Matthieu 19,16-27
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HOMÉLIE LXIII

« ET VOILA QU’UN JEUNE HOMME S’APPROCHANT DE JÉSUS LUI DIT: BON MAITRE, QUE FAUT-IL QUE JE FASSE POUR ACQUÉRIR LA VIE ÉTERNELLE » ? (CHAP. XIX, 16, JUSQU’AU VERSET 27.)

ANALYSE

1. L’amour des richesses est la racine de tous les maux.

2. Les riches sont plus cupides que les autres hommes.

3 et 4. Que l’avarice est une source de maux, et pour ce monde et pour l’autre. — Que tous les biens de la terre ne peuvent nous rendre que malheureux, puisqu’ils nous font perdre ceux du ciel. — De la pauvreté de Jésus-Christ et des saints.

 

1. Quelques-uns blâment ce jeune homme et disent qu’il vient trouver Jésus-Christ avec un esprit double et seulement pour te tenter. Pour moi, je croirais assez qu’il était avare et qu’il était possédé par la passion de l’argent, puisqu’en effet Jésus-Christ nous l’a fait voir; mais je n’ose dire qu’il agisse ici avec duplicité, parce qu’il est toujours dangereux, principalement en matière de crimes, d’assurer ce qu’on ne sait pas ni ce qui est douteux. Au reste saint Marc a détruit à l’avance cette opinion en disant « qu’il accourut à Jésus-Christ, qu’il fléchit le genou devant lui, et que Jésus-Christ le regardant, l’aima ». (Marc X, 17.) Mais la (493) tyrannie que les richesses exercent sur les hommes est étrange, mes frères, et cet exemple en est une grande preuve: quelque vertu que nous possédions d’ailleurs, cette seule passion les ruine toutes, et c’est avec grande raison que saint Paul l’appelle « la racine de tous les vices». (I Tim. VI, 10.) Mais pourquoi Jésus-Christ répond-il ceci à ce jeune homme?

« Jésus lui répondit: Pourquoi m’appelez-vous bon? Il n’y a que Dieu seul qui soit bon (17) ». Comme ce jeune homme ne regardait Jésus-Christ que comme un pur homme et comme un des docteurs ordinaires d’entre les Juifs, Jésus voulait aussi lui répondre comme s’il n’eût été en effet qu’un simple homme. C’est ainsi que nous voyons souvent qu’il proportionne ses réponses à la disposition de ceux qui l’interrogent, comme lorsqu’il dit : « Nous adorons ce que nous connaissons ». Et ailleurs : « Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n’est pas vrai». (Jean, III.) Lors donc qu’il dit: «Il n’y a que Dieu seul qui soit bon », il n’entend pas dire qu’il ne soit bon lui-même. Dieu nous garde de cette pensée. Il ne dit point: «Pourquoi m’appelez-vous bon »? je ne le suis pas, mais « il n’y a que Dieu seul qui soit bon » (Matth. VII, 11), c’est-à-dire, il n’y a personne entre les hommes qui soit bon. Ce qu’il ne dit pas néanmoins pour assurer qu’il n’y a personne de bon entre les hommes, mais seulement pour faire voir que la bonté qu’ils ont est bien différente de celle de Dieu. Il dit: « il n’y a que Dieu seul qui soit bon », et non pas : Il n’y a que mon Père seul qui soit bon, pour marquer qu’il ne découvrait pas à ce jeune homme qui il était.

C’est ainsi que le Sauveur dit ailleurs: « Quoi que vous soyez mauvais, vous savez bien néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants ». Il les appelle « mauvais » aussi bien qu’ici, sans avoir dessein de condamner généralement toute la nature des hommes en elle-même, puisqu’il dit : « Quoique vous soyez mauvais »; et non pas: quoique tous les hommes soient mauvais ; ne les appelant mauvais qu’en les comparant avec la bonté de Dieu; comme on le voit par ce qu’il ajoute « A combien plus forte raison votre Père qui est dans le ciel donnera-t-il de vrais biens à ceux qui lui en demandent» ? Vous me demanderez peut-être pourquoi Jésus-Christ parle avec tant de force à ce jeune homme, et quel avantage il voulait qu’il retirât de sa réponse? Il voulait premièrement l’élever peu à peu jusqu’à la connaissance de Dieu. Il voulait lui apprendre à ne point mêler de flatteries dans ses paroles, et le détacher insensiblement de la terre pour l’attacher à Dieu seul. Il lui persuade de ne désirer que les biens à venir, et de connaître celui qui étant véritables ment bon, est l’unique source de tous les biens, afin qu’il lui rende la gloire qui lui est due. C’est ainsi que, lorsqu’il commandait à ses apôtres de n’appeler personne « maître sur la terre (Matth. XXIII, 9) », il voulait leur apprendre à faire quelque discernement de lui d’avec tous les hommes, et à connaître qu’il était l’origine et le principe de toutes choses.

Il faut remarquer, mes frères, que ce jeune homme en venant à Jésus-Christ témoignait une disposition assez extraordinaire en ce temps-là. Tous ceux qui s’approchaient alors du Sauveur y venaient ou pour le tenter, ou pour obtenir de lui la guérison de leurs maladies, ou de quelques-uns de leurs proches. Ce jeune homme au contraire y vient dans un dessein plus louable, et dans le désir seul en apparence d’acquérir la vie éternelle. Il ressemblait à une excellente terre très-fertile en elle-même, mais toute couverte d’épines et de ronces, qui étaient prêtes à étouffer cette semence précieuse que Jésus-Christ y devait répandre. il témoigne son obéissance, en disant : « Quel bien faut-il que je fasse pour acquérir la vie éternelle » ? Tant il était préparé pour obéir à tout ce que le Fils de Dieu lui commanderait. S’il se fût adressé à Jésus-Christ avec duplicité de coeur et pour le tenter, l’évangéliste n’eût pas oublié de le dire, comme il le marque de ce docteur de la loi. Et si l’évangéliste n’en eût rien dit, Jésus-Christ n’eût pas manqué de le faire, ou en le reprenant, ou en le marquant obscurément, afin qu’il ne s’imaginât pas avoir pu tromper celui à qui il pariait, ce qui eût causé sa perte.

De plus, s’il ne se fût adressé au Sauveur que pour le tenter, la réponse de Jésus-Christ ne lui eût point causé cette profonde tristesse avec laquelle il s’en retourna. Nous ne voyons point dans l’Evangile que les pharisiens se retirent ainsi tristes d’auprès de Jésus-Christ, mais seulement dans la rage et dans la fureur d’avoir été confondus. Celui-ci au contraire s’en retourne tout abattu de tristesse. Ce qui montre assez qu’il n’était pas venu lui parler (494) avec un esprit de déguisement et de feinte; mais seulement qu’il était faible; et que d’un côté il désirait sincèrement la vie éternelle mais que de l’autre il était possédé d’une passion très-dangereuse. C’est pourquoi lorsque Jésus-Christ lui eut dit : « Si vous voulez entrer en la vie, gardez les commandements (17)» , il lui répond sans artifice et sans le tenter: « Quels commandements » ? Il croyait peut-être que Jésus-Christ lui ferait quelques commandements nouveaux différents du décalogue, pour acquérir en les pratiquant cette vie heureuse qu’il témoignait tant désirer : « Quels commandements? lui dit-il. Jésus lui dit vous ne tuerez point : vous ne commettrez point d’adultère : vous ne déroberez point: vous ne direz point de faux témoignage (18). Honorez votre père et votre mère, et vous aimerez votre prochain comme vous-même « (19) ». Lorsque Jésus-Christ lui eut marqué ces commandements de la loi, ce jeune homme répondit aussitôt: «J’ai gardé tous ces commandements dès ma jeunesse (20) ». Et sans s’arrêter là, il ajoute aussitôt: « Que me reste-t-il encore à faire » ? marquant par, toutes ces circonstances un désir ardent de posséder la vie éternelle; mais particulièrement en ce qu’il croyait qu’après avoir accompli les commandements dont Jésus-Christ lui parlait, il lui manquait encore quelque chose pour acquérir ce qu’il souhaitait.

2. Que fait Jésus-Christ? Comme il ne pouvait refuser de lui dire ce qu’il lui demandait si ardemment, et qu’il prévoyait d’ailleurs que l’avis qu’il lui allait donner lui paraîtrait dur et pénible, il commence par lui en proposer la récompense. « Si vous voulez être parfait»; lui dit-il, « allez, vendez ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel : puis venez avec moi et me suivez (21) ». Vous voyez, mes frères, comment Jésus-Christ en proposant le travail n’oublie pas d’y joindre le prix et la couronne. Ce qu’il n’aurait pas fait sans doute si ce jeune homme ne lui eût parlé que pour le tenter. Après lui avoir fait cette proposition, il laisse le tout à sa liberté. Et pour empêcher que le conseil qu’il lui donne ne lui paraisse trop difficile; il montre la récompense avec le travail en disant: « Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel; puis venez avec moi et me suivez ». C’était déjà une grande récompense que la gloire de suivre Jésus-Christ.

« Et vous aurez un trésor dans le ciel ». Ce jeune homme estimait beaucoup les richesses de la terre, et Jésus-Christ, en lui conseillant de les quitter, lui montre en même temps qu’il ne lui ôtait rien, et il l’assure qu’il recevrait plus qu’il ne donnerait aux pauvres, et que les richesses qu’il lui destinait seraient élevées au-dessus de celles qu’il devait quitter, autant que le ciel est élevé au-dessus de la terre. Il se sert du mot de « trésor» pour expliquer par ce terme , autant que les paroles humaines en sont capables, que, les biens qu’il lui promettait seraient immenses, stables et incorruptibles. Il ne suffit donc pas de mépriser les richesses. Il faut encore secourir les pauvres. Mais il faut sur toutes choses suivre Jésus-Christ, c’est-à-dire faire exactement tout ce qu’il nous commande, être prêt à tout souffrir, et à mourir même à toute heure. Il dit lui-même : « Si quelqu’un veut venir après-moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et me suive (Luc IX, 23) », parce que c’est beaucoup plus de donner son sang et sa vie que de donner ses biens aux pauvres; et que c’est par ce renoncement aux biens de la terre qu’on peut se mettre en état d’offrir à Dieu son sang et sa vie.

« Ce jeune homme ayant entendu ces paroles, s’en alla tout triste (22); » et l’Evangile marque aussitôt que ce n’était pas sans sujet, « parce qu’il avait de grands biens ». Il y a bien de la différence entre l’avarice de ceux qui n’ont que peu de bien ou de ceux qui sont accablés sous le poids de leurs richesses. Ces grands biens rendent encore beaucoup plus avares ceux qui les possèdent. Je vous ai dit cent fois et je ne cesse point de vous le redire, que plus nos richesses s’augmentent, plus nous les aimons; et que pour ainsi dire plus on est riche, plus on. devient pauvre, puisqu’on en désire le bien avec plus de violence, et qu’on s’imagine avoir encore besoin de plus de choses. Considérez donc dans ce jeune homme quel est l’empire et la tyrannie de cette passion. Il s’approche de Jésus-Christ avec grande ardeur. Mais aussitôt que le Fils de Dieu lui a parlé de renoncer à ses richesses, il est si surpris et si étonné de cette parole, qu’il ne lui peut faire la moindre réponse. Il demeure dans un triste silence. Il s’en retourne tout abattu et accablé (495) d’un ennui mortel. Que dit à cela Jésus-Christ, mes frères?

« Je vous le dis en vérité : il est bien difficile qu’un riche entre dans le royaume des cieux (23) »; marquant par ce mot de «riche », non pas en général celui qui a du bien, mais celui qui en est l’esclave. Que s’il est si difficile que les riches entrent dans le royaume des cieux, que deviendront les avares? Si c’est assez pour se perdre que de ne pas donner son bien aux pauvres, quel supplice s’attire-t-on lorsque l’on vole le bien des autres? Mais d’où vient que Jésus-Christ, qui n’avait que des disciples pauvres, et qui ne possédaient rien, ne laisse pas de leur dire « qu’il est difficile qu’un riche entre dans le royaume des cieux » ?C’était pour les exhorter à ne point rougir de leur pauvreté? Et voulant comme justifier la défense qu’il leur, avait faite de ne rien posséder, après avoir dit d’abord qu’il était difficile qu’un riche entrât dans le ciel, il montre par une comparaison que cela est même impossible.

« Un câble passera plus facilement par le chas d’une aiguille, qu’un riche n’entrera dans le royaume des cieux (24) ». Ceci nous fait voir qu’un riche qui use chrétiennement de ses richesses, doit. espérer de Dieu une grande récompense. Mais Jésus-Christ montre dans la suite que cela ne peut être que l’ouvrage de Dieu seul, et qu’un riche a besoin d’une grâce très-puissante pour se détacher ainsi de ses richesses. Les disciples furent troublés de cette parole. « Les disciples entendant cette parole en furent fort étonnés, et ils disaient : Qui pourra donc être sauvé (25) »? « Jésus les regardant leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu (26) » - Pourquoi les apôtres étant aussi pauvres qu’ils étaient, se troublent-ils de ces paroles? Pourquoi en sont-ils surpris? C’est sans doute par la compassion qu’ils avaient de la perte de tant de monde, par le zèle qu’ils avaient déjà du salut des hommes, par la tendresse qu’ils ressentaient en voyant le péril qui menaçait toute la terre, et par cet esprit de paix qui commençait déjà à les animer. Cet arrêt que Jésus-Christ venait de prononcer contre ceux qui aimaient les richesses, les faisait trembler pour le monde entier, et cette crainte les saisissait de telle sorte qu’ils eurent besoin que Jésus-Christ les consolât. C’est ce qu’il fait aussitôt lorsqu’il leur dit en les regardant : « Cela est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu ». Ce regard que l’évangéliste marque, fut un regard doux et favorable, par lequel Jésus-Christ les consola dans leur tristesse et les rassura dans leur crainte, en dissipant toute l’agitation de leur coeur. Après « ce regard» tout puissant il les relève encore par ces paroles, en leur faisant considérer quelle était la force et la vertu de Dieu et en leur donnant de la confiance par cette vue.

3. Que si vous désirez, nies frères, savoir comment « ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu » , je veux bien vous l’expliquer. Car Jésus-Christ n’a point dit cette parole afin qu’elle vous abatte et que vous désespériez de pratiquer cette vertu, comme vous étant impossible, mais afin que, considérant sa grandeur, vous vous y appliquiez avec courage; que vous invoquiez la grâce de Dieu, afin qu’elle vous soutienne dans un combat si pénible et qu’elle vous fasse acquérir enfin la vie éternelle. Comment donc cela peut-il devenir possible? Si vous renoncez tous à l’attachement aux biens, si vous méprisez les richesses et si vous foulez aux pieds une passion si basse. Nous voyons assez par la suite que Jésus-Christ ne parle pas de la sorte afin qu’en croyant que Dieu fait tout, vous demeuriez sans rien faire, mais plutôt pour vous exciter à travailler, d’autant plus que ce qu’il vous propose est plus grand et plus difficile. Car saint Pierre lui ayant fait cette demande: « Seigneur, pour nous autres nous avons tout quitté et nous vous avons suivi: quelle récompense donc en recevrons-nous (27) » ? Il lui répond: « Je vous dis en vérité que pour vous qui m’avez suivi, lorsqu’au temps de la renaissance générale le Fils de l’homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez aussi assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël (28) ». Après leur avoir dit quelle récompense il leur préparait, il conclut: «Et quiconque abandonnera pour moi sa maison, ou ses frères, ou ses soeurs, ou son père, ou « sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, en recevra cent fois autant, et aura pour héritage la vie éternelle: (29) ». Ainsi nous voyons que Dieu rend possible ce qui paraissait auparavant impossible.

Vous me direz peut-être : comment peut-on quitter ses richesses? Comment celui qui est .possédé de l’amour de l’argent, pourra-t-il se (496) délivrer d’une passion si violente ? Il le pourra s’il commence par retrancher ce qu’il a de superflu. Il se mettra ainsi en-état d’aller plus loin et de pratiquer plus fidèlement ce que Jésus-Christ commande ici. N’entreprenez pas de renoncer tout d’un coup à tout votre bien, si ce renoncement vous paraît trop difficile. Commencez par ce que vous pourrez, et montant ainsi de degré en degré, vous vous’ ferez une échelle sainte qui vous élèvera jusque dans le ciel. Lorsqu’on travaille au contraire à masser toujours de l’argent, on ressemble à ces malades, qui croient pouvoir éteindre leur fièvre en buvant beaucoup, au lieu que cette eau la redouble et l’enflamme davantage. C’est ainsi que les avares, bien loin d’éteindre leur passion en augmentant leurs richesses, l’irritent au contraire de plus en plus. Rien n’est capable de guérir cette soif si violente de l’argent, sinon de retrancher d’abord le désir d’en acquérir de nouveau, comme la fièvre s’éteint, non en buvant, mais plutôt en ne buvant pas.

Mais c’est cela même que vous ne pouvez pas faire, et vous m’en demandez le moyen. Le moyen le plus court est d’être bien persuadé que plus vous satisferez cette soif de l’argent, plus elle s’irritera, que votre avarice croîtra à proportion de votre bien, et qu’aussitôt que vous cesserez de vouloir vous enrichir, vous arrêterez la cause du mal. Ne continuez donc point à désirer d’être riche, de peur que, désirant toujours ce que vous n’aurez jamais, vous ne rendiez votre maladie incurable, et qu’étant possédé de cette passion ou plutôt de cette rage pour l’argent, vous ne deveniez le plus malheureux de tous les hommes. Car, dites-moi, je vous prie, lequel des deux vous paraîtrait plus misérable, ou celui qui désirerait avec ardeur de manger et de boire, sans avoir jamais ce qu’il désire, ou celui qui n’aurait jamais ni faim ni soif? N’est-il pas visible que ce dernier serait heureux et le premier misérable? C’est un mal si horrible d’avoir une faim et une soif extrêmes sans les pouvoir apaiser, que Jésus-Christ nous voulant tracer une peinture de l’enfer, nous en donne cette image dans le mauvais riche qui, brûlant de soif, ne pouvait trouver une goutte d’eau.

Celui donc qui commence à mépriser le bien, arrête le cours d’un si grand mal ; mais celui qui veut toujours amasser, l’augmente de plus en plus. Quand il aurait dix mille talents dans ses coffres, il en voudrait encore autant; et s’il les avait, il en désirerait deux fois davantage. Et son avarice croissant toujours, il souhaiterait de pouvoir changer en or les montagnes, la terre et la mer. Tant il est vrai que cette passion, ou plutôt cette manie, n’a point de bornes, et qu’elle allume dans l’âme une soif qui ne peut jamais s’éteindre. Mais, afin de vous faire mieux comprendre que le désir de la fortune se doit guérir, non en le satisfaisant, mais en l’arrêtant, je vous prie de me dire, s’il vous était venu une passion de voler en l’air comme les oiseaux, comment feriez-vous pour l’étouffer. Si ce serait en vous faisant des ailes pour voler, ou bien en bannissant de vous cette pensée comme ridicule et extravagante? Vous en useriez sans doute de cette sorte; puisque c’est l’âme et la raison qu’il faut toujours guérir la première dans ces occasions. Que si vous me dites qu’il est entièrement impossible qu’un homme vole: je vous réponds qu’il est encore bien plus impossible de fixer des bornes à l’avarice. Il serait plus aisé à un homme de voler dans l’air, que de guérir son avarice en augmentant ses richesses. Lorsque nos désirs ne se portent qu’à des choses qui sont faisables, il n’est pas impossible alors de les apaiser en les contentant : mais lorsqu’ils s’attachent à ce qu’il nous est impossible d’obtenir, nous n’aurons jamais de paix, qu’en coupant ce mal par la racine et en le retranchant.

Ainsi, mes frères, ne nous embarrassons point en tant de soins inutiles. Renonçons entièrement à cette passion inquiète de l’argent qui ne nous laisserait jamais en repos. Pensons à un autre monde, où nous trouverons des biens sans inquiétude, qui rendent vraiment heureux, et ne désirons que les trésors qui sont dans le ciel. L’acquisition n’en est point pénible, et la possession est le comble de tous les biens. Ce commerce n’est exposé ni aux pertes ni aux périls. Nous n’avons seulement qu’à veiller sur n6us-mêmes et à mépriser tout ce que nous voyons ici-bas. Car celui qui s’attache aux richesses de la terre et s’en rend esclave, perdra nécessairement celles du ciel.

4. Pensez à ces vérités; mes’ frères, et bannissez de vous cette passion de l’avarice. Car je fie crois pas que vous osiez dire que si l’amour de l’argent ne donne point la félicité du ciel, il donne au moins celle de la terre. Quand cela serait vrai, ces biens apparents ne seraient-ils pas de très-grands maux? Mais ils n’ont pas même cette apparence de bien. Ils (497) conduisent par de longs tourments dans ceux de l’enfer, et ils rendent mal-heureux et en ce monde et en l’autre. Car l’avarice est la source de tous les maux. Elle ruine les familles; elle remplit le monde de divisions et de guerres; et elle porte les hommes jusqu’à se tuer eux-mêmes. Mais avant que de les jeter dans ces dernières extrémités, elle perd insensiblement les âmes et les jette dans un honteux abaissement. Elle étouffe toute la générosité qui leur est naturelle, et elle rend ceux qu’elle possède timides, lâches, fourbes, menteurs, voleurs, médisants et esclaves de tous les vices.

Mais peut-être que vous voyant extrêmement riche, vous vous laissez éblouir par cet éclat de l’or, par cette magnificence de bâtiments, par ce grand nombre d’officiers et de domestiques, par cette déférence que tout le monde vous rend, et par cet empressement que tous les hommes ont de vous voir. Quel est donc le remède que nous pouvons apporter à une plaie si profonde? C’est, mes frères, de vous représenter à quelle langueur l’avarice réduit votre âme, quel aveuglement elle y répand, de quelles ténèbres elle la couvre, dans quelle solitude elle la. laisse, dans quelle confusion elle la jette. C’est de vous souvenir par combien de maux on acquiert ce peu de bien, par combien de travaux on la garde; avec combien de périls on en jouit; si l’on peut dire néanmoins qu’on en jouisse et qu’on le conserve; puisque quand on éviterait tous les accidents de la vie, la mort enfin nous arrache toutes ces richesses pour les faire passer souvent dans les mains de nos plus grands ennemis. Elle nous ôte tout ce que nous avions, et nous jette dans des lieux où nous ne serons plus suivis de cette foule de domestiques; où nous ne verrons plus rien de toutes ces magnificences qui nous environnent ici-bas ; et il ne restera rien à notre âme de tous ces faux biens, que les plaies profondes qu’elle se sera faites pour acquérir ce qui la devait perdre.

Lors donc que vous voyez un homme, riche habillé magnifiquement, et accompagné d’un grand, nombre d’officiers et de gardes; passez de cette apparence jusque dans son coeur, et dans le fond de sa conscience, et vous la trouverez toute corrompue aux yeux de Dieu, et toute remplie de boue et d’ordure. Souvenez-vous de saint Paul et de saint Pierre; souvenez-vous de saint Jean-Baptiste et du prophète Elie; ou plutôt du Fils de Dieu même, qui n’avait pas où reposer sa tête. Imitez ce divin modèle, imitez ceux qui ont été ses plus fidèles imitateurs. Admirez en vous-mêmes ces trésors ineffables, renfermés dans ces saints hommes.

Si vous êtes frappé d’abord de cet éclat apparent des hommes du monde, et si votre foi en est un peu troublée, écoutez cette parole effrayante de Jésus-Christ, « qu’il est impossible qu’un riche entre dans le royaume des cieux ». Comparez si vous voulez avec la perte du ciel, des montagnes d’or et d’argent, une terre d’or, une mer et tout un monde d’or. Tout cela ne vous rend point ce que vous perdez.

Contentez tant que vous voudrez votre avarice. Ajoutez terre à terre, maisons à maisons. Si ce n’est assez de vingt, ayez en cent. Ayez mille valets et deux mille si vous voulez, ayez des lits, des chambres et des maisons toutes revêtues d’or et d’argent: si cela ne vous satisfait pas encore, ajoutez-y tout le monde même: ayez si vous voulez autant de serviteurs qu’il y a d’hommes sur la terre; rendez-vous maître de la terre et de la mer, que tous les peuples vous soient soumis; que toutes les villes soient sous votre obéissance, que tous les fleuves et que, toutes les rivières coulent pour vous; après tout, cela, je vous dirai que vous êtes le plus pauvre et le plus misérable de tous les hommes, si vous ayez amassé tous ces biens pour perdre le ciel. Car si les amateurs des richesses passagères sont si tourmentés lorsqu’ils ne peuvent acquérir ce qu’ils désirent; combien le seraient-ils davantage, s’ils pavaient ce qu’ils perdent en perdait les biens éternels?

Ne dites donc plus que ces grands du monde sont heureux parce qu’ils sont dans l’abondance de toutes choses. Mais dites plutôt qu’ils sont bien misérables de changer le ciel contre un peu de terre et de boue: et qu’ils sont semblables à un roi qui, ayant changé son royaume contre un fumier, ferait gloire de cet échange , comme si ce fumier valait mieux que sa couronne. Et il y a certes peu de différence entre un amas d’or et d’argent, et un amas de boue qui est sur un fumier ; ou plutôt ce dernier est en quelque sorte préférable à l’autre. Car le fumier au moins est utile. Etant mis sur la terre, il la rend fertile: mais à quoi sert l’or caché sous la terre? Il est entièrement inutile, et, plût à Dieu qu’il ne fût qu’inutile. (498)

Car ne servant pas pour ce à quoi il doit servir, il sert à perdre et à condamner au feu ceux qui le possèdent.

De là naissent une infinité de maux; et c’est ce qui a fait dire aux païens, que l’avarice est comme le fort et le retranchement de tous les vices. Le bienheureux Paul l’appelle d’un autre nom qui a beaucoup plus de force, lorsqu’il dit que « l’avarice est la racine de tous les maux». (I Tim. 6.)

Pensons à ceci, mes frères, et ne désirons plus à l’avenir ces maisons magnifiques et ces grandes terres, comme étant indignes d’avoir place dans notre coeur. Mais portons une sainte envie à ces hommes de Dieu qui ont auprès de lui une confiance et une liberté si sainte, qui ne possèdent que les biens du ciel, qui, se rendant pauvres pour l’amour de Jésus-Christ, trouvent dans leur pauvreté un trésor qui les rend véritablement riches. Ainsi les ayant imités sur la terre, nous posséderons avec eux les biens éternels, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit est la gloire, l’honneur et l’empire maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (499)

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