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HOMÉLIE XVIIIVOUS AVEZ APPRIS QUIL A ETE DIT : IL POUR IL, DENT POUR DENT.- ET MOI JE VOUS DIS DE NE POIT RESISTER AU MECHANT ; MAIS SI QUELQUUN VOUS DONNE UN SOUFFLET SUR LA JOUE DROITE, PRÉSENTEZ-LUI ENCORE LAUTRE.- SI QUELQUUN VEUT VOUS FAIRE UNE QUERELLE POUR VOUS PRENDRE VOTRE ROBE, LAISSEZ-LUI ENCORE EMPORTER VOTRE MANTEAU. » (CHAP. V, 38, 39, 40, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) ANALYSE 1. Pourquoi certains préceptes de lancienne Loi étaient si peu relevés. 2. Cest par la patience quil faut vaincre. 3. Les hommes parfaits sont plus fort que le malheur. 4. Comment lon doit se conduire envers les ennemis. On arrive au sommet de la perfection en cette matière par neuf différents degrés. - Le Christ modèle de patience et de charité. 5. et 6. Que nous devons nous prévenir les uns les autres par des déférences volontaires ; que rien nest plus glorieux que dêtre méprisé des hommes pour plaire à Dieu.
1. Vous voyez clairement, mes frères, que Jésus-Christ ne parlait point des yeux du corps, lorsquil nous commandait darracher lil qui nous scandalise, mais quil marquait par cette expression, que nous devons éloigner de nous les personnes dont lamitié nous nuit, et qui sont capables de nous perdre. Comment en effet, Celui qui ne nous permet pas même darracher (149) loeil à un autre qui nous laurait arraché, pourrait-il nous commander de nous larracher à nous-mêmes? Que si quelquun blâme lancienne loi, de ce quelle commande ainsi dexiger « oeil pour oeil, et dent pour dent; » il ne comprend guère, ni la sagesse que doit avoir un législateur, ni les différentes conjonctures des temps, ni lavantage que les hommes ont de cette divine condescendance. Car si vous considérez quel était ce peuple, dans quelle disposition il était, et en quel temps il a reçu cette loi, vous reconnaîtrez aisément que Dieu est le seul et le même auteur de lun et de lautre Testament, quil a établi très-utilement ces lois différentes, et quil les a proportionnées aux personnes et aux temps. Sil avait tout dabord imposé aux hommes la loi évangélique qui est si sublime, les hommes nauraient reçu ni lancienne ni la nouvelle: mais les publiant en divers temps, et chacune en celui qui lui était propre, il sest servi très utilement de lune et de lautre, pour renouveler la face de toute la terre. Au reste sil a donné ce commandement ce nétait pas pour porter les hommes à sarracher les yeux les uns aux autres, cétait au contraire pour les empêcher de se porter à des violences. Car la menace de cette peine était un frein pour la colère. Il commençait ainsi à établir insensiblement la vertu dans le monde, en voulant quon se contentât dune vengeance pareille au mal quon avait reçu, bien que cependant celui qui commence linjure mérite une peine plus grave, et que la peine du talion ne semble pas assez rigoureuse au jugement dune exacte justice. Cest parce quil voulait tempérer la justice par la miséricorde, quil ninfligeait au coupable quun châtiment au-dessous de son crime: cétait aussi pour nous enseigner à montrer beaucoup de patience dans les maux que nous souffrons. Après avoir rapporté lancienne loi tout au long, il montre que ce nest pas proprement votre frère qui vous offense, mais le démon par votre frère. Cest pourquoi il ajoute : « Et moi je vous dis de ne point résister au méchant (39). » Il ne dit pas de ne point résister à votre frère, mais «au méchant, » montrant que cest le démon qui lui inspire cette violence, et diminuant ainsi beaucoup notre colère contre celui qui nous aurait offensé, en rejetant toute sa faute sur un autre. Quoi donc! me direz-vous, ne faut-il point résister au méchant? Il faut lui résister, mais non de la manière que vous pensez, mais de celle que Jésus-Christ nous commande: cest-à-dire en voulant bien souffrir tout le mal quil nous veut faire. Cest ainsi que vous le surmonterez. Ce nest pas avec le feu quon éteint le feu, mais seulement avec leau. Et pour vous faire voir que dans lancienne loi même, celui qui souffrait linjure avait lavantage et quil remportait la couronne, considérez la chose en elle-même, et vous jugerez combien la patience de cet homme sélevait an-dessus de lautre. Car celui qui a commencé loutrage est lui seul cause de la perte des deux yeux, cest-à-dire, de celui de son frère et du sien propre, ce qui doit lexposer justement à la haine et à lexécration du monde. Celui au contraire qui a souffert la violence, lors même quil en tire une vengeance proportionnée à linjure quon lui a faite, ne passera point pour cruel, ni pour avoir fait aucun mal. Cest pourquoi il trouve beaucoup dhommes pour compatir à sa douleur parce quil est innocent, même après sêtre vengé de la sorte. Le mal est égal pour tous deux; mais la gloire nest pas égale ni devant Dieu ni devant les hommes; ce qui fait une grande inégalité dans légalité du mal quils souffrent. 2. Jésus-Christ sétait contenté de dire dabord: « Celui qui se met en colère sans sujet contre son frère; et qui lappelle fou, méritera d être condamné au feu de lenfer; » mais il exige ici de nous une plus grande vertu, ordonnant à celui qui a été outragé, non seulement de conserver la paix et la douceur, mais de témoigner même du respect à celui qui le frappe et de lui présenter lautre joue. Il nous prescrit cette loi de patience, non seulement dans loffense particulière quil nous marque, mais généralement dans toutes sortes dinjures. De même, en effet, quen disant: « Celui qui appelle son frère, fou, mérite dêtre condamné au feu de lenfer, » il ne restreint pas cette vérité à cette injure particulière, mais quil létend à toutes les autres; de même lorsquil nous commande de souffrir généreusement un soufflet, il nous ordonne en même temps de ne nous point troubler dans tous les autres outrages quon nous pourrait faire. Cest pourquoi il choisit cette injure comme la plus offensante, et il marque particulièrement loutrage dun soufflet, parce que cest le dernier mépris quon puisse témoigner à un homme. (150) Ce commandement il le donne dans lintérêt de celui qui est frappé, non moins quen faveur de celui qui frappe. En effet, formé par ces saintes instructions du Sauveur, celui qui sera frappé ne se croira point offensé, et il se regardera plutôt comme un homme qui reçoit un coup dans le combat, que comme une personne quon outrage. Et de son côté loffenseur, rougissant de honte en voyant la patience de lautre, bien loin de redoubler le coup, ce quil ne fera pas quand il serait plus cruel quune bête farouche, aura une douleur extrême du premier quil aura donné. Car rien ne calme tant les hommes violents que la patience de ceux quils outragent. Non-seulement cette douceur arrête le cours des violences, mais encore elle produit le repentir des injures déjà faites; à sa vue, les plus malintentionnés se retirent saisis dadmiration, et souvent ils deviennent amis sincères et dévoués dennemis déclarés quils étaient. Il arrive tout le contraire lorsquon se venge. On se couvre de confusion lun lautre, on devient pire quon nétait; on ne fait que sirriter encore davantage de part et dautre, et souvent on se porte jusquaux dernières extrémités et jusquà tuer son ennemi. Cest pourquoi non-seulement Jésus-Christ défend à celui qui a reçu le coup, de se mettre en colère, mais il lui commande même dêtre prêt à souffrir toute la violence de celui qui le frappe, pour lui témoigner quil na aucun ressentiment du premier outrage quil a reçu, En agissant de la sorte vous blesserez plus sensiblement celui qui vous offense, quelque insensible quil puisse être, que si vous le perciez de coups, et les plus impudents seront forcés de rougir, et de vous traiter avec respect. « Si quelquun vous veut faire une querelle pour vous prendre votre robe, laissez-lui encore emporter votre manteau (40). » Jésus-Christ veut que nous montrions cette patience, non-seulement dans les outrages, mais encore dans les pertes dargent cest le sens propre de lexpression figurée dont il se sert. De même que tout à lheure il commandait de surmonter linjure en la souffrant; il veut de même ici que celui que lon dépouille, donne plus même quon ne veut lui ôter. Il ne dit pas simplement: Donnez votre vêtement à celui qui le demande; mais, donnez-le à celui qui veut disputer contre vous, cest-à-dire, sil veut vous faire une affaire, et vous appeler en jugement. Et comme, après avoir défendu de se fâcher sans sujet contre son frère et de lappeler fou, il va plus loin et commande de tendre la joue droite, de même en cet endroit, après avoir dit: « accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire, » il enchérit encore et nous conseille non-seulement de céder ce quon veut nous ravir, mais de donner même plus quon ne voulait nous prendre. Mais vous me direz peut-être : Abandonnerai-je donc ma robe, et irai-je tout nu par la ville? Nous ne serions jamais nus, si nous étions fidèles à ces règles, et nous serions plus richement parés, que ne peuvent lêtre les mieux pourvus de vêtements. Premièrement, il ne se trouverait personne qui voulût nous offenser, si nous étions dans cette disposition. Et quand il se trouverait quelquun dassez barbare et dassez brutal pour nous traiter de la sorte, nous en trouverions une infinité dautres, qui admirant notre vertu, nous couvriraient non-seulement de leurs habits, mais de leurs corps même, sil était possible. Que si enfin vous étiez réduit à être nu pour avoir accompli ce précepte, cette nudité vous serait glorieuse, et naurait rien qui vous fit rougir, puisquAdam était nu dans le paradis, et quil nen rougissait pas. Isaïe allait nu et déchaux parmi les Juifs (Is. XX, 3), et nul dentre eux nétait aussi glorieusement paré de ses habits, que ce prophète létait de sa nudité. Jamais Joseph ne fut plus glorieux, que lorsque sa chasteté le rendit nu, en le dépouillant de son manteau. 3. Ce n est pas un mal que dêtre dans cette nudité, et dans cette pauvreté : mais cen est un et un bien honteux, que dêtre vêtu de ces habits daujourdhui, si somptueux et si magnifiques. Cest pourquoi Dieu souvent a loué ce premier état; et il blâme au contraire cette magnificence et par ses prophètes et par ses apôtres. Ne regardons donc pas comme impossibles les commandements de Dieu, qui au contraire nous paraîtront aussi faciles quutiles si nous veillons sur nous-mêmes. Ils sont très-avantageux, non-seulement à nous qui souffrons, mais à ceux-mêmes qui nous font souffrir. Qui nen admirera la sublimité et lexcellence, puisquen nous commandant une si parfaite patience, ils font cesser la violence des injustes, et leur inspirent même lamour de la vertu et de la sagesse? Car lorsque celui qui vous vole (151) croit que cest un grand bonheur de pouvoir enlever le bien des autres, et que vous lui témoignez au contraire que vous êtes très disposé à lui donner même ce quil ne vous demande pas, que vous opposez votre générosité à sa bassesse, et votre libéralité à son avarice; combien est grande linstruction que vous lui donnez, puisque vous lui apprenez, non par vos paroles, mais par vos actions, à mépriser le vice, et à désirer la vertu! Dieu veut que nous soyons utiles non-seulement à nous-mêmes, mais à tous nos frères. Si vous ne donnez que ce quon vous dispute, pour éviter un procès, vous ne recherchez en cela que votre utilité particulière; mais si vous y ajoutez ce quon ne vous demande pas, vous convertirez votre frère, vous le rendrez meilleur. Jésus-Christ compare ses disciples au sel. Le sel se conserve lui-même, et il conserve encore toutes les choses auxquelles on le mêle. Ainsi loeil séclaire lui-même, et il éclaire aussi le reste du corps. Puisque telle est la fonction que Jésus-Christ vous donne, assistez votre frère qui est assis dans les ténèbres. Agissez avec lui, comme sil ne vous avait fait aucun tort; persuadez-lui quil ne vous a pas même lésé. Ainsi il admirera votre vertu, et il semblera que vous lui aurez plutôt donné ce quil vous avait ravi, quil ne vous la pris. Faites de son péché lhonneur de votre générosité. Et si vous croyez que ce que je vous dis soit trop élevé, écoutez la suite. Vous trouverez, que quand vous feriez ce que je vous dis, vous ne seriez pas encore parfait. Car Jésus-Christ ne termine pas là la patience quil exige de vous; mais il létend encore plus loin. « Si quelquun veut vous contraindre à faire « mille pas avec lui, faites-en encore deux mille autres (41). » Voilà, mes frères, le comble de la perfection. Après avoir donné votre robe et votre manteau, dit Jésus-Christ, si votre ennemi veut encore que dans cette nudité de votre corps vous le serviez et vous souffriez quelque peine et quelque travail, ne vous y opposez pas. Il veut que tout soit commun parmi nous, non-seulement nos biens, mais notre corps, et que nous en fassions également part, et aux pauvres, et à nos ennemis, parce que le premier est leffet de la charité; et le second, de la générosité. Cest pourquoi il dit: « Si quelquun veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en encore deux mille autres. » Il vous élève encore plus haut, et il veut que vous soyez généreux dans cette occasion comme dans lautre. Car si ce quil ordonne dabord, quoique beaucoup inférieur à ces dernières ordonnances, ne laisse pas davoir ces grandes béatitudes pour récompense, que doivent attendre ceux qui auront pratiqué ces préceptes si sublimes, et qui dès ici-bas dans un corps mortel et passible auront paru comme spirituels et impassibles? Car puisque ni les affronts, ni les plaies, ni la perte des biens ne les touchent point, puisque tous les maux semblables ne les peuvent vaincre, et que plus ils souffrent, plus ils deviennent patients et généreux, quelle doit être la perfection et la pureté de leur âme? Cest pourquoi Jésus-Christ commande en cet endroit la même chose pour le travail du corps, quil a commandé auparavant pour souffrir la violence, et la perte de nos biens. Comme sil disait : ce nest pas assez de souffrir quon vous vole, et quon vous outrage; mais si de plus on veut abuser de votre peine en vous faisant marcher loin, et en vous imposant un grand travail, embrassez-le de bon coeur, et mettez-vous au-dessus de cette injustice par votre vertu, et votre courage. « Si quelquun veut vous contraindre, » cest-à-dire : sil vous entraîne par force, sans avoir raison, et par une pure violence, ne vous impatientez pas néanmoins, et soyez prêt à souffrir encore plus de mal, quil ne sera disposé à vous en faire. « Donnez à celui qui vous demande, et ne rejetez point celui qui veut emprunter de vous (42). » Ce commandement nest pas si grand ni si difficile que celui qui précède. Mais ne vous en étonnez pas. Le Seigneur agit ainsi dordinaire, il mêle ses grands préceptes avec les petits. Que si ceux-ci paraissent légers en comparaison des autres, que diront ceux qui volent le bien de leurs frères, et donnent le leur à des femmes prostituées : qui sallument ainsi un double feu par ces injustes richesses quils amassent, et par ces honteuses profusions quils en font? Cet emprunt dont parle Jésus-Christ, ne doit pas sentendre de ces sortes demprunts dont on tire usure; mais du simple argent quon prête sans intérêt. Et il va plus loin ailleurs, lorsquil nous commande de donner à ceux de qui nous nespérons rien recevoir. « Vous avez appris quil a été dit: Vous (152) aimerez votre prochain, et vous haïrez votre « ennemi (43). Et moi je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent; faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous calomnient, et qui vous persécutent (44). » « Afin que vous soyez enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes (45).» Remarquez comment il réserve pour la fin le couronnement de tous les biens. Cest pour cela quil commande non-seulement de souffrir le soufflet quon nous donne, mais de tendre même lautre joue, et de ne pas donner seulement notre manteau avec notre robe, mais de faire encore deux mille pas avec celui qui nen demande que mille, afin de nous disposer à embrasser de tout notre coeur les commandements encore plus relevés. Mais que peut-on ajouter, direz-vous, à ce quil vient de commander? Cest de ne pas regarder comme votre ennemi celui qui vous traite si mal, mais den avoir une idée toute contraire. Car le Seigneur ne dit pas : Ne baissez point; mais, « Aimez. » Il ne dit point: Ne leur faites point de mal, mais, « Faites-leur du bien. » Il va même plus loin. Il ne commande pas un amour qui soit commun et ordinaire; mais qui aille jusquà « prier pour eux. » 4. Considérez par combien de degrés il nous ait passer pour monter à la plus haute perfection. Je vous prie de les compter. Le premier cest de nêtre point le premier à faire du mal. Le deuxième, lorsquon nous en a fait, de nen point tirer une vengeance, égale. Le troisième, de ne point rendre la pareille à loffenseur, mais de ne rien faire. Le quatrième, de soffrir volontairement à linjure. Le cinquième, de vouloir souffrir plus quon ne nous veut faire endurer. Le sixième, de ne point haïr celui qui nous maltraite. Le septième, davoir même de laffection pour lui. Le huitième, de lui faire du bien. Et le neuvième enfin, de prier Dieu pour lui. Voilà le comble de la vertu chrétienne. Cest pourquoi Jésus-Christ y attache cette haute récompense. Comme ce commandement était relevé, et quil avait besoin dune âme généreuse, et dun grand travail le Sauveur y joint aussi une récompense, quil na promise à aucune de toutes ces autres vertus. Il ne promet point une terre comme à ceux qui sont doux, ni des consolations comme à ceux qui pleurent, ni la miséricorde comme à ceux qui seront miséricordieux; ni le royaume même du ciel; mais ce qui est plus étonnant, il promet que nous deviendrons semblables à Dieu, autant que des hommes le peuvent être : « Afin, » dit-il, «que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. » Et remarquez que ni ici, ni dans ce qui précède, il ne nomme point Dieu son Père, mais quil lappelle ou un grand Roi, comme lorsquil parle des jurements; ou le Père de ceux à qui il parle, comme en cet endroit. Il voulait réserver cela à un autre temps plus favorable. Il ajoute ensuite: « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Comme sil disait : Il est si éloigné de haïr ceux qui le méprisent, quil leur fait même du bien. Et cependant cette comparaison nest pas égale, non-seulement à cause de lexcellence des biens que Dieu fait aux hommes, mais encore à cause de son infinie grandeur. Celui qui vous méprise est un homme semblable à vous; mais celui qui offense Dieu est son esclave, et un esclave qui en avait reçu mille biens. Vous ne lui donnez que des paroles, lorsque vous priez pour lui; mais Dieu lui donne des biens réels et admirables, en faisant lever son soleil sur lui, et en lui procurant des pluies durant tout le cours de lannée. Cependant une laisse pas de vous donner la gloire dêtre égal à Dieu, autant quun homme peut lêtre. Ne haïssez donc plus celui qui vous a fait tort, puisquil vous procure un si grand bien, et quil vous élève à une si haute gloire. Ne lancez donc point dimprécations contre celui qui vous outrage, puisqualors vous ne laisseriez pas de souffrir le mal quil vous fait, et que vous en perdriez tout le fruit. Vous endureriez une peine; et vous nen auriez point de récompense. Ce serait le dernier aveuglement, quaprès avoir souffert les plus grands maux, on ne pût souffrir les plus légers. Mais comment, direz-vous, puis-je pardonner ainsi à ceux qui moffensent? Quoi ! lorsque vous voyez un Dieu qui se fait homme, qui sabaisse et qui souffre si épouvantablement pour vous; vous hésitez encore, et vous demandez comment vous pouvez remettre à vos frères les injures quils vous font? Ne lentendez-vous (153) pas crier du haut de sa croix: « Pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font. »(Luc, XXIII, 34.) Nentendez-vous pas saint Paul qui dit : « Jésus-Christ est ressuscité, et est monté au ciel, et est assis à la droite de Dieu, où il intercède pour nous? » (Rom, VIII, 34.) Ne savez-vous pas quaprès sa mort et après sa résurrection il envoya aux Juifs qui lavaient tué, ses apôtres pour les combler de biens, quoique ces mêmes juifs dussent leur faire souffrir mille maux? Mais vous dites quon vous a cruellement offensé. Lavez-vous été autant que votre Seigneur? Avez-vous été comme lui chargé de chaînes, battu de verges, outragé de soufflets, couvert de crachats par les derniers de tous les hommes, condamné à la mort, et à la mort la plus cruelle et par des personnes qui vous avaient des obligations infinies? Si votre frère vous a beaucoup offensé, efforcez-vous de lui faire plus de bien, afin de rendre votre couronne plus illustre, et de délivrer votre frère du profond assoupissement où vous le voyez. Plus les frénétiques frappent les médecins, et plus ceux-ci les plaignent, plus ils sappliquent à les guérir parce quils savent que cet outrage nest quun effet de la violence de la maladie. Imitez cette conduite à légard de vos ennemis, et traitez ainsi ceux qui vous outragent. Ces personnes sont vraiment malades. Elles souffrent une véritable violence. Délivrez-les donc de cette langueur mortelle. Aidez-les à vaincre leur passion, et à chasser deux ce démon cruel de la colère et de la fureur. Nous pleurons sur les possédés lorsquils se présentent à nous; et non-seulement nous ne tâchons pas, mais nous appréhendons extrêmement dêtre possédés comme eux. Agissons de même à légard de ceux qui sont transportés de fureur. Le démon les possède comme ceux quon appelle proprement possédés, et dautant plus malheureusement, quils sont furieux sans avoir perdu lesprit. Ainsi leur folie est dautant plus inexcusable quelle est volontaire. Ninsultez donc point à ces malades, mais ayez compassion deux. 5. Quand nous voyons une personne tourmentée de la bile, et qui témoigne par le soulèvement de son estomac, quelle veut rejeter quelque humeur maligne; nous lui tendons la main pour la soutenir, nous nappréhendons point que nos habits soient gâtés, et nous ne pensons quà la secourir. Traitons ainsi ces autres malades; supportons-les pendant quils jettent tout leur feu, et toute leur mauvaise humeur; et ne les quittons point quils ne sen soient, entièrement déchargés. Ce sera alors quils comprendront lobligation quils vous ont, et quils reconnaîtront de quelle maladie vous les aurez délivrés. Que dis-je, quils reconnaîtront lobligation quils. vous auront? Dieu même vous récompensera dune couronne de gloire, et vous comblera de biens, parce que vous aurez sauvé votre frère dune maladie si dangereuse. Cet homme vous re. gardera toute sa vie comme son maître; et il aura un profond respect pour votre modération et votre douceur. Ne voyez-vous pas tous les jours que les femmes qui sont dans les douleurs de lenfantement, mordent et déchirent celles qui les assistent, sans que celles-ci le sentent; ou plu. tôt elles le sentent, mais elles le supportent avec courage dans la compassion quelles ont des douleurs excessives que souffrent ces femmes en cet état. Imitez au moins ces personnes, et ne soyez pas plus délicat que des femmes. Quand ceux qui vous outragent, et qui sont en effet plus pusillanimes que les femmes, auront jeté dehors, et comme enfanté cette fureur quils avaient conçue, ils admireront votre courage, et ils reconnaîtront que vous êtes véritablement homme. Que si ce que je vous dis vous paraît pénible, souvenez-vous que Jésus-Christ sest fait homme pour vous imprimer cette modération dans le coeur, et pour nous mettre en état dêtre également utiles à nos amis et à nos ennemis. Cest pourquoi il nous commande davoir soin des uns et des autres: de nos amis et de nos frères, lorsquil nous commande de quitter loffrande à lautel pour aller nous réconcilier avec eux, et de nos ennemis, lorsquil nous ordonne de le aimer et de prier pour eux. Il ne nous y exhorte pas seulement par lexemple de Dieu, mais encore par un autre tout contraire. « Car si vous naimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi(46)? » Saint Paul dit la même chose: « Vous navez pas encore résisté jusquà répandre le sang en combattant contre le péché. » (Hébr, XII, 4) Si donc vous faites ce que je dis, vous demeurerez uni à Dieu, mais si vous le négligez, vous serez au rang des publicains. Que si (154) la grandeur de ce précepte vous étonne, jetez les yeux sur la différence quil y a entre inciter Dieu ou les publicains. Ne considérez pas seulement la difficulté du commandement, mais pesez-en aussi la récompense. Voyez à qui nous nous rendons semblables en laccomplissant; et à qui nous le serons en le violant. Lorsquil sagit de nos frères, Jésus-Christ veut que nous nous réconciliions avec eux, et que nous ne les quittions point que nous ne soyons rentrés en grâce; mais pour les autres hommes, il ne nous impose plus cette nécessité, il se contente que nous leur rendions seulement ce que nous leur devons, et il rend ainsi sa loi légère. Comme il avait dit à ses disciples en leur parlant des Juifs : « Cest ainsi quavant vous ils ont persécuté les prophètes (Matth. V, 12.), » de peur quils ne prissent de là occasion de les haïr, il leur commande aussi non-seulement de les supporter en cet état, mais encore de les aimer. Il arrache, comme vous voyez, jusquaux moindres racines de la colère, des désirs sensuels, de lavarice, de la vanité, et de tous les soins de cette vie. Cest ce quil fait dès le commencement de ce sermon, mais surtout à lendroit où nous sommes arrivés. En effet, celui qui est pauvre desprit, qui est doux, et qui pleure, bannit de lui la colère; celui qui est juste et miséricordieux, chasse lavarice; celui qui a le coeur pur, séloigne de toute impureté; et celui qui souffre les persécutions, les outrages et les calomnies, se met en état de mépriser toutes les choses de la terre; et de se purifier du faste de la vanité du monde Mais après avoir dégagé de ces liens les mes de ses auditeurs, et les avoir comme frottées dhuile pour le combat, il sapplique encore à déraciner ces vices avec plus de soin quauparavant. Il commence par la colère. Il la détruit entièrement en disant : «Que celui qui se fâchera contre son frère sans sujet, »et qui lui dira «Raca,» ou qui lappellera «fou,» sera puni. Que celui qui veut offrir son présent napprochera point de lautel avant quil se soit réconcilié avec son frère, et que celui qui a un ennemi, tâchera de se le rendre ami avant que dentrer en jugement. Il passe ensuite à limpureté. Il dit: Que celui qui regarde une personne avec un oeil impudique, sera puni comme un adultère: Que celui à qui la compagnie dune femme, ou dun homme, ou dun de ses intimes amis, peut être une occasion de chute et de scandale, doit les éloigner et se retrancher de lui: Que celui qui est lié à une femme par le mariage ne la quittera point pour en épouser une autre. Et cest ainsi quil coupe la racine de limpureté. Il attaque ensuite lavarice en défendant de jurer ou de mentir, ou de plaider contre celui qui emporte notre robe, en nous commandant de lui laisser notre manteau, de donner même les assistances corporelles quon exige de nous, et par là il enseigne admirablement à étouffer lamour des richesses. Enfin il ajoute, comme pour le couronnement de tous ces différents préceptes: « Priez pour ceux qui vous calomnient.» Cest ainsi quil élève ses disciples à la plus haute perfection. Car sil est évident quêtre doux est moins que de se laisser maltraiter; quêtre miséricordieux, est moins que de donner son manteau à celui qui nous ôte notre robe; quêtre juste, est moins que de souffrir linjustice; quêtre pacifique, est moins que de faire volontairement plus quon nexige de nous, ou de tendre la joue droite quand on nous frappe sur la gauche, cest de même beaucoup moins dêtre persécuté, que de bénir ceux qui nous persécutent. 6. Cest de cette manière quil nous élève peu à peu jusquau plus haut des cieux. Après cela de quels supplices ne serons-nous pas dignes, si tandis quon nous commande de nous rendre semblables à Dieu, nous ne faisons pas même ce que font les païens et les gentils? Si les publicains, les païens et les pécheurs aiment ceux qui les aiment: que deviendrons-nous nous autres, si nous naimons pas nos propres frères, et si nous témoignons ce, manquement de charité, par lenvie que nous causent les louanges et lestime dont ils sont lobjet? A quels supplices ne serons-nous pas condamnés, si lorsque Jésus-Christ nous commande dêtre plus justes que les pharisiens, nous sommes moins vertueux que les païens même? Comment oserons-nous approcher de lentrée du ciel, et de ces portes sacrées si nous ne sommes pas meilleurs que les publicains? Car Jésus-Christ le donne à entendre lorsquil dit: « Et si vous naimez que vos frères, que ferez-vous en cela de particulier? Les païens ne le font ils pas aussi (47)? » Mais une des choses qui doit nous faire le plus admirer la manière dont Jésus-Christ instruit les hommes, cest (155) quil propose les récompenses avec une sorte de prodigalité, comme de voir Dieu, davoir part au royaume des cieux, de devenir enfants de Dieu, et semblables à lui; davoir part à ses. miséricordes et à ses consolations divines, et de jouir dune couronne immortelle, tandis quau contraire, sil est obligé de faire quelque menace, il ne le fait que comme en passant. Car il ne parle quune seule fois ici du feu de lenfer, et il fait la même chose ailleurs, ayant plus pour but de toucher ses auditeurs par la honte que par des menaces, comme lorsquil dit: « Les publicains ne font-ils pas la même chose? » Et: « Si le sel devient fade, » etc.; et: « Celui-là sera appelé le dernier dans le « royaume des cieux. » Il y a même des endroits, où au lieu de punition, il ne marque que le péché même où lon tombe, afin de laisser juger à lauditeur de la sévérité du châtiment. Comme lorsquil dit: « Il a déjà commis ladultère dans son coeur. » Et: « Celui qui quitte sa femme la rend adultère. » Et: « Ce qui est de plus, vient du mauvais. » Car il ne faut point marquer dautre punition à des personnes raisonnables pour les éloigner de quelque péché, que de leur en montrer la grandeur. Cest pour ce sujet quil apporte ici lexemple des publicains et des gentils, afin que cette comparaison fasse plus dimpression sur ses disciples. Saint Paul a imité cette conduite, lorsquil a dit: « Ne vous affligez point comme les autres qui nont point despérance (I Thes. IV, 12: ) » et « comme les gentils qui ne connaissent point Dieu. » (Ibid. 5.) Et pour leur montrer quil ne leur demande rien de fort grand, mais seulement dun peu au-dessus de la pratique ordinaire, il leur dit: « Les païens nen font-ils pas autant? » Mais il ne sarrête pas là, et cest par les récompenses quil conclut, cest sur les bonnes espérances quil laisse ses auditeurs: « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait (48). » Il nomme le ciel presque partout pour accoutumer ses disciples à des pensées plus hautes et plus sublimes; Car ils étaient encore faibles et dans des sentiments humains et charnels. Repassons, mes frères, dans notre esprit toutes ces instructions si saintes, et témoignons à lavenir un grand amour pour nos ennemis. Rejetons cette coutume ridicule de quelques personnes déraisonnables, qui attendent que ceux quils rencontrent les saluent les premiers, négligeant ainsi ce qui les rendrait heureux selon la parole de Jésus-Christ, et affectant ce qui les rend ridicules. Car pourquoi ne saluez-vous pas le premier celui que vous rencontrez? Cest, dites-vous, parce quil attend que je le prévienne. Nest-ce pas pour cela même que vous devez vous hâter, afin quen le prévenant vous receviez la récompense que Jésus-Christ a promise? Je ne le ferai pas, dites-vous, parce quil veut exiger cela de moi. Quy a-t-il de plus extravagant que cette pensée ? Parce quil moffre une occasion dêtre récompensé de Dieu, je ne veux pas men servir. Car sil vous salue le premier, vous ne gagnerez plus rien en le saluant. Mais si vous le prévenez, la vanité est votre profit, et son orgueil sera votre couronne. Nest-ce pas un étrange aveuglement de pouvoir gagner beaucoup par peu de paroles, et de vous priver volontairement de cet avantage? Mais de plus vous tombez dans le même vice que vous reprenez dans votre frère. Car si vous le blâmez de ce quil attend que vous le saluiez le premier, pourquoi imitez-vous ce que vous condamnez en lui? Pourquoi affectez-vous de faire comme un bien, ce que vous reprenez en lui comme un mal ? Voyez-vous par là quil ny a rien de plus ennemi de la raison, que celui qui nest pas ami de Dieu ? Cest pourquoi je vous conjure, mes frères, de fuir une coutume si dangereuse et si peu raisonnable. Cette maladie desprit a séparé une infinité damis, et fait une infinité dennemis. Prévenons donc les hommes, et aimons à les saluer toujours les premiers. Car si Jésus-Christ nous commande de nous tenir prêts à souffrir les soufflets, à laisser prendre notre robe, et à suivre nos ennemis lorsquils nous contraignent de marcher bien loin, qui pourra nous excuser si nous faisons preuve dun orgueil si opiniâtre, lorsquil ne sagit que de saluer et de dire un mot? Vous me direz peut-être : Mais si je lui rends cette déférence, les autres me mépriseront et me railleront. Quoi donc! de peur dêtre méprisé par un extravagant, vous ne craindrez pas doffenser Dieu? Et pour empêcher quun autre homme comme vous ne vous raille, vous foulerez aux pieds la loi de Celui qui vous a tant fait de grâces? Si cest un mal quun homme vous méprise, quelle indignité sera-ce que vous désobéissiez à Dieu même qui vous a créé? Mais de plus, si vous souffrez quelque mépris (157), cest pour vous un sujet de récompense. Car vous le souffrez pour Dieu et pour avoir obéi à sa loi. Quy a-t-il de plus glorieux que cette souffrance et où trouvera-t-on une couronne qui légale? Qui me rendra assez heureux que dêtre méprisé pour Dieu, plutôt que dêtre honoré de tous les rois de la terre? Je ne vois rien de si illustre, ni de si glorieux que ce mépris. Suivons donc cet esprit, puisque Dieu nous lordonne et regardons comme un néant toute la gloire des hommes. Aspirons à cette haute sagesse et réglons par elle toute la suite de notre vie. Ce sera ainsi que nous jouirons par avance des biens du ciel et de la gloire qui nous est promise en vivant dès ici-bas comme des anges qui conversent avec les hommes et en nous tenant au-dessus de tous les désirs terrestres, de tout le trouble des passions, comme ces puissances célestes et spirituelles, et que nous recevrons ensuite ces biens ineffables de lautre vie, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient toute gloire, tout empire et toute adoration avec son Père éternel et saint principe, et avec le Saint-Esprit, la source et le principe de toute bonté, maintenant et à jamais, et dans tous les siècles des siècles, Ainsi soit-il. |