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HOMÉLIE LXXXVII.« LES SOLDATS DU GOUVERNEUR MENÈRENT JÉSUS DANS LE PRÉTOIRE, ET TOUTE LA COHORTE SASSEMBLA AUTOUR DE LUI. ET LUI AYANT ÔTÉ SES HABITS, ILS LE REVÊTIRENT DUN MANTEAU DÉCARLATE. ET TRES SANT UNE COURONNE DÉPINES, ILS LA LUI MIRENT SUR LA TÊTE AVEC UN ROSEAU DANS SA MAIN DROITE, ET SAGENOUILLANT DEVANT LUI, ILS SE MOQUAIENT DE LUI, EN DISANT : SALUT, ROI DES JUIFS. ET LUI CRACHANT AU VISAGE, ILS PRENAIENT LE ROSEAU, ET LUI ET LUI EN FRAPPAIENT LA TÊTE ». (CHAP. XXVII, 27, 28, 29, 30, JUSQUAU VERSET 45.) ANALYSE 1 et 2. Jésus-Christ, après avoir essuyé tout ce que la cruauté des plus féroces ennemis a pu inventer de tourments, meurt sur la croix en montrant quil est Dieu. 3 et 4. De la force du signe de la croix imprimé avec foi sur le front. Combien un chrétien doit avoir présente dans son esprit la patience que le Sauveur a témoignée en mourant. Que ce nest point être patient que de ne se mettre point en colère, lorsque personne ne nous irrite. Quun chrétien ne doit pas haïr ceux qui le déshonorent, mais ceux qui le louent. Que la bonne vie est au-dessus de la médisance.
1. Il semble que le démon alors avait comme donné un signal pour faire conspirer tout le monde contre Jésus-Christ. Soit, lenvie et la jalousie dont les Juifs étaient consumés, les portait à se déchaîner contre lui ; mais les soldats, quelle raison pouvaient-ils avoir de linsulter ? Nest-ce pas visiblement le démon qui les animait? Ils trouvaient leur plaisir dans ces outrages sanglants, et ils faisaient un jeu de leur cruauté. Au lieu de répandre des larmes et dêtre touchés de regret, comme fit ensuite le peuple, ils se conduisirent tout différemment. Ils ajoutèrent injure sur injure, et outrage sur outrage ; soit peut-être pour plaire eux aussi aux Juifs, ou pour satisfaire leur humeur qui delle-même était brutale et cruelle. Ils lui insultèrent en cent manières différentes : tantôt ils frappaient sa tête sacrée dun roseau; tantôt ils lui donnaient des soufflets; tantôt ils le perçaient dune couronne dépines, faisant une raillerie de ce traitement si barbare. Quelle excuse pouvons-nous avoir lorsque nous trouvons les moindres mépris insupportables, après un si grand exemple que nous donne le Sauveur du monde? Car linsulte et la violence peuvent-elles aller au delà de ce quil souffre, et non-seulement dans un de ses membres, mais dans tout son corps? Sa tête est percée dépines, frappée dun roseau, et meurtrie de coups de poing. Son visage est couvert de crachats, ses joues de soufflets, tout son corps déchiré par la flagellation, déshonoré par la nudité, et encore plus par ce manteau décarlate dont on le couvre, pour lui insulter par de cruelles adorations, comme à un roi de théâtre. Sa main porte un roseau au lieu de sceptre. On ne pardonne pas même à sa bouche et à sa langue, à laquelle on fait sentir lâpreté du fiel et du vinaigre. Que peut-on simaginer de plus insupportable que tous ces traitements? ne sont-ils pas au-dessus de nos paroles et de nos pensées. Il semble que ces cruels Juifs avaient peur doublier quelque genre de cruauté dont ils ne fissent lessai sur le Sauveur. Après sêtre accoutumés à répandre le sang des prophètes, ils répandent enfin celui du Fils de Dieu même. Ils le condamnent eux-mêmes à la mort, quoiquils se couvrent du nom de Pilate. Ils veulent « que son sang retombe sur eux et sur leurs enfants ». Ce sont eux seuls qui lui font toutes ces insultes, qui le lient, qui le mènent à Pilate, et qui le font traiter si outrageusement et si cruellement par les soldats. Pilate navait rien ordonné de tout ceci: (66) Ce sont eux qui ont été ses accusateurs, ses juges et ses bourreaux. Nous lisons ceci publiquement dans lassemblée de toute lEglise, pour empêcher que les païens ne disent que nous vous annonçons les actions miraculeuses de Jésus-Christ, mais que nous vous cachons ses souffrances et ses opprobres. Le Saint-Esprit a tellement conduit les choses, quil fait lire cette histoire dans lEglise au temps de Pâques, et dans une solennité où tout le monde, jusquaux femmes et aux petits enfants, sy rassemblent. Nous ne cachons rien de ces outrages du Sauveur, au milieu de cette grande assemblée et cependant personne ne doute que Jésus-Christ ne soit Dieu. Nous ladorons tous, non-seulement à cause de tant de grâces dont il nous a comblés, mais particulièrement pour cet amour si rare quil nous témoigne à sa passion; puisquil fait voir quil a bien voulu se rabaisser pour nous, jusquà ce dernier degré dhumiliation, pour nous donner dans sa personne un parfait modèle de la plus haute vertu. Lisons donc ceci, mes frères, puisque cette lecture nous peut être si avantageuse. Lorsque nous voyons le Sauveur traité avec tant de mépris; outragé par les derniers des hommes; adoré dune manière si offensante, si cruellement tourmenté dans toutes les parties de son corps, et enfin terminant sa vie par un supplice si infâme : il est impossible, quand nous serions de roche, que nous ne nous amollissions comme la cire, et que nous nabaissions lenflure de notre coeur en le perçant dune componction sainte, et que nous ne soyons pas dans un profond anéantissement. Mais écoutons la suite dune si tragique histoire: « Après sêtre ainsi joués de lui, ils lui ôtèrent ce manteau décarlate, et lui ayant remis ses habits ils lemmenèrent pour le crucifier (31). Et comme ils sortaient, ils rencontrèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, quils contraignirent de porter la croix de Jésus (32). Et ils vinrent au lieu appelé Golgotha, cest-à-dire, le lieu du Calvaire (33). Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel, et en ayant goûté il ne voulut point en boire (34). Mais après quils leurent crucifié, ils partagèrent entre eux ses vêtements, les tirant au sort (34). Afin que cette parole du prophète fût accomplie : Ils ont partagé entre eux mes vêtements, et ils ont tiré ma robe au sort (35) ». Ils firent alors, à légard du Sauveur, ce qui ne se faisait quà légard des hommes tes plus méprisables, et qui étaient abandonnés de tout le monde. Ils partagèrent entre eux ses vêtements sacrés qui avaient fait tant de miracles; mais qui nen firent point alors, parce que Jésus-Christ arrêta toute leur vertu. Ils traitent le Sauveur avec tant de mépris, quils épargnent même davantage les deux voleurs qui furent crucifiés avec lui. « Et sétant assis près de lui, ils le gardaient (36). Ils mirent aussi au-dessus de sa tête le titre de sa condamnation ainsi écrit : Cest Jésus le roi des Juifs (37). En même temps on crucifia avec lui deux voleurs, lun à sa droite et lautre à sa gauche (38) ». Ils le crucifièrent ainsi au milieu de deux larrons, afin quil passât comme eux pour un scélérat. Ils lui donnèrent du vinaigre à boire par une dérision cruelle , mais il nen voulut point boire; et un autre évangéliste, dit que lorsquil en eut goûté, il dit « Tout est consommé ». Que veulent dire ces paroles : « Tout est consommé », sinon que cette prophétie a été accomplie? Ils mont donné du fiel pour ma nourriture; et ils mont abreuvé de vinaigre dans ma soif». (Ps. LXVIII, 26.) Saint Jean ne dit pas non plus que Jésus-Christ ait bu de ce vinaigre, et il saccorde fort bien avec saint Matthieu, puisquil ny a point de différence entre goûter fort légèrement quelque chose, ou nen point boire du tout. Leur fureur ne se termina point encore là. Après cette nudité si honteuse en apparence où ils le réduisirent, après le crucifiement, après le fiel et le vinaigre, ils ne purent encore satisfaire leur cruauté, et lorsquils le virent attaché en croix, ils lui dirent des injures, et ils lui insultèrent de mille manières; ce qui me paraît encore plus cruel que tout le reste. « Et ceux qui passaient par là le blasphémaient en branlant la tête (39), et en disant: Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même : Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix (40). Les princes des prêtres se moquaient aussi de lui avec les docteurs de la loi et les sénateurs, en disant (41) : Il a sauvé les autres, et il ne saurait se sauver lui-même. Sil est le roi dIsraël, quil descende présentement de la croix, et nous croirons en lui (42). Il met sa confiance en Dieu : Si donc Dieu laime (67) quil le délivre, puisquil a dit : Je suis le Fils de Dieu (43) ». Ils agissaient de la sorte afin de te faire passer pour un séducteur, pour un superbe, pour un homme vain qui navait point eu dautre but que de tromper les hommes. lis voulaient quil finît sa vie dans une infamie publique. Cest pourquoi ils avaient voulu quil fût condamné à la croix, et quil y mourût devant tout le monde. Ils lavaient même livré à dessein entre les mains des soldats, afin que leur insolence augmentât encore les outrages dont ils voulaient le combler. 2. Certes, la désolation et les larmes de la foule qui suivait Jésus-Christ eussent pu toucher les pierres elles-mêmes; néanmoins, elles ne firent aucune impression sur ces bêtes féroces. Cest pour cela que le Sauveur adresse la parole aux personnes qui le suivaient en pleurant; mais il ne dit pas un mot à ces furieux, qui, non contents dexercer sur sa personne sacrée toutes les cruautés quils désiraient, voulurent encore, comme sils avaient craint sa résurrection, noircir sa gloire par ces outrages dont ils le déshonorèrent publiquement, en le confondant avec les voleurs et les scélérats, et en le traitant de « séducteur » et dimposteur », après sa mort même. « Va », lui disent-ils lorsquil mourait : « Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, descends de la croix » Et comme ils ne pouvaient effacer ce titre que Pilate avait écrit : « Le Roi des Juifs », parce quil leur résista en disant : « Ce qui est écrit est écrit », ils faisaient au moins ce quils pouvaient pour montrer que Jésus-Christ nétait point leur roi : « Si cest le roi dIsraël », disaient-ils, « quil descende maintenant de la croix. Il a sauvé les autres, et il ne peut se « sauver lui-même ». ils sefforçaient par ces paroles dobscurcir et de rendre suspects et douteux tous les miracles que Jésus avait faits jusqualors : « Sil est le Fils de Dieu »,disaient- ils encore; « et si Dieu laime, quil le sauve». Âmes scélérates, âmes exécrables, tant de prophètes, dont vous avez répandu le sang, ont-ils cessé dêtre prophètes, ou tant de saints dêtre saints, parce que Dieu ne les a pas sauvés de vos mains ? Votre barbarie leur a-t-elle ravi leur sainteté, et ont-ils cessé dêtre justes après linjustice de vos violences? Va-t-il donc un renversement desprit, et un aveuglement égal au vôtre? Car si vous êtes contraints davouer que les prophètes nont point cessé dêtre ce quils étaient, au milieu des supplices dont vous les avez tourmentés, ne deviez-vous pas à plus forte raison croire la même chose du Sauveur, qui avait tant de fois prédit sa mort, et qui, prévoyant cette fausse accusation que vous en pourriez concevoir, lavait souvent détruite par ses actions et par ses paroles? Aussi tous leurs artifices nont pu blesser en la moindre chose lhonneur et la réputation de Jésus-Christ. Ce fut alors même quun de ces deux voleurs, qui était crucifié avec le Sauveur, après avoir passé sa vie dans toutes sortes de crimes, mourut saintement en croyant en lui. Il publie sa gloire, lorsque les princes des prêtres sefforcent de lobscurcir, et il le reconnaît pour roi lorsquon le traite en esclave. Tout le peuple aussi pleure Jésus-Christ, et est touché de ses souffrances. Cependant on napercevait alors dans le Sauveur que des marques de faiblesse. Tout ce qui se passait alors ne pouvait former quune impression de son impuissance dans lesprit de ceux qui ne pénétraient pas tes desseins de Dieu dans ce grand mystère. Et néanmoins Jésus-Christ a fait voir quil était Dieu, en mourant comme le dernier des hommes, et il a établi cette vérité par les choses mêmes qui paraissaient la devoir détruire. Gravez, mes frères, dans le fond de votre coeur cette image de la patience de Jésus-Christ, afin quelle y étouffe tous les mouvements de la colère. Si vous sentez que vous commenciez à vous troubler, imprimez aussitôt sur vous le signe de cette croix du Sauveur. Repassez dans votre mémoire tout ce quil a souffert pour vous, et votre colère sera bientôt dissipée. Souvenez-vous des injures dont on a outragé le Fils de Dieu, et de tant de cruelles circonstances de son supplice. Pensez à ce quil est, et à ce que vous êtes, quil est votre Seigneur, et vous son esclave. Souvenez-vous que le Sauveur ne souffrait que pour les autres, et que vous souffrez pour vous-même. Quil souffrait de la part de ceux quil avait comblés de biens, et vous de ceux que vous avez peut-être maltraités. Quil souffrait des traitements si indignes à la vue de toute une ville, devant les Juifs et les étrangers, parlant à tous avec une douceur extrême; et que vous ne pouvez endurer la moindre insulte, dont il y aura deux ou trois témoins. Les disciples mêmes du Sauveur (68) labandonnent, ce qui me paraît le plus grand de ses outrages. Ses amis le fuyaient, ses ennemis lentouraient pendant son supplice, linsultaient, linjuriaient, se riaient, se moquaient, se raillaient de lui, les Juifs ét les soldats den haut et den bas et les voleurs de chaque côté. Car il est marqué que dabord ils lui dirent tous deux des injures, mais que lun ensuite ladora comme Dieu, pendant que lautre le blasphémait. Il semble que Dieu ait voulu encore ici prévenir la malice des hommes, et que les voulant empêcher de dire que ce qui est rapporté de ces deux hommes avait été inventé, et que ce voleur nétait point un véritable voleur, il ait permis que le bon larron blasphémât dabord Jésus-Christ pour faire admirer davantage la manière si soudaine et si puissante dont Dieu lui toucha le coeur. 3. Que la pensée donc dune si admirable patience excite en vous le désir de limiter. Car que pouvez-vous souffrir daussi cruel et daussi ignominieux que ce que votre maître a souffert pour vous? Quelquun vous a-t-il dit publiquement des injures? Elles ne peuvent être aussi horribles que celles quon a dites contre Jésus-Christ. Vous a-t-on outragé avec des fouets et des verges? Vous ne le pouvez être comme il la été, et on ne vous réduira point dans une nudité si honteuse. Vous a-ton donné un soufflet? Ce ne peut être avec des circonstances si outrageantes que celles que vous voyez ici. Considérez de plus, comme je viens de vous le dire, qui était celui qui souffrait ces choses, pour qui il les souffrait, et en quel temps il les souffrait. Ce qui était encore plus insupportable, cest que personne ne se plaignait dune violence si extrême; personne nouvrait la bouche pour défendre son innocence, et pour blâmer ces injustices. Tout le monde conspirait à loutrager, les bourreaux et les soldats, le peuple et les prêtres. On regardait Jésus-Christ comme un imposteur et un séducteur, et on se raillait de lui comme dun homme qui ne pouvait se défendre, ni soutenir ses paroles par ses actions. Jésus-Christ nopposait que son silence à tous ces outrages. Il souffrait tout avec une constance infatigable, pour nous apprendre jusquoù doit aller notre patience. Cependant un si grand exemple nous est inutile. Quun serviteur ait fait une chose qui nous déplaise, nous entrons en fureur. Nous sommes inexorables et sans pitié, lorsquon fait quelque chose contre nous, et nous sommes insensibles à tout ce qui se fait contre Dieu. Nous népargnons pas même nos propres amis. Que lun deux nous blesse en quelque chose, nous ne le pouvons souffrir; quil nous méprise, nous devenons furieux. Il ne nous sert de rien de lire ou découter la passion du Sauveur, de voir quun de ses disciples le trahit, que les autres labandonnent; que les Juifs à qui il avait fait tant de bien se déclarent contre lui; quon lui crache au visage, quun serviteur lui donne un soufflet, que les soldats loutragent; que les prêtres linsultent; que les voleurs le blasphèment, et que cependant il ne dit aucune parole daigreur, et quétant environné de tant de gens qui lattaquent si cruellement, il ne les veut vaincre que par son silence. Ceci nous apprend, mes frères, que plus nous aurons de douceur et de patience dans laffliction, plus nous serons invincibles, et plus nous nous rendrons vénérables à tous les hommes. Qui nadmirerait cette paix où nous serons parmi les injures de ceux qui nous oppriment? Que si nous nous laissons aller à limpatience, tout le monde au contraire nous méprisera. Car comme celui qui souffre avec constance paraît innocent, lors même quil est coupable, de même celui qui étant innocent témoigne de limpatience dans ce quil souffre, semble justifier les maux quil endure, et ou le regarde comme un esclave de la colère, qui assujétit la noblesse de son âme à la tyrannie de sa passion. Celui qui est dans cet état a beau être libre; dès lors quil sasservit à la colère, il est esclave, quand il aurait dailleurs mille serviteurs qui le regarderaient comme leur maître. Vous me répondrez peut-être que celui contre qui vous vous emportez vous a offensé cruellement. Quimporte? Nest-ce pas alors quil faut témoigner plus de vertu? Ne voyons-nous pas que les bêtes les plus furieuses ne nous font point de mal, lorsque nous ne les aigrissons pas, et quelles ne témoignent leur furie que contre ceux qui les attaquent et qui les irritent? Que si vous vous trouvez dans la même disposition, ne pouvant retenir votre colère lorsquon vous a irrité, quel avantage avez-vous donc sur des bêtes? On peut dire même quelles en ont sur vous. Car dordinaire les hommes les attaquent les premiers, et leur colère nest pas en leur pouvoir, parce quelles (69) sont emportées par leur instinct destitué de raison, et par limpétuosité de la nature. Mais quelle excuse vous reste-t-il à vous qui, étant homme, agissez en bête? Car quel mal vous a-t-on fait? vous a-t-on ravi votre bien? Cest ce qui devrait vous donner de la joie, puisquen souffrant cette perte elle vous sera très-avantageuse et que vous en recevrez plus de bien quon ne vous en ôte. Vous a-t-on méprisé? A quoi se réduit ce mépris? En êtes-vous moins que vous nétiez si vous avez un peu de vertu pour le souffrir? Si vous ne souffrez donc en cela aucun mal qui soit véritable, pourquoi vous fâchez-vous contre une personne qui, bien loin de vous nuite, vous a fait du bien? Ne savez-vous pas que lhonneur et lestime rendent encore plus faibles ceux qui sont lâches, et que le mépris rend encore plus forts ceux qui sont forts? Les traitements injurieux abattent les tièdes et les négligents, mais les louanges leur nuisent. Car si nous pesons les choses dans une juste balance, nous trouverons que ceux qui nous blâment ne servent quà accroître notre vertu et notre mérite, et quau contraire ceux qui nous louent ne peuvent nourrir que notre complaisance et notre orgueil, qui est la source de tous les maux. Nous pouvons remarquer la vérité de ce que je dis dans la manière dont les pères se conduisent envers leurs enfants. lis craignent de les louer, et ils leur font souvent des réprimandes, de peur quils ne saffaiblissent et quils ne se relâchent par les louanges quils leur donneraient. Les maîtres agissent aussi tous les jours de la même manière à légard de leurs disciples. Cest pourquoi sil était permis à un chrétien davoir de laversion pour quelquun, il en devrait plutôt avoir pour ceux qui le louent et qui le flattent, que pour Ceux qui loffensent et le décrient. Les flatteries sont bleu plus dangereuses que les injures, et si nous ne veillons bien sur nous, il est beaucoup plus aisé de nous y laisser surprendre. Cest pourquoi il faut que celui qui ne se laisse point toucher par lhonneur et par les louanges, ait une grandeur dâme et de piété tout à fait rare, et il doit attendre de Dieu une récompense toute extraordinaire. Cest un miracle bien plus grand de voir un homme qui ne se trouble point lorsquon le blesse dans son honneur, que den voir un autre qui ne tombe point lorsquon le frappe dans son corps. Mais le moyen, dites-vous, que je sois insensible à loutrage? Vous le ferez si, lorsquon vous offense, vous avez aussitôt recours au signe de la croix et si vous limprimez sur votre coeur; si vous êtes chrétien, vous ne pouvez vous souvenir de ce que Jésus-Christ a souffert pour vous, sans oublier ce que vous souffrez. Ne vous arrêtez pas aux injures que vous fait cet homme; pensez aux biens que vous en recevrez. Cest ainsi que vous cesserez bientôt de vous fâcher contre lui, et que vous passerez à des sentiments de douceur et de bonté. Je dis plus, mes frères, craignez Dieu, que sa crainte vous soit toujours présente, quelle soit gravée dans le fond de votre coeur et elle vous rendra doux et paisibles. 4. Que lexemple aussi de vos domestiques vous avertisse continuellement de votre devoir. Considérez, lorsque, vous leur faites quelque-fols des réprimandes, quel silence ils gardent alors, et que cela vous apprenne que ce nest pas une chose qui vous soit si difficile que de vous taire lorsque les autres vous offensent. Vous apprendrez ainsi à condamner vos emportements, vous reconnaîtrez avec douleur dans la plus grande chaleur de votre colère que vous faites mal, et vous vous accoutumerez peu à peu à devenir comme insensible lorsquon vous outrage et quon vous fait des insultes. Souvenez-vous que celui qui semporte contre vous nest plus maître de lui-même; quil est comme un homme qui a perdu lesprit et vous naurez plus de peine à souffrir toutes ses injures. Combien de fois les possédés nous frappent-ils? Et cependant, bien loin de nous en fâcher, nous navons pour eux que de la compassion et de la tendresse. Faites de même, mes frères, ayez pitié de celui qui vous dit des injures. Il est dévoré par la colère comme par une bête furieuse et déchiré par un monstre terrible qui est le démon. Hâtez-vous de délier un homme qui est si misérablement tourmenté et qui par une passion si courte se cause une mort qui ne finira jamais. Cette maladie est si violente, quen un moment elle perd celui quelle possède. De là vient celte parole : Le moment de sa fureur est le moment de sa chute. Car cest ce quil y a de particulier et dépouvantable dans cette passion. Elle ne peut pas durer longtemps. Et cependant dans le peu quelle dure elle cause des maux presque irréparables. Si sa durée (70) égalait sa violence, personne ny pourrait résister. Je voudrais vous pouvoir représenter létat dun homme qui dans la colère en offense un autre, et létat de celui qui souffre en paix cette injure, et vous faire voir à nu le coeur de lun et de lautre. Vous verriez que lâme du premier est comme une nuée au milieu de la tempête et que celle du dernier est comme un port toujours calme et toujours tranquille. Les esprits de malice et les princes de lair ne troublent jamais la paix de son âme. Comme celui qui fait une injure na point dautre but que dirriter celui quil offense, lorsquil saperçoit quil est hors datteinte et hors de prise, il quitte bientôt sa mauvaise humeur pour rentrer dans la douceur et dans la paix. Il est impossible que, tôt ou tard, celui qui sest mis en colère ne se repente de son emportement et de ses excès. Quand même sa colère serait juste, il faudrait nécessairement quil témoignât son mécontentement contre quelquun; nest-il pas plus aisé et plus sûr de le faire sans passion et sans chaleur et dune manière dont on puisse se repentir? Hélas! si nous voulons nous conserver dans nous-mêmes un trésor de biens, il ne tiendra quà nous avec la grâce de Dieu de le posséder avec assurance et dy trouver notre véritable gloire. Notre malheur est que nous cherchons la gloire des hommes. Si nous avions soin de nous honorer nous-mêmes, personne ne pourrait nous déshonorer; mais si nous nous déshonorons nous-mêmes, quand tout le monde nous accablerait de louanges, nous nen serions pas plus estimables. Comme nul ne nous peut rendre vicieux, si de nous-mêmes nous ne nous portons point au vice; ainsi nul ne nous peut déshonorer à moins que nous nous déshonorions nous-mêmes. Supposons quun homme dune piété admirable soit regardé de tout le monde comme un méchant, comme un voleur, comme un scélérat plongé dans les plus grands crimes, sans quil soit touché de ces impostures, quel mal recevra-t-il de tous ces faux bruits? Mais, dites-vous, tout le monde parle mal de lui. Il est vrai, mais toutes ces paroles mie peuvent atteindre jusquà lui. Ce sont ceux qui sèment ces faux bruits, qui se déshonorent eux-mêmes, en jugeant si mal dun homme si parfait. Si quelquun publiait que le soleil nest pas une source de lumière, à qui ferait-il tort, à soi-même ou au soleil? Croirait-on sur sa parole que le soleil ne serait plus lumineux, et ne croirait-on pas plutôt que lui-même ne serait pas sage? Ainsi, lorsque les méchants accusent les bons, leurs calomnies sont leur propre condamnation et la gloire de ceux quils condamnent. Faisons donc tous nos efforts, mes frères, pour purifier notre vie de telle sorte que nous ne donnions aucune prise sur nous à la médisance et à limposture. Mais si, nonobstant toutes ces précautions, lenvie et la passion déchirent notre innocence, ne nous laissons point aller à la tristesse, et tâchons de nen être point touchés. Que le juste soit tant décrié que lon voudra, il sera toujours juste, et il ne cessera point dêtre ce quil est. Mais ceux qui se laissent aisément engager dans ces faux soupçons, se percent le coeur dune plaie mortelle. Que le méchant au contraire soit tant loué que lon voudra, toute cette estime ne servira quà le confirmer dans sa méchanceté, et quà attirer sur lui de plus grands supplices. Car lorsquun méchant homme passe dans le monde pour ce quil est, cette diffamation publique peut quelquefois lhumilier et le faire rentrer en lui-même : mais lorsque son péché demeure couvert, il loublie lui-même, et il tombe dans lendurcissement. Car si ceux qui sont dans le crime sont touchés à peine lorsque tout le monde les condamne, comment reviendront-ils de leur égarement, lorsque, bien loin dêtre blâmés, ils trouveront des approbateurs de leurs injustices et de leurs excès? Ne savez-vous pas que cest ce que saint Paul blâmait daims les Corinthiens? Ne voyez-vous pas avec quelle force il les reprend non-seulement de ce quils ne permettaient pas que lincestueux reconnût son crime, mais même de ce quen le soutenant et en lhonorant, ils le poussaient encore en de plus grands maux? Cest pourquoi, mes frères, je vous conjure de vous élever également au-dessus des louanges et des injures, et de navoir nul égard aux faux rapports et aux vains soupçons. Travaillons seulement à faire en sorte que notre conscience nous rende un bon témoignage devant Dieu, et que notre vie soit pure à ses yeux. Car ce sera ainsi que nous pourrons mériter, et dans ce monde et dans lautre, une gloire solide et véritable, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (71) |