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HOMÉLIE LIV« OR, JÉSUS ÉTANT VENU AUX ENVIRONS DE CÉSARÉE DE PHILIPPES, INTERROGEAIT SES DISCIPLES EN LEUR DISANT : QUE DISENT LES HOMMES DE MOI? QUI DISENT-ILS QUEST LE FLLS DE LHOMME ? (CHAP. XVI, 13, JUSQUAU VERSET 24.) ANALYSE. 1. Pierre, le coryphée du choeur apostolique, confesse que Jésus est le Christ, Fils du Dieu vivant. 2. Excellence de cette confession. Que le Fils est consubstantiel au Père. Contre les Anoméens. 3. Jésus-Christ ayant élevé ses disciples à cette hauteur dans la foi, commence dès lors à leur laisser entrevoir dans un avenir prochain sa passion et sa croix. 4. Pierre se scandalise de la croix annoncée et prédite; son Maître le reprend sévèrement Excellence du signe de la croix. 5 et 6. Avec quelle foi nous le devons imprimer sur notre front Combien il est terrible aux ennemis de notre salut. Quun chrétien ne doit point rougir de la croix. Quelle est la grandeur des récompenses que Dieu nous promet.
1. Pourquoi, mes frères, lévangéliste rapporte-t-il le nom du prince qui avait fait bâtir cette ville? Cétait pour distinguer cette ville de Césarée de « Philippes, » davec une autre que lon appelait Césarée de « Straton.» Ce nétait pas dans cette dernière que Jésus-Christ interrogeait ses apôtres, mais à Césarée de Philippes. Il voulut les éloigner beaucoup des Juifs, afin quétant seuls, ils pussent avec plus de liberté lui dire tout ce quils pensaient de lui. Mais pourquoi Jésus-Christ ne leur demande-t-il pas dabord ce quils pensent eux-mêmes de sa personne? Pourquoi leur demande-t-il auparavant ce que le peuple en disait? Après quils lui auraient rapporté les pensées du peuple, il voulait, en leur adressant cette nouvelle question : « Et vous, qui dites-vous que je suis? » il voulait, dis-je, leur faire comprendre que leurs sentiments devaient être beaucoup plus relevés, et se distinguer complètement des basses pensées de la multitude. Cest pour cette raison quil ne leur fait pas cette demande au commencement de sa prédication. Il attend quil ait fait devant eux beaucoup de miracles, quil leur ait révélé des vérités très-importantes, et quil leur ait manifesté sa divinité et son égalité avec son Père, par des preuves dont ils ne pouvaient douter. Il ne dit point: que disent de moi les scribes et les pharisiens? qui disent-ils que je suis? quoiquils eussent souvent été avec lui, et quil leur eût parlé en différentes rencontres; mais « qui les hommes disent-ils que je suis? » Il demande ce que le peuple dit de lui; parce que si les pensées du peuple étaient basses et grossières, elles étaient néanmoins sans malice : au lieu que les sentiments des pharisiens étaient toujours corrompus par leur envie. Et, pour montrer la vérité de son incarnation, et témoigner quil voulait que lon y ajoutât foi, il dit : « Qui est le Fils de «lhomme?» (Jean, III, 13) appelant ainsi sa divinité. Cest ce quil fait en plusieurs autres endroits de lEvangile « Personne nest monté dans le ciel sinon le Fils de lhomme qui est descendu du ciel. » (Jean, VI, 62.) Et ailleurs « Lorsque vous verrez le Fils de lhomme monter où il était auparavant. Ils lui répondent: Les uns disent que vous êtes Jean-Baptiste, les autres Elie, les autres Jérémie ou quelquun des prophètes (14); » et lorsquils lui ont ainsi rapporté les sentiments des autres, « Jésus leur dit: Et vous autres, qui dites-vous que je suis (15)? » Il leur fait, comme je lai déjà dit, cette seconde demande pour les exciter à avoir des sentiments plus nobles et plus relevés de lui, et pour leur témoigner que cette pensée du peuple était trop basse et trop indigne de sa grandeur. Ce peuple voyant le Sauveur faire des miracles (419) au-dessus de la puissance des hommes, le regardait comme quelque grand homme ressuscité dentre les morts , selon ce quHérode disait lui-même; mais il nallait pas plus loin. Jésus-Christ donc voulait retirer ses apôtres de ces pensées populaires. Cest pour ce sujet quil leur dit: « Et vous, qui dites-vous que je suis? » cest-à-dire, vous qui êtes continuellement avec moi, qui me voyez faire un si grand nombre de miracles, qui en avez fait vous-mêmes en mon nom, « qui dites-vous que je suis? » Que fait ici saint Pierre qui est comme la bouche de tous les apôtres, le prince et le chef de cette troupe sacrée, et qui témoigne partout tant de zèle pour le Sauveur? Quoique Jésus-Christ leur eût fait cette demande en commun, il répond lui seul. Quand le Fils de Dieu sinformait seulement quelle pensée le peuple avait de lui, ils répondent tous également à cette demande; mais lorsquil veut savoir quel était leur sentiment particulier, saint Pierre prévient tous les autres. « Simon Pierre prenant la parole, lui dit: Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant (16). A quoi Jésus-Christ répond: « Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce nest point la chair ni le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel (17). »Ces paroles du Sauveur nous font voir que si saint Pierre ne leût reconnu pour le vrai Fils de Dieu, et né de sa propre substance, cette confession neût point été leffet dune révélation divine, ni digne de rendre « heureux »celui qui lavait faite. Nous avons déjà vu que les apôtres lui avaient dit dans le vaisseau, après cette tempête quil avait si miraculeusement calmée « Vous êtes véritablement Fils de Dieu, » sans que Jésus-Christ néanmoins les eût appelés « heureux, » comme il appelle ici saint Pierre; parce que, bien quils eussent dit la vérité, ils ne confessaient pas néanmoins aussi pleinement quil était le Fils unique de Dieu que saint Pierre le fait ici. Ils ne lui attribuaient quune sorte de filiation quil partageait avec beaucoup dautres, et quoiquils le regardassent comme le plus cher et comme le premier-né de tous, ils ne croyaient pas cependant, comme fait ici saint Pierre, quil fût né de la propre substance de son Père, et quil en fût le Fils de cette manière unique et incommunicable tout autre. 2. Nous voyons que Nathanaël dit aussi à Jésus-Christ : « Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le roi dIsraël (Jean, s, 48); » et Jésus-Christ cependant est si éloigné de lappeler « heureux » , quil le reprend au contraire comme ayant des sentiments trop bas de lui : car il lui dit aussitôt : « Vous croyez parce que je vous ai dit que je vous ai vu sous le figuier. Vous verrez dautres choses bien plus grandes. » Jésus-Christ donc appelle ici saint Pierre « heureux » ; parce quil a confessé quil était le Fils de Dieu de cette manière excellente qui lui est particulière; et il lui rend ce témoignage quil navait rendu à nul autre : « Ce nest point la chair et le sang qui vous a révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel. » Il semble que par ces paroles il veuille nous empêcher de croire que, parce que saint Pierre laimait ardemment, il voulait flatter son Maître en lui parlant par le mouvement dune amitié humaine, et dune complaisance secrète. Il fait voir publiquement quel était celui qui lui avait inspiré cette pensée, et il nous apprend que cétait Pierre qui parlait, mais que cétait le Père éternel qui lui mettait les paroles dans la bouche; afin que nous reconnussions quil ne lui accordait pas une louange humaine par cette confession, mais quil proférait au dehors ce quil avait appris de Dieu même. Pourquoi Jésus-Christ ne leur dit-il pas lui-même clairement quil est le Christ? Pourquoi aime-t-il mieux donner lieu aux autres de reconnaître ce quil est, par les demandes quil leur fait? Cest sans doute parce quil lui était plus séant dagir de la sorte, et que cette conduite était plus propre à attirer ses apôtres à la foi, et à leur persuader quil était égal à son Père? Et nadmirez-vous point ici, mes frères, comment le Père révèle son Fils, et comment le Fils révèle réciproquement son Père? Car Jésus-Christ dit lui-même que « personne ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils le veut révéler. » Il est donc impossible de connaître autrement le Fils que par le Père, ou de connaître le Père que par le Fils : ce qui est encore une preuve manifeste de légalité de leur gloire, et nous montre quils sont dune même substance. Après que saint Pierre eut rendu ce témoignage au Sauveur, Jésus-Christ lui dit aussitôt «Vous êtes Simon, fils de Jean, vous (420) serez appelé Pierre. » Comme vous avez nommé mon Père, je nomme aussi le vôtre; et comme vous êtes véritablement « fils de Jean, » je suis de même véritablement Fils de Dieu le Père. Sans ce sens mystérieux on pourrait croire quil aurait été superflu de dire: « Vous êtes le fils de Jean. » Mais comme saint Pierre venait de dire, « vous êtes le Fils de Dieu, » Jésus-Christ ajoute aussitôt ces paroles pour nous faire voir quil était aussi véritablement le Fils de Dieu, que Simon était « fils de Jean, » cest-à-dire, quil était dune même substance avec son Père. « Et moi aussi je vous dis que vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de lenfer ne prévaudront point contre elle (18). Sur cette pierre, »dit Jésus-Christ; « je bâtirai mon Eglise, »cest-à-dire, sur cette foi et sur cette confession. Il montre par ces paroles que beaucoup de monde devait croire un jour en lui. Il relève lesprit et les pensées de cet apôtre, et il létablit le pasteur de son Eglise : « Et les portes de lenfer ne prévaudront point contre elle. » Sil est vrai que ces portes ne vaincront point mon Eglise, combien moins pourront-elles me vaincre et je vous dis ceci, mon apôtre, afin que vous ne soyez point troublé, lorsque vous entendrez dire bientôt que je serai livré pour être crucifié. A cet honneur il en ajoute encore un autre: « Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux; et tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel (1 9).» Que veulent dire ces paroles: « Je vous donnerai? » Comme mon Père vous a donné la grâce de me connaître, « je vous donnerai » aussi ces clefs. Il ne dit point : Je prierai mon Père quil vous les donne, quoique la grandeur de ce don fût ineffable, et quil fallût être Dieu pour le faire; mais il dit: « Je vous donnerai. » Quel est ce don quil lui fait: « Je vous donnerai », dit-il, « les clefs du royaume des cieux; et tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans le ciel. » Comment pouvons-nous expliquer que celui qui dit: « Je vous donnerai, » témoigne ailleurs que ce « nest pas à lui de donner à personne le droit de sasseoir à sa droite ou à sa gauche? » Considérez comment il porte cet apôtre à avoir des sentiments dignes de sa divinité; comment il se découvre à lui, et lui déclare quil est le Fils de Dieu par ces deux promesses quil lui fait. Car il lui promet deux choses qui ne peuvent être le don que dun Dieu, lune de remettre les péchés, et lautre de rendre son Eglise immobile au milieu des assauts de tant dorages, et de faire voir dans un simple pêcheur une fermeté plus solide que nest celle de la « pierre », lorsque tout le monde se soulèverait contre lui, et lui déclarerait une guerre ouverte. Jésus-Christ traite ici saint Pierre comme son Père avait traité Jérémie, lorsquil lui dit: « Quil le rendrait comme une colonne de fer, et comme un mur dairain. « (Jér. I, 47.) Il y a cette différence, que lun nétait exposé quaux attaques dun seul peuple; et que lautre était destiné à combattre tous les peuples de la terre. Je demande ici à ceux qui sefforcent de diminuer la dignité du Fils de Dieu, lequel de ces deux dons est le plus grand; ou celui que le Père fait à saint Pierre, ou celui que lui fait le Fils. Le Père lui fait connaître son Fils, et le Fils lui donne le pouvoir de révéler le Père et le Fils, et den donner la connaissance à toute la terre. Lorsquil lui donne ces «clefs » célestes, il rend un homme mortel maître de tout ce qui est dans les cieux. li fait quil répand la foi et quil étend lEglise par tout le monde, avec une fermeté plus immobile et plus inébranlable que nest le ciel même, « puisque le ciel et la terre passeront, et que les paroles de Jésus-Christ ne passeront pas (Matth. XXIV, 25.) » Comment donc le Fils serait-il inférieur à son Père, puisquil fait de si grands dons aux hommes? 3. Je ne dis pas ceci, mes frères, pour séparer les ouvrages du Père davec ceux du Fils, « puisque toutes choses ont été faites par le Verbe, et que rien na été fait sans lui. » (Jean, I, 4.) Je prétends seulement fermer la bouche à ces personnes insolentes et téméraires, qui ont la hardiesse de proférer de tels blasphèmes. Mais remarquez partout avec quelle autorité Jésus-Christ parle en ce lieu « Je vous dis, moi, que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Je vous donnerai les clefs du royaume des cieux. » Après leur avoir dit ces paroles il leur commanda de ne le découvrir à personne. (421) « En même temps il commanda à ses disciples de ne dire à personne quil fût le Christ (20). » Il leur faisait cette défense afin que, lorsque tout ce qui scandalisait les hommes serait passé, que le mystère de sa croix serait accompli, et quil ne resterait plus rien qui pût surprendre ou troubler les esprits, et apporter quelque obstacle à leur foi, il fût plus facile aux apôtres dimprimer dans les esprits des hommes des pensées dignes du Sauveur. Car jusque-là sa puissance souveraine navait pas éclaté bien visiblement, Cest pourquoi il voulait que, ses-disciples se réservassent de publier sa gloire, lorsque la vérité des mystères du Fils de Dieu serait plus connue, et que les miracles que feraient les apôtres autoriseraient leur prédication, et donneraient du poids à leurs paroles. Car il y avait bien de la différence entre voir Jésus-Christ dans la Judée, tantôt faire des miracles, et tantôt souffrir des injures et des outrages, principalement lorsque tous ces miracles devaient enfin se terminer à la mort infâme de la croix; ou le voir au contraire adoré par toute la terre, confessé partout avec une foi généreuse, et élevé pour jamais au-dessus de toutes ces souffrances, auxquelles il sétait soumis pour nous. Cest pour cette raison quil commande aux apôtres de ne point dire encore quil fût le Christ. Quand on arrache de la terre larbre qui commençait dy prendre racine, il ne reprend plus racine quavec peine : mais lorsquune fois bien enraciné dans la terre, il y demeure ferme sans quon ly ébranle, il pousse des branches de toutes parts, et croît toujours. de plus en plus. Si les apôtres, après avoir vu faire tant de miracles au Sauveur, et avoir eu part à ses plus secrets mystères, ne laissent pas de se scandaliser au seul nom de la croix, et lorsque Jésus-Christ leur prédit ce qui lui devait arriver ; si non-seulement le commun dentre eux, mais leur prince même, et leur chef en est plus frappé que les autres; jugez dans quel scandale et dans quel trouble eût pu tomber le reste du monde, lorsque dun côté on leur eût dit que Jésus-Christ était Fils de Dieu, et quils leussent vu de lautre attaché en croix, et couvert dignominies, dont ils neussent pas compris le mystère, parce quils navaient pas encore reçu le don du Saint-Esprit. Si Jésus-Christ dit à ses apôtres mêmes : « Jai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez pas porter maintenant (Jean, XVI, 12); » combien plus ce peuple faible eût-il été incapable de les porter, et comment neût-il pas succombé sous le poids du plus auguste et du plus impénétrable de nos mystères? Cest donc pour cette raison que Jésus-Christ défend ici à ses apôtres de publier quil fût le Christ. Et pour vous faire mieux voir quel avantage il y avait pour les hommes de napprendre ce mystère quaprès que le scandale en serait passé, et qu ils nen verraient plus que la profonde sagesse et lutilité infinie, il ne faut que considérer ce qui arrive à saint Pierre. Car, après avoir témoigné tant de faiblesse à la passion de son maître, jusquà le renoncer trois fois par la crainte dune servante; il parut si courageux dans la suite, lorsque le mystère de la croix fut accompli, et quil eut vu des preuves indubitables de la résurrection du Sauveur, que rien ne put à lavenir lui être un sujet de scandale, ni ébranler dans son cur ce que le Saint-Esprit lui avait appris. Il se lança au contraire comme un lion intrépide au milieu des Juifs; il vit sans pâlir les dangers qui lenvironnaient de toutes parts, et enfin il méprisa la mort qui le menaçait toujours. Cétait donc avec grande raison que Jésus-Christ défendait ici aux apôtres de déclarer ce mystère aux hommes, puisquil usait même de réserve envers les apôtres, et quil leur disait: « Jai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne les pouvez pas porter maintenant. » Aussi il ne faut pas douter que les apôtres naient ignoré beaucoup de choses que Jésus - Christ leur avait dites avant sa mort sans les expliquer, et quils nont comprises ensuite quaprès sa résurrection. Et si Jésus-Christ traitait avec cette réserve ceux qui devaient être les maîtres et les docteurs de toute la terre, nétait-il pas juste duser de cette conduite à légard du simple peuple? « Dès lors Jésus commença à découvrir à ses disciples, quil fallait quil allât à Jérusalem, et quil y souffrît beaucoup de la part des sénateurs, des princes des prêtres et des docteurs de la loi, quil y fût mis à mort, et quil ressuscitât le troisième jour (21). » Quand dès lors? Quand il eut bien imprimé cette vérité dans leurs esprits, quil était véritablement le Fils de Dieu; et quen leur promettant de bâtir son Eglise sur la pierre, il leur eut (422) marqué la vocation des Gentils. Cependant ils ne comprirent pas encore ce que leur disait Jésus-Christ. Cette parole leur était comme voilée, et leurs yeux étaient enveloppés dune nuit si épaisse quelle les empêchait de rien voir, parce quils ne savaient pas encore quil dût ressusciter dentre les morts. Cest pourquoi Jésus-Christ sapplique davantage à les tires de leur aveuglement. Il leur éclaircit ces difficultés, afin quils puissent les comprendre. Mais ils ny comprirent rien, et cette parole leur fut toujours un mystère. Ils craignaient même de lui demander, non sil mourrait; mais comment et de quelle mort il mourrait : enfin ils nosaient sinformer de ce que signifiait ce quils entendaient. Comme ils ne savaient ce que cétait que de ressusciter, ils croyaient quil valait mieux ne point mourir que de ressusciter après être mort. Pendant que les autres apôtres étaient tous dans le trouble et dans lagitation, sain! Pierre le plus zélé prend seul la liberté de parler à Jésus-Christ, non devant les autres apôtres, mais en particulier. « Et Pierre layant tiré à part, commença à le reprendre en lui disant: Ah Seigneur, à Dieu ne plaise, cela ne vous arrivera pas (22). » Quoi ! mes frères, cet Apôtre, après avoir reçu du Père une révélation si rare; après avoir été appelé « heureux » par le Fils de Dieu même, tombe en si peu de temps du haut de cette grandeur où il était élevé, et la passion de Jésus-Christ lui fait peur! Mais il ne faut pas sétonner que celui qui navait point reçu de révélation de Dieu pour comprendre ce mystère, tombât dans le scandale, lorsquil en entendait parler. Dieu voulait nous faire voir que cet apôtre navait point parlé de lui-même, lorsquil avait confessé si généreusement la divinité du Sauveur, et cest pourquoi il permettait quil se troublât si fort ensuite, lorsquon lui dit des choses que Dieu ne lui avait pas révélées. Il en est saisi de frayeur, et il les entend dire cent fois sans les pouvoir jamais comprendre. Il avait appris que Jésus était le Fils de Dieu; mais il nen savait pas davantage. Le mystère de sa croix et de sa résurrection lui était entièrement inconnu. Ainsi vous voyez avec quelle sagesse Jésus-Christ fait à ses disciples le commandement de ne déclarer cette vérité à personne. Car si elle trouble et épouvante ceux mêmes quil fallait nécessairement en instruire, quel trouble neût-elle point excité dans les autres ? Mais Jésus-Christ voulant montrer avec quel amour il soffrait de lui-même à tant de maux, fait un sévère reproche à saint Pierre, et il lappelle « satan. » 4. « Mais Jésus se tournant dit à Pierre: Retirez-vous de moi, satan, vous mêtes à scandale, parce que vous ne goûtez point ce qui est de Dieu, mais seulement ce qui est humain (23). » Que tous ceux qui rougissent de la croix de Jésus-Christ écoutent cette parole. Si le Prince même des apôtres, quoiquil neût pas encore appris de Dieu ce mystère, est appelé « satan » par Jésus-Christ même; que doivent attendre ceux qui renoncent cette croix après quelle a été adorée de toute la terre? Si le Fils de Dieu fait un reproche si sévère à celui quil venait dappeler « heureux, » et qui avait fait une confession si excellente et si relevée, jugez comment il traitera un jour ceux qui après tant de preuves ne reçoivent et nadorent pas encore le mystère de la croix. Il ne lui dit pas simplement que le démon a parlé par lui; il lui en donne le nom même : « Retirez-vous de moi, satan. » Tout son désir en sopposant ainsi à Jésus-Christ était seulement que son Maître quil aimait ne souffrît pas. Mais le Fils de Dieu le reprend à dessein avec cette vigueur, parce quil savait, et que saint Pierre en particulier, et que tous les autres apôtres craignaient étrangement la mort de leur Maître, et quils ne pouvaient souffrir den entendre parler. Cest pourquoi Jésus-Christ déclare ce que ce disciple avait de plus caché dans le secret de son coeur: « Vous ne goûtez point ce qui est de Dieu, mais seulement ce qui est humain. » Que veulent dire ces paroles : « Vous ne goûtez point ce qui est de Dieu, mais seulement ce qui est humain? » Saint Pierre jugeant des souffrances de son Maître dune manière fort grossière et toute charnelle croyait que cette mort lui était honteuse et indigne de sa grandeur. Cest de quoi Jésus-Christ le reprend. Il semble quil lui dise : Il nest point indigne de moi de souffrir la mort, et il ny a que les pensées basses et terrestres où vous vous laissez aller, qui vous en lassent juger de la sorte. Si vous aviez écouté mes paroles avec lEsprit de Dieu, en éloignant de vous toutes ces pensées charnelles, vous connaîtriez quelle gloire je tirerai de cette conclusion et de cette ignominie. Vous dites quil est (423) indigne de moi de souffrir, et je vous réponds quil ny a que le diable qui puisse sopposer à mes souffrances. Cest ainsi quil réfute les pensées de cet apôtre par un raisonnement tout contraire. Lorsque saint Jean refusa de le baptiser, parce quil jugeait son baptême trop indigne du Sauveur, Jésus-Christ lui persuada au contraire de le faire, en lui montrant quil convenait quil en fût ainsi; et bientôt encore il dira à Pierre, lorsque ce disciple voudra lempêcher de lui laver les pieds : « Vous naurez u point de part avec moi, si je ne vous lave les « pieds (Jean, XIII, 9); » cest de la même manière quil traite ici saint Pierre, cest-à-dire quil réfute ses raisons par des raisons contraires, et que par la sévérité de sa réprimande, il lui ôte la crainte quil avait de sa passion. Que personne donc, mes frères, ne rougisse de ces marques augustes et adorables de notre salut. La croix de Jésus-Christ est la source de tous nos biens. Cest par elle que nous vivons, et que nous sommes ce que nous sommes. Portons la croix de Jésus-Christ et parons-nous-en comme dune couronne de gloire. Cest elle qui est comme le sceau et laccomplissement de toutes les choses qui regardent notre salut. Si nous sommes régénérés dans les eaux sacrées du baptême, la croix y est présente. Si nous nous approchons de la table du Seigneur, pour y recevoir son saint corps, elle y paraît avec éclat. Si lon nous impose les mains pour nous consacrer au ministère du Seigneur, elle y est encore présente. Enfin, quoi que nous fassions, nous voyons partout ce signe adorable, qui est tout ensemble la cause et la marque de notre victoire. Nous lavons dans nos maisons; nous la peignons sur nos murailles; nous la gravons sur nos portes; nous limprimons sur nos visages, et nous la portons toujours dans le coeur. Car la croix est un signe et un monument sacré, qui rappelle en notre mémoire louvrage de notre salut, le recouvrement de notre ancienne liberté, et linfinie miséricorde de notre Sauveur Jésus-Christ, qui par lamour quil nous a porté, a été comme une brebis que lon mène à la boucherie. Lors donc que vous imprimez ce signe sacré sur vous, souvenez-vous de ce qui a donné lieu à cette croix et de ce qui la rendue nécessaire. Que ce souvenir réprime en vous votre orgueil, quil arrête votre colère et quil étouffe toutes vos autres passions. Lorsque vous formez ce signe sur votre front, armez-vous dune sainte hardiesse et rétablissez votre âme dans sa première liberté. Car vous nignorez pas, mes frères, que la croix est le prix qui vous la fait recouvrer. Cest pourquoi saint Paul nous exhortant à rentrer dans cette liberté si digne dun véritable chrétien, nous y porte en nous parlant de la croix et du sang du fils de Dieu: « Vous avez été, » dit-il, « rachetés dun grand prix, ne vous rendez point esclaves des « hommes. » (1 Cor. VI, 20.) Considérez quel est le prix qui a été donné pour votre rançon, et vous ne serez plus lesclave daucun homme sur la terre. Ce prix, mes frères, et cette rançon cest la croix. Vous ne la devez donc pas marquer négligemment du bout du doigt sur votre visage. Vous devez la graver avec amour dans votre coeur par une foi très-fervente. Si vous limprimez de la sorte sur votre front, nul des esprits impurs nosera sapprocher de vous en voyant sur votre visage les armes qui lont terrassé, et cette épée étincelante dont il a reçu le coup mortel. Si la seule vue des lieux où les bourreaux exécutent les criminels, vous fait frémir dhorreur et trembler de crainte, dans quel trouble et quelle terreur doivent entrer les démons, en voyant les armes dont Jésus-Christ sest servi pour les vaincre? Ne rougissez donc pas de la croix, afin que Jésus-Christ ne rougisse point de vous, lorsquil viendra dans la majesté de sa gloire, et quil fera briller ce signe dune lumière plus éclatante que les rayons du soleil. Car elle paraîtra alors aux yeux de tous les hommes qui auront été dans le monde. Elle publiera hautement linnocence et la charité de celui qui sy est laissé attacher, et elle convaincra toute la terre quil na rien omis pour sa part de tout ce qui était nécessaire pour notre salut. Cest la croix qui, du temps de nos pères et du nôtre, a ouvert ces bienheureuses portes qui nous avaient été fermées ; . qui a détruit la vertu mortelle des breuvages empoisonnés que nous avions pris; qui a déraciné de nous toutes les plantes. envenimées qui poussaient des rejetons de mort, et qui a guéri les morsures horribles dont ces bêtes infernales nous avaient cruellement déchirés. Car si cette adorable croix a brisé les portes de lenfer pour nous (424) ouvrir celles du ciel; si elle a terrassé toutes les forces du démon, si elle a détruit son empire, doit-on sétonner quelle ait aussi détruit la force du poison qui envenimait nos coeurs, quelle y ait dissipé cet air pestilentiel qui les corrompait, et quelle en ait exterminé pour jamais ces bêtes furieuses qui les dévoraient? 5. Gravez donc, mes frères, ce signe dans votre coeur. Embrassez avec amour ce qui a produit le salut de vos âmes. Car cest la croix qui a sauvé et converti toute la terre. Cest elle qui en a banni lerreur; qui a rétabli la vérité; qui a fait de la terre un ciel; qui a changé les hommes en anges. Cest par elle que les démons ont cessé de nous paraître redoutables, et que nous les avons méprisés. Cest par elle que la mort na plus été une mort, mais un sommeil. Enfin cest par la croix que tout ce qui nous faisait la guerre a été détruit, que tout ce qui sopposait à nous a été foulé aux pieds, et que tous nos ennemis ont été renversés par terre. Si vous trouvez donc quelquun qui vous dise: Quoi, vous adorez une croix? Répondez-lui dun ton de voix qui témoigne de votre fermeté, et dun visage gai et riant, dites: Oui, je ladore, et je ne cesserai point de ladorer. Sil se moque de vous, plaignez-le, et répandez vos larmes en voyant son aveuglement. Rendez grâces à Dieu qui vous a honoré dun si grand don, et qui vous a fait des grâces si prodigieuses, que personne ne peut les comprendre, si Dieu par une faveur toute particulière ne les lui révèle. Cet homme qui vous insulte , ne vous raille ainsi que parce que « lhomme animal et humain nest point capable des choses quenseigne lesprit de Dieu, car elles lui paraissent une folie ; et il ne les peut comprendre, parce que cest par une lumière spirituelle quon en doit juger. » (1 Cor. II, 14.) Ces personnes ressemblent à des enfants qui se rient des choses les plus grandes et les plus saintes. Amenez ici un enfant, quil voie nos plus redoutables mystères: et il en rira. Tels sont les païens, ou plutôt ils sont encore plus enfants, et par conséquent plus misérables, puisque malgré leur âge avancé, ils ont des sentiments et des pensées puériles. Cest ce qui les rend. tout à fait inexcusables. Pour nous, mes frères, disons sans rien craindre, et protestons hautement devant toute la terre et en présence de tous les païens, que toute notre gloire est dans la croix; quelle est la source de tous nos biens ; quelle est toute notre espérance ; et que cest elle qui couronne tous les saints. Je voudrais pouvoir dire avec saint Paul, « que tout le monde mest crucifié, et que je suis crucifié au monde. »(Gal. VI, 14.) Mais je ne puis le dire avec vérité, tyrannisé que je suis par tant de passions différentes. Je vous exhorte donc, et je mexhorte le premier en vous exhortant. Je vous conjure, mes frères, dêtre crucifiés au monde, et de navoir plus rien de commun avec la terre. Naimez que le ciel, qui est la véritable patrie. Naimez que la gloire et les biens infinis, qui nous y sont réservés. Car nous sommes les soldats du Roi des cieux; il nous a revêtus darmes toutes spirituelles. Pourquoi donc nous rabaissons-nous jusquà vivre comme les derniers des hommes, ou plutôt jusquà vivre comme les bêtes? Ne faut-il pas que le soldat soit où est son chef? Nous sommes à un souverain qui ne nous tient pas éloignés de lui, et qui veut que nous en soyons toujours proches. Les rois de la terre ne souffrent point que tous leurs soldats soient dans leur palais, et quils les accompagnent partout où ils marchent. Mais ce chef divin veut que toutes ses troupes environnent toujours son trône. Cest ainsi que saint Paul, vivant comme nous sur la terre, était toujours en esprit avec les chérubins et avec les séraphins. Il était plus proche de Jésus-Christ, que les gardes de nos souverains ne sont près de leurs personnes. Lorsque ces officiers gardent nos rois, et quils se tiennent près deux, ils en détachent au moins leurs regards, et, quoiquils soient présents de corps, leur esprit ségare souvent en divers lieux. Mais rien ne détournait saint Paul de Jésus, son roi ; et il tenait arrêtées sûr lui toutes les pensées de son coeur. Si nous voulons, mes frères, imiter ce saint apôtre, rien ne nous en peut empêcher. Si nous étions fort éloignés de notre Prince, nous aurions quelque sujet de trouver cette présence difficile, mais puisquil se trouve partout, les âmes généreuses et vigilantes peuvent lavoir toujours présent. Nest-ce pas cette vue et cette présence qui faisait dire à David: «Je ne craindrai point les maux, parce que vous êtes avec moi (Ps. XXII, 4); » et ce qui oblige Dieu de nous dire: « Je suis un Dieu proche et non pas un (425) Dieu éloigné (Jérém. XXIII, 23) ? » Le péché nous sépare et nous éloigne de Dieu, et la vertu nous en approche. « Lorsque vous me parlerez encore (lsaïe, LVIII, 9), » nous dit-il, « je vous dirai : me voici présent. » Quel est le père qui écoute aussi promptement les demandes de ses enfants; quelle est la mère qui veille avec plus dempressement pour prévenir les prières de son fils, que Dieu pour prévenir les nôtres? il ny a rien dans le coeur des pères et des mères de la terre qui approche de ce grand amour de Dieu. Il est continuellement attentif pour nous écouter. Aussitôt quun des siens commence à linvoquer, il lexauce au moment même, sans attendre quil linvoque autant de temps que la grandeur de sa majesté le voudrait. Cest pourquoi il dit: « Quand vous me parlerez encore, je e vous dirai : me voici présent. » Je ne différerai point de vous exaucer et daccomplir toutes vos demandes. Invoquons donc Dieu, mes frères, comme il veut que nous linvoquions. Comment veut-il quon le prie? « Rompez », dit-il, « tous les liens de linjustice, rompez les cédules des obligations extorquées, et déchirez tous les seings et toutes les procédures injustes. Faites part de votre pain au pauvre; recevez les étrangers dans votre maison. Quand vous verrez un pauvre nu revêtez-le, et ne méprisez point ceux qui viennent du même sang que vous. Alors votre lumière du matin éclatera, et vos blessures seront refermées. Votre justice marchera devant vous, et la gloire de Dieu vous environnera. Vous minvoquerez et je vous exaucerai, et lorsque vous me parlerez encore, je vous dirai : me voici présent. » (Isaïe, LVIII, 6.) Mais qui peut, dites-vous, faire tant de choses? Et moi je vous demande au contraire: qui peut ne les pas faire? Quy a-t-il de pénible dans ce que je viens de dire? quy a-t-il de fâcheux? quy a-t-il qui ne soit aisé? Toutes ces choses sont au contraire si faciles, que plusieurs sont allés sans peine au delà de ces préceptes. Ils nont pas seulement « déchiré les obligations injustes, » que leur avarice avait exigées; ils ont même renoncé à tout leur bien. Ils nont pas seulement « retiré chez eux létranger, et fait part de leur table au pauvre, » mais ils ont travaillé de leurs propres mains, pour avoir de quoi les nourrir. Ils ne se sont pas contentés « dobliger leurs proches, » ils ont encore fait du bien à leurs plus grands ennemis. 6. Que trouvez-vous donc de pénible en tout ce que je viens de dire? Le Prophète ne vous commande point de courir les terres et les mers, de creuser jusquaux entrailles de la terre, de vous macérer par de longs jeûnes, ni de vous couvrir dun cilice. Il vous ordonne seulement dêtre charitable envers votre prochain, de faire part de votre pain au pauvre, et de rompre les. obligations injustes. Peut-on trouver rien de plus aisé? Que si vous y craignez encore quelque peine, jetez les yeux sur la grandeur des récompenses quil vous promet, et vous ny trouverez plus rien que de très-facile. Car, comme les princes et les rois sont soin, dans les combats et dans les jeux de course, dexposer aux yeux de ceux qui courent le prix quils destinent au vainqueur, Jésus-Christ de même met, comme au milieu de sa carrière, les récompenses quil prépare aux victorieux. Il nous les montre à tous pour nous exciter, et les paroles du Prophète sont comme les mains par lesquelles il nous les présente. Quand nos princes et nos souverains seraient encore cent fois plus grands et plus riches quils ne sont, comme ils sont hommes, il faut nécessairement que leurs richesses aient des bornes, et que leur libéralité sépuise. Ils usent dartifice pour faire paraître le peu quils donnent, comme étant fort considérable. Ils font porter séparément les prix quils proposent par autant de différentes personnes, et ils les étalent avec beaucoup dappareil. Mais notre Roi agit bien dune autre manière. Comme il est infiniment riche, que ses dons sont inépuisables, et quil ne lui est point nécessaire de leur donner un prix et un éclat emprunté, il les ramasse tous ensemble, et il ne les montre que confusément à nos yeux, parce que sil voulait sarrêter à nous les faire voir un à un, et en détail, ce serait une entreprise infinie. Pour comprendre combien ce que je vous dis est véritable, examinez chacun de ces biens quil promet ici. « Alors », dit-il, « votre lumière du matin éclatera. » Croyez-vous, mes frères, que Dieu ne nous promette quun seul don par ces paroles? Ne voyez-vous pas le grand nombre de prix et de récompenses que cette seule promesse renferme? (426) Voulez-vous que nous développions ces trésors cachés, et que nous vus les découvrions autant quil nous sera possible? Je vous prie seulement de ne vous pas ennuyer, et de ne vous pas lasser de mentendre. Que veut dire premièrement ce mot, « éclatera? » Car le Prophète ne dit pas : paraîtra, mais «éclatera. » Cest pour nous faire mieux comprendre là promptitude et la libéralité de notre prince, pour nous témoigner avec quel zèle il veille pour notre salut, quelle violence il se fait pour retenir en lui ses grâces, et quil ne cherche quà sen décharger sur nous, sans que rien puisse arrêter sa magnificence. « Votre lumière du matin; » Que veut dire cet autre mot, « du matin? » Dieu nous témoigne par là quil nattend pas toujours, pour nous éclairer, que nous ayons souffert; mais quil prévient les maux. Cest ce qui est marqué par ces autres paroles : « Lorsque vous parlerez encore, je vous dirai : Me voici. »Mais quelle est cette « lumière? » Ce nest pas sans doute cette lumière sensible; cest une autre lumière beaucoup plus excellente, qui nous découvre le ciel, qui nous y fait voir les anges, les archanges, les chérubins et les séraphins, les principautés, les dominations, les trônes et les puissances, toutes ces armées divines, toutes ces troupes bienheureuses, toute cette cour céleste et ces tentes adorables. Celui qui a été honoré de cette lumière ineffable, verra ces objets bienheureux. Il néprouvera point le feu de lenfer, le ver qui ronge et qui ne meurt point, ces grincements de dents, ces chaînes qui ne se peuvent rompre, ces tourments et ces misères, ces ténèbres profondes, ces fleuves de flammes qui ne séteindront jamais, ces blasphèmes horribles et ces lieux de douleurs et de tortures effroyables; mais il passera en dautres lieux, doù la douleur et la tristesse fuiront éternellement, où la joie, la paix, le plaisir et les délices, régneront sans fin, où il jouira dune vie éternelle et dune gloire ineffable; où il admirera ces tentes dune beauté incomparable, et cette majesté si auguste et si sainte de notre roi; où il verra ces biens que loeil na point vus, que loreille na point ouïs, et qui ne sont point montés dans le coeur de lhomme; où demeure cet époux céleste, où est la chambre nuptiale, dans laquelle entrent les vierges chastes et pures qui ont conservé leurs lampes ardentes, et tous ceux qui ont gardé purs et sans tache les habits quils avaient reçus; où sont enfin les biens infinis de notre roi, et les richesses inépuisables de Dieu même. Comprenez-donc, mes frères, quels sont les biens auxquels on , vous invite, et combien Dieu vous promet dans un seul mot. Que de trésors trouverions-nous si nous voulions examiner ainsi en particulier chacune des promesses que Dieu nous fait par son prophète? Combien découvririons-nous de richesses? Après cela différerons-nous davantage de les désirer? Témoignerons-nous de lindifférence et, de la paresse à secourir les pauvres? Ne le faisons pas, mes frères, je vous en conjure. Quand nous devrions tout perdre, quand il faudrait renoncer à tout, quand nous devrions même être jetés dans le feu, et passer au travers des épées nues; souffrons tout avec courage, afin de pouvoir un jour recevoir de notre prince cette gloire inestimable, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (427). |