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HOMÉLIE XC.« APRÈS QUELLES FURENT PARTIES, QUELQUES-UNS DES GARDES VINRENT DANS LA VILLE ET RAPPORTÈRENT TOUT CE QUI SÉTAIT PASSÉ AUX PRINCES DES PRÊTRES. CEUX-CI SE RÉUNIRENT AVEC LES ANCIENS ET AYANT TENU CONSEIL, ILS DONNÈRENT UNE GRANDE SOMME DARGENT AUX SOLDATS, EN LEUR DISANT: DITES QUE SES DISCIPLES SONT VENUS DURANT LA NUIT LORSQUE VOUS DORMIEZ, ET ONT DÉROBÉ SON CORPS». (CHAP. XXVIII, 11, 12, 13, JUSQUA LA FIN.) ANALYSE 1 et 2. La nouvelle de la résurrection de Jésus-Christ est apportée aux princes des prêtres et aux anciens. Moyens quils emploient pour tromper encore une fois le peuple. Dernières paroles de Jésus-Christ à ses apôtres ; il les envoie évangéliser le monde. 3 et 4. Combien tout ce que Dieu nous commande est facile à exécuter. Que cest cette facilité qui sera cause que nous serons plus châtiés au jour de son jugement. Que lavarice corrompt tout. Du martyre des riches et de la vanité des richesses. Que le christianisme inspire lamour de la pauvreté.
1. Ces grands tremblements de terre ne se firent que pour étonner les soldats, afin quils rendissent témoignage de ce quils avaient vu, comme ils le firent en effet. Rien nétait moins suspect que cette sorte de témoignage que les gardes mêmes rendaient à la vérité de la résurrection du Sauveur. Car une partie de ces prodiges se faisaient alors à la vue de toute la terre; et les autres se passent en particulier en présence dun petit nombre de personnes. Les miracles qui se firent devant tout le monde furent les ténèbres et lobscurcissement du soleil; les autres plus particuliers furent le tremblement de terre auprès du sépulcre et tout ce qui fut fait ou qui fut dit par les anges. Lors donc que les gardes furent venus dans la ville, et quils eurent rapporté aux princes des prêtres tout ce qui sétait passé au sépulcre du Sauveur (grande gloire pour la vérité, puisquelle eut pour témoins ses ennemis mêmes), ces prêtres leur donnèrent encore une grande somme dargent, afin quils publiassent partout que ses disciples étaient venus, et quils avaient dérobé son corps. Mais, aveugles et insensés que vous êtes, comment les disciples ont-ils pu faire ce larcin? Comment osez-vous opposer une opiniâtreté si stupide et si grossière à une vérité si évidente, sans quil vous reste le moindre prétexte pour colorer tant soit peu vos mensonges et vos impostures? Car comment les disciples ont-ils pu dérober le corps de leur Maître? Comment serait-il possible que des hommes sans science, sans nom, sans appui , qui étaient alors si frappés de crainte quils nosaient pas même paraître, eussent jamais pensé à former une entreprise si hardie? Ce tombeau nétait-il pas scellé? Nétait-il pas environné des gardes, des soldats et des Juifs, qui se défiaient de cela même, qui nétaient là que pour empêcher cet accident, qui veillaient avec soin, et qui noubliaient rien pour se défendre de cette surprise? Mais par quel motif ces disciples auraient-ils voulu dérober ce corps? Aurait-ce été afin détablir par cet artifice la croyance de la résurrection de leur Maître dans toute la terre? Comment ce dessein aurait-il pu tomber dans lesprit de pauvres gens qui se trouvaient trop heureux de pouvoir vivre dans un lieu secret et de demeurer inconnus à tous les hommes? Comment auraient-ils pu exécuter ce dessein quand ils lauraient eu, sans être découverts? Quand ils auraient été assez résolus pour mépriser la mort, comment auraient-ils osé entre. prendre de forcer tant de gardes et de gens armés? Mais ce qui était arrivé un peu auparavant, nous assure beaucoup plus de leur (86) timidité que de leur hardiesse. Car ils ne virent pas plutôt leur Maître pris quils senfuirent tous. Si donc lorsquil était encore en vie ils tremblent de peur et labandonnent, comment oseront-ils après sa mort attaquer tant de gardes pour se saisir de son corps? Il ne sagissait pas seulement davoir quelque adresse pour ouvrir et pour faire entrer secrètement un homme dans le tombeau. Car lentrée en était bouchée par une grosse pierre, qui naurait pu être remuée que par un grand nombre dhommes. Les princes des prêtres avaient donc bien raison de dire « que cette dernière erreur serait pire que la première », et ils le disaient contre eux-mêmes, puisque, au lieu de devenir plus sages après tant de crimes, ils en ajoutaient un qui était le couronnement des autres. Ils ajoutent malice sur malice. Ils ont acheté le sang de Jésus-Christ avec de largent. Ils veulent acheter de même avec de largent limposture qui doit combattre et étouffer sil se peut la vérité de la résurrection. Considérez, je vous prie, comment ils tombent partout dans leurs propres piéges. Car sils ne sétaient adressés à Pilate, sils navaient demandé des gardes, ils auraient pu avec plus de vraisemblance faire courir dans le monde tous ces faux bruits. Mais, après tant de précautions quils ont prises, ils ne le pouvaient plus. Ainsi donc, ils ont eu soin de faire eux-mêmes tout ce quil fallait pour se fermer la bouche à eux-mêmes et pour rendre leur imposture sans effet et sans vraisemblance. Car si les plus fidèles et les plus ardents de ses disciples nont pas pu même veiller avec lui lorsquil les y exhortait et quil les reprenait de leur négligence, comment ces mêmes hommes auraient-ils pu être si vigilants et si résolus, après lavoir vu mourir sur une croix? Que sils avaient pu avoir le dessein de dérober ce corps, pourquoi ne le firent-ils pas lorsquil ny avait point encore de gardes auprès du sépulcre, et quils pouvaient le faire sans sexposer? Car les prêtres ne sadressèrent à Pilate pour lui demander des gardes que le jour du sabbat, et le sépulcre était demeuré seul toute la nuit précédente. 2. Mais que direz-vous de ces suaires qui étaient pleins de parfums, que saint Pierre vit dans le sépulcre? Si les apôtres avaient dérobé le corps, ne lauraient-ils pas fait emporter avec tous ces linges, non-seulement par le respect qui les aurait empêchés de le mettre à nu, mais encore par lappréhension dêtre trop longtemps à les défaire et de donner lieu aux soldats de se réveiller; et dautant plus que ce parfum de myrrhe, dont on avait oint le corps mort, sattache très fortement aux corps et à toutes les choses où on lapplique. Ainsi les apôtres auraient dû être longtemps à défaire ces linges et à les séparer du saint corps. Il est donc de la plus claire évidence que toute cette fable de lenlèvement du corps na pas la moindre ombre de vraisemblance. De plus, les apôtres ne savaient-ils pas jusquoù allait la fureur des Juifs et quaprès avoir tué leur Maître ils eussent tourné contre eux toute leur rage? Et enfin que pouvaient-ils gagner à cette feinté, si leur Maître navait été véritablement ressuscité? Les Juifs donc qui avaient concerté entre eux toute cette intrigue et cette imposture, donnèrent une grande somme dargent aux soldats, afin quils ne les démentissent pas: « Publiez», leur disent-ils, « que ses disciples sont venus durant la nuit comme vous dormiez et ont dérobé son corps ». « Et si le gouverneur vient à le savoir, nous lapaiserons et nous vous tirerons de peine (44) ». Ils voulaient donc quon répandît ce bruit partout, et ils simaginaient quils étoufferaient ainsi la vérité de la résurrection de Jésus-Christ. Mais ils lautorisent au contraire malgré eux, et ils laffermissent sans le savoir. Car ce faux bruit quils font courir que les disciples du Sauveur sont venus enlever son corps, est ce qui prouve péremptoirement quil est véritablement ressuscité, puisquils déclarent eux-mêmes que son corps ne se trouve plus dans le sépulcre. Car la pierre si bien scellée, la présence des gardes et la timidité des apôtres font assez voir que cet enlèvement nest quune fable, et que la résurrection quon veut étouffer est très-constante et très-assurée. Cependant ils ne rougissent de rien, et quoique tant de preuves différentes les convainquent dimposture, ils ne laissent pas de dire à ces gardes : « Publiez partout que ses disciples sont venus durant la nuit lorsque vous dormiez, et quils ont « enlevé son corps; et si le gouverneur vient à le savoir, nous lapaiserons et nous vous « tirerons de peine ». Ainsi vous voyez que tous ces hommes étaient des imposteurs et des gens sans conscience, Pilate lui-même, (8) puisquil se laissa persuader, les soldats et tous les Juifs. Mais il ne faut pas sétonner que des soldats se soient laissé gagner par de largent, puisquun des disciples du Sauveur la vendu pour un peu dargent. « Les soldats ayant reçu largent firent ce quon leur avait dit; et ce bruit quils firent courir est commun encore aujourdhui parmi les Juifs (15) ». Jadmire encore ici la sincérité des évangélistes qui ne rougissent point de dire cela, et davouer que ce faux bruit a prévalu contre toutes leurs prédications et sest confirmé de plus en plus par la succession des temps parmi les Juifs. « Or, les onze disciples sen allèrent en Galilée sur la montagne où Jésus leur avait commandé de se trouver. Et le voyant ils ladorèrent. Quelques-uns aussi furent dans le doute (16) ». Il me semble que ce fut ici la dernière apparition de Jésus-Christ qui arriva en Galilée, lorsque Jésus-Christ envoya ses apôtres dans tout lunivers pour convertir et pour baptiser les hommes. Et je vous prie encore dadmirer ici la véracité des évangélistes qui ne cachent rien de tous les défauts que les apôtres firent paraître jusquau dernier jour. Mais si quelques-uns étaient dans le doute, cette dernière apparition les rassura et les confirma entièrement. Que leur dit donc Jésus-Christ, lorsquil les vit assemblés? « Et Jésus sapprochant leur dit: Toute puissance ma été donnée dans le ciel et sur la terre (17) ». Il leur parle encore en quelque sorte humainement, parce quils navaient pas reçu le Saint-Esprit qui devait élever leurs âmes : « Allez donc et instruisez tous les « peuples, les baptisant au nom du Père, du e Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à« observer toutes les choses que je vous ai commandées (18) ». Ce quil entend et des maximes de la foi et des règles de la morale. Il ne leur dit pas un seul mot des Juifs, et il ne leur parle point de tout ce que ce peuple venait de faire contre sa personne. Il ne reproche point non plus à saint Pierre son triple renoncement; il ne se plaint point de la fuite et de labandonnement des autres. Il leur commande seulement daller dans tout le monde, et il leur donne en abrégé toute la doctrine quils doivent prêcher, en baptisant les hommes, en leur disant : « Quils leur apprennent à observer toutes les choses quil leur a commandées », et pour rassurer leurs esprits dans la frayeur que ces grands commandements leur pouvaient causer, il ajoute ces paroles: « Et voilà, je suis avec vous jusquà la consommation des siècles (19) ». Considérez encore ici, mes frères, la grandeur et la souveraine puissance du Fils de Dieu. Voyez aussi comment, en parlant à ses apôtres, il continue de condescendre à leur faiblesse. Il proteste quil sera lui-même toujours non-seulement avec eux, mais encore avec tous ceux qui doivent croire un jour en lui. Les apôtres ne devaient pas vivre jusques à la fin du monde, et cest visiblement à tous les fidèles quil parle, quil regarde comme un seul corps. Ne mobjectez donc point, leur dit-il, la difficulté des choses que je vous ordonne, parce que je suis avec vous, et que je vous rendrai tout facile. Cest la parole et la promesse dont il rassurait aussi autrefois ses prophètes, et on voit quil dit à Jérémie, qui lui représentait son enfance, à Moïse et à Ezéchiel, qui hésitaient à suivre ses ordres : « Je vous assure que je suis avec vous ». Mais quelle différence voyons-nous ici entre les apôtres et les prophètes? Les prophètes sexcusent, lorsquon ne les envoie prêcher quà un seul peuple, et les apôtres, ne font point ces difficultés, lorsquon les envoie dans tout lunivers. Il leur parle, et il les fait à dessein souvenir de la fin du monde et « de la « consommation des siècles », afin de les attirer à lui, et de les empêcher de considérer seulement les maux quils souffriraient sur la terre, mais de penser encore aux biens du ciel. Il semble quil leur dise par cette parole: Les maux dont vous serez affligés se termineront dans cette vie, puisque le monde même verra sa fin; mais les biens dont je vous ferai jouir ensuite seront éternels, comme je vous lai déjà souvent promis. Ainsi, après les avoir fortifiés et rassurés par cette promesse, et leur avoir rappelé dans lesprit ce dernier jour, il les quitte et il se retire dans le ciel. Ce jour est sans doute lobjet des voeux de tous les bons, comme il est le sujet de la crainte et de la terreur de tous les méchants, parce quils y entendront larrêt éternel et irrévocable de leur condamnation. Mais ne nous contentons pas, mes frères, de regarder ce jour avec frayeur. Préparons-nous-y pendant que nous en avons le temps, en réglant toute notre vie, et en renonçant à tous nos désordres. Nous le pouvons si nous le voulons. Car si tant de personnes lont fait avant la grâce du Sauveur et (88) de lEvangile, combien plus le peut-on faire après un si grand secours? 3. Et enfin, quest-ce que Dieu nous commande de si pénible? Nous ordonne-t-il de couper les montagnes, de voler dans lair, et de traverser les mers? Il nous ordonne au contraire des choses si faciles, que nous naurons point besoin pour les exécuter daucune chose qui soit hors de nous; mais seulement dune volonté pleine et dune affection sincère. Quavaient les apôtres de tous les biens extérieurs, lorsquils faisaient de si grandes choses? Avaient-ils plus dun habit? Navaient-ils pas les pieds nus, lorsquils parcouraient toute la terre, et nétaient-ils pas en cet état plus forts que tous les hommes et tous les démons? Quy a-t-il de si difficile dans ces préceptes de Jésus-Christ? Nayez point dennemis, ne haïssez personne, ne parlez point mal de votre frère, puisquau contraire ce sont les choses opposées à ces préceptes qui sont pénibles et laborieuses. Mais il a commandé aussi, dites-vous, de renoncer à nos biens. Trouvez-vous donc cela fort pénible? Je vous réponds même quil ne la pas commandé absolument : il ne la que conseillé. Mais quand il en aurait fait une loi expresse, est-ce une chose fort difficile de ne se point charger dun fardeau, de ne le point porter partout avec soi, et de se débarrasser de tous les soins et de toutes les inquiétudes qui laccompagnent? Mais, ô détestable enchantement de lavarice! largent aujourdhui tient lieu de tout. De là vient cette corruption et cette confusion générale qui est dans le monde. Sion dit quun homme est heureux, on parle aussitôt de son bien. Si on en pleure un autre comme malheureux, on le plaint tout dabord de ce quil est pauvre. Toutes nos conversations se passent à dire de quelle manière un tel sest enrichi, et quun autre sest appauvri. Si un homme pense à prendre lépée ou à se marier, ou à sengager dans un emploi, il considère dabord sil y trouvera son intérêt et sil pourra sy enrichir. Puis donc, mes frères, que nous nous trouvons ici assemblés dans le temple de Dieu, tâchons de trouver quelques remèdes pour guérir une maladie si dangereuse. Ne rougissons-nous point, lorsque nous pensons à la vertu de nos pères, de cès premiers chrétiens, dont il est parlé dans les Actes? Lorsque trois mille eurent été convertis en une seule prédication, et cinq mille en une autre, ils vivaient ensemble, et ils possédaient tout en commun. Quel avantage pouvons-nous véritablement tirer de cette vie passagère, si nous ne nous en servons pour acquérir celle qui ne finira jamais? Jusquà quand serez-vous misérables, et nétoufferez-vous point enfin ce monstre de lavarice qui vous a dominés jusquà cette heure? Jusquà quand ne soupirerez-vous point après votre liberté, et ne ferez-vous point cesser tous ces commerces honteux? Si vous étiez devenus les esclaves dun homme, il ny aurait rien que vous ne fissiez sil vous promettait la liberté; et lorsque vous êtes les esclaves de lavarice, vous ne pensez pas même à vous en délivrer. Et cependant, si lon pèse ces deux sortes de servitude, la première nest rien en comparaison de la seconde. Considérez à quel prix Jésus-Christ vous a rachetés. il a répandu tout son sang, il a donné sa propre vie : et après cela vous rampez à terre, vous ne respirez que la terre, vous êtes esclaves, et ce qui est encore plus insupportable, vous faites vanité de votre servitude; vous révérez vos chaînes, et vous faites les délices de votre coeur de ce qui devrait être lobjet de votre aversion et de votre haine. Mais puisquil ne suffit pas de condamner un vice, si on nen propose aussi le remède, considérons, je vous prie, doù vient que vous avez tant dardeur pour acquérir de largent. Nest-ce pas parce que le bien procure lhonneur et la sécurité? Mais quelle est cette sécurité? Est-ce parce que nous serons assurés de navoir jamais faim ni froid, et de ne tomber point dans le mépris? Si donc je vous promets tout cela sans être riche, cesserez-vous daimer les richesses? Car si vous trouviez sans avoir de bien tout ce que vous pourriez espérer en en possédant, quel sujet ,vous resterait-il den rechercher? Vous me demanderez peut-être comment il pourra se faire que vous ayez ce que vous désirez, sans néanmoins être riche. Et moi je vous demande, au contraire, comment un riche peut avoir cette paix et cette sécurité que vous cherchez. Car il faut nécessairement quil flatte les grands et les petits, quil dépende dune infinité de personnes, quil sassujétisse honteusement à ceux dont il a affaire, quil soit agité de soins, dinquiétudes et de soupçons, et quil appréhende sans cesse loeil des envieux, la langue des médisants et les (89) entreprises des avares. La pauvreté nest point exposée à toutes ces peines et à tous ces périls. Cest un asile inviolable; cest un port assuré, cest lépreuve de la vertu et de la sagesse, cest une imitation de la vie des anges. Ecoutez donc, mes frères, ce que je men vais vous dire. Ce nest point un mal que de .nêtre pas pauvre, mais cest un mal que de ne vouloir pas être pauvre. Ne considérez plus la pauvreté comme un mal, et elle ne sera plus un mal pour vous. Car tout le mal quon y trouve ne vient pas de ce quelle est naturellement, mais de la faiblesse et de limagination des hommes lâches, Quand je dis que la pauvreté nest point un mal, je dis trop peu, et jai honte moi-même den parler si bassement. Car si vous avancez un peu dans la vertu et dans la sagesse chrétienne, vous trouverez que non-seulement la pauvreté nest pas un mal, mais quelle est la source de tous les biens. Que si quelquun vous offrait dun côté lempire, les grandes charges, les richesses et toutes les délices du monde, et de lautre la pauvreté, et quil vous obligeât de choisir lun ou lautre, je ne doute point que vous ne fussiez prêts à embrasser la pauvreté de tout votre coeur, si vous aviez une fois connu les trésors et les plaisirs célestes quelle renferme. 4. Je sais que plusieurs se moquent de moi, en mentendant parler de la sorte; mais je ne men étonne pas : je vous conjure seulement de mécouter avec patience, et je massure que vous serez bientôt de mon sentiment. Je ne puis mieux comparer la pauvreté quà une vierge extrêmement modeste et dune admirable beauté, et lavarice à quelquune de ces femmes monstrueuses comme Scylla, ou bien à lhydre, ou bien à ces autres monstres qui sont dans les poètes. Ne malléguez point ici ceux qui accusent et qui détestent leur pauvreté, mais plutôt ceux qui en lhonorant se sont honorés eux-mêmes. Cest elle qui a toujours été aimée du saint prophète Elie, qui la nourri par un corbeau, et qui la fait enfin monter dans le ciel dans un char de feu. Cest elle qui a rendu son disciple Elisée non moins illustre que lui. Cest elle qui a fait admirer saint, Jeun-Baptiste de tous les Juifs, et qui a été la gloire de tous les apôtres. Achab, au contraire, Jézabel, Giesi, Judas, Néron et Caïphe, ont été idolâtres des richesses, et leur avarice sera pour jamais leur condamnation et leur honte. Mais ne relevons pas seulement ceux qui se sont signalés par lamour de la pauvreté , jetons les yeux sur la pauvreté même, et considérons lexcellente beauté de cette vierge. Loeil de lavarice nest jamais tranquille. Ou lintempérance laltère, ou lenvie le trouble, ou la fureur lagite. Mais loeil de la pauvreté est toujours pur, toujours agréable, et toujours paisible ; il na daversion pour personne, il est doux, Il est accessible, il est favorable à tout le monde. Lavarice au contraire est toujours inquiète. Car partout où est lamour de largent, là se trouve aussi la source de la haine et de linimitié , des guerres et des querelles. La bouche de lavarice est pleine dinjures et de médisances; son coeur est rempli dorgueil et de fiel, et son esprit dartifices et de fourberies. Au contraire la langue de la pauvreté est toujours chaste et toujours modeste. Elle nouvre la bouche que pour rendre à Dieu des actions de grâces, que pour bénir les hommes, et pour leur parler avec une douceur humble, avec une estime respectueuse, avec une complaisance discrète, et avec une affection tendre et charitable. Si vous considérez tout le reste de son corps, vous y verrez une admirable proportion, et vous conclurez que la pauvreté est une vierge dune pureté admirable et dune parfaite beauté, et que lavarice au contraire est un monstre par sa difformité et par sa laideur. Que si après tous ces avantages de la pauvreté, le monde néanmoins en a tant daversion, il ne faut pas sen étonner, puisque les insensés ont la même horreur de toutes les autres vertus. Mais vous mobjectez que le pauvre tous les jours est outragé par le riche. Et moi je vous réponds que cest là un des grands avantages de la pauvreté. Car lequel des deux est le plus heureux de celui qui fait une injure ou de, celui qui la souffre? Nest-il pas visible que cest celui qui la souffre courageusement? Cest donc lavarice qui porte les hommes à outrager leurs frères, et cest la pauvreté qui les porte à souffrir chrétiennement ces outrages. Cependant, me direz-vous, on voit le pauvre endurer la faim. Il est vrai; saint Paul la soufferte aussi. Il ne trouve point, ajoutez-vous, un lieu de retraite. Avez-vous oublié que Jésus-Christ lui-même navait pas non plus où reposer sa tête? Considérez jusquoù sélève la gloire de la pauvreté, jusquoù elle vous fait monter. Elle vous associe à Jésus-Christ, elle vous rend limitateur de Dieu même. (90) Si lor était une bonne chose, Jésus-Christ en aurait fait avoir à ses disciples quil a voulu enrichir du plus excellent de tous les dons. Mais nous voyons au contraire que, bien loin de leur en donner , il leur a défendu den avoir. Cest pourquoi nous voyons que saint Pierre, non-seulement ne rougit pas de sa pauvreté, mais quil en fait toute sa gloire, lorsquil dit hardiment : « Je nai ni or ni argent; mais je vous donne ce que jai». (Act. III, 4.) Qui de vous, mes frères, ne souhaiterait de pouvoir dire une semblable parole? Je crois quil ny en a pas un qui ne le désirât avec ardeur. Jetez donc cet or, renoncez à ces richesses. Mais quand jaurai fait cela, me direz-vous, aurai-je la même puissance que saint Pierre? Je vous prie de me dire ce qui a rendu saint Pierre heureux : Est-ce parce quil a fait marcher droit un boiteux? Nullement, mais cest parce quen foulant aux pieds tout le monde, il sest acquis la gloire que Dieu nous promet. Ne savons-nous pas que plusieurs ont fait aussi bien que lui des miracles, et quils sont néanmoins tombés dans lenfer; mais que ceux qui ont été comme lui pauvres sur la terre, sont devenus comme lui des rois dans le ciel? Cest ce que nous apprenons des paroles mêmes de saint Pierre que nous venons de rapporter. Car il dit deux choses : « Je nai ni or ni argent; et, au nom de Jésus-Christ, levez-vous et marchez ». Laquelle de ces deux choses a rendu cet apôtre si heureux? Est-ce de faire marcher droit un boiteux, ou davoir renoncé à tout? Consultons Jésus-Christ, et quil soit lui-même notre juge. Il ne commanda point à celui qui lui demandait le moyen dacquérir la vie éternelle, de faire marcher droit les boiteux, mais il lui dit : « Vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et venez me suivre; et vous aurez un trésor dans les cieux ». Et saint Pierre ne dit pas non plus à Jésus-Christ, quoiquil le pût : Nous avons chassé les démons en votre nom, mais : « Nous avons tout quitté, et nous vous avons suivi, quelle récompense donc en aurons-nous »? Et Jésus-Christ ne lui répond pas: Celui qui fera marcher droit les boiteux, mais : «Celui qui à cause de moi et de lEvangile quittera ses maisons et ses terres, recevra le centuple dans ce monde, et la vie éternelle dans lautre ». Imitons donc ce saint apôtre, mes frères, afin que nous ne soyons point confondus au dernier jour, que nous puissions nous tenir avec confiance devant le tribunal du souverain Juge : et que Jésus-Christ « demeure toujours avec nous », comme il est toujours demeuré avec les apôtres, selon la promesse quil leur en a fait dans lEvangile. Il sera assurément avec nous si nous voulons imiter ces saints qui lont imité, et prendre leur vie pour le modèle de la nôtre. Cest pour cela que le Sauveur vous donnera des louanges; cest pour cela quil vous récompensera : et il ne vous demandera point compte de ce que vous naurez ni redressé les boiteux, ni ressuscité les morts. Ce ne seront point ces miracles, mais ce sera le renoncement à tous les biens de ce monde, qui vous rendra semblable à saint Pierre. Mais vous me direz que vous ne pouvez pas quitter votre bien. Je nexige point cela de vous : Je ne vous fais point de violence sur ce point. Tout ce que je vous demande, cest que vous en fassiez part aux pauvres, que vous le leur donniez peu à peu, et que vous nen reteniez pour vous que ce qui vous est absolu-ment nécessaire. Cest ainsi que vous jouirez dune grande paix dans cette vie, et de la gloire dans lautre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, appartient la gloire et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. FIN DU COMMENTAIRE SUR LEVANGILE DE SAINT MATTHIEU. |