Matthieu 2,4-11
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HOMÉLIE VII.

HÉRODE AYANT ASSEMBLÉ TOUS LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES DOCTEURS DU PEUPLE, S’ENQUIT D’EUX OU DEVAIT NAITRE LE CHRIST. — ET ILS LUI DIRENT QUE C’ÉTAIT A BETHLÉEM DE LA TRIBU DE JUDA, SELON CE QUI A ÉTÉ ÉCRIT PAR LE PROPHÈTE: — ET VOUS, BETHLÉEM, TERRE DE JUDA, VOUS N’ÊTES PAS LA PLUS PETITE PARMI LES PRINCIPALES VILLES DE JUDA; CAR DE VOUS SORTIRA LE PRINCE QUI SERA LE PASTEUR DE MON PEUPLE D’ISRAËL, » ETC. (CHAP. II, 4, 5, 6, JUSQU’AU VERSET 12.)

ANALYSE

1. Des signes qui marquèrent la venue de Jésus-Christ.

2.Il sortira de Bethléem. Quelques-uns ont l’audace d’appliquer cet oracle à Zorobabel ; vive réfutation de cette erreur.

3. Aveuglement et inconséquence d’Hérode.

4. Sortie contre Marcion, Paul de Samozate et les Juifs.

5-7. Comment on doit aller à la sainte communion. — Que les préceptes de l’Evangile sont communs à tous.- Péroraison éloquente contre les spectacles.

 

 

1. Voyez-vous, mes frères, comment tout dans cette histoire tourne à la condamnation des Juifs? Tant qu’ils n’ont pas encore vu Jésus-Christ, tant que l’envie ne s’est pas emparée d’eux, ils rapportent fidèlement ce que les prophètes en avaient prédit; et lorsqu’ils ont vu depuis sa gloire établie par ses miracles, l’envie dont ils ont été prévenus leur a fait trahir la vérité. Mais plus elle a rencontré d’obstacles, plus elle s’est élevée, et les persécutions n’ont servi qu’à la propager.

Cependant admirez ici un étonnant effet de la sagesse de Dieu. On voit les Juifs et ces étrangers s’instruire mutuellement les uns les autres. Les Juifs apprennent des mages qu’une étoile avait annoncé le Messie dans leur pays; et les mages apprennent des Juifs que Celui que cette étoile annonçait, avait été longtemps auparavant prédit par les prophètes. Cette exacte information d’Hérode est cause que les uns et les autres connaissent plus clairement la vérité. Ceux même qui la combattaient sont forcés malgré eux de lire les Ecritures qui la démontrent, et d’interpréter les prophéties, quoi-qu’ils ne l’aient fait qu’imparfaitement. Car après avoir dit que Jésus naîtrait dans Bethléem, et que d’elle sortirait le pasteur d’Israël, ils suppriment, pour flatter Hérode, ces paroles que le Prophète ajoute; « Il sortira dès le commencement des jours de l’éternité. » (Mich. V, 2.)

Vous me direz peut-être: Puisque le Messie devait sortir de Bethléem, pourquoi demeure-t-il dans Nazareth un peu après sa naissance, et jette-t-il ainsi quelque obscurité sur les prophéties? Je vous réponds que ce n’était point obscurcir la vérité, mais que c’était au contraire la découvrir davantage. En effet, s’il est né à Bethléem, quoique ordinairement sa mère demeurât à Nazareth, n’est-ce pas un signe de l’action mystérieuse de la divine Providence? C’est pourquoi il ne quitte point Bethléem aussitôt après qu’il y est né, mais il y demeure quarante jours, afin de donner à ceux qui voudraient en prendre la peine, la faculté de faire à son sujet une enquête exacte et complète.

Il y avait plusieurs raisons qui devaient porter les Juifs à cette recherche, s’ils eussent voulu s’y appliquer. Lorsque les mages arrivent, toute la ville et le roi même est frappé d’étonnement. On consulte les prophètes; on assemble les docteurs de la loi; sans compter beaucoup d’autres faits encore que saint Luc rapporte très-exactement, comme ce qu’il dit d’Anne, de Siméon, de Zacharie, des anges et des pasteurs, toutes choses qui pouvaient suffire à des personnes un peu curieuses, pour leur donner occasion de connaître ce qui se (54) passait. Si les mages venant de la Perse purent bien trouver le lieu de sa naissance, combien plus ceux qui étaient sur les lieux mêmes pouvaient-ils s’en instruire plus aisément?

Il se découvre donc aussitôt après sa naissance par plusieurs miracles; mais parce qu’ils ferment les yeux pour ne pas les voir, le Sauveur se cache quelque temps, afin de se produire ensuite d’une manière plus éclatante. Ce ne seront plus alors les mages ni l’étoile, ce sera son Père même qui le révélera et l’annoncera sur le fleuve du Jourdain. Le Saint-Esprit descendra sur sa tête lorsqu’il sera baptisé, et il lui rendra témoignage par une voix qui viendra du ciel. Jean son précurseur le publiera dans toute la Judée à haute voix, et le bruit de sa prédication remplira le désert comme les lieux habités; ses miracles lui rendront témoignage, et la terre, la mer, et toutes les créatures élèveront leurs voix pour faire connaître sa grandeur. Ce n’est pas qu’au temps même de sa naissance, il n’ait fait assez de miracles pour découvrir qui il était. En effet, pour que les Juifs ne pussent dire : Nous ne savons ni quand ni où il est né, Dieu fait venir les mages avec tout ce qui arriva alors, pour les rendre entièrement inexcusables d’avoir négligé de s’instruire de tout ce qui se passait.

2. Mais remarquez avec quelle exactitude le Prophète parle. Il ne dit pas que le Messie demeurerait dans Bethléem, mais seulement qu’il en sortirait ; ce qui marquait expressément qu’il ne ferait que naître en ce lieu.

Quelques téméraires ont osé soutenir que cette prophétie regardait Zorobabel et non Jésus-Christ. Mais quelles raisons peuvent-ils apporter, puisqu’on ne peut pas dire de Zorobabel comme de Jésus-Christ : « Qu’il soit sorti dès le « commencement des- jours de l’éternité? » (Mich. 5,2) Comment aussi cette parole serait-elle vraie: « Il sortira de Juda un Roi (Matth. II,6)» puisque Zorobabel ne naquit point dans la Judée, mais à Babylone, circonstance à laquelle il dut même son nom, comme le savent ceux qui connaissent la langue syriaque?

Mais, outre ces preuves, toute la suite des temps confirme assez cette prophétie. Que dit la prophétie? Tu n’es pas la moindre entre les princes de Juda; pourquoi? De qui te viendra ta gloire? De Celui qui sortira de toi. Or, de cette petite bourgade, il n’est sorti personne qui l’ait illustrée et rendue glorieuse, si ce n’est Jésus-Christ seul. Mais à présent, depuis cette naissance admirable, on vient des extrémités de la terre voir cette étable et le lieu de cette crèche. C’est ce que le Prophète marquait par ces paroles: « Vous n’êtes pas la plus petite entre les princes de Juda (Matth. II, 6),» c’est-à-dire entre les princes des tribus, ce qui comprenait Jérusalem même.

Cependant les Juifs ne donnèrent aucune attention à une affaire qui leur importait si fort. Et c’est pour cette raison que les prophéties ont moins insisté d’abord sur la grandeur de Jésus-Christ que sur les -grâces qu’il devait apporter aux Juifs. Lorsqu’il était encore dans le sein de la Vierge, l’ange dit à Joseph «Vous « le nommerez Jésus, parce que ce sera lui qui sauvera son peuple de ses péchés.» Les mages de même ne demandent point « où était né» le Fils de Dieu, mais « le Roi des Juifs. » Et il n’est pas dit ici de Bethléem : « Il sortira de vous» le Fils de Dieu, mais «le Prince qui sera le Pasteur de mon peuple d’Israël. » il convenait que Dieu, dans les commencements, usât de condescendance en son langage pour ne scandaliser personne, et que, pour mieux attirer les Juifs, il publiât d’abord ce qui concernait leur salut.

Aussi les premières prophéties citées par l’Evangéliste, celles qui ont rapport au temps de sa naissance, ne disent-elles rien de grand ni de sublime à son sujet; il n’en est pas de même de celles qui regardent la période de temps où éclatent ses miracles; celles-ci parlent beaucoup plus clairement de sa divinité. Lorsque le Prophète parle des enfants qui chantèrent dans le temple les louanges du Sauveur après les oeuvres miraculeuses qu’il avait faites, il dit : «Vous avez tiré votre louange de la bouche des enfants qui étaient à la mamelle (Ps. VIII,4),» mais il ajoute ensuite : «Je verrai vos cieux, qui sont les ouvrages de vos mains,» pour marquer clairement qu’il est le créateur de toutes choses. De même les prophéties qui parlent de son ascension font voir son égalité avec le Père, comme on le voit par ces paroles: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite. » (Ps. CIX, 1.) Isaïe dit aussi : « Il s’est levé afin d’être le Prince des nations, et les nations espéreront en lui. » (Isaïe, XX, 10.)

Mais comment le Prophète dit-il : « Que Bethléem n’est pas la plus petite entre les principales, villes de Juda» puisqu’elle est devenue célèbre non seulement dans la Judée, (57) mais dans tout le monde? C’est parce que le Prophète ne parle ici qu’aux Juifs, et c’est pour cela qu’il ajoute : «Il sera le Pasteur de mon peuple d’Israël,» quoiqu’il l’ait été de toute la terre. Mais, comme je l’ai déjà dit, il ne voulait point d’abord offenser les Juifs, et il cache à dessein le mystère de la vocation des Gentils. Et comment, me direz-vous, n’a-t-il pas été le pasteur du peuple juif? Mais il l’a été au contraire, puisque par ce mot d’Israël l’Evangile entend ceux des Juifs qui ont cru en Jésus-Christ. C’est ainsi que saint Paul le prend en disant: « Tous ceux qui sont d’Israël ne sont pas Israëlites, mais tous ceux qui sont nés par la foi qu’ils ont eue aux promesses. » (Rom. IX, 6.) S’il n’a pas été le roi de tous les Israélites, c’est uniquement leur faute et leur crime. Car, au lieu de l’adorer avec les mages, et de rendre gloire à Dieu de ce qu’enfin le temps s’approchait de remettre leurs péchés, puisqu’on ne leur parlait point de la terreur des jugements de Dieu, ni de sa vengeance, mais qu’on ne leur représentait Jésus-Christ que comme un pasteur très-doux, ils ne font au contraire qu’exciter des troubles et des tumultes, et lui dresser mille piéges pour le perdre.

« Alors Hérode ayant appelé les mages en secret, s’enquit d’eux avec grand soin du temps que l’étoile leur était apparue (7). » Il voulait tuer cet enfant par un dessein aussi cruel qu’il était extravagant. Car tout ce qui était arrivé et tout ce qu’on lui avait dit au sujet de cet enfant, devait suffire pour le détourner de cette entreprise.

On ne pouvait expliquer humainement ce qui s’était passé. Un avertissement envoyé du ciel aux mages par le moyen d’une étoile, un si long voyage entrepris par des étrangers pour venir adorer un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche, enfin ces événements si longtemps d’avance annoncés par les prophètes, il n’y avait rien dans tout cela qui ne surpassât l’homme. Néanmoins rien n’arrêta Dérode. Telle est la méchanceté, elle se combat elle-même, elle se heurte opiniâtrement à l’impossible.

3. Mais voyez l’absurdité. Si Hérode croyait à la prophétie, et s’il était persuadé que rien n’en pourrait détourner l’effet, il devait aussi comprendre l’inanité de ses efforts pour empêcher ce qui ne pouvait être empêché. Si, au contraire, il n’y ajoutait pas foi et ne comptait pas que les choses prédites dussent arriver, pourquoi appréhender et craindre, pourquoi dresser des embûches? Ainsi, d’une manière comme de l’autre, sa ruse était superflue. C’était aussi le comble de l’extravagance d’espérer que les mages feraient plus d’état de lui que de l’enfant pour lequel ils avaient fait un si long voyage. Si, avant même que de l’avoir vu, ils avaient témoigné tant d’ardeur pour le chercher, comment espérer qu’après l’avoir vu, et avoir été confirmés dans leur foi par les prophètes, ils le trahiraient et le livreraient à. son ennemi? Malgré tant de raisons qui devaient le retenir, le tyran passe outre.

« Il appelle les mages en secret. » II garde le secret, parce qu’il pensait que les Juifs se mettraient en peine de sauver cet enfant et qu’il ne les croyait pas assez plongés dans la folie, pour vouloir livrer entre les mains d’un tyran celui qui venait être leur Sauveur, leur protecteur et le libérateur de leur pays. C’est pourquoi « il les appelle en secret et il s’informe avec soin du temps, » non de l’enfant, mais « de l’étoile; » le tigre fait un détour pour tomber plus sûrement sur sa proie. Car il me semble qu’il y avait assez longtemps déjà que l’étoile s’était montrée pour la première fois. Comme les mages devaient employer beaucoup de temps à ce voyage et qu’il était utile, pour faire éclater davantage cet événement, qu’ils adorassent l’enfant lorsqu’il était encore au maillot, il fallait nécessairement que l’étoile leur eût apparu longtemps d’avance. Si elle n’eût commencé à paraître en Orient que lorsque Jésus-Christ naissait dans la Judée, la longueur du chemin ne leur eût pas permis d’arriver à temps pour le voir dans ses langes. Ne nous étonnons donc pas qu’Hérode fasse périr les enfants de deux ans et au-dessous. D’ailleurs la fureur et la crainte dont il était agité le portaient, pour plus de sûreté, à ajouter encore au temps indiqué par les mages, afin que nul enfant de cet âge ne pût lui échapper.

« Et les envoyant à Bethléem il leur dit: Allez, informez-vous exactement de cet enfant, et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que j’aille aussi l’adorer (8).» Voyez la déraison ! Si tu parles sincèrement, pourquoi le fais-tu en secret? Et si c’est dans le dessein de dresser quelque piége, comment ne vois-tu pas que les mages pourront s’en défier après ces informations si secrètes? Mais (56) comme j’ai déjà dit, l’excès de la passion porte une âme au comble de la folie.

Il ne leur dit pas: « Allez, informez-vous de ce roi, » mais de cet « enfant, » parce qu’il ne pouvait même se résoudre à lui donner le nom de roi. Cependant les mages, bons et sincères, ne soupçonnent rien dans ses paroles. Comment en effet supposer qu’un homme se porte à cet excès de malice, et entreprenne de s’opposer à l’oeuvre la plus merveilleuse de la bonté divine? Ils sortent de devant Hérode sans penser à rien de mal, jugeant par leur propre sincérité de celle des autres.

« Ils partirent donc après ces paroles du roi, et aussitôt l’étoile qu’ils avaient vue en Orient commença d’aller devant eux, jusqu’à ce qu’étant arrivée sur le lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta (9). » Elle ne s’était cachée qu’afin que privés de ce guide, ils fussent forcés d’interroger les Juifs, et de publier ainsi cette naissance devant tout le monde. Dès qu’ils eurent interrogé les Juifs et que ceux-ci les ont instruits, l’étoile reparaît aussitôt. Admirez, je vous prie, la conduite de Dieu en cette rencontre. Aussitôt qu’ils cessent d’être conduits par l’étoile, les Juifs les reçoivent avec leur roi, et leur rapportent les prophéties-qui parlaient de cet enfant. Quand les prophètes les ont instruits, l’ange le fait ensuite, et les informe de tout; et cette même étoile les conduit encore de Jérusalem à Bethléem. De nouveau elle fait route avec eux pour nous faire encore une fois comprendre qu’elle n’est point une étoile ordinaire. Dans quelle autre en effet a-t-on remarqué rien de pareil? Elle ne luisait pas simplement comme les autres, mais elle allait devant les mages, et les conduisait en plein midi.

4. Mais quelle nécessité, dites-vous, avaient-ils de cette étoile, puisqu’ils savaient déjà le lieu de la naissance de Jésus-Christ? Ce n’était plus pour apprendre simplement la ville, mais pour savoir en particulier le lieu où pouvait être cet enfant. Car la maison où il était n’avait rien de grand, et sa mère n’avait rien qui attirât les regards et l’attention. Il fallait donc que l’étoile s’arrêtât sur le toit de la maison. C’est pourquoi ils la revoient en sortant de Jérusalem, et elle ne s’arrête plus qu’elle ne soit arrivée sur l’étable, et qu’elle n’ait ajouté un miracle à un miracle, le miracle de l’adoration des mages au miracle des mages guidés par une étoile, Ce double miracle me paraît si grand qu’il devait, ce me semble, attirer à Jésus-Christ des âmes de pierre. Si les mages eussent dit qu’ils avaient appris cette naissance des prophètes, ou que les anges la leur avaient annoncée, on ne les aurait pas crus, mais l’apparition d’une étoile dans le ciel était un prodige capable de fermer la bouche aux plus impudents. Lorsque l’étoile fut au-dessus du Sauveur, elle s’arrêta encore une fois; or c’est une puissance qui n’est point ordinaire aux astres, de se cacher et de paraître de nouveau, et de s’arrêter lorsqu’elle paraît. A cette vue sans doute les mages sentirent croître leur foi. Ils se réjouirent d’avoir trouvé enfin celui qu’ils avaient tant cherché, d’avoir été les prédicateurs de la vérité, et de n’avoir pas entrepris inutilement un si long voyage et cette joie naissait de l’amour dont ils brûlaient pour Jésus-Christ.

L’étoile s’arrêta sur la tête de l’enfant, pour apprendre qu’il était le Fils de Dieu. Elle porte à l’adorer non de simples étrangers, mais les plus sages d’entre eux. Ainsi vous voyez avec combien de raison l’étoile leur a paru de nouveau, puisqu’ils ont eu besoin d’elle après même le témoignage des prophètes, et les instructions qu’ils avaient reçues des scribes et des princes des prêtres.

Que l’hérétique Marcion, que l’impie Paul de Samosate rougissent, eux qui n’ont pas voulu reconnaître ce qu’ont vu les mages, ces premiers Pères de 1’Eglise. Car je ne rougis point de les appeler de la sorte. Que Marcion soit couvert de honte, en voyant un Dieu adoré en sa chair, et que l’impie Paul soit confondu, en voyant adoré comme Dieu Celui qu’il ne croit qu’un homme. Les langes et la crèche font assez voir qu’il est homme; mais l’adoration que les mages lui rendent, fait voir qu’il est plus qu’un homme. Ils montrent assez qu’il est Dieu, en lui offrant dans soir enfance même des présents qu’on ne peut offrir qu’à Dieu. Que les Juifs rougissent aussi avec eux, en voyant- que des barbares et des mages les devancent, et qu’ils n’ont pas même assez de foi pour les suivre. Mais ce qui se passait alors était une figure de l’avenir, qui marquait que les gentils préviendraient dans la foi le peuple juif.

Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ ne dit-il pas d’abord à ses apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations (Matth. XXVIII, 19.), » et qu’il réserve ce commandement à la fin de sa vie? C’est parce que ce qui est arrivé aux mages (57) était, comme j’ai dit, une prédiction de l’avenir. Il était plus juste que ce fût d’abord le peuple juif qui embrassât la foi de Jésus-Christ. Mais ce peuple ayant volontairement renoncé à la grâce qui lui était offerte, Dieu a changé l’ordre des choses. Ce n’était pas sans doute l’ordre le plus naturel que les mages adorassent Jésus-Christ avant les Juifs ; que dés hommes si éloignés prévinssent ceux qui avaient cet enfant au milieu d’eux; et que des étrangers qui n’avaient rien entendu de ces mystères, eussent l’avantage sur ceux qui avaient été nourris dans la connaissance des prophètes. Mais parce qu’ils n’ont pas connu le trésor qu’ils avaient reçu de Dieu, les Perses le leur ont ravi au milieu même de Jérusalem.

C’est ce que saint Paul leur reproche: « C’était à vous, » dit-il, « qu’on devait annoncer d’abord la parole de Dieu , mais puisque vous vous en êtes jugés indignes, nous nous tournons vers les gentils. » (Act. XIII, 46. ). Quelque incrédulité qu’ils eussent témoignée jusqu’alors, ils devaient au moins, après avoir vu les mages, suivre leur exemple et courir à Jésus-Christ. Mais ils ne l’ont pas voulu ; et les mages les préviennent et se hâtent d’aller au Sauveur , pendant que les autres sont assoupis d’un profond sommeil.

5. Suivons donc nous autres les mages. Quittons le pays barbare de nos mauvaises habitudes, et faisons un long voyage pour voir Jésus-Christ, puisque si les mages n’eussent fait un si long chemin, ils n’auraient jamais eu ce bonheur. Séparons-nous de tous les embarras de la terre. Tant que les mages demeurèrent dans la Perse, ils ne virent qu’une étoile, mais lorsqu’ils l’eurent quittée, ils méritèrent de voir le Soleil même de justice. Et l’un. peut dire que cette étoile ne leur eût pas lui longtemps, s’ils ne. fussent sortis promptement de leur pays.

Levons-nous aussi nous autres, et quand toute la terre serait en trouble, hâtons-nous d’aller à la maison de cet enfant. Quand les rois, quand les peuples, quand les tyrans voudraient nous en couper le chemin, ne laissons point éteindre notre ardeur par ces obstacles, puisque c’est ainsi que nous les vaincrons. Si les mages n’eussent été constants jusqu’à la fin, et n’eussent vu l’enfant, ils n’auraient point évité les maux dont ils étaient menacés par Hérode. Ils sont environnés de craintes, de périls et de troubles, avant que d’adorer l’enfant, mais aussitôt après ils ont dans la paix et dans le calme. Ce n’est plus une étoile qui les instruit, mais un ange qui leur parle, parce qu’ils étaient devenus prêtres en adorant Jésus-Christ, et en lui offrant leurs dons.

Quittez aussi vous-mêmes le peuple juif; quittez cette ville troublée, ce tyran altéré de sang, et tout ce vain éclat du siècle, pour courir à Bethléem, à cette maison du pain céleste et spirituel. Quand vous ne seriez qu’un berger, si vous vous hâtez d’aller à cette étable, vous y verrez l’enfant. Mais quand vous seriez roi, si vous n’y venez, votre pourpre ne pourra pas vous sauver. Quand- vous seriez étranger et barbare comme les mages, rien ne vous empêchera de voir l’enfant, pourvu que vous veniez pour adorer le Fils de Dieu, et non pour le fouler aux pieds, comme dit saint Paul, et que vous vous présentiez devant lui avec frayeur, et avec joie, deux choses qui peuvent fort bien s’allier ensemble.

Mais gardez-vous de ressembler à Hérode, et, en disant comme lui que vous viendrez l’adorer, de venir en effet pour le tuer. Tous ceux qui approchent indignement des sacrés mystères, se rendent semblables à ce tyran: « Celui qui mange indignement ce pain, » dit saint Paul, « est coupable du corps et du sang du Seigneur. » (I Cor. II, 27.) Car ils ont en eux-mêmes un tyran qui est encore plus méchant qu’Hérode, et plus ennemi, de la gloire et du royaume de Jésus-Christ: c’est le démon de l’avarice. Ce tyran veut seul régner dans notre âme, et envoie ses sujets pour adorer Jésus-Christ en apparence, et pour le tuer en effet.

Craignons donc aussi nous-mêmes d’être en apparence les adorateurs de Dieu, et d’être en effet dans une disposition toute contraire. Renonçons à tout lorsque nous allons adorer Jésus-Christ. Si nous avons de l’or, offrons-le lui plutôt que de le cacher en terre. Si les mages lui en présentèrent alors seulement par honneur et comme par hommage, que deviendrez-vous si vous, lui en refusez lorsqu’il est pauvre? Si ces hommes font un si long voyage pour le venir adorer enfant, quelle excuse vous peut-il rester de refuser de faire trois pas pour l’aller visiter malade, et en prison ? Nos ennemis même nous font compassion lorsqu’ils sont malades ou captifs; et vous n’en avez point de votre Seigneur qui vous a fait tant de grâces, lorsque. vous le voyez en cet état?

Les mages lui donnèrent de l’or, et vous (58) avez peine même à lui donner du pain. Lorsqu’ils virent l’étoile, ils furent ravis de joie, et vous voyez Jésus-Christ devant vous sans habits, et sans retraite, et vous n’en êtes point touchés? Qui de vous, après avoir reçu de si grandes grâces du Sauveur, a fait pour lui un aussi long chemin que ces étrangers et ces barbares, qui étaient en effet plus sages que les sages mêmes? Mais que dis-je, un aussi long chemin? La plupart des femmes aujourd’hui sont dans une si grande mollesse, qu’elles ne peuvent faire trois pas pour venir l’adorer sur cette crèche sacrée de l’autel sans se faire traîner par des mules. Les autres qui n’épargnent pas leurs pas, préfèrent néanmoins les affaires du siècle à celles de leur salut, et le théâtre à l’église.

6. Quoi! les mages font un voyage si pénible avant que d’avoir vu Jésus-Christ, et vous ne voulez pas les imiter après même que vous l’avez vu? Vous le quittez aussitôt pour courir aux spectacles, car je ne crains pas de vous parler encore sur ce sujet. Vous quittez Jésus-Christ que vous voyez dans cette crèche, pour aller voir des femmes impudiques sur le théâtre. Quels supplices sont assez grands pour punir un si grand excès? Dites-moi, je vous prie, si quelqu’un vous offrait de vous mener au palais du roi, et de vous le faire voir sur son trône, aimeriez-vous mieux alors aller au théâtre? D’ailleurs que gagnez-vous à ces spectacles? Ici au contraire vous trouvez une source de feu, source spirituelle qui jaillit de l’autel. Et néanmoins vous ne craignez point de la quitter pour courir au théâtre, voir des femmes qui nagent, et pour être témoins de cette infamie publique, dont on déshonore la nature?

Jésus-Christ est ici présent, il est assis proche de cette fontaine céleste, pour parler non à une femme seule, comme autrefois à la Samaritaine, mais à tout-un peuple. Et peut-être qu’il n’y est que pour une personne seule, puisqu’on ne se met point en peine de le venir voir. Quelques-uns viennent, mais de corps seulement, et les autres ne viennent pas même de cette manière. Cependant Jésus-Christ ne se retire point; il demeure, et ne cesse point de nous demander à boire, non de l’eau, mais notre sanctification dont il est altéré. Car il est ici pour donner aux saints les choses saintes. Il ne nous présente point de cette divine source, une eau corruptible à boire, mais son sang vivant, qui est en même temps le symbole de sa mort, et la cause de notre vie.

Cependant vous quittez cette source de sang divin, et ce breuvage terrible, pour voir dans une même eau une prostituée qui nage, et votre âme qui se noie et périt malheureusement. Car cette eau est une mer d’impudicité, où se perdent tous les jours non les corps, mais les âmes. Ces femmes se jouent dans ces eaux, et vous périssez en les regardant. Ce sont là les piéges du démon. Il submerge dans ces eaux, non-seulement ceux qui y descendent, mais encore plus ceux qui sont au-dessus pour voir ce spectacle. Ils périssent là plus cruellement, qu’autrefois Pharaon dans la mer Rouge, « lorsque les chevaux et les cavaliers, » comme dit l’Ecriture, « furent ensevelis dans les eaux. » (Exod. XV, 1.) Si les âmes étaient visibles, je vous les ferais voir mortes sur les eaux, comme on y vit alors les corps des Egyptiens.

Mais ce qui est plus déplorable, c’est qu’on fait passer cette peste pour un divertissement, et qu’on appelle cet abîme de perdition, une mer de volupté,. On se sauvera plus aisément de four les écueils de la-mer Egée et de la mer Tyrrhénienne, que des périls de ces spectacles. Le démon d’abord inquiète les esprits toute la nuit par l’attente ; puis leur faisant voir ce qu’ils avaient tant désiré, il les enchaîne et les emmène tomme ses captifs. Ne croyez pas que vous soyez sans crime, parce que vous n’avez point approché de ces personnes infâmes. Tout le mal a été consommé dans la disposition de la volonté. Si l’impureté vous possédait déjà, vous avez mis de l’huile dans sa flamme. Que si vous avez-pu voir ces choses sans en recevoir de l’impression, vous en êtes encore plus coupable, parce que vous êtes devenu un sujet de scandale et de chute pour les autres, en les invitant à ces spectacles par votre exemple, et en y souillant en même temps vos yeux et votre âme.

Mais ce n’est pas assez de vous avoir montré vos plaies. Voyons maintenant le moyen de les guérir. Où chercherons-nous des remèdes à ce mal? Je veux vous renvoyer aujourd’hui à vos femmes, afin qu’elles vous instruisent elles-mêmes, au lieu que. selon saint Paul, vous devriez être leurs maîtres. Mais puisque le péché a renversé cet ordre, et que le corps a pris le dessus, et la tête le dessous, usons au moins de cette voie pour rétablir toutes choses. Que si vous rougissez d’être le disciple de votre (59) femme, cessez de pécher, et vous remonterez bientôt sur ce trône où Dieu vous a mis d’a bord. Tant que vous serez l’esclave du péché l’Ecriture vous renverra pour vous instruire1 non-seulement à vos femmes, mais même aux plus viles d’entre les bêtes. En effet, l’Ecriture ne craint pas d’envoyer l’homme quoique honoré de la raison, à l’école de la fourmi. S’il y a du désordre en cela, ce n’est pas la faute de l’Ecriture, mais de l’homme qui a dégénéré de sa grandeur.

C’est donc pour suivre cet exemple que nous vous rendons les disciples de vos femmes; et si vous méprisez leurs instructions, nous vous renverrons à l’école même des bêtes; et nous vous ferons voir combien d’animaux dans l’air, sur la mer et sur la terre, sont beaucoup plus chastes et réservés que vous n’êtes. Si cette comparaison vous fait rougir, rentrez en vous-mêmes, et que le souvenir de ce que vous êtes, que la frayeur de cet abîme de l’enfer, et de ce fleuve de feu, vous fasse renoncer pour jamais aux eaux meurtrières du théâtre. Car c’est cette eau qui précipite dans l’enfer, et qui allume ce feu qui ne s’éteindra jamais.

7. Si celui qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère, comment ne deviendra-t-il pas mille fois adultère, celui qui veut bien la voir dans cette nudité? Le déluge autrefois ne submergea pas tant d’hommes, que ces femmes qui nagent n’en noient dans la honte. Si les eaux du déluge ont tué les corps, elles ont arrêté les déréglements des âmes ; mais celles-ci au contraire tuent les âmes sans perdre les corps.

Lorsqu’il s’agit de l’honneur de votre ville, vous voulez l’emporter sur toute la terre, parce qu’elle est la première qui a donné aux fidèles le nom de chrétiens : et lorsqu’il s’agit de la vertu et de la modestie chrétienne, vous souffrez que les plus petits villages l’emportent sur vous.

Que voulez-vous donc que nous fassions, me direz-vous? Irons-nous sur les montagnes pour nous faire moines? C’est cela même que je déplore, que vous vous imaginiez qu’il faille être solitaire pour devenir chaste. Les lois que Jésus-Christ a établies sont communes à tous. Lorsqu’il dit: « Si quelqu’un voit une femme avec un mauvais désir (Matth. V, 28), » il ne le dit pas à un solitaire, mais à celui qui est engagé dans le mariage, puisque la montagne où il donnait ces divines lois n’était pleine alors que de personnes mariées.

Considérez donc par la foi ce qui se passe à ces théâtres, et renoncez pour jamais à ces spectacles diaboliques. N’accusez point la sévérité de mes paroles. Je ne vous interdis point le mariage, je ne vous empêche point de vous divertir, mais je souhaite seulement que ce soit avec modestie, et non d’une manière brutale et honteuse. Je ne vous oblige point de vous retirer dans les déserts et sur les montagnes, mais d’être modestes, réglés, humbles et charitables au milieu des villes.

Tous les préceptes de I’Evangile nous sont communs avec les religieux, excepté le mariage; et en ce point même saint Paul veut nous égaler à eux, lorsqu’il dit: « Que ceux qui ont des femmes, soient comme s’ils n’en avaient point, parce que la figure de ce monde passe (I Cor. VII, 29); » comme s’il disait :je ne vous commande point de fuir sur les montagnes, quoique cela serait à désirer, puisque les villes aujourd’hui imitent les crimes de Sodome et de Gomorrhe; mais je ne l’exige point de vous. Demeurez dans votre maison avec votre femme et vos enfants; mais ne déshonorez point votre femme, ne corrompez point vos enfants, et n’infectez point votre famille par cette peste du théâtre.

N’entendez-vous pas saint Paul qui dit: « L’homme n’a point la puissance de son corps, mais c’est sa femme (I Cor. VII, 4), » et qui vous impose .à tous deux un devoir réciproque? Cependant si votre femme va souvent à l’église, vous l’en accusez comme d’un crime; et vous ne croyez pas qu’elle ait droit de vous accuser, lorsque vous passez les jours entiers au théâtre. Vous demandez à votre femme une si exacte retenue, que vous passez même au delà des bornes, en ne lui permettant pas de sortir, lorsqu’il y aurait nécessité de le faire; et vous croyez que pour vous, tout vous est permis. Saint Paul ne vous permet point cela néanmoins, puisqu’il donne en ceci à votre femme le même pouvoir qu’à vous: « Que l’homme, » dit-il, « rende à sa femme l’honneur qu’il lui  doit. » (1 Cor. VII, 3.) Quel est le respect que vous avez pour elle, lorsque vous abandonnez à une prostituée ce qui est à elle? Car votre corps est à votre femme. Comment lui rendez-vous l’honneur que vous lui devez, lorsque vous introduisez le tumulte et le désordre chez vous; lorsque rapportant dans votre maison ce que vous avez fait dans la ville, vous couvrez de confusion (60) et votre femme et votre fille qui vous écoutent, et vous encore plus qu’elles? Il vaudrait bien mieux se taire, que de dire ce qu’on ne peut écouter sans rougir, et ce qu’on croirait digne de châtiment dans la bouche d’un esclave. Quelle excuse donc vous restera-t-il, lorsque vous allez voir avec tant d’ardeur ces objets infâmes, et que vous préférez à toute chose ce qu’il n’est pas même permis de dire?

Je finis ici ce discours, afin de ne point paraître trop sévère. Mais si vous ne vous corrigez, je me servirai d’un fer encore plus tranchant, et je vous ferai une incision plus profonde. Je ne vous donnerai point de relâche, que je n’aie entièrement renversé ce théâtre diabolique, afin de rendre pure et sans tache l’assemblée de notre église. C’est ainsi que nous serons délivrés de tous les déréglements de cette vie, et que nous mériterons le bonheur de l’autre, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (61)

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