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HOMÉLIE VII.HÉRODE AYANT ASSEMBLÉ TOUS LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES DOCTEURS DU PEUPLE, SENQUIT DEUX OU DEVAIT NAITRE LE CHRIST. ET ILS LUI DIRENT QUE CÉTAIT A BETHLÉEM DE LA TRIBU DE JUDA, SELON CE QUI A ÉTÉ ÉCRIT PAR LE PROPHÈTE: ET VOUS, BETHLÉEM, TERRE DE JUDA, VOUS NÊTES PAS LA PLUS PETITE PARMI LES PRINCIPALES VILLES DE JUDA; CAR DE VOUS SORTIRA LE PRINCE QUI SERA LE PASTEUR DE MON PEUPLE DISRAËL, » ETC. (CHAP. II, 4, 5, 6, JUSQUAU VERSET 12.) ANALYSE 1. Des signes qui marquèrent la venue de Jésus-Christ. 2.Il sortira de Bethléem. Quelques-uns ont laudace dappliquer cet oracle à Zorobabel ; vive réfutation de cette erreur. 3. Aveuglement et inconséquence dHérode. 4. Sortie contre Marcion, Paul de Samozate et les Juifs. 5-7. Comment on doit aller à la sainte communion. Que les préceptes de lEvangile sont communs à tous.- Péroraison éloquente contre les spectacles.
1. Voyez-vous, mes frères, comment tout dans cette histoire tourne à la condamnation des Juifs? Tant quils nont pas encore vu Jésus-Christ, tant que lenvie ne sest pas emparée deux, ils rapportent fidèlement ce que les prophètes en avaient prédit; et lorsquils ont vu depuis sa gloire établie par ses miracles, lenvie dont ils ont été prévenus leur a fait trahir la vérité. Mais plus elle a rencontré dobstacles, plus elle sest élevée, et les persécutions nont servi quà la propager. Cependant admirez ici un étonnant effet de la sagesse de Dieu. On voit les Juifs et ces étrangers sinstruire mutuellement les uns les autres. Les Juifs apprennent des mages quune étoile avait annoncé le Messie dans leur pays; et les mages apprennent des Juifs que Celui que cette étoile annonçait, avait été longtemps auparavant prédit par les prophètes. Cette exacte information dHérode est cause que les uns et les autres connaissent plus clairement la vérité. Ceux même qui la combattaient sont forcés malgré eux de lire les Ecritures qui la démontrent, et dinterpréter les prophéties, quoi-quils ne laient fait quimparfaitement. Car après avoir dit que Jésus naîtrait dans Bethléem, et que delle sortirait le pasteur dIsraël, ils suppriment, pour flatter Hérode, ces paroles que le Prophète ajoute; « Il sortira dès le commencement des jours de léternité. » (Mich. V, 2.) Vous me direz peut-être: Puisque le Messie devait sortir de Bethléem, pourquoi demeure-t-il dans Nazareth un peu après sa naissance, et jette-t-il ainsi quelque obscurité sur les prophéties? Je vous réponds que ce nétait point obscurcir la vérité, mais que cétait au contraire la découvrir davantage. En effet, sil est né à Bethléem, quoique ordinairement sa mère demeurât à Nazareth, nest-ce pas un signe de laction mystérieuse de la divine Providence? Cest pourquoi il ne quitte point Bethléem aussitôt après quil y est né, mais il y demeure quarante jours, afin de donner à ceux qui voudraient en prendre la peine, la faculté de faire à son sujet une enquête exacte et complète. Il y avait plusieurs raisons qui devaient porter les Juifs à cette recherche, sils eussent voulu sy appliquer. Lorsque les mages arrivent, toute la ville et le roi même est frappé détonnement. On consulte les prophètes; on assemble les docteurs de la loi; sans compter beaucoup dautres faits encore que saint Luc rapporte très-exactement, comme ce quil dit dAnne, de Siméon, de Zacharie, des anges et des pasteurs, toutes choses qui pouvaient suffire à des personnes un peu curieuses, pour leur donner occasion de connaître ce qui se (54) passait. Si les mages venant de la Perse purent bien trouver le lieu de sa naissance, combien plus ceux qui étaient sur les lieux mêmes pouvaient-ils sen instruire plus aisément? Il se découvre donc aussitôt après sa naissance par plusieurs miracles; mais parce quils ferment les yeux pour ne pas les voir, le Sauveur se cache quelque temps, afin de se produire ensuite dune manière plus éclatante. Ce ne seront plus alors les mages ni létoile, ce sera son Père même qui le révélera et lannoncera sur le fleuve du Jourdain. Le Saint-Esprit descendra sur sa tête lorsquil sera baptisé, et il lui rendra témoignage par une voix qui viendra du ciel. Jean son précurseur le publiera dans toute la Judée à haute voix, et le bruit de sa prédication remplira le désert comme les lieux habités; ses miracles lui rendront témoignage, et la terre, la mer, et toutes les créatures élèveront leurs voix pour faire connaître sa grandeur. Ce nest pas quau temps même de sa naissance, il nait fait assez de miracles pour découvrir qui il était. En effet, pour que les Juifs ne pussent dire : Nous ne savons ni quand ni où il est né, Dieu fait venir les mages avec tout ce qui arriva alors, pour les rendre entièrement inexcusables davoir négligé de sinstruire de tout ce qui se passait. 2. Mais remarquez avec quelle exactitude le Prophète parle. Il ne dit pas que le Messie demeurerait dans Bethléem, mais seulement quil en sortirait ; ce qui marquait expressément quil ne ferait que naître en ce lieu. Quelques téméraires ont osé soutenir que cette prophétie regardait Zorobabel et non Jésus-Christ. Mais quelles raisons peuvent-ils apporter, puisquon ne peut pas dire de Zorobabel comme de Jésus-Christ : « Quil soit sorti dès le « commencement des- jours de léternité? » (Mich. 5,2) Comment aussi cette parole serait-elle vraie: « Il sortira de Juda un Roi (Matth. II,6)» puisque Zorobabel ne naquit point dans la Judée, mais à Babylone, circonstance à laquelle il dut même son nom, comme le savent ceux qui connaissent la langue syriaque? Mais, outre ces preuves, toute la suite des temps confirme assez cette prophétie. Que dit la prophétie? Tu nes pas la moindre entre les princes de Juda; pourquoi? De qui te viendra ta gloire? De Celui qui sortira de toi. Or, de cette petite bourgade, il nest sorti personne qui lait illustrée et rendue glorieuse, si ce nest Jésus-Christ seul. Mais à présent, depuis cette naissance admirable, on vient des extrémités de la terre voir cette étable et le lieu de cette crèche. Cest ce que le Prophète marquait par ces paroles: « Vous nêtes pas la plus petite entre les princes de Juda (Matth. II, 6),» cest-à-dire entre les princes des tribus, ce qui comprenait Jérusalem même. Cependant les Juifs ne donnèrent aucune attention à une affaire qui leur importait si fort. Et cest pour cette raison que les prophéties ont moins insisté dabord sur la grandeur de Jésus-Christ que sur les -grâces quil devait apporter aux Juifs. Lorsquil était encore dans le sein de la Vierge, lange dit à Joseph «Vous « le nommerez Jésus, parce que ce sera lui qui sauvera son peuple de ses péchés.» Les mages de même ne demandent point « où était né» le Fils de Dieu, mais « le Roi des Juifs. » Et il nest pas dit ici de Bethléem : « Il sortira de vous» le Fils de Dieu, mais «le Prince qui sera le Pasteur de mon peuple dIsraël. » il convenait que Dieu, dans les commencements, usât de condescendance en son langage pour ne scandaliser personne, et que, pour mieux attirer les Juifs, il publiât dabord ce qui concernait leur salut. Aussi les premières prophéties citées par lEvangéliste, celles qui ont rapport au temps de sa naissance, ne disent-elles rien de grand ni de sublime à son sujet; il nen est pas de même de celles qui regardent la période de temps où éclatent ses miracles; celles-ci parlent beaucoup plus clairement de sa divinité. Lorsque le Prophète parle des enfants qui chantèrent dans le temple les louanges du Sauveur après les oeuvres miraculeuses quil avait faites, il dit : «Vous avez tiré votre louange de la bouche des enfants qui étaient à la mamelle (Ps. VIII,4),» mais il ajoute ensuite : «Je verrai vos cieux, qui sont les ouvrages de vos mains,» pour marquer clairement quil est le créateur de toutes choses. De même les prophéties qui parlent de son ascension font voir son égalité avec le Père, comme on le voit par ces paroles: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite. » (Ps. CIX, 1.) Isaïe dit aussi : « Il sest levé afin dêtre le Prince des nations, et les nations espéreront en lui. » (Isaïe, XX, 10.) Mais comment le Prophète dit-il : « Que Bethléem nest pas la plus petite entre les principales, villes de Juda» puisquelle est devenue célèbre non seulement dans la Judée, (57) mais dans tout le monde? Cest parce que le Prophète ne parle ici quaux Juifs, et cest pour cela quil ajoute : «Il sera le Pasteur de mon peuple dIsraël,» quoiquil lait été de toute la terre. Mais, comme je lai déjà dit, il ne voulait point dabord offenser les Juifs, et il cache à dessein le mystère de la vocation des Gentils. Et comment, me direz-vous, na-t-il pas été le pasteur du peuple juif? Mais il la été au contraire, puisque par ce mot dIsraël lEvangile entend ceux des Juifs qui ont cru en Jésus-Christ. Cest ainsi que saint Paul le prend en disant: « Tous ceux qui sont dIsraël ne sont pas Israëlites, mais tous ceux qui sont nés par la foi quils ont eue aux promesses. » (Rom. IX, 6.) Sil na pas été le roi de tous les Israélites, cest uniquement leur faute et leur crime. Car, au lieu de ladorer avec les mages, et de rendre gloire à Dieu de ce quenfin le temps sapprochait de remettre leurs péchés, puisquon ne leur parlait point de la terreur des jugements de Dieu, ni de sa vengeance, mais quon ne leur représentait Jésus-Christ que comme un pasteur très-doux, ils ne font au contraire quexciter des troubles et des tumultes, et lui dresser mille piéges pour le perdre. « Alors Hérode ayant appelé les mages en secret, senquit deux avec grand soin du temps que létoile leur était apparue (7). » Il voulait tuer cet enfant par un dessein aussi cruel quil était extravagant. Car tout ce qui était arrivé et tout ce quon lui avait dit au sujet de cet enfant, devait suffire pour le détourner de cette entreprise. On ne pouvait expliquer humainement ce qui sétait passé. Un avertissement envoyé du ciel aux mages par le moyen dune étoile, un si long voyage entrepris par des étrangers pour venir adorer un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche, enfin ces événements si longtemps davance annoncés par les prophètes, il ny avait rien dans tout cela qui ne surpassât lhomme. Néanmoins rien narrêta Dérode. Telle est la méchanceté, elle se combat elle-même, elle se heurte opiniâtrement à limpossible. 3. Mais voyez labsurdité. Si Hérode croyait à la prophétie, et sil était persuadé que rien nen pourrait détourner leffet, il devait aussi comprendre linanité de ses efforts pour empêcher ce qui ne pouvait être empêché. Si, au contraire, il ny ajoutait pas foi et ne comptait pas que les choses prédites dussent arriver, pourquoi appréhender et craindre, pourquoi dresser des embûches? Ainsi, dune manière comme de lautre, sa ruse était superflue. Cétait aussi le comble de lextravagance despérer que les mages feraient plus détat de lui que de lenfant pour lequel ils avaient fait un si long voyage. Si, avant même que de lavoir vu, ils avaient témoigné tant dardeur pour le chercher, comment espérer quaprès lavoir vu, et avoir été confirmés dans leur foi par les prophètes, ils le trahiraient et le livreraient à. son ennemi? Malgré tant de raisons qui devaient le retenir, le tyran passe outre. « Il appelle les mages en secret. » II garde le secret, parce quil pensait que les Juifs se mettraient en peine de sauver cet enfant et quil ne les croyait pas assez plongés dans la folie, pour vouloir livrer entre les mains dun tyran celui qui venait être leur Sauveur, leur protecteur et le libérateur de leur pays. Cest pourquoi « il les appelle en secret et il sinforme avec soin du temps, » non de lenfant, mais « de létoile; » le tigre fait un détour pour tomber plus sûrement sur sa proie. Car il me semble quil y avait assez longtemps déjà que létoile sétait montrée pour la première fois. Comme les mages devaient employer beaucoup de temps à ce voyage et quil était utile, pour faire éclater davantage cet événement, quils adorassent lenfant lorsquil était encore au maillot, il fallait nécessairement que létoile leur eût apparu longtemps davance. Si elle neût commencé à paraître en Orient que lorsque Jésus-Christ naissait dans la Judée, la longueur du chemin ne leur eût pas permis darriver à temps pour le voir dans ses langes. Ne nous étonnons donc pas quHérode fasse périr les enfants de deux ans et au-dessous. Dailleurs la fureur et la crainte dont il était agité le portaient, pour plus de sûreté, à ajouter encore au temps indiqué par les mages, afin que nul enfant de cet âge ne pût lui échapper. « Et les envoyant à Bethléem il leur dit: Allez, informez-vous exactement de cet enfant, et lorsque vous laurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que jaille aussi ladorer (8).» Voyez la déraison ! Si tu parles sincèrement, pourquoi le fais-tu en secret? Et si cest dans le dessein de dresser quelque piége, comment ne vois-tu pas que les mages pourront sen défier après ces informations si secrètes? Mais (56) comme jai déjà dit, lexcès de la passion porte une âme au comble de la folie. Il ne leur dit pas: « Allez, informez-vous de ce roi, » mais de cet « enfant, » parce quil ne pouvait même se résoudre à lui donner le nom de roi. Cependant les mages, bons et sincères, ne soupçonnent rien dans ses paroles. Comment en effet supposer quun homme se porte à cet excès de malice, et entreprenne de sopposer à loeuvre la plus merveilleuse de la bonté divine? Ils sortent de devant Hérode sans penser à rien de mal, jugeant par leur propre sincérité de celle des autres. « Ils partirent donc après ces paroles du roi, et aussitôt létoile quils avaient vue en Orient commença daller devant eux, jusquà ce quétant arrivée sur le lieu où était lenfant, elle sy arrêta (9). » Elle ne sétait cachée quafin que privés de ce guide, ils fussent forcés dinterroger les Juifs, et de publier ainsi cette naissance devant tout le monde. Dès quils eurent interrogé les Juifs et que ceux-ci les ont instruits, létoile reparaît aussitôt. Admirez, je vous prie, la conduite de Dieu en cette rencontre. Aussitôt quils cessent dêtre conduits par létoile, les Juifs les reçoivent avec leur roi, et leur rapportent les prophéties-qui parlaient de cet enfant. Quand les prophètes les ont instruits, lange le fait ensuite, et les informe de tout; et cette même étoile les conduit encore de Jérusalem à Bethléem. De nouveau elle fait route avec eux pour nous faire encore une fois comprendre quelle nest point une étoile ordinaire. Dans quelle autre en effet a-t-on remarqué rien de pareil? Elle ne luisait pas simplement comme les autres, mais elle allait devant les mages, et les conduisait en plein midi. 4. Mais quelle nécessité, dites-vous, avaient-ils de cette étoile, puisquils savaient déjà le lieu de la naissance de Jésus-Christ? Ce nétait plus pour apprendre simplement la ville, mais pour savoir en particulier le lieu où pouvait être cet enfant. Car la maison où il était navait rien de grand, et sa mère navait rien qui attirât les regards et lattention. Il fallait donc que létoile sarrêtât sur le toit de la maison. Cest pourquoi ils la revoient en sortant de Jérusalem, et elle ne sarrête plus quelle ne soit arrivée sur létable, et quelle nait ajouté un miracle à un miracle, le miracle de ladoration des mages au miracle des mages guidés par une étoile, Ce double miracle me paraît si grand quil devait, ce me semble, attirer à Jésus-Christ des âmes de pierre. Si les mages eussent dit quils avaient appris cette naissance des prophètes, ou que les anges la leur avaient annoncée, on ne les aurait pas crus, mais lapparition dune étoile dans le ciel était un prodige capable de fermer la bouche aux plus impudents. Lorsque létoile fut au-dessus du Sauveur, elle sarrêta encore une fois; or cest une puissance qui nest point ordinaire aux astres, de se cacher et de paraître de nouveau, et de sarrêter lorsquelle paraît. A cette vue sans doute les mages sentirent croître leur foi. Ils se réjouirent davoir trouvé enfin celui quils avaient tant cherché, davoir été les prédicateurs de la vérité, et de navoir pas entrepris inutilement un si long voyage et cette joie naissait de lamour dont ils brûlaient pour Jésus-Christ. Létoile sarrêta sur la tête de lenfant, pour apprendre quil était le Fils de Dieu. Elle porte à ladorer non de simples étrangers, mais les plus sages dentre eux. Ainsi vous voyez avec combien de raison létoile leur a paru de nouveau, puisquils ont eu besoin delle après même le témoignage des prophètes, et les instructions quils avaient reçues des scribes et des princes des prêtres. Que lhérétique Marcion, que limpie Paul de Samosate rougissent, eux qui nont pas voulu reconnaître ce quont vu les mages, ces premiers Pères de 1Eglise. Car je ne rougis point de les appeler de la sorte. Que Marcion soit couvert de honte, en voyant un Dieu adoré en sa chair, et que limpie Paul soit confondu, en voyant adoré comme Dieu Celui quil ne croit quun homme. Les langes et la crèche font assez voir quil est homme; mais ladoration que les mages lui rendent, fait voir quil est plus quun homme. Ils montrent assez quil est Dieu, en lui offrant dans soir enfance même des présents quon ne peut offrir quà Dieu. Que les Juifs rougissent aussi avec eux, en voyant- que des barbares et des mages les devancent, et quils nont pas même assez de foi pour les suivre. Mais ce qui se passait alors était une figure de lavenir, qui marquait que les gentils préviendraient dans la foi le peuple juif. Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ ne dit-il pas dabord à ses apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations (Matth. XXVIII, 19.), » et quil réserve ce commandement à la fin de sa vie? Cest parce que ce qui est arrivé aux mages (57) était, comme jai dit, une prédiction de lavenir. Il était plus juste que ce fût dabord le peuple juif qui embrassât la foi de Jésus-Christ. Mais ce peuple ayant volontairement renoncé à la grâce qui lui était offerte, Dieu a changé lordre des choses. Ce nétait pas sans doute lordre le plus naturel que les mages adorassent Jésus-Christ avant les Juifs ; que dés hommes si éloignés prévinssent ceux qui avaient cet enfant au milieu deux; et que des étrangers qui navaient rien entendu de ces mystères, eussent lavantage sur ceux qui avaient été nourris dans la connaissance des prophètes. Mais parce quils nont pas connu le trésor quils avaient reçu de Dieu, les Perses le leur ont ravi au milieu même de Jérusalem. Cest ce que saint Paul leur reproche: « Cétait à vous, » dit-il, « quon devait annoncer dabord la parole de Dieu , mais puisque vous vous en êtes jugés indignes, nous nous tournons vers les gentils. » (Act. XIII, 46. ). Quelque incrédulité quils eussent témoignée jusqualors, ils devaient au moins, après avoir vu les mages, suivre leur exemple et courir à Jésus-Christ. Mais ils ne lont pas voulu ; et les mages les préviennent et se hâtent daller au Sauveur , pendant que les autres sont assoupis dun profond sommeil. 5. Suivons donc nous autres les mages. Quittons le pays barbare de nos mauvaises habitudes, et faisons un long voyage pour voir Jésus-Christ, puisque si les mages neussent fait un si long chemin, ils nauraient jamais eu ce bonheur. Séparons-nous de tous les embarras de la terre. Tant que les mages demeurèrent dans la Perse, ils ne virent quune étoile, mais lorsquils leurent quittée, ils méritèrent de voir le Soleil même de justice. Et lun. peut dire que cette étoile ne leur eût pas lui longtemps, sils ne. fussent sortis promptement de leur pays. Levons-nous aussi nous autres, et quand toute la terre serait en trouble, hâtons-nous daller à la maison de cet enfant. Quand les rois, quand les peuples, quand les tyrans voudraient nous en couper le chemin, ne laissons point éteindre notre ardeur par ces obstacles, puisque cest ainsi que nous les vaincrons. Si les mages neussent été constants jusquà la fin, et neussent vu lenfant, ils nauraient point évité les maux dont ils étaient menacés par Hérode. Ils sont environnés de craintes, de périls et de troubles, avant que dadorer lenfant, mais aussitôt après ils ont dans la paix et dans le calme. Ce nest plus une étoile qui les instruit, mais un ange qui leur parle, parce quils étaient devenus prêtres en adorant Jésus-Christ, et en lui offrant leurs dons. Quittez aussi vous-mêmes le peuple juif; quittez cette ville troublée, ce tyran altéré de sang, et tout ce vain éclat du siècle, pour courir à Bethléem, à cette maison du pain céleste et spirituel. Quand vous ne seriez quun berger, si vous vous hâtez daller à cette étable, vous y verrez lenfant. Mais quand vous seriez roi, si vous ny venez, votre pourpre ne pourra pas vous sauver. Quand- vous seriez étranger et barbare comme les mages, rien ne vous empêchera de voir lenfant, pourvu que vous veniez pour adorer le Fils de Dieu, et non pour le fouler aux pieds, comme dit saint Paul, et que vous vous présentiez devant lui avec frayeur, et avec joie, deux choses qui peuvent fort bien sallier ensemble. Mais gardez-vous de ressembler à Hérode, et, en disant comme lui que vous viendrez ladorer, de venir en effet pour le tuer. Tous ceux qui approchent indignement des sacrés mystères, se rendent semblables à ce tyran: « Celui qui mange indignement ce pain, » dit saint Paul, « est coupable du corps et du sang du Seigneur. » (I Cor. II, 27.) Car ils ont en eux-mêmes un tyran qui est encore plus méchant quHérode, et plus ennemi, de la gloire et du royaume de Jésus-Christ: cest le démon de lavarice. Ce tyran veut seul régner dans notre âme, et envoie ses sujets pour adorer Jésus-Christ en apparence, et pour le tuer en effet. Craignons donc aussi nous-mêmes dêtre en apparence les adorateurs de Dieu, et dêtre en effet dans une disposition toute contraire. Renonçons à tout lorsque nous allons adorer Jésus-Christ. Si nous avons de lor, offrons-le lui plutôt que de le cacher en terre. Si les mages lui en présentèrent alors seulement par honneur et comme par hommage, que deviendrez-vous si vous, lui en refusez lorsquil est pauvre? Si ces hommes font un si long voyage pour le venir adorer enfant, quelle excuse vous peut-il rester de refuser de faire trois pas pour laller visiter malade, et en prison ? Nos ennemis même nous font compassion lorsquils sont malades ou captifs; et vous nen avez point de votre Seigneur qui vous a fait tant de grâces, lorsque. vous le voyez en cet état? Les mages lui donnèrent de lor, et vous (58) avez peine même à lui donner du pain. Lorsquils virent létoile, ils furent ravis de joie, et vous voyez Jésus-Christ devant vous sans habits, et sans retraite, et vous nen êtes point touchés? Qui de vous, après avoir reçu de si grandes grâces du Sauveur, a fait pour lui un aussi long chemin que ces étrangers et ces barbares, qui étaient en effet plus sages que les sages mêmes? Mais que dis-je, un aussi long chemin? La plupart des femmes aujourdhui sont dans une si grande mollesse, quelles ne peuvent faire trois pas pour venir ladorer sur cette crèche sacrée de lautel sans se faire traîner par des mules. Les autres qui népargnent pas leurs pas, préfèrent néanmoins les affaires du siècle à celles de leur salut, et le théâtre à léglise. 6. Quoi! les mages font un voyage si pénible avant que davoir vu Jésus-Christ, et vous ne voulez pas les imiter après même que vous lavez vu? Vous le quittez aussitôt pour courir aux spectacles, car je ne crains pas de vous parler encore sur ce sujet. Vous quittez Jésus-Christ que vous voyez dans cette crèche, pour aller voir des femmes impudiques sur le théâtre. Quels supplices sont assez grands pour punir un si grand excès? Dites-moi, je vous prie, si quelquun vous offrait de vous mener au palais du roi, et de vous le faire voir sur son trône, aimeriez-vous mieux alors aller au théâtre? Dailleurs que gagnez-vous à ces spectacles? Ici au contraire vous trouvez une source de feu, source spirituelle qui jaillit de lautel. Et néanmoins vous ne craignez point de la quitter pour courir au théâtre, voir des femmes qui nagent, et pour être témoins de cette infamie publique, dont on déshonore la nature? Jésus-Christ est ici présent, il est assis proche de cette fontaine céleste, pour parler non à une femme seule, comme autrefois à la Samaritaine, mais à tout-un peuple. Et peut-être quil ny est que pour une personne seule, puisquon ne se met point en peine de le venir voir. Quelques-uns viennent, mais de corps seulement, et les autres ne viennent pas même de cette manière. Cependant Jésus-Christ ne se retire point; il demeure, et ne cesse point de nous demander à boire, non de leau, mais notre sanctification dont il est altéré. Car il est ici pour donner aux saints les choses saintes. Il ne nous présente point de cette divine source, une eau corruptible à boire, mais son sang vivant, qui est en même temps le symbole de sa mort, et la cause de notre vie. Cependant vous quittez cette source de sang divin, et ce breuvage terrible, pour voir dans une même eau une prostituée qui nage, et votre âme qui se noie et périt malheureusement. Car cette eau est une mer dimpudicité, où se perdent tous les jours non les corps, mais les âmes. Ces femmes se jouent dans ces eaux, et vous périssez en les regardant. Ce sont là les piéges du démon. Il submerge dans ces eaux, non-seulement ceux qui y descendent, mais encore plus ceux qui sont au-dessus pour voir ce spectacle. Ils périssent là plus cruellement, quautrefois Pharaon dans la mer Rouge, « lorsque les chevaux et les cavaliers, » comme dit lEcriture, « furent ensevelis dans les eaux. » (Exod. XV, 1.) Si les âmes étaient visibles, je vous les ferais voir mortes sur les eaux, comme on y vit alors les corps des Egyptiens. Mais ce qui est plus déplorable, cest quon fait passer cette peste pour un divertissement, et quon appelle cet abîme de perdition, une mer de volupté,. On se sauvera plus aisément de four les écueils de la-mer Egée et de la mer Tyrrhénienne, que des périls de ces spectacles. Le démon dabord inquiète les esprits toute la nuit par lattente ; puis leur faisant voir ce quils avaient tant désiré, il les enchaîne et les emmène tomme ses captifs. Ne croyez pas que vous soyez sans crime, parce que vous navez point approché de ces personnes infâmes. Tout le mal a été consommé dans la disposition de la volonté. Si limpureté vous possédait déjà, vous avez mis de lhuile dans sa flamme. Que si vous avez-pu voir ces choses sans en recevoir de limpression, vous en êtes encore plus coupable, parce que vous êtes devenu un sujet de scandale et de chute pour les autres, en les invitant à ces spectacles par votre exemple, et en y souillant en même temps vos yeux et votre âme. Mais ce nest pas assez de vous avoir montré vos plaies. Voyons maintenant le moyen de les guérir. Où chercherons-nous des remèdes à ce mal? Je veux vous renvoyer aujourdhui à vos femmes, afin quelles vous instruisent elles-mêmes, au lieu que. selon saint Paul, vous devriez être leurs maîtres. Mais puisque le péché a renversé cet ordre, et que le corps a pris le dessus, et la tête le dessous, usons au moins de cette voie pour rétablir toutes choses. Que si vous rougissez dêtre le disciple de votre (59) femme, cessez de pécher, et vous remonterez bientôt sur ce trône où Dieu vous a mis da bord. Tant que vous serez lesclave du péché lEcriture vous renverra pour vous instruire1 non-seulement à vos femmes, mais même aux plus viles dentre les bêtes. En effet, lEcriture ne craint pas denvoyer lhomme quoique honoré de la raison, à lécole de la fourmi. Sil y a du désordre en cela, ce nest pas la faute de lEcriture, mais de lhomme qui a dégénéré de sa grandeur. Cest donc pour suivre cet exemple que nous vous rendons les disciples de vos femmes; et si vous méprisez leurs instructions, nous vous renverrons à lécole même des bêtes; et nous vous ferons voir combien danimaux dans lair, sur la mer et sur la terre, sont beaucoup plus chastes et réservés que vous nêtes. Si cette comparaison vous fait rougir, rentrez en vous-mêmes, et que le souvenir de ce que vous êtes, que la frayeur de cet abîme de lenfer, et de ce fleuve de feu, vous fasse renoncer pour jamais aux eaux meurtrières du théâtre. Car cest cette eau qui précipite dans lenfer, et qui allume ce feu qui ne séteindra jamais. 7. Si celui qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis ladultère, comment ne deviendra-t-il pas mille fois adultère, celui qui veut bien la voir dans cette nudité? Le déluge autrefois ne submergea pas tant dhommes, que ces femmes qui nagent nen noient dans la honte. Si les eaux du déluge ont tué les corps, elles ont arrêté les déréglements des âmes ; mais celles-ci au contraire tuent les âmes sans perdre les corps. Lorsquil sagit de lhonneur de votre ville, vous voulez lemporter sur toute la terre, parce quelle est la première qui a donné aux fidèles le nom de chrétiens : et lorsquil sagit de la vertu et de la modestie chrétienne, vous souffrez que les plus petits villages lemportent sur vous. Que voulez-vous donc que nous fassions, me direz-vous? Irons-nous sur les montagnes pour nous faire moines? Cest cela même que je déplore, que vous vous imaginiez quil faille être solitaire pour devenir chaste. Les lois que Jésus-Christ a établies sont communes à tous. Lorsquil dit: « Si quelquun voit une femme avec un mauvais désir (Matth. V, 28), » il ne le dit pas à un solitaire, mais à celui qui est engagé dans le mariage, puisque la montagne où il donnait ces divines lois nétait pleine alors que de personnes mariées. Considérez donc par la foi ce qui se passe à ces théâtres, et renoncez pour jamais à ces spectacles diaboliques. Naccusez point la sévérité de mes paroles. Je ne vous interdis point le mariage, je ne vous empêche point de vous divertir, mais je souhaite seulement que ce soit avec modestie, et non dune manière brutale et honteuse. Je ne vous oblige point de vous retirer dans les déserts et sur les montagnes, mais dêtre modestes, réglés, humbles et charitables au milieu des villes. Tous les préceptes de IEvangile nous sont communs avec les religieux, excepté le mariage; et en ce point même saint Paul veut nous égaler à eux, lorsquil dit: « Que ceux qui ont des femmes, soient comme sils nen avaient point, parce que la figure de ce monde passe (I Cor. VII, 29); » comme sil disait :je ne vous commande point de fuir sur les montagnes, quoique cela serait à désirer, puisque les villes aujourdhui imitent les crimes de Sodome et de Gomorrhe; mais je ne lexige point de vous. Demeurez dans votre maison avec votre femme et vos enfants; mais ne déshonorez point votre femme, ne corrompez point vos enfants, et ninfectez point votre famille par cette peste du théâtre. Nentendez-vous pas saint Paul qui dit: « Lhomme na point la puissance de son corps, mais cest sa femme (I Cor. VII, 4), » et qui vous impose .à tous deux un devoir réciproque? Cependant si votre femme va souvent à léglise, vous len accusez comme dun crime; et vous ne croyez pas quelle ait droit de vous accuser, lorsque vous passez les jours entiers au théâtre. Vous demandez à votre femme une si exacte retenue, que vous passez même au delà des bornes, en ne lui permettant pas de sortir, lorsquil y aurait nécessité de le faire; et vous croyez que pour vous, tout vous est permis. Saint Paul ne vous permet point cela néanmoins, puisquil donne en ceci à votre femme le même pouvoir quà vous: « Que lhomme, » dit-il, « rende à sa femme lhonneur quil lui doit. » (1 Cor. VII, 3.) Quel est le respect que vous avez pour elle, lorsque vous abandonnez à une prostituée ce qui est à elle? Car votre corps est à votre femme. Comment lui rendez-vous lhonneur que vous lui devez, lorsque vous introduisez le tumulte et le désordre chez vous; lorsque rapportant dans votre maison ce que vous avez fait dans la ville, vous couvrez de confusion (60) et votre femme et votre fille qui vous écoutent, et vous encore plus quelles? Il vaudrait bien mieux se taire, que de dire ce quon ne peut écouter sans rougir, et ce quon croirait digne de châtiment dans la bouche dun esclave. Quelle excuse donc vous restera-t-il, lorsque vous allez voir avec tant dardeur ces objets infâmes, et que vous préférez à toute chose ce quil nest pas même permis de dire? Je finis ici ce discours, afin de ne point paraître trop sévère. Mais si vous ne vous corrigez, je me servirai dun fer encore plus tranchant, et je vous ferai une incision plus profonde. Je ne vous donnerai point de relâche, que je naie entièrement renversé ce théâtre diabolique, afin de rendre pure et sans tache lassemblée de notre église. Cest ainsi que nous serons délivrés de tous les déréglements de cette vie, et que nous mériterons le bonheur de lautre, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et lempire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (61) |