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HOMÉLIE XXVII« OR JÉSUS ÉTANT DANS LA MAISON DE PIERRE, VIT SA BELLE-MÈRE QUI ÉTAIT AU LIT ET AVAIT LA FIÈVRE. IL LUI TOUCHA LA MAIN ET LA FIÈVRE LA QUITTA, ET, SÉTANT LEVÉE, ELLE LES SERVAIT. » (CHAP. VIII, 14, 15.) ANALYSE 1. Ce quil y a de plus miraculeux dans la guérison de la belle-mère de saint Pierre, ce nest pas quelle fut guérie tout à coup, mais cest quelle le fut entièrement et sans avoir besoin de convalescence. 2. Ce nétaient pas seulement les miracles que faisait le Christ qui attiraient à lui les hommes, mais sa seule vue était pleine de grâces et charmait les âmes. Speciosus forma prae filiis hominum. (Ps. XLIV, 3.) Douceur de Jésus-Christ. 3. Jésus-Christ faisait ses réponses selon la pensée secrète de ceux qui linterrogeaient. 4 et 5. Exhortation. II faut préférer le salut à toutes choses. Quil ny a rien de si effroyable que la mort de lâme. Quun pécheur est sans comparaison plus mort que ne sont les morts enfermés dans le tombeau.
1. Saint Marc voulant marquer la promptitude de cette guérison, ajoute ce mot, « aussitôt; » ce que saint Matthieu ne rapporte pas, se contentant davoir marqué le miracle. Saint Luc dit aussi que cette femme malade pria Jésus-Christ de la guérir; ce que saint Matthieu a omis encore. Tout cela néanmoins ne prouve pas que les évangélistes se combattent; mais seulement que les uns ont voulu être plus courts, et les autres, rapporter les choses plus exactement. Mais pourquoi Jésus-Christ allait-il dans la maison de saint Pierre? Je crois que cétait pour y manger; et lévangéliste le fait assez voir, lorsquil dit que cette femme, après quelle fut guérie, « se leva et les servit. » Car Jésus-Christ allait ainsi manger chez ses disciples, comme on le voit encore par saint Matthieu, chez qui il alla, lorsquil lappela pour être apôtre : ce quil faisait afin dhonorer ainsi ses disciples, et de les rendre plus ardents le servir. (224) Remarquez ici le profond respect de saint Pierre pour son Maître. Quoiquil eût chez lui sa belle-mère malade dune fièvre dangereuse, il ne le pria point de la venir voir. Il attendit quil eût achevé ce long discours de la montagne, et quil eût guéri tous les autres malades qui se présentaient à lui de toutes parts. Cest seulement lorsque le Seigneur entre dans le logis de lApôtre que celui-ci le prie enfin de guérir sa belle-mère. Tant il était instruit dès lors à préférer le bien des autres à ses propres intérêts Ce nest pas saint Pierre qui prie le Sauveur de tenir chez lui. Cest le Sauveur qui y vient de lui-même; et un moment après que le centenier eut dit: « Je ne suis pas digne, Seigneur, que vous entriez chez moi, afin de témoigner jusquà quel point il voulait favoriser son disciple. Et quoiquil soit, aisé de juger quelles pouvaient être les maisons de ces pauvres gens qui nétaient que des pêcheurs, Jésus-Christ néanmoins ne laisse pas daller clans ces cabanes, pour nous apprendre toujours à fouler aux pieds le faste et la vanité. Il est remarquable que Jésus-Christ guérit quelquefois les malades par sa seule parole, quelquefois il étend sa main, quelquefois il joint les deux ensemble, pour rendre la guérison plus sensible Il ne voulait pas agir toujours si souverainement; et si divinement dans ses miracles. Il avait besoin de se cacher pour un temps, principalement à légard de ses apôtres, de peur que lexcès de leur joie ne leur fît dire à tout le monde ce quil était. Cest pourquoi nous voyons quaprès sêtre transfiguré devant eux sur la montagne du Thabor, il leur défendit de dire à qui que ce fût ce quils avaient vu. Il touche donc ici la main de cette femme malade, et non seulement il éteint lardeur de sa fièvre, mais il la rétablit même tout dun coup dans une santé parfaite. Comme la maladie était tout ordinaire, il voulut au moins signaler sa puissance en la guérissant comme lart des médecins naurait pu le faire. Vous savez en effet que, même après la cessation de la fièvre, il faut encore beaucoup de temps pour que les malades recouvrent toutes leurs forces. Mais ce double effet, Jésus-Christ lopéra dans le même moment; il fit quelque chose de semblable lorsquil apaisa la mer. Non seulement il arrêta les vents et la tempête, mais il calma soudain jusquau mouvement des flots, phénomène opposé aux lois de la nature, puisque, même après que la tempête a cessé, le mouvement quelle a imprimé aux ondes coMmue encore fort longtemps. La parole de Jésus-Christ fit donc en un instant ce que la nature ne fait que peu à peu. Cest encore ce qui arriva au sujet de cette femme, comme latteste lEvangile « Elle se leva, »dit-il, « et les servit; ce qui nous montre dun côté la. souveraine puissance de Jésus-Christ dans ses miracles, et de lautre, la disposition de cette femme, et le grand zèle quelle avait pour Jésus-Christ. Nous apprenons encore en ce miracle que Jésus-Christ accorde quelquefois la guérison de quelques personnes à la foi des autres. Car nous voyons ici que saint Pierre prie pour sa belle-mère, comme le centenier avait prié pour son serviteur. Ce nest pas que Jésus-Christ dispensât ceux quil guérissait de croire en lui; mais parce que ou lâge encore trop tendre les empêchait de venir à lui, ou que lignorance où ils étaient ne leur permettait pas davoir de lui des sentiments assez relevés, il suppléait à ce qui manquait au malade parla foi de ceux qui priaient pour lui. « Le soir étant venu, ils lui présentèrent plusieurs possédés et il chassa deux les malins esprits par sa parole, et guérit tous ceux qui étaient malades (16). Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : Il a pris sur lui nos langueurs, et il sest chargé de nos maladies (17).» Remarquez comme la foi de ce peuple sest déjà accrue. La nuit même ne peut les porter à se retirer, et ils ne craignent point, dimportuner Jésus-Christ en lui amenant si tard leurs malades. Et je vous prie de considérer quelle foule de miracles les évangélistes nous rapportent en un mot. Car ils ne sarrêtent plus à rapporter chaque guérison en particulier; mais ils en marquent comme en passant un nombre prodigieux. Et de peur que ce prodige ne parût incroyable à cause de sa grandeur même, puisquune multitude innombrable fut guérie en un moment de tant de différentes maladies, lévangéliste rapporte la parole du prophète lsaïe, qui avait rendu témoignage si longtemps auparavant de ces merveilles quon voyait alors. Par là il nous apprend comme il fait partout ailleurs, quune preuve tirée des paroles de lEcriture, na pas moins dautorité quen ont les miracles. Cest dans cette vue quil rapporte cet endroit (225) dIsaïe : « Il a pris sur lui nos langueurs, et il sest chargé de nos maladies. » (lsaïe, LIII, 4.) Il ne dit pas quil les a dissipées, ou quil les a guéries; mais quil « les a prises sur lui, et quil sen est chargé lui-même. » Ce que le Prophète a, selon moi, particulièrement entendu de nos péchés, et dans le même sens que saint Jean dit: « Voilà lAgneau de Dieu, voilà Celui qui porte le péché du monde. » (Jean, I, 28.) 2. Pourquoi donc, me direz-vous, lévangéliste applique-t-il cette même parole aux maladies du corps? Cest ou parce quil a pris ce passage simplement à la lettre, ou plutôt parce quil a voulu nous marquer que la plupart des maladies corporelles, tirent leur source de celles des âmes. Car si la mort, qui est le dernier et le plus grand de tous les maux, ne vient que de cette racine, faut-il sétonner si les autres en sortent aussi comme de leur tige? « Mais Jésus voyant autour de lui une grande foule de peuple, ordonna à ses disciples, de passer à lautre bord (18). » Vous voyez partout combien Jésus-Christ est éloigné de tirer vanité de ses miracles. Car les autres évangélistes remarquent ici quil défendait au démon de dire qui il était, et saint Matthieu écrit quil renvoya le peuple; ce quil faisait dun côté pour nous donner un exemple dhumilité, nous avertissant de ne rien faire pour la vaine gloire ; et pour adoucir de lautre lenvie que les Juifs avaient contre lui. Car il navait pas seulement soin de guérir les corps, et il en avait bien plus de sauver les âmes, et de les porter à la vertu. Il se révélait de deux manières, et en guérissant miraculeusement les maladies, et en ne faisant rien par le désir de la gloire. Il renvoie donc ce peuple qui sattachait à sa personne par le lien de lamour et de ladmiration, et qui ne souhaitait rien tant que de toujours jouir de sa vue et de sa présence. En effet, qui aurait pu quitter un homme qui faisait tant de miracles? Qui naurait désiré de voir seulement ce visage, et de contempler cette bouche doù sortaient des paroles si divines? Car il nétait pas seulement admirable par les prodiges quil faisait, mais sa seule vue et sa seule présence répandait la joie et la grâce dans ceux qui le regardaient. Cest pourquoi le Prophète dit de lui: « Votre beauté surpasse la beauté « de tous les hommes. » (Ps. XLIV, 3.) Et ce que dit lsaïe : « Quil navait ni forme ni beauté (Is. LIII, 6), » ne se doit entendre quen comparant son humanité à la gloire ineffable de sa divinité; ou en le considérant dans le moment de sa passion, où il fut déshonoré et défiguré dune manière si horrible; ou pour marquer létat simple et pauvre dans lequel il a passé toute sa vie. Jésus-Christ ne commande à ses disciples de passer à lautre bord, quaprès quil a guéri tous ceux qui étaient là. Ils eussent eu trop de regret de le quitter, sil neût satisfait à toutes leurs prières. Cest tout ce quils peuvent faire après même quil a guéri leurs malades. Sur la montagne, ces gens nétaient pas seulement, restés immobiles autour de lui pendant quil parlait, mais encore ils lavaient suivi lorsquil eut cessé de parler; de même ici ils demeurent encore auprès du Sauveur, alors quils nont plus de miracles à voir ni à attendre, uniquement retenus par le bonheur de contempler sa face divine. Car si le visage de Moïse était tout brillant de gloire, et si celui de saint Etienne paraissait comme le visage dun ange, quel a dû être le visage de Ce. lui qui a été le Seigneur de lun et de lautre? Peut-être que quelques-uns de vous souhaiteraient de voir le Sauveur tel quil était alors. Mais si nous le voulons, mes frères, nous verrons cette divine face dans un éclat sans comparaison plus grand. Si nous vivons ici-bas comme nous devons, nous verrons ce même Sauveur au milieu des airs, nous irons au-devant de lui pour le recevoir sur les nuées revêtus dun corps immortel et incorruptible. Mais considérez, je vous prie, quil ne renvoie pas simplement ce peuple, ce qui aurait pu lui faire de la peine. Il ne dit pas: retirez-vous , allez-vous-en, mais il donne seulement à ses disciples lordre de passer sur lautre bord, laissant espérer à la foule quelle le retrouverait là. Mais pendant que ces multitudes témoignaient tant daffection, et un si grand zèle pour Jésus-Christ, un homme possédé de lamour de largent et du désir de la gloire sapprocha de lui, et lui dit : « Maître, je vous suivrai en quelque lieu que vous alliez (19).» Remarquez lorgueil de cet homme. Il dédaigne dêtre du commun du peuple, et il sapproche de Jésus-Christ à part, comme un personnage dimportance et qui ne vent pas être confondu avec la foule. On reconnaît bien là le caractère juif, plein de liberté et de hardiesse (226). Et nous en verrons bientôt un autre élever la voix du milieu dune assemblée silencieuse, pour faire à contre-temps cette question à Jésus-Christ : « Maître, quel est le premier commandement de la loi? » (Matth. XXII, 36.) Cependant Jésus-Christ ne le reprit point, de cette liberté indiscrète, pour nous apprendre à souffrir nous-mêmes limportunité de ces personnes. Nous voyons aussi quil ne reprend pas ouvertement ceux qui sapprochent de lui avec une mauvaise volonté. Il se contente de répondre à leurs pensées, dune manière qui leur fait assez connaître quil voit et quil condamne le fond de leur coeur. Ainsi il leur procure un double avantage : premièrement il leur fait connaître quil pénètre le secret de leurs pensées; ensuite il épargne leur pudeur, en ne découvrant point aux autres leur vanité quils tiennent cachée, et leur donnant lieu néanmoins, sils le veulent, de sen corriger eux-mêmes. On peut voir ici un bel exemple de cette sage conduite. Car cet homme voyant les grands miracles que faisait le Fils de Dieu, et que tout le monde venait à lui, crut que cétait là un excellent moyen pour senrichir. Cest ce qui lui inspira le désir de le suivre. La réponse du Sauveur est une preuve de ce que je dis. Car il répond moins aux paroles de cet homme, quà la pensée de, son coeur. Vous vous imaginez, dit-il, que vous amasserez beaucoup dargent en me suivant; et vous ne voyez pas que je nai pas seulement comme les oiseaux un petit abri pour me retirer. « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de lhomme na pas où reposer sa tête (20). » Il ne rejetait pas ce disciple en lui parlant de la sorte. Il reprenait seulement son désir secret, et lui laissait la liberté de le suivre, sil voulait vivre aussi pauvrement que lui. Voyez la mauvaise disposition de cet homme, jugez-en par sa conduite; lorsquil a entendu ces paroles, et quil sest senti pénétré et ,condamné, il se garde bien de dire: je suis tout prêt à vous suivre. 3. Jésus-Christ a souvent usé de cette même conduite. Il ne reprochait point ouvertement leurs crimes à ceux qui lui parlaient; mais il leur faisait connaître par ses réponses quel était le fond de leur coeur. Cest ainsi quil agit envers cet homme qui lappelait « bon Maître, » et qui espérait par cette flatterie de se le rendre favorable. Il lui répondit selon la pensée quil lui voyait dans le coeur: « Pourquoi, » dit-il, « mappelez-vous bon, puisquil ny a personne de bon que Dieu seul? » (Matth. XII.) Cest ainsi quil se conduisit encore lorsque le peuple lui dit : « Voilà votre mère et vos frères qui vous cherchent. » (Marc, III.) Comme alors ses parente agissaient humainement, et quils demandaient à approcher de lui, moins pour apprendre quelque chose dutile, que pour montrer quils étaient ses proches, et tirer gloire de cet avantage, voici ce quil leur répondit: «Qui est ma mère, ou qui sont mes frères? » et le reste. Il traite encore ses parents de même, lorsque, pour satisfaire leur vanité, ils le portaient à sacquérir de la réputation en lui disant : «Faites-vous connaître au monde. Votre temps, leur dit-il, est toujours prêt, mais le mien ne lest pas encore.» (Jean, VII, 6.) Il répond aussi à la pensée du coeur, mais pour lapprouver et non pour la reprendre, lorsquil dit de Nathanaël : « Voilà un véritable israélite, en qui il ny a point de tromperie.» (Jean, I, 46.) Lorsquil dit aux disciples de saint Jean : « Allez et dites à Jean ce que vous avez entendu et ce que vous avez vu (Luc, VII, 9),» il ne répondait pas tant à ceux qui linterrogeaient, quà la pensée de celui qui lui envoyait faire cette demande. Jésus-Christ de plus a répondu à la pensée du peuple, lorsquil dit aux Juifs : «Quêtes-vous allés voir dans le désert?» Comme il voyait que dans leur pensée Jean nétait quun homme versatile et inconstant, cest ce sentiment quil réfute et corrige en disant : « Quêtes-vous allés voir dans le désert? Un roseau agité du vent? ou un homme vêtu détoffes délicates? » montrant par là que lâme de ce saint avait toujours été ferme et quaucune volupté navait pu lamollir. Cest donc de cette même manière que Jésus-Christ répond en cet endroit, non aux paroles, mais à la pensée de cet homme qui le voulait suivre. Et considérez , avec quelle modestie il lui répond ! Il ne lui dit point : Jai ; mais : Je méprise; il dit simplement : Je nai pas, parole aussi exacte que pleine de condescendance. Et de même, lorsquil mangeait et buvait avec les Juifs et quil menait une vie qui semblait toute contraire à celle de saint Jean, (227) il navait pour but que leur salut, ou plutôt que celui de tous les hommes. Il a voulu fermer ainsi la bouche aux hérétiques qui devaient nier un jour quil eût été véritablement homme et gagner par surcroît laffection de ceux avec qui il vivait, en rendant sa vie semblable à la leur. « Un autre de ses disciples lui dit: Seigneur, permettez-moi, avant que je vous suive, daller ensevelir mon père (21). » Admirez quelle différence il y a entre ces deux hommes. Lun dit hardiment: « Je vous suivrai partout où vous irez. » Et lautre qui cependant demandait quelque chose de louable en soi, dit modestement : « Permettez-moi. » Mais Jésus-Christ ne permit pas, et voici sa réponse : « Jésus lui dit : Suivez-moi, et laissez aux morts le soin densevelir leurs morts (22).» On voit partout que Jésus-Christ pénétrait le fond des coeurs. Mais, direz-vous, pourquoi refuser cette permission? Parce quil y avait dautres personnes pour ensevelir son père, et quil nétait pas raisonnable que cette occupation détournât ce disciple dune autre beaucoup meilleure. Quand il dit : «Laissez aux morts le soin densevelir leurs morts, » il montre que celui-ci nétait pas de ce nombre; quant à son père, cétait apparemment un infidèle. Que si vous vous étonnez que ce jeune homme demande permission pour sacquitter dun devoir si nécessaire, et quil ne prend pas sur lui de sen aller sans même consulter, je vous réponds que ce quil faut surtout admirer, cest que, la défense faite, il se rend et obéit docilement. Mais nest-ce pas une étrange ingratitude, direz-vous, de nassister pas à la sépulture de son propre père? Javoue que sil leût fait par indifférence, ceût été de lingratitude, mais sil ne le faisait que pour ne pas interrompre une affaire plus importante, çaurait été au contraire une extrême folie de sen aller malgré tout pour faire les funérailles mêmes de son père. Jésus-Christ ne fait pas cette défense pour nous apprendre à mépriser nos parents, mais pour nous faire voir que nous navons rien de plus important que laffaire de notre salut; que cest à cela que nous devons nous attacher de tout notre coeur, sans différer dun moment à nous y appliquer, quelque pressants que soient les motifs qui sy opposent; car quoi de plus nécessaire parmi les affaires de ce monde que dassister aux funérailles de son père? Et tout ensemble quoi de plus facile, et qui exige moins de temps? Si donc, mes frères, il nous est défendu de perdre aussi peu de temps quil en faut peur ensevelir notre père, et sil nest pas sûr dinterrompre pour un moment ses exercices spirituels, jugez de quels supplices nous nous rendons dignes en nous éloignant continuellement de ce qui nous pourrait approcher de Jésus-Christ, en nous amusant volontairement à des choses où nous navons pas le moindre prétexte de nous appliquer, et en préférant des bagatelles et des folies à notre salut. Mais ne devons-nous pas admirer ici la conduite et la sagesse de Jésus-Christ, qui dabord attache ce jeune homme à sa parole, et qui le délivre ainsi dune Infinité, de maux, comme des pleurs, des cris et de tout ce que des funérailles entraînent après soi de pénible et de douloureux? Car après lenterrement de son père, il aurait fallu ouvrir le testament, partager la succession, et faire bien dautres choses qui suivent nécessairement la mort dun père. Ainsi dans ce flux et reflux daffaires, ce jeune homme se serait trouvé comme emporté dans la haute mer et bien éloigné du port de son salut. Jésus-Christ donc lui fait une grande grâce en le tirant de tous ces embarras, et le tenant attaché auprès de lui. Que si vous continuez à croire quil y avait de la dureté à ne pas permettre à un fils dassister aux funérailles de son père, je vous, prie, de considérer que tous les jours, lorsquon prévoit que quelquun serait trop douloureusement affecté de la mort dun père ou dun fils, ou de quelquautre de ses proches, on lui cèle sa mort, on laisse passer le temps de lenterrement, et lon attend un moment favorable pour lui dire et lui adoucir en même temps cette nouvelle. Cependant on ne croit point quil y ait de la dureté dans cette conduite, on croirait au contraire être cruel, de dire tout dun coup à ces personnes ce qui devrait les accabler de douleur. Que si cest un mal, de pleurer à lexcès la mort dun père, et de tomber pour cette cause dans une prostration qui anéantit lâme, combien sera-ce encore un plus grand mal, si, pour la même cause, nous nous privions de la partie spirituelle qui donne la vie? Cest pourquoi Jésus-Christ dit ailleurs: « Celui qui met la main à la charrue et qui tourne la tête en arrière, nest pas propre au royaume de Dieu. » (Luc, IX, 62.) Nest-il pas (228) plus avantageux dannoncer le royaume de « Dieu, » et de retirer les autres de la mort, que de rendre à un mort un service qui ne peut-lui servir de rien, surtout lorsquil y en a dautres qui peuvent lui rendre ce dernier devoir? 4. Ce que nous devons donc apprendre de cette conduite du Sauveur, cest quil ne faut jamais perdre le moindre temps en ce qui regarde notre salut; quil faut préférer à toutes les affaires de ce monde, quelque nécessaires quelles puissent être, les occupations chrétiennes et spirituelles; et quil faut bien comprendre ce que cest dans la vérité que la vie et ce que cest que la mort. Car plusieurs paraissent vivre qui sont morts en effet, parce quils vivent mal, ou plutôt dont létat est bien pire que celui des. morts. « Celui qui est mort,» dit saint Paul, « est délivré du péché. » (Rom. VI, 7) Et lautre au contraire, celui qui est mort spirituellement, est encore lesclave du péché. Ne me dites donc point: Mais on ne lui a pas fermé les yeux; il nest pas étendu dans le sépulcre; il nest pas enveloppé dans un, linceul; il nest point mangé des vers. Je vous dis quil est mort et pire que les morts. Les vers ne mangent point son corps, mais son âme est déchirée par ses passions comme par autant de bêtes cruelles. Il a les yeux encore ouverts; mais il vaudrait mille fois mieux que la mort les lui eût fermés. Les yeux dun homme-mort ne voient plus rien ; mais celui-ci voit tous les jours mille choses criminelles, et ses regards sont autant de flèches qui lui percent le cur. Un mort est couché dans son sépulcre, sans vie et sans mouvement; mais celui-ci est enseveli dans ses vices, et il est lui-même son tombeau vivant. Quelquun me dira peut-être : Mais nous ne voyons pas néanmoins que le corps de cet homme soit corrompu comme celui dun mort. Il est vrai; mais cest en cela quil est plus malheureux. Car son corps est sain et son âme est déjà pourrie et dune pourriture pire que celle des corps. Ceux-ci sentent mauvais durant quelques jours, mais lâme et la bouche de cet homme exhalent durant toute sa vie, par des paroles licencieuses, une odeur plus insupportable que celle de la fange et de la boue. Il y a encore une grande différence entre ces deux morts : lun, celui qui ne meurt que par le corps, néprouve que la corruption que lui impose la loi de la nature; lautre, qui nest pas exempt de cette corruption-là y ajoute encore la pourriture volontaire de ses iniquités et de ses désordres, inventant chaque jour de nouveaux éléments de décomposition. Mais, dites-vous, ce mort dont vous parlez, je le vois sur un cheval magnifique ! Et quest-ce que cela fait? Cet autre nest-il pas aussi sur un lit superbe? Mais voici qui est plus fâcheux: celui-ci, du moins, sil se décompose et sent mauvais, personne ne le voit, un voile recouvre même la bière où il est enfermé; tandis que celui-là, fétide, déjà, quoique encore en vie, promène de tous côtés sa puanteur, et, comme un sépulcre toujours ouvert, porte son âme morte dans un corps vivant. Que si vous aviez des yeux pour voir létat dune âme plongée dans les délices et dans le péché, vous comprendriez sang peine quil vaut mieux sans comparaison être lié dans un drap mortuaire, que dêtre garrotté avec les chaînes de ses passions, et avoir une grande pierre qui nous couvre, que dêtre accablé du poids de ses crimes. Il est donc bien juste que ceux qui sont liés de parenté avec ces sortes de morts, pleurent sur eux, puisquils ne pleurent pas sur eux-mêmes. Il convient dimplorer pour eux le Sauveur comme Magdeleine le pria pour, Lazare. (Jean, XI.) Quand ce mort exhalerait déjà une extrême puanteur, quand il serait en terre depuis quatre jours, ne perdez point courage; allez, et levez dabord cette pierre qui le couvre. Vous le verrez alors étendu dans le sépulcre, vous le verrez enveloppé dun. linceul et de bandelettes. Mais, pour rendre plus clair ce que nous disons, prenons pour exemple quelques-uns des grands de ce monde. Ne craignez point, je ne nommerai personne, et quand je nominerais quelquun, il ny aurait rien à craindre. Car- qui pourrait craindre un homme mort? Quoi quil fasse, il est toujours mort; et ainsi il ne peut faire aucun mal à ceux qui vivent. Je dis donc quil mest aisé de vous faire voir, en vous dépeignant tel quil est, lun de ces grands du monde, qui est véritablement mort. Premièrement sa tête est couverte dun suaire. Puisquil est toujours dans livresse, nest-il pas vrai que les vapeurs du vin sont comme des enveloppes et des bandelettes qui tiennent sa tête et sa raison liée, et lui interdisent lusage de, lesprit et même des sens? (229) Considérez ensuite comme il a les mains. Vous les verrez attachées à son ventre, non avec des bandes comme celles des morts; mais ce qui est encore plus horrible, avec les chaînes de lavarice, qui les empêchent de sétendre pour faire laumône, et qui les rendent plus immobiles et plus mortes pour les bonnes uvres que celles des morts. Voulez-vous voir aussi comme ses pieds sont liés? Vous navez quà considérer cette foule daffaires, dont il est accablé sans cesse, qui ne lui permettent pas daller à léglise pour adorer Dieu. Je vous ai fait voir le mort; voyez maintenant lensevelisseur. Quel est-il lensevelisseur de ces morts.? Il nest pas autre que le diable; cest lui qui les enveloppe et les bande avec tant de soin, quun homme ne paraît plus un homme, mais seulement un morceau de bois sec. Là, en effet, où lon ne voit plus dyeux, plus de mains, plus de pieds, aucun membre, pourrait-on voir lhomme et lapparence même de lhomme? Eh bien! telle est lâme de ces hommes: elle est tellement enveloppée et si bien bandée quon ne voit plus quune idole au lieu dune âme. Puis donc, mes frères, que ces hommes sont aussi insensibles que des morts, allons nous adresser à Jésus-Christ pour le prier de les ressusciter. Otons cette pierre qui les couvre, et rompons ces bandes et ce drap mortuaire qui les lie. Car si vous pouvez leur ôter cette pierre quils ont sur le coeur, cest-à-dire cette insensibilité dans laquelle ils vivent, vous les ferez sortir aisément de leurs tombeaux.; et lors. quils en seront sortis, vous les délierez sans peine. Jésus-Christ commencera alors à connaître ce mort, lorsquil sera sorti du sépulcre, et quil sera délié, et il linvitera à sa table. Vous donc qui êtes les amis de Jésus-Christ; vous tous qui êtes ses disciples; vous tous qui aimez-ce mort, courez à Jésus, et priez-le pour celui qui est sans vie et sans mouvement. Car encore que ces morts répandent une puanteur détestable, nous ne devons pas néanmoins nous éloigner deux. Nous devons au contraire nous en approcher davantage, et imiter ces saintes soeurs de Lazare, qui ne cessèrent point de prier pour leur frère, jusquà ce quelles le virent ressuscité. Si nous témoignons à Dieu ,ce soin pour notre salut et pour celui de nos frères, il nous comblera enfin du bonheur de lautre vie, dont je le prie de nous faire jouir, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (230) |