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HOMÉLIE IX.« ALORS HÉRODE VOYANT QUE LES MAGES SÉTAIENT MOQUÉS DE LUI, ENTRA EN UNE EXTRÊME COLÈRE, ET ENVOYANT DE SES GENS, IL FIT TUER TOUS LES ENFANTS QUI ÉTAIENT DANS BETHLÉEM ET DANS TOUT LE PAYS DALENTOUR, ÂGÉS DE DEUX ANS ET AU-DESSOUS, SELON LE TEMPS QUIL SÉTAIT FAIT MARQUER EXACTEMENT PAR LES MAGES, » ETC. (CHAP II, v. 16, JUSQUAU CHAP. III.) ANA LYSE 1. Colère dHérode, il massacre les Innocents. 2 Lorateur repousse divers reproches faits à la divine providence, à propos du massacre des jeunes enfants de Bethléem. Ceux qui supportent courageusement linjustice nen sont point lésés, quoiquils paraissent lêtre. 3. Lhistorien Josèphe et le roi Hérode. Dieu accomplit ses desseins par les efforts que font les hommes pour les entraver et les contrarier. 4. La paix succède à lépreuve. 5. et 6. Quil ne faut point senorgueillir des avantages de la naissance et des richesses.
1. Hérode ne devait point ainsi entrer en colère. Il devait craindre, shumilier, et reconnaître la vanité de son entreprise. Mais rien ne larrête. Car lorsquune âme est une fois devenue impie et désespérément malade, elle rejette tous les remèdes que Dieu lui offre pour la guérir. Considérez donc combien ce prince ajoute à ses premiers crimes , prolonge la chaîne de ses homicides, et se jette de lui-même de précipice en précipice. Sa colère, son envie est comme un démon qui lagite et qui le transporte, sans que rien puisse larrêter.. Linsensé se déclare contre la nature même; et furieux davoir été joué par les mages, il tourne sa fureur contre des enfants innocents. II semble quil veuille faire dans la Judée, ce que Pharaon fit autrefois dans lEgypte. « Hérode envoyant de ses gens,» dit lEvangile, « fit tuer tout les enfants qui étaient dans Bethléem, et dans tous le pays dalentour, âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps quil sétait fait marquer exactement par les mages. » Prêtez-moi ici toute votre attention. Plusieurs parlent bien légèrement de ces enfants, leur sort, à les en croire, accuserait la justice divine. Les plus modérés dentre eux suspendent seulement leur jugement; mais les autres sont plus hardis et plus emportés. Permettez que nous nous arrêtions un peu sur ce sujet, afin de guérir les uns de leur ignorance et de leur doute, et les autres de leur excès et de leur folie. Si lon ose accuser Dieu davoir laissé tuer ces enfants, quon laccuse donc aussi de la mort du soldat qui gardait saint Pierre. Comme ces petits enfants meurent ici au lieu de lenfant Jésus, qui se sauve et quon voulait perdre; de même lorsque saint Pierre fut délivré par un auge de ses chaînes et de sa prison, le tyran qui ressemblait à celui-ci et de nom et de cruauté, ne layant point trouvé, fit mourir à sa place les soldats qui le gardaient. Mais à quoi sert cet exemple, me direz-vous? Cest augmenter la difficulté et non pas la résoudre. Je vous le dis aussi à ce dessein, et si je joins une seconde difficulté à la première, cest afin de répondre en même temps à toutes les deux, Quelle est donc cette réponse; et que (67) pouvons-nous dire de probable sur ce sujet? Cest que ce nest point lenfant Jésus qui cause la mort de ces enfants, mais la seule cruauté dHérode; comme ce ne fut point saint Pierre qui fit mourir les soldats, mais la brutalité du prince. Sil eût trouvé les portes de la prison brisées, ou les murailles percées, Hérode aurait eu peut-être un juste sujet de condamner la négligence des gardes. Mais puisque tout était dans le même état, les portes toujours fermées, tas soldats encore munis des chaînes dont on les avait liés avec lApôtre, il devait conclure, sil eût pu juger sainement des choses, que ce nétait point là louvrage de la force et de lartifice des hommes, mais leffet dune puissance tout extraordinaire et toute divine. Il devait adorer lauteur dun si grand miracle au lieu dexercer sa cruauté sur les soldats. Dieu, dans lopération de ce miracle, avait fait ce quil fallait, non-seulement pour ne pas exposer les gardes à la mort, mais encore pour amener le prince à la connaissance de la vérité. Si le tyran persista dans son impiété, pourquoi attribuer au sage médecin des âmes, à celui qui est bienfaisant en toutes ses oeuvres, un mal qui nest arrivé que par le déréglement du malade? Nous pouvons dire la même chose ici. Pourquoi, ô Hérode, vous mettez-vous en colère, lorsque vous vous croyez trompé par les mages? Ne savez-vous pas que cet enfantement est divin ? Navez-vous pas assemblé les prêtres et les scribes? Nont-ils pas fait voir que le prophète avait jugé par avance de cette affaire, et que longtemps auparavant il avait prophétisé cette naissance? Navez-vous pas vu cet admirable rapport du présent avec le passé? Navez-vous pas su quune étoile avait conduit les mages? Navez-vous pas rougi du zèle de ces étrangers ? Navez-vous pas admiré leur liberté de langage? Navez-vous pas tremblé à loracle du prophète? Navez-vous pas dû comprendre aisément quelle devait être la suite de tant de merveilles ? Ne jugiez-vous pas de lavenir par le passé? Pourquoi donc toutes ces choses ne vous faisaient-elles pas conclure en vous-même, que ce nétait point là louvrage de la tromperie des mages, mais de la puissance de Dieu, qui conduisait tout avec une admirable sagesse? Mais quand même les mages se seraient joués de vous, pourquoi vous en prendre à ces enfants, qui ne vous ont fait aucun mal? 2. Fort bien, direz-vous, vous montrez parfaitement quHérode était un homme de sang, et que sa cruauté est inexcusable; mais vous navez pas résolu lobjection concernant linjustice du fait. Cétait Hérode qui commettait linjustice, soit, mais pourquoi Dieu la laissait-il commettre? Que répondrai-je ici, sinon ce que jai coutume de vous représenter souvent, et dans léglise et partout ailleurs, et que je vous prie de bien retenir? Car cest une règle qui doit vous servir pour dautres semblables difficultés. Voici donc ce que je vous réponds. Il se trouve beaucoup de personnes qui veulent faire du mal aux autres. Mais je soutiens quil ny a point dhomme qui puisse faire un mal véritable à un autre homme. Et pour ne pas vous tenir en suspens, je dis en un mot, que, qui que ce soit dentre les hommes qui nous offense, Dieu tourne le mal quil nous fait à notre avantage, et sen sert ou pour nous pardonner ou pour augmenter notre récompense. Afin déclaircir ce que je dis, je vous en, donne un exemple. Supposons quun serviteur soit redevable dune somme considérable à son maître, que des hommes injustes le maltraitent, quon lui ravisse une partie de ce quil a; supposons encore que le maître puisse empêcher le vol, commander la restitution, et quau lieu dagir de la sorte, il prenne sur ses comptes pour dédommager son serviteur, pourrait-on dire que : celui-ci a été lésé? pas le moins du monde. Mais si le maître remet au serviteur plus quon ne lui a pris, celui-ci naura-t-il pas gagné au lieu de perdre. Evidemment si. Ayons ces pensées dans les maux dont on nous afflige injustement. Soyons certains que les afflictions ou nous obtiendront la rémission de tous nos péchés, ou que si nos péchés ne sont pas en si grand nombre quelles, elles nous mériteront une plus riche couronne. Vous en avez la preuve dans ce que dit saint Paul de celui qui était tombé dans la fornication : « Livrez, » dit-il, « cet homme à Satan pour faire mourir sa chair, afin que son âme soit sauvée. » (I Cor. V, 5.) Vous me direz quil sagit ici des maux que nos ennemis nous font souffrir, et non pas des corrections que nos pasteurs nous imposent avec justice. Mais si vous voulez considérer avec soin les uns et les autres, vous ny trouverez aucune différence. Notre difficulté était de savoir si le mal quon souffre est véritablement un mal pour (68) celui qui Je souffre. Mais je puis vous apporter un exemple qui se rapproche davantage de la question qui nous occupe. Souvenez-vous de David insulté dans son malheur par ce Séméi qui faisait pleuvoir sur lui les plus violentes injures; ses soldats voulaient tuer cet insulteur, mais il les retint, et leur dit : « Laissez-le faire, laissez-le maudire. Peut-être que le Seigneur regardera mon affliction, et quil me fera quelque grâce pour ces malédictions que jendure. » (II Rois, XVI, 40.) Cest ce quil dit aussi dans ses psaumes : « Voyez combien mes ennemis se sont multipliés, et combien est injuste la haine quils me portent et remettez-moi tous mes péchés. » (Ps. XXIV, 48, 49.) Le Lazare de même entra dans le repos; parce quil avait souffert en cette vie une infinité de maux. Ceux donc à qui on veut faire du mal, nen reçoivent point en effet, sils le souffrent avec patience; au contraire ce mal se change pour eux en un grand bien, soit que Dieu les châtie par laffliction, ou que le démon les persécute. Mais quels crimes, me direz-vous, ces enfants avaient-ils fait pour quils dussent les expier par une mort si sanglante? Ce que vous dites peut être vrai pour les personnes avancées en âge, et qui ont commis beaucoup de péchés; mais pour ces innocents qui meurent dans le berceau, quel péché avaient-ils pu faire, qui dût être lavé de leur sang? Souvenez-vous que je vous ai dit, iiue si linjustice quon nous fait, ne trouvait point de péchés à punir en nous, elle nous mériterait une grande récompense. Quel mal est-il donc arrivé à ces enfants, lorsque, mourant pour un tel sujet, ils ont passé par une mort si prompte, comme par une courte tempête, au port éternel dune heureuse paix? Ils eussent pu, dites-vous, devenir de grands saints , sils eussent longtemps vécu. Mais croyez-vous que leur récompense ait été médiocre, pour avoir été tués à la place de Jésus-Christ? Et nous pouvons dire encore que si Dieu eût prévu que ces enfants eussent dû sélever un jour à un grand mérite, il neût pas permis quils eussent été tués dans le berceau. Car sil tolère avec une patience si infatigable, ceux même quil sait devoir toujours demeurer dans le crime, il aurait bien plutôt empêché la mort de ceux-ci, sil avait prévu quils dussent un jour parvenir à un haut degré de vertu. 3. Voilà ce que nous pouvons dire sur ce sujet, mais il y a dautres raisons bien plus secrètes de cette conduite, qui ne sont connues que de Celui qui a réglé ces événements, avec une providence incompréhensible. Remettant donc à Dieu la connaissance exacte et entière de ce secret, passons à la suite et apprenons de laffliction des autres à souffrir avec courage tous les maux qui pourront nous arriver. Quelle tragique calamité en effet frappa alors Bethléem, où lon voyait de tous côtés les enfants arrachés du sein de leur mère pour être cruellement immolés à la fureur dun tyran! Que, si vous êtes encore faible, si souffrir avec patience et sans se plaindre vous semble une sagesse au-dessus de vos forces, jetez les yeux sur la mort dHérode et respirez un peu à cette vue. La justice de Dieu fut prompte à le frapper, elle lui infligea une punition proportionnée à son crime, en lui faisant souffrir une mort cruelle, plus déplorable que tout ce quil fait endurer à ces innocents; elle laccabla de mille maux, que savent ceux qui ont lu son histoire dans Josèphe. Je ne la rapporte point ici pour nêtre pas trop long et pour ne pas interrompre la suite de notre Evangile. « Ce fût alors quon vit laccomplissement de ce qui avait été prédit par le prophète Jérémie. Un grand bruit a été entendu en Rama, on y a entendu des plaintes, des pleurs et des cris lamentables; Rachel pleurant ses enfants et ne voulant point recevoir de consolation parce quils ne sont plus. » Comme lévangéliste avait rempli lesprit du lecteur dhorreur et dépouvante, en lui représentant un carnage si inhumain, si injuste, si cruel et si barbare, il le console ensuite en disant quil nétait point arrivé, ou par limpuissance, ou par lignorance, de Dieu; puisquau contraire il lavait prévu longtemps auparavant et lavait prédit par son prophète. Relevez donc votre courage, ne craignez plus lorsque vous jetez les yeux sur cette providence de Dieu, qui se montre également et dans ce quelle fait elle-même et dans ce quelle laisse faire aux hommes. Cest ce que Jésus-Christ disait autrefois à ses apôtres. Après leur avoir prédit quils seraient traînés devant les tribunaux et menés au supplice ; que toute la terre sélèverait contre eux et leur ferait une guerre irréconciliable, il ajoute aussitôt pour les consoler : (69) « Nest-il pas vrai quon a deux passereaux pour une obole? Et néanmoins il nen tombe pas un seul sur la terre, sans la volonté de votre Père céleste. » (Matth. X, 29.) Il leur parlait de la sorte, pour leur apprendre que rien ne lui est caché; et quil voit tout, quoiquil ne fasse pas tout. Ne craignez point, leur dit-il, ne vous troublez point. Celui qui voit ce que vous souffrez et qui le pourrait empêcher sil le voulait, montre assez que sil permet que vous souffriez quelque chose, cest parce quil a soin de vous et quil vous aime. Ce sont les sentiments que nous devons avoir dans toutes nos afflictions, et nous y trouverons toute la consolation que nous pouvons souhaiter. Mais quelquun dira peut-être : Qua de commun Rachel avec Bethléem? Rachel, »dit lEvangile, « pleure ses enfants. » Qua aussi de commun Raina avec Rachel? Rachel, mes frères, était la mère de Benjamin, et elle fut enterrée après sa mort dans un champ près de Bethléem. Comme donc son sépulcre était fort proche, que ce champ était échu à la tribu de Benjamin et que Rama était aussi de cette même tribu, lEvangile appelle ces petits innocents les enfants de Rachel, à cause du chef de cette tribu et du lieu de sa sépulture. Et pour marquer que cette plaie était cruelle et incurable, il ajoute: «Elle na point voulu se consoler parce quils ne sont plus. » Nous apprenons encore ici ce que jai déjà dit, que nous ne devons jamais nous troubler, lorsquil nous arrive des choses contraires aux promesses que Dieu nous a faites. Car aussitôt que Celui qui venait pour sauver son peuple, ou plutôt toute la terre, est né, considérez par quelles épreuves il commence un si grand oeuvre. Sa mère senfuit, son pays tombe dans la dernière affliction, on fait un carnage denfants le plus lamentable quon eût jamais vu, et on nentend de toutes parts que les pleurs, les soupirs et les cris des mères désespérées. Cependant ne vous troublez point. Dieu dordinaire accomplit ses desseins par des voies qui leur semblent tout opposées, pour nous faire admirer davantage sa toute-puissance. Cest ainsi quil a formé ses disciples, les préparant à de grandes actions par des moyens qui semblent tout contraires à ce dessein, afin que ce miracle parût plus grand. Car en souffrant les fouets, les exils et mille autres maux, ils sont devenus les maîtres de ceux même qui les ont traités de cette sorte. 4. « Depuis, Hérode étant mort, un ange du « Seigneur apparut aussitôt en songe à Joseph qui était en Egypte (19). Et lui dit : Levez-vous et prenez lenfant et sa mère et allez dans la terre dIsraël (20).» « Et Joseph sétant levé, prit lenfant et sa mère, et sen vint en la terre dIsraël (21).» Lange ne dit plus ici: «Fuyez, » mais, « allez. »Vous voyez encore que le calme succède à lorage et que lorage revient après le calme. Car en quittant cette terre étrangère, il retourne dans son pays, où il apprend la mort funeste de ce meurtrier de tant denfants. Mais dès quil y est arrivé, il trouve encore un reste de ses précédents périls, le fils du tyran était vivant et régnait en Judée. « Mais ayant appris quArchélaüs régnait en Judée à la place dHérode son père, il appréhenda dy aller, et ayant été averti en songe de la part de Dieu, il se retira au pays de Galilée (22). » Mais comment Archélaüs régnait-il dans la Judée, puisquil est dit dans lEvangile que Ponce-Pilate en était gouverneur? Il ny avait pas longtemps quHérode était mort et son royaume nétait pas encore divisé en plusieurs parties. Donc pour un temps Archélaüs régnait au lieu dHérode, qui est appelé son père, pour le distinguer dun autre Hérode, fils de ce premier et frère dArchélaüs. Mais, dira quelquun, si Joseph craignait daller en Judée à cause dArchélaüs, il devait craindre aussi la Galilée à cause dHérode son frère, et fils du tyran. Je réponds que Joseph se mettait suffisamment à couvert de ce quil pouvait craindre, en ne demeurant point dans la Judée; parce que toute la fureur dHérode était tombée sur Bethléem, et sur le pays dalentour. Archélaüs croyait quaprès ces sanglantes précautions il ny avait plus rien à craindre; et que cet enfant quon cherchait seul, avait été tué avec les autres. Dailleurs après avoir vu son père finir sa vie comme il lavait finie, il devait craindre de continuer ses excès, et de lutter avec lui de cruauté. « Et il vint demeurer en une ville appelée Nazareth, afin que ce qui avait été dit par le prophète fût accompli : Il sera appelé Nazaréen; » Joseph vient à Nazareth, pour éviter le péril, et pour revoir son pays qui lui était cher; et pour le faire avec plus de sûreté, il en reçoit lordre dun ange. Saint Luc ne dit point que Joseph soit allé là par le commandement de lange: mais seulement que la purification (70) de la Vierge ayant été accomplie, ils sen retournèrent à Nazareth. Que dirons-nous pour concilier ces deux évangélistes, sinon que le retour à Nazareth dont parle saint Luc, précéda la fuite en Egypte: Car Dieu ne leur commanda pas daller en Egypte avant la purification, de peur que la loi ne fût violée en quelque chose; mais cette cérémonie une fois accomplie, ils retournèrent deux-mêmes à Nazareth, où ils reçurent lordre de fuir en Egypte. Et ce fut au retour de ce bannissement que lange leur ordonna de demeurer en Nazareth, où ils étaient retournés deux-mêmes la première fois, par le plaisir quils avaient de demeurer en leur pays. Comme ils nétaient venus à Bethléem que pour obéir au commandement de lempereur, sans y trouver presque de lieu pour sy loger : aussitôt ils sen retournèrent à Nazareth; cest pourquoi lange au retour de lEgypte pour les mettre plus en repos, les renvoie encore en leur pays. Ce qui ne se fait pas sans une grande raison, puisque les- prophètes lavaient prédit: « Afin daccomplir, » dit lEvangile, « ce qui avait été prédit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen. » Quel est le prophète qui a dit cela? Ne soyez point en ceci trop curieux ni trop pointilleux. Car il y a beaucoup de prophéties qui se sont perdues, comme on en peut juger par le livre des Paralipomènes. La négligence et la paresse des Juifs a laissé perdre beaucoup de livres saints, comme leur impiété en a brûlé et détruit un grand nombre. Le prophète Jérémie se plaint de leur impiété; et leur négligence est attestée dans le quatrième livre des Rois, où il est marqué quaprès un long temps on eut peine à trouver le livre du Deutéronome, qui avait été caché en terre, et dont les caractères étaient presque effacés. Si lorsque leur pays était en paix, ils ont laissé périr ces livres si saints: combien lauront-ils fait davantage au milieu de tant dirruptions des peuples étrangers? Rien nest plus certain, les prophètes avaient prédit que Jésus-Christ serait appelé Nazaréen, » et cest pourquoi les apôtres lui donnent souvent ce nom. Les Juifs étaient donc excusables, me direz-vous, de ne pouvoir comprendre la prophétie de Bethléem? Nullement. Cétait au contraire cela même qui devait exciter leur curiosité, ils auraient dû chercher à concilier entre eux des oracles qui paraissaient se combattre. Cest le nom de Nazareth qui détermina Nathanaël à senquérir de Jésus, et il vint disant: «Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth? » (Jean, I, 46.) Car ce lieu était petit et méprisable; et non-seulement ce lieu, mais tout le pays de la Gaulée. Cest pourquoi les Pharisiens dirent à Nicodème : « Lisez bien lEcriture, et vous trouverez quil ne doit point sortir de prophète de la Galilée. » (Jean, VII,12.) Cependant Jésus-Christ ne rougit point dêtre appelé de ce nom, pour nous faire voir quil na nul besoin de tout ce qui paraît grand selon les hommes. Il choisit ses apôtres eu Galilée, pays méprisé des Juifs, pour ôter toute excuse aux personnes lâches, et pour leur apprendre que rien de tout ce qui est extérieur ne leur peut nuire, sils sappliquent sérieusement à la vertu. Cest pourquoi le Fils de Dieu na point voulu avoir de maison qui fût à lui : « Le Fils de lhomme, » dit-il, « na pas où reposer sa tête. » (Matth. VIII, 20.) Cest pour ce même sujet quil senfuit lorsquHérode le veut tuer; quétant né il est mis dans une crèche; quil demeure dans une hôtellerie, et quil choisit une mère pauvre pour nous accoutumer à ne point rougir de toutes ces choses; pour nous apprendre, dès son entrée en ce monde, à fouler aux pieds tout lorgueil du siècle, et à ne rechercher que les biens de lâme qui sont les vertus? 5. Pourquoi, semble-t-il nous dire, être si fier de votre patrie, puisquen quelque lieu de la terre que vous soyez, je vous commande dy demeurer comme un étranger; puisque si vous mobéissez, vous pouvez devenir si grand, que tout le monde ensemble ne sera pas digne de vous? Pouvez-vous estimer ces choses, après que les philosophes païens les ont si méprisées, et quil les ont considérées comme étant hors de nous, et comme ne devant tenir que le dernier rang dans les biens du monde? Cependant saint Paul, dites-vous, ne rejette pas ces avantages, lorsquil dit : « Quant à lélection divine Dieu les aime, à cause des « patriarches qui sont leurs pères. » (Rom. XI, 28.) Mais considérez je vous prie, à qui saint Paul parle; et de qui il parle, et en quel temps. Il écrit à des païens, qui, devenus fidèles, senorgueillissaient de leur foi, traitaient les Juifs avec mépris , et les voulaient comme retrancher du rang des fidèles. Cest pourquoi saint Paul tâche de réprimer leur orgueil, et dexciter en même temps les Juifs à la foi, et de les encourager à embrasser le culte de (71) Jésus- Christ. Mais lorsquil parle des plus grands hommes de lAncien Testament, voyez ce quil en dit: « Ceux, » dit-il, « qui parlent de la sorte font bien voir quils cherchent leur patrie. Que sils avaient dans lesprit celle doù ils étaient sortis, ils auraient eu assez de temps pour y retourner; mais ils en désirent une meilleure, qui est la patrie céleste. » (Hébr. II, 14,15.) Et un peu auparavant: « Tous ceux-ci sont morts dans la foi « nayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis; mais les voyant et comme les «saluant de loin. » (Ibid. 13.) Saint Jean dit aussi à ceux qui venaient à son baptême: « Ne dites point: Nous avons Abraham pour père. » (Luc, III, 2.) Et saint Paul: « Tous ceux qui sont dIsraël ne sont pas Israélites, et les enfants de la chair ne sont pas les enfants de Dieu. » (Rom. IX, 6.) Quel avantage ont tiré les fils de Samuel davoir été les enfants dun tel père, sans être les héritiers de sa vertu? De quoi a-t-il servi aux enfants de Moïse de lavoir eu pour père, puisquils ont dégénéré de son zèle? Cest pourquoi ils ne furent point les successeurs de son autorité après sa mort, parce quils sétaient contentés dêtre ses enfants de nom; et le gouvernement du peuple passa aux mains dun autre qui était son fils, non par sa naissance, mais par sa vertu. Timothée était fils dun païen, en quoi son origine lui a-t-elle nui? Quel gain le fils de Noé a-l-il retiré de la vertu de son père, puisque de libre quil était, il na pas laissé de devenir esclave? Illustre exemple qui prouve que la noblesse du père ne suffit pas toujours à préserver le fils de toute déchéance; le déréglement de la volonté prévalut alors sur la loi de la nature, et non-seulement priva ce fils coupable des avantages de sa naissance, mais lui fit perdre jusquà la liberté. Esaü nétait-il pas aussi fils dIsaac, et chéri très particulièrement de son père? Isaac ne voulait-il pas lui donner sa bénédiction comme à son aîné; ce qui portait aussi Esau à lui complaire en toutes choses? Cependant parce quil était méchant, ces avantages ne lui servirent de rien. Quoique la nature lui eût donné le droit daînesse, et que son père voulût le lui conserver, il perdit tout, parce quil navait pas Dieu pour lui. Mais, pour ne point parler davantage de quelques particuliers, les Juifs ont été les enfants de Dieu, et cependant ce titre si glorieux leur a été inutile. Si donc ceux mêmes qui deviennent enfants de Dieu, à moins que de répondre à la dignité dune si haute naissance, en sont encore punis davantage: comment pouvez-vous vous vanter de la noblesse de vos pères et de vos ancêtres? Ce que je dis nest pas moins vrai dans le Nouveau que dans lAncien Testament: « Tous ceux qui lont reçu, » dit saint Jean, « ont eu de Dieu la puissance de devenir les enfants de Dieu. » (Jean, I, 12.) Cependant saint Paul déclare que cette divine adoption sera inutile à plusieurs dentre eux, lorsquil dit : « Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien. » (Gal. V, 2.) Que sil ne sert de rien dêtre à Jésus-Christ à ceux qui ne veillent pas à la garde de leurs âmes, de quoi leur pourra-t-il servir dêtre nés dun homme? Ne soyons donc orgueilleux ni de notre naissance, ni de nos richesses, et méprisons ceux qui ont cet orgueil. Ne soyons pas honteux dêtre pauvres, travaillons à devenir riches en bonnes oeuvres. Fuyons cette pauvreté, qui est la compagne des vices, et qui réduisit à une si extrême indigence le riche de lEvangile. Car il ne put pas seulement obtenir une goutte deau, quoiquil la demandât avec tant dinstance. Quel est lhomme parmi nous qui soit aussi pauvre que ce riche létait alors? Ceux-mêmes qui meurent de faim ont au moins de leau, et non seulement par gouttes, mais en abondance, sans parler des autres soulagements. Mais ce mauvais riche est pauvre, jusquà navoir pas même cette goutte quil demande; et ce qui est encore plus horrible, jusquà navoir pas le moindre soulagement dans ses maux. Pourquoi avons-nous tant davidité pour les richesses, puisquelles ne peuvent nous faire acquérir le ciel? Si un roi de La terre déclarait que nul dentre les riches ne serait en honneur dans sa cour, et ny aurait aucune charge, tout le monde ne renoncerait-il pas aux richesses? Quoi ! le danger dêtre mal à la cour dun prince, nous rendrait les richesses méprisables ; et quand le roi du ciel nous crie tous les jours: « Quil est difficile quun riche entre dans les cieux, » nous hésitons, et nous ne renonçons pas à tout, pour pouvoir entrer avec confiance dans ce royaume éternel? 6. Après cela serons-nous excusables damasser ainsi avec tant dardeur ce qui ne peut servir quà nous fermer la porte du ciel? Mais (72) nous namassons pas seulement cet argent dans nos coffres, nous le cachons encore dans la terre, lorsque nous pourrions le donner à Dieu, qui nous le conserverait pour lautre vie? Nêtes-vous pas semblables à un laboureur, qui ayant reçu du blé pour le semer dans une terre bien préparée, le jetterait dans un lac où il périrait aussitôt, bien loin dy pouvoir porter aucun fruit? Mais que disent ces personnes, lorsque nous leur faisons ce reproche? Ce nest pas pour nous une petite consolation, disent-elles, de voir chez nous ces trésors en assurance. Cest au contraire une grande consolation de savoir quon na point de trésor à garder chez soi. Car si vous ne craignez plus la famine, vous ne pouvez néanmoins éviter dautres craintes plus fâcheuses; la mort, la guerre, et les violences secrètes de vos ennemis. Sil arrive une famine, le peuple, pressé par le besoin, viendra à main armée envahir votre demeure. Ainsi vous contribuez vous-même par votre avarice à affamer toute une ville, et vous exposez votre maison à un plus grand mal que nest celui que la faim et la pauvreté vous auraient pu faire. Je nai point encore ouï dire de notre temps, que quelque pauvre soit tout à coup mort de faim. Il y a une infinité de remèdes contre ce mal. Mais je puis faire voir combien de personnes ont été tuées, ou en secret ou en public, pour leurs biens et leurs richesses, ou pour des sujets semblables. On en voit mille. exemples dans les rues, dans les places publiques, et dans les, lieux même où lon exerce la justice. Toute la terre en est pleine. Mais que dis-je, toute la terre? La mer même est très souvent teinte du sang de ceux qui, y vont chercher des richesses. Tel sexpose sur la mer pour chercher de lor, qui y trouve un pirate qui le tue pour avoir cet or. Ainsi le même désir des richesses, qui fait lun marchand, fait lautre pirate et homicide. Quy a-t-il donc de plus perfide que largent, puisquil engage tant de monde, ou à des bannissements volontaires; ou à des périls extrêmes, ou à des morts sanglantes et malheureuses ? « Qui aura compassion, » dit lEcclésiaste, «de lenchanteur qui est mordu dun serpent? »(EcclXXII, 13.) Il faudrait au moins que la connaissance quont les hommes de la cruelle domination de lavarice, les empêchât de sy soumettre, et les délivrât dune passion si violente et si tyrannique. Mais comment cela se peut-il faire, me dites-vous? Vous le ferez si vous substituez à cet amour de lor, un autre amour, le désir des choses du ciel. Celui qui soupire après ce royaume, se rit de la passion de lavarice. Le véritable serviteur de Jésus-Christ ne sera jamais lesclave, mais le maître de largent. Car pour lordinaire largent poursuit qui le fuit; et fuit qui le cherche. II respecte moins celui qui le souhaite que celui qui le méprise. Il se moque de celui qui court après lui; et non-seulement il sen moque, mais il le charge de mille chaînes. Rompons, mes Frères, ces fers si pesants. Pourquoi asservissez-vous une âme raisonnable à une matière morte et sans raison, qui est la mère de mille maux? Mais, ô folie inconcevable des hommes ! nous faisons la guerre à lavarice en paroles, et elle nous assujétit en effet. Elle nous traîne partout après elle comme des âmes vénales; et comme des esclaves quelle a achetés avec de largent. Y a-t-il rien au monde de plus honteux et de plus infâme pour des chrétiens? si nous ne pouvons pas nous élever au-dessus dune matière sans âme et sans mouvement, comment pourrons-nous vaincre ces puissances spirituelles qui nous attaquent? Si nous ne pouvons mépriser un peu de terre, et quelques petites pierres qui ont de léclat; comment nous assujétirons-nous les principautés et les puissances? Comment pourrons-nous pratiquer la chasteté, si nous ne pouvons résister à lavarice? Si léclat de largent nous fasciné, comment résisterons-nous à lattrait dun beau visage? Il y en a même qui sont tellement passionnés pour largent, quils ne peuvent le regarder sans en être transportés, et quils disent en plaisantant « que la vue de lor est la joie des yeux. » Ne faites pas de ces plaisanteries, ô homme. Rien au contraire nest plus pernicieux pour les yeux du corps et de lâme, quun regard de convoitise jeté sur largent. Cest un tel regard qui a éteint les lampes des vierges folles, et qui les a exclues de la chambre de lépoux. Cette vue de lor que vous dites être si agréable aux yeux, est ce qui a aveuglé Judas, qui lui a fermé le coeur pour ne pas se rendre à la voix de son maître; qui la contraint de se tuer et de se perdre lui-même; et qui a fait tomber en même temps ses entrailles sur la terre, et son âme dans lenfer. (73) Quy a-t-il de plus funeste que cette passion? Quy a-t-il de plus dangereux? Je ne parle point de la matière même de lor, je ne parle que du désir furieux quont les hommes de le posséder. Cest cette , passion qui rougit si souvent la terre du sang des hommes, qui la remplit de meurtres; et qui est plus cruelle que les bêtes les plus farouches. Car elle met en pièces tous ceux quelle possède, et ce qui est effroyable, elle les déchire sans quils le sentent. Nous devrions, lorsque nous sommes exposés à ses violences, tendre la main à ceux qui passent, et les appeler à notre secours, et nous nous tenons au contraire heureux de ce quelle nous dévore, et nous aimons ses blessures, ce qui est le comble de tous les maux. Pénétrons-nous donc de ces vérités si utiles; fuyons cette maladie incurable ; guérissons ces morsures envenimées; et retirons-nous bien loin dune peste si dangereuse: afin de pouvoir mener ici une vie tranquille, et obtenir un jour les trésors du ciel par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui est au Père, ainsi quà lEsprit-Saint la gloire, la force, et lhonneur maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen. |