavis que Jésus-Christ donnait au paralytique : « Vous voilà maintenant guéri, ne péchez plus, de peur quil ne vous arrive pis. » (Jean, V, 14.) Vous me demanderez peut-être ce qui pouvait arriver de pis à un homme qui était paralytique depuis trente-huit ans. Mais hélas! (344) quil était facile à Dieu de le faire souffrir davantage. Dieu nous garde déprouver tout ce quun homme est capable dendurer de maux. Dieu a des trésors de supplices et de peines. Sa colère est aussi infinie que sa miséricorde. Cest le reproche quil fait par Ezéchiel à Jérusalem: « Je vous ai trouvée toute souillée de sang, je vous ai lavée, jai répandu sur vous mes parfums, on a admiré voire beauté. Et après cela vous vous êtes honteusement abandonnée à tous les peuples voisins de votre pays. Cest pourquoi je me prépare, dit le Seigneur, à me venger de votre crime avec plus de sévérité que jamais. » (Ezéch. XVII, 7.) Ne considérez pas seulement dans ces paroles quelle est la vengeance de Dieu, mais encore combien sa patience est infinie. Combien de fois lavons-nous irrité par nos crimes, sans quil cesse pour cela de nous traiter avec douceur? Cependant nayons pas trop confiance, mais craignons plutôt. Si Pharaon était rentré dans lui-même à la première plaie dont Dieu le frappa, il naurait point senti les suivantes, et il naurait point péri enfin dans lamer avec toute son armée. Je rapporte à dessein cet exemple, parce quil y a bien des personnes aujourdhui qui disent comme Pharaon: « Je ne sais pas qui est Dieu, je ne le connais point (Exod. III. 7), » et qui tiennent comme lui leurs sujets attachés à la boue et à largile. Combien, lorsque Dieu nous défend dêtre durs même en paroles envers nos serviteurs, combien se montrent impitoyables dans. les travaux quils leur imposent. Ces imitateurs e Pharaon ne seront point abîmés dans la mer Rouge,. mais ils seront précipités dans une mer dont les flots sont de feu, dun feu étrange et horrible. Car cest un abîme qui na point de fond, dont la flamme vive et subtile court de toutes parts, et cause une douleur si cuisante, quelle surpasse sans comparaison toutes les morsures des bêtes les plus cruelles. Que si le feu de la fournaise de Babylone, quoique sensible et matériel, se lança avec tant dimpétuosité sur ceux qui environnaient les trois jeunes hommes, que fera ce feu infernal sur ceux qui y seront précipités ? Considérez comment les prophètes parlent de ce jour terrible : « Le jour du Seigneur est un jour inévitable et sans remède, un jour plein de colère et de fureur. » (Isaïe, XIII, 7.) Il ny aura personne alors pour nous secourir. Il ny aura personne qui nous puisse tirer dun si grand malheur, et ce visage si doux du Sauveur nous sera caché pour jamais. Tels que ceux qui sont condamnés aux mines sont livrés à des hommes sévères et impitoyables, et que sans pouvoir être vus daucun de leurs amis ou de leurs proches, ils ne voient que ceux qui sont établis pour les accabler de travail; tels ces malheureux. ne verront que les démons qui ne se lasseront jamais de les tourmenter. Mais je dis trop peu. Tout ce que nous voyons en ce monde na point de rapport avec cet état. Nous pouvons ici nous adresser à lempereur. Nous pouvons lui demander et obtenir grâce pour les criminels; mais la condamnation de ceux qui vont en enfer est entièrement irrévocable. Ils ne sortent jamais de ces abîmes, de feu. Ils y demeureront accablés de douleurs et plongés, dans des maux qui sont au-dessus et de nos paroles et de nos pensées. Si nous ne pouvons concevoir ni exprimer la peine de ceux qui passent par ce feu sensible et matériel qui est sur la terre combien moins pourrait-on représenter les tourments de ceux qui brûlent dans ces flammes qui ne séteindront jamais? Un homme quon jette ici dans le feu y est consumé en un moment.; mais ce feu-là brûle toujours, et il ne consume jamais. Que ferons-nous donc, mes frères, dans ces lieux horribles? Car je me dis cela à moi-même aussi bien quà vous. Vous me direz peut-être : Si vous, qui nous apprenez à connaître et à servir Dieu, vous dites ces choses pour vous-même, à quoi bon me donner une peine:inutile? Car quelle merveille que je tombe dans ce malheur, si ceux qui me conduisent y peuvent tomber aussi.? Ah! mes frères, ne vous consolez point dune manière si malheureuse. Ce nest point, là une consolation, cest un désespoir. Car, dites-moi, je vous prie, le, démon nest-il pas une, puissance incorporelle? Nest-il pas par sa nature élevé au-dessus des hommes? Cependant il est tombé dans ces abîmes de feu. Qui pourrait donc se consoler un jour de. se trouver avec lui dans les enfers, et dy souffrir les mêmes tourments que lui? Lorsque Dieu frappait lEgypte de tant de plaies, le peuple se consolait-il de ce quil voyait les plus grands et le roi même frappés aussi de la main de Dieu, et de ce que chaque maison pleurait son mort? Nullement, et les Egyptiens le montrèrent bien par ce (345) quils firent, puisque, se sentant comme frappés par une verge de feu, ils coururent en foule à Pharaon et le contraignirent de faire sortir le peuple hébreu. Cest une pensée bien dépourvue de toute raison, de croire que ce soit une grande consolation dêtre puni avec beaucoup dautres, et de dire: Il ne marrivera que ce qui arrive à tout le monde. Un tel raisonnement est si loin dadoucir les maux de lenfer, quil ne rend pas même plus supportables ceux de cette vie. Considérez, je vous prie, ceux qui sont tourmentés de la goutte. Je vous demande si, lorsquils souffrent les douleurs les plus aiguës, ils seraient fort disposés à se consoler, lorsque vous leur représenteriez quil y en a mille qui souffrent autant ou même plus queux? Il leur est impossible de tirer de là le moindre soulagement. Leur esprit est tout occupé par la violence de leur mal. Il est comme absorbé dans cette pensée, et il ne lui en reste plus pour faire aucune réflexion sur les maux des autres. Ainsi ne nous flattons point dune espérance si fausse et si malheureuse. La vue de ce que souffrent les autres peut nous consoler dans les petits maux; mais quand la douleur est vive et perçante, lâme en est tellement possédée, que, bien loin de penser aux autres, elle ne se connaît plus elle-même. Loin donc ces consolations imaginaires! Loin ces raisonnements frivoles, ou plutôt ces contes fabuleux, qui ne sont bons à dire quaux petits enfants. Ce moyen de consolation, qui consiste à se dire que tel et tel sont dans le même cas que soi, produit tout au plus quelque effet dans les médiocres chagrins; que, sil ne diminue pas toujours même les petits chagrins, comment adoucirait-il leffroyable tourment que lEvangile exprime par le grincement de dents? 5. Je sens que ce que je vous dis vous afflige, et que ce discours vous fait de la peine à entendre. Mais que voulez-vous que je fasse? Plût à Dieu que vous fussiez tous si vertueux, que je ne fusse point obligé de vous parler de lenfer! Mais puisque nous sommes la plupart engagés dans le péché, je voudrais de tout mon coeur que mes paroles, entrant dans vos esprits, pussent y imprimer le sentiment dune douleur véritable. Je cesserais alors de vous représenter ces objets funestes. Mais jusques ici je nai que des sujets de craindre pour la plupart de vous, et dappréhender que le mépris que vous faites de ce que je dis, ne vous attire un plus grand supplice. Vous savez que lorsquun serviteur est assez insolent pour mépriser les menaces de son maître, ce mépris même est une nouvelle faute dont on le punit encore plus sévèrement. Cest pourquoi je vous conjure, mes frères, dentrer dans des sentiments de componction, lorsque nous vous parlons de lenfer. Il doit être doux den entendre parler, parce quil ny a rien de plus triste ni de plus effroyable que dy tomber. Vous me demanderez peut-être comment on peut trouver du plaisir à entendre parler de lenfer. Il y en a sans doute, mes frères, car lenfer est une chose si horrible, que les entretiens qui servent à nous en éloigner, quel. que durs et insupportables quils paraissent, doivent être doux. Nous en tirons de plus grands avantages. Car ils font rentrer notre âme en elle-même, ils la rendent plus innocente, ils élèvent ses pensées au ciel, ils la détachent de la terre et de toutes ses passions. Enfin ils lui servent comme dun excellent remède qui prévient les maux et qui lempêche dy tomber. Maintenant que jai parlé du supplice des damnés, permettez-moi de vous parler encore de leur honte. Car, comme les Ninivites condamneront les Juifs, de même beaucoup de ceux qui paraissent vils et méprisables parmi nous, sélèveront contre nous alors pour nous condamner. Représentons-nous donc quelle sera cette confusion, afin que cette pensée nous jette dans quelque commencement de pénitence. Je vous déclare encore une fois que je me dis ceci à moi-même. Je mexhorte le premier en vous exhortant. Ainsi que personne ne se fâche contre moi; que nul ne croie que je le méprise et que je le condamne. Entrons, mes frères, dans la voie étroite. Jusques à quand la mollesse? jusques à quand les délices? Ne nous lasserons-nous jamais de notre indifférence, de nos froides plaisanteries, de nos délais insensés? Ne changerons-nous jamais? Est-ce que nos pensées ne sélèveront jamais au-dessus des objets exprimés par ces mots de table, de bonne chère, de luxe, dargent, de propriétés, de bâtiments? La fin de tout cela, quelle sera-t-elle? la mort. Quelle sera encore un coup cette fin? un peu de cendre et de poudre, les vers et la pourriture. (346) Entrons donc enfin, mes frères, dans une vie toute nouvelle. Faisons de la terre un ciel. Apprenons aux païens, par notre conduite, combien est grand le bonheur dont ils sont privés. Lorsque nous vivrons dune manière si chrétienne, ils verront en nous une image de ce qui se passe dans les cieux. Lorsquils nous verront toujours dans la douceur et dans la modestie, exempts de colère, dégagés denvie, éloignés de lavarice, libres des passions, et réglés en toutes choses, ils sécrieront dans un transport dadmiration : si les chrétiens sont des anges dès cette vie, que doivent-ils être après leur mort? Si leur vie est si éclatante dans un lieu où ils se considèrent comme étrangers, quelle sera leur gloire dans leur véritable patrie? Cest ainsi que nous édifierons les infidèles, que nous les porterons à la foi, et que le bruit de notre vertu se répandra aussi vite que la foi se répandait du temps des apôtres. Puisque douze hommes purent alors convertir des villes et des provinces entières, si nous les imitions aujourdhui, et si chacun de nous sefforçait de faire de sa vie une prédication vivante, jugez jusquoù sétendrait la religion chrétienne. Car un païen sera moins touché de la résurrection dun mort que de la vie sainte dun chrétien véritable. Il est surpris de lun, mais il est touché et édifié de lautre. Le premier passe et soublie, lautre demeure et subsiste et fait une impression profonde dans les esprits. Travaillons donc à notre salut, afin de travailler ensuite à celui des autres. Je ne vous dis rien de trop austère. Je ne vous ordonne rien de trop rude. Je ne vous défends point de vous marier. Je ne vous commande point de vous retirer dans le désert, et de renoncer à toutes les affaires du monde; mais je vous exhorte à vivre dans le monde comme un chrétien y doit vivre. Je souhaiterais que, tout en demeurant comme vous faites au milieu des villes, vous eussiez plus de piété que les solitaires qui habitent les montagnes. Et pourquoi désiré-je cela de vous, sinon parce que lEglise en retirerait un grand avantage? « Personne, » dit lEvangile, «nallume une lampe pour la mettre sous un boisseau. » (Matth. V, 20.) Soyons donc des lampes brillantes et élevées sur le chandelier, afin que notre lumière éclate de toutes parts. Allumons et entretenons en nous ce feu du ciel. Eclairons ceux qui sont assis dans les ténèbres, afin quils sortent de leurs égarements et de leurs erreurs. Ne me dites point: Je suis engagé avec une femme ; jai des enfants; je suis embarrassé dans de grands soins, et il mest impossible de faire ce que vous dites. Quand vous nauriez aucun de tous ces empêchements, si vous demeuriez toujours dans la même apathie, vous nen seriez pas plus vertueux; comme au contraire si vous étiez dans des engagements encore plus grands, et que vous eussiez de lardeur et du zèle, vous vous élèveriez enfin au-dessus de tout. Dieu ne vous demande quune chose: une âme fervente et généreuse. Et alors ni lâge, ni la pauvreté, ni les richesses, ni quoi que ce soit, ne vous empêchera dêtre vertueux. On a vu dans tous les siècles des vieillards, des jeunes gens, des personnes mariées et occupées à élever leurs enfants, des artisans, et des soldats qui ont été très-fidèles à Dieu, et qui dans tous les temps ont accompli tous ses préceptes. Daniel était jeune, Joseph était esclave ; Aquila était artisan ; Lidie vendait de la pourpre ; le geôlier de saint Paul gouvernait une prison; Corneille était centurion; Timothée était presque toujours malade; Onésime était non-seulement esclave, mais fugitif: et cependant toute cette différence détats na point empêché que toutes ces personnes, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, esclaves ou libres, officiers ou particuliers, naient brillé par la sainteté de leur vie. Ne nous couvrons donc plus de ces vains prétextes. Ayons des pensées plus sages et plus chrétiennes. Quels que nous puissions être par notre condition dans le monde, soyons grands par notre vertu dans lEglise, et nous mériterons un jour les biens du ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire et lempire maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles, Ainsi soit-il. |