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HOMÉLIE LXXII.« ALORS JÉSUS PARLA AU PEUPLE ET A SES DISCIPLES, ET LEUR DIT : LES DOCTEURS DE LA LOI ET LES PHARISIENS SONT ASSIS SUR LA CHAIRE DE MOÏSE. OBSERVEZ DONC ET FAITES TOUT CE QUILS VOUS ORDONNERONT DE FAIRE, MAIS NE FAITES PAS CE QUILS FONT. CAR ILS DISENT CE QUIL FAUT FAIRE, ET NE LE FONT PAS ». (CHAP. XXXIII, 1, 2, 3, JUSQ UAU VERSET 43.) ANALYSE 1. LOrateur fait remarquer que le nom de Loi est quelquefois appliqué dans lEcriture à tout lAncien Testament. La Loi ne perd aucun de ses droits sur les âmes par la perversité de ceux qui lenseignent. Rien de plus misérable quun docteur qui ne prêche point lexemple. 2. Hypocrisie des pharisiens. De leurs phylactères quils portaient plus larges que les autres. 3 et 4. Il ny a quun seul Maître qui est le Christ. Sortie contre les anoméens. De lexcellence de la vie des solitaires. De leur extrême humilité. Combien elle est égale et uniforme. Combien leur exemple nous doit inspirer dhorreur pour le faste du monde.
1. Quest-ce à dire « alors » ? cest-à-dire lorsquil eut dit ce qui précède; lorsquil eut fermé la bouche à tous ses contradicteurs; lorsquil les eut confondus et réduits à ne plus oser le tenter par leurs questions insidieuses lorsquil a fait voir que leur malice était sans remède. Après avoir tiré cette parole du psaume : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur», il en appelle encore à la Loi; et il ny a pas lieu de sen étonner, en effet, bien que la loi ancienne neût point marqué aux Juifs quil y eût deux personnes en Dieu, et quelle les assure souvent quil ny a quun seul Dieu, il suffisait néanmoins que David le leur eût appris, puisque lEcriture même comprend quelquefois par ce nom de « Loi», toute létendue de lAncien Testament. Enfin, il leur témoigne ici quel estime il fait de la loi de Moïse, en obligeant le peuple de la respecter dans la bouche de ses plus grands ennemis. Jésus-Christ voulait montrer par toutes ces paroles quil est dans une union parfaite avec son Père; puisque sil pouvait lui être opposé en quelque chose, il leût fait paraître en parlant contre la loi. Cependant il témoigne ici, avoir pour elle une, si grande déférence, que quelle que soit la corruption de ceux qui lenseignent, il veut néanmoins que ceux à qui elle est annoncée, la pratiquent et quils lui obéissent très-fidèlement. Il sétend ensuite à parler des pharisiens et de leur conduite, parce que la principale cause qui les empêchait de croire en lui , cétait le déréglement de leurs moeurs et leur passion pour la vaine gloire. (560) Voulant donc ici former les peuples qui lécoutaient, il commence par un avis très-considérable et très-important pour leur salut, en leur défendant de mépriser leurs maîtres, et de sélever contre les ministres de Dieu qui leur annonçaient sa Loi. Il ne se contente pas de leur recommander si particulièrement ce point. Il le pratique lui-même, puisquil ne prive pas du pouvoir denseigner ces pharisiens qui en étaient si peu dignes. Il attire ainsi sur eux une condamnation encore plus sévère, et il ôte à leurs disciples tout prétexte de désobéissance. Il ne veut pas quils puissent dire : Le maître qui minstruit est tout corrompu lui-même, et je ne puis me résoudre à lécouter, ni à pratiquer ce quil me dit. Il commande à ses disciples de leur obéir quels quils soient. Il établit tellement ces personnes dans la dignité quils possédaient, que, quelque méchants quils fussent, il ne laisse pas, après ces reproches quil leur fait, de dire à ses disciples : « Faites tout ce quils vous diront », parce quils ne disent rien deux-mêmes, mais seulement ce que Dieu a commandé par Moïse. Mais considérez ici quelle déférence Jésus-Christ a pour Moïse, et combien il témoigne partout lunion de lEvangile avec la Loi. Il dit quon doit honorer ces prêtres, à cause de la Loi de Dieu quils annoncent : « Ils sont», dit-il, « assis sur la chaire de Moïse ». Ne pouvant les honorer ni les rendre vénérables par eux-mêmes, et par la sainteté de leur vie, il veut néanmoins quon les respecte à cause de ce siége dhonneur dans lequel ils sont assis, et de cette doctrine sainte quils enseignent. Ce mot, « faites tout », nenferme pas généralement « tout » ce qui est dans la Loi, comme ce qui regarde les viandes, les sacrifices et les autres cérémonies. Car comment aurait-il établi ici ce quil a détruit ailleurs? Mais il entend seulement par ce mot, tout ce qui regarde le règlement de notre vie, et tout ce qui peut saccorder avec la loi nouvelle, sans nous accabler des fardeaux insupportables de lancienne. Vous me direz peut-être : Pourquoi le Fils de Dieu ne donne-t-il pas cette autorité plutôt aux ministres de la loi de grâce, quaux ministres de la loi de Moïse? Cest parce quil nétait pas encore temps de révéler ces mystères avant sa mort. Outre quil avait encore une autre raison particulière dagir de la sorte. Comme il allait les accuser de beaucoup de crimes, il veut dabord ôter aux personnes les plus simples, tout sujet de croire quil se portait à ces reproches par un secret désir de leur ministère, ou par quelque mouvement de haine et denvie. Il prévient dabord ce soupçon afin davoir ensuite plus de liberté de les reprendre. Mais pourquoi les condamne-t-il avec tant de force? Cétait pour avertir le peuple de ne point tomber avec eux dans le précipice, en imitant leur mauvaise vie. Car il y a bien de la différence entre montrer simplement le mal quon doit éviter, ou en montrer les dangereuses suites, par le malheur de ceux qui y sont déjà tombés, comme il y a bien de la différence entre donner dexcellents avis aux hommes pour les porter à quelque vertu, ou leur en montrer lavantage dans lexemple de ceux qui sy sont rendus habiles. Jésus-Christ dit dabord à ses disciples : « Ne faites pas ce que vous leur voyez faire », afin quils ne pussent conclure que, puisquils les devaient écouter, ils devaient aussi les imiter. Ainsi, lhonneur quil les oblige de rendre à ces maîtres corrompus tourne à leur confusion, puisquil condamne les déréglements de leur vie, et quil assure quon ne peut les imiter sans se perdre. Cest donc là la principale cause pour laquelle il les accuse ici de leurs désordres avec tant de véhémence, li voulait faire voir combien ils étaient opiniâtres et rebelles à la lumière, et montrer par avance que la croix sur laquelle ils devaient lattacher ensuite, bien loin dimprimer quelque tache à son innocence, serait la preuve et leffet de leur incrédulité et de leur audace. Considérez, mes frères, quelle est la première chose que le Sauveur blâme en eux, et qui est comme le surcroît de toutes leurs autres fautes : « Ils disent ce quil faut faire, et ne le font pas ». Quiconque viole la Loi est coupable, mais personne ne lest davantage que celui qui doit instruire les autres. Car il commet une double et une triple faute dans un seul crime. Premièrement, il viole la Loi; secondement, ayant été établi en autorité pour régler les autres, il se dérègle lui-même. Ce qui le rend beaucoup plus coupable. Troisièmement, comme sa dignité le rend vénérable, son exemple fait beaucoup plus dimpression sur les esprits, et le mal quil fait se communique bien plus aisément aux autres. Jésus-Christ reprend ensuite en eux la dureté quils témoignent envers ceux qui leur (561) sont soumis. « Ils lient des fardeaux. pesants et quon ne saurait porter, ils les mettent sur les épaules des hommes, et ils ne voudraient pas les avoir remués du bout du doigt (4) ». Ces paroles enferment un double reproche, et font voir une double malignité dans les personnes que le Sauveur accuse. La première est cette sévérité avec laquelle ils exigeaient une si grande perfection de ceux quils conduisaient; et la seconde est leur mollesse propre, et la liberté quils prenaient de vivre comme il leur plaisait. Ce sont deux conditions entièrement opposées à celles que doit avoir un véritable pasteur, qui doit être comme un juge sévère et inflexible à légard de lui-même, et qui doit être en même temps plein de douceur et de charité pour ceux quil gouverne. Les pharisiens, au contraire, se conduisaient tous dune manière tout opposée. Ils réduisaient tout leur devoir à faire de beaux discours et à parler beaucoup aux hommes. Ils navaient de vertu quen paroles. Ainsi , ils étaient durs et impitoyables envers tout le monde, parce quils navaient pas lexpérience de cette doctrine toute sainte, qui sapprend par laction et par la pratique. 2. Ce déréglement, déjà si considérable par lui-même, ajoutait encore une nouvelle gravité au crime que le Sauveur vient de reprendre en eux: « Ils disent ce quil faut faire, et ne le font pas» : et la manière dont Jésus-Christ lexprime est bien remarquable. Car il ne dit pas: ils ne peuvent, mais « ils ne veulent pas » , non porter ou traîner ces fardeaux, mais « les remuer du bout du doigt », cest-à-dire nen pas même approcher pour les toucher. Ils ne sont forts et courageux que pour faire ce qui leur est défendu, « car ils font toutes leurs actions afin dêtre vus des hommes (5) ». Jésus-Christ leur reproche par ces paroles leur ambition et leur orgueil qui les a perdus. Il avait repris en eux jusquà cette heure, des actions ou de cruauté, ou de paresse: mais maintenant ce quil y condamne principalement, cest cette passion furieuse pour la vaine gloire dont ils étaient possédés. Cest elle qui les a éloignés de Dieu, et qui leur a fait désirer de plaire aux hommes plutôt quà lui. Car chacun cherche à plaire aux juges quil a choisis. Si un athlète combat devant des hommes de coeur, il tâche de combattre vaillamment, afin de leur plaire. Que sil combat devant des lâches, il devient lâche lui-même. Un comédien, qui joue devant des personnes qui aiment à rire, fait tout ce quil peut pour les faire rire. Que si ces spectateurs sont graves et modérés, il affecte lui-même de la gravité afin de leur plaire. Mais remarquez encore combien Jésus-Christ accuse avec force dans les pharisiens la passion quils avaient dêtre loués. Car il ne dit pas quils font dans ce dessein quelques-unes de leurs actions; mais en général : « Quils font tout ce quils font » dans cette vue. Après quil leur a reproché ce désir si passionné pour la vaine gloire, il leur montre aussitôt leur folie, puisquils ne faisaient rien de grand qui méritât quelque louange, et quils senflaient des choses les plus viles et les plus méprisables, étant non-seulement ambitieux, mais létant encore dune ambition basse et honteuse. « Ils ont des bandes de parchemin, plus larges que les autres, et les franges de leurs vêtements plus longues (5) ». Examinons ici, mes frères, ce que voulaient dire ces « bandes» et ces «franges ». Dieu voyant que les Juifs oubliaient à tous moments les grâces quil leur avait faites, leur avait commandé décrire ses miracles sur de petites bandes de parchemin pour les pendre à leurs bras. Cest pourquoi il est dit dans le Deutéronome : « Ces merveilles que jai faites en votre faveur, ne seront jamais hors de votre vue ». (Deut. VI, 7.) Ils donnaient à ces petites bandes un nom qui marquait quils les portaient pour garder la loi. Cest ce que font encore aujourdhui plusieurs femmes chrétiennes qui pendent lEvangile à leur cou. Mais Dieu, voulant leur donner un autre moyen extérieur de conserver le souvenir de ses grâces, fit à légard des Juifs ce que font aujourdhui plusieurs personnes qui, craignant doublier les choses sattachent un filet au doigt pour sen faire comme une mémoire artificielle. Dieu, traitant les Juifs comme de petits enfants, leur commanda dattacher au bas de leur robe un ruban, ou une frange de couleur de pourpre, afin que partout où ils marcheraient, ils se souvinssent toujours des commandements de Dieu. Ils étaient extrêmement exacts dans ces observances extérieures, et ils mettaient leur vanité à porter des bandes plus larges, et des franges plus longues que les autres hommes. Mais pourquoi, ô pharisiens, étendez-vous ainsi ces bandes? Pourquoi affectez-vous de (562) porter des franges si longues? Mettez-vous la vertu dans un ruban? Dieu ne demande point de vous que vous agrandissiez ces bandes et ces rubans; mais que vous vous souveniez de ses grâces, et que vous en témoigniez de la reconnaissance par la droiture de votre vie. Que si Dieu nous défend de chercher de la gloire dans nos jeûnes, dans nos aumônes, et dans nos autres actions de piété, qui sont pénibles et laborieuses, comment vous, ô pharisiens, pouvez-vomis en rechercher dans des choses extérieures, qui vous reprochent au contraire votre peu de vertu et votre insensibilité aux faveurs de Dieu? Mais la vanité de ces hypocrites ne se terminait pas là; elle sétendait encore à dautres bassesses bien plus grandes. « Ils aiment les premières places dans les festins, et les premières chaires dans les synagogues (6). Ils aiment à être salués dans « les places publiques, et à être appelés maîtres par les hommes (7) ». Quoique ces choses paraissent petites, elles sont néanmoins la cause des plus grands maux. Et elles ont souvent attiré des malheurs effroyables sur des provinces entières et sur le royaume même de Jésus-Christ. Je ne puis retenir mes larmes, lorsque jentends parler de cet amour des préséances; de ce désir dêtre salué de tout le monde. Je repasse en moi-même combien de ruisseaux funestes, sortis de cette source, ont inondé ensuite lEglise. Mais ce nest pas maintenant le temps de sarrêter à déplorer ces malheurs; et les personnes un peu âgées, qui ont vu ce qui sest passé du temps de nos pères, nont pas besoin que je les en instruise. Remarquez ici, mes frères, que les pharisiens faisaient paraître davantage leur orgueil et leur vanité au lieu même où ils devaient être plus humbles et plus modérés, puisquils étaient obligés de témoigner plus de douceur et de modestie dans les synagogues., où ils nentraient que pour former leurs disciples à la vertu. Car, pour ce qui regarde « les premières places dans les festins », cela pouvait être plus excusable, quoiquil soit vrai que celui qui est établi pour régler et pour enseigner les autres, doit signaler sa vertu, non seulement dans lEglise, mais généralement dans tous les autres lieux où il se trouve. Comme lhomme en quelque endroit quil soit est toujours homme, et sans comparaison supérieur aux bêtes, il faut de même que celui qui est le maître et le conducteur des âmes, se fasse reconnaître partout pour ce quil est, soit quil parle ou quil se taise, soit quil soit à table ou ailleurs, et que sa démarche, son regard, son geste, toute sa contenance et sa modestie extérieure le distinguent de tous les autres. Les pharisiens, au contraire, se rendaient ridicules partout, et sexposaient à se faire moquer deux par tous les hommes, affectant ce quils devaient éviter, et recherchant ce quils devaient fuir : « Ils aiment », dit Jésus-Christ, « les premières places et les « premières chaires, ils aiment à être salués et à être appelés maîtres ». 3. Si cest un crime daimer ces choses, quel crime nest-ce pas de les rechercher avec tant dempressement? Jésus-Christ avait jusquici passé assez légèrement sur les autres abus des pharisiens qui ne pouvaient nuire à leurs disciples; et il sétait contenté de les condamner et de les blâmer; mais quand il sagit du désir des préséances et des dignités, ou de rechercher par ambition la chaire de vérité, pour instruire les hommes, le Fils de Dieu sy arrête davantage. Il ne se contente plus de blâmer et de condamner les excès de ce genre mais il donne à ses disciples des avis et des instructions toutes contraires à cette conduite. « Mais, pour vous, ne désirez point dêtre appelés maîtres, parce que vous navez tous quun Maître, et que vous êtes tous frères (8)», sans que lun dentre vous ait aucun avantage sur lautre, puisquil nest rien de lui-même. Cest ce qui fait dire à saint Paul : « Qui est Paul? Qui est Apollon? Qui est Céphas? Que sont- ils autre chose que des ministres»? (I Cor. III, 5.) Il ne dit pas : Que sont-ils autre chose que des docteurs ou des maîtres? « Et nappelez personne sur la terre votre père, parce que vous navez quun Père, qui est dans le ciel (9) ». Jésus-Christ ne leur fait point ce commandement, afin quils lobservent à la lettre, et quils ne donnent effectivement à personne le nom de père, mais afin quils sachent quel est celui quils doivent par excellence appeler leur «Père ». Car, comme il ny a point dhomme qui soit proprement maître, il ny en a point non plus qui soit proprement père. Dieu seul est essentiellement le Maître et le Père de tous les hommes, et cest lui qui forme tous ceux qui sont les maîtres et les pères de son Eglise. « Et ne vous faites point appeler docteurs, (563) parce que vous navez quun docteur qui est le Christ (10) ». Il ne dit pas « qui est moi», imitant encore cette conduite quil vient de garder, en disant : « Que vous semble du Christ? de qui doit-il être fils » ? Je demanderais volontiers ici à ceux qui, pour déshonorer le Fils de Dieu, disent si souvent du Père quil ny a quun Dieu; quil ny a quun Seigneur, si le Père nest pas aussi le Maître et le docteur des hommes? Y aurait-il un seul dentre eux qui osât nier cette vérité? Et cependant le Fils de Dieu dit « quil ny a quun docteur qui est le Christ ». Comme donc cette parole : « Il ny a quun Maître qui est le Christ», nexclut pas le Père, et ne veut pas dire quil ne soit pas aussi le Maître des hommes; de même cette parole : « Il ny a quun Seigneur, il ny a quun Dieu », qui est proprement dite du Père, nexclut pas non plus le Fils, et ne veut pas dire quil ne soit pas Dieu et Seigneur comme son Père. Car ces mots : « Il ny a quun Dieu, il ny a quun Seigneur », ne sont que pour distinguer Dieu, et le séparer des hommes et du reste des créatures. Après que Jésus-Christ a fait voir à ses apôtres la grandeur de cette maladie qui est si contagieuse, il leur apprend maintenant que cest par lhumilité quil faut la prévenir et y porter remède. Cest pourquoi il ajoute aussitôt : « Celui qui est le plus grand parmi vous sera votre serviteur « (14). Car, quiconque sélèvera sera abaissé, « et quiconque sabaissera sera élevé (12) » . Comme il ny a rien qui soit comparable à la vertu de lhumilité, Jésus-Christ a soin den parler souvent à ses disciples. Il le fait en cet endroit. Il le fit encore dans cette autre rencontre où il mit un enfant au milieu deux. Il le fit lorquen son sermon sur la montagne, il commença par cette béatitude « Bienheureux les pauvres desprit ». Mais il arrache ici comme la racine de ce vice, lorsquil dit « Quiconque sabaissera sera élevé». Je vous prie de remarquer encore ici ce que je vous ai souvent fait voir, que Jésus-Christ exhorte ses disciples à acquérir ce quils souhaitent, par une voie qui semble toute contraire. Il ne leur commande pas seulement de ne point désirer les premières places, mais il les porte même à rechercher la plus basse, et il les assure que cest le moyen- de posséder les premières quils souhaitaient. Parce quil faut nécessairement que celui qui veut être le premier, devienne le dernier de tous. « Celui qui sabaissera sera élevé ». Mais où trouverons-nous cette humilité? Il mest aisé de répondre à votre demande. Voulez-.vous, mes frères, que nous montions encore aujourdhui à cette ville bienheureuse, à cette demeure de saints, à ces montagnes et à ces vallées où habitent les vertus? Cest là que nous verrons lhumilité dans sa grandeur et dans son éclat. Car il y a dans ces troupes saintes des solitaires, qui, après avoir été autrefois dans les dignités du monde, dans les richesses et dans la magnificence, shumilient maintenant et se rabaissent en toutes choses, dans leur vêtement, dans leur cellule et dans-leurs emplois; et qui regardent lhumilité comme la lin générale où ils rapportent tout le reste. Tout ce qui allume le feu de lorgueil, les beaux habits, les splendides habitations, les nombreux domestiques, toutes ces choses qui nous engagent malgré nous dans la vanité, sont retranchées parmi eux, Ils vont eux-mêmes couper le bois dont ils ont besoin. Ils allument eux-mêmes leur feu. Ils font cuire eux-mêmes ce quils doivent manger, et ils servent eux-mêmes ceux qui les viennent voir. Nul en ce lieu, ni ne blesse un autre ni nen est blessé. Nul ne commande, et nul na besoin quon lui commande. Ils sont tous serviteurs les uns des autres. Ils sempressent de laver les pieds des hôtes qui les viennent voir. Chacun tâche de prévenir son frère dans ce devoir et ils ne disputent jamais quà qui sera le plus humble. On rend cet office de charité à un hôte quel quil soit, sans sinformer sil est pauvre ou sil est riche , sil est libre ou sil est esclave. On traite tout le monde indistinctement. Il ny a parmi eux ni grand ni petit. Tout y est égal. Il y a donc là, me direz-vous, une grande confusion. Nullement, mes frères, mais on y voit au contraire régner souverainement lordre et la paix. Personne ne considère ce quest son -frère, sil était noble, sil ne létait pas. Chacun se croit le dernier de tous, et devient grand en cela même quil aime à se mettre au-dessous des autres. 4. Il ny a quune seule table pour ceux qui servent et pour les autres que lon sert. Ce sont les mêmes viandes pour tous; les mêmes habits; les mêmes cellules; le même genre de vie. Celui dentre eux qui se porte aux petites choses avec plus dardeur, est celui qui (564) est le plus grand de tous. On nentend point dire là Ceci est à moi, cela est à vous. Ces paroles qui sont la source des divisions et des guerres, sont éternellement bannies de ces lieux. Et on ne doit pas sétonner quils naient tous quun même habit, quune même table et quune même nourriture, puisquils nont tous ensemble quune même âme, non parce quelle est dune même substance, ce qui est commun à tous les hommes , mais à cause de leur charité qui, les unissant tous, ne fait deux tous quun coeur et quune âme. Et comment une seule âme pourrait-elle sélever contre elle-même? On ne voit donc point là, comme parmi nous, ces différences de pauvres et de riches; ni ce discernement de personnes quon honore, et dautres que lon méprise. Cette parfaite égalité ne laisse parmi eux aucune entrée à la vaine gloire. Si lun y est grand et lautre petit, ce nest quen vertu, et lon na même aucun égard à ces différences. Celui qui est inférieur aux autres, ne se plaint point dêtre méprisé, parce quil ny a personne qui le méprise , et sil sen trouvait quelquun il en aurait de la joie, parce quils aiment à souffrir les mépris et les injures. Cest à quoi ils sappliquent sans cesse à sanéantir et à shumilier, non-seulement dans leurs paroles, mais encore plus dans leurs actions. Ils aiment à manger avec les pauvres et les personnes les plus méprisables. Leur table est tous les jours environnée de ces sortes dhôtes, et cest ce qui les rend dignes du ciel. Lun y panse les plaies des blessés, lautre sert de guide à un aveugle, lautre porte celui qui a la jambe rompue. Il ny a point là de flatteurs. On ny sait pas même ce que cest que de flatter; et comme tout est égal entre eux, il ne sy peut mêler aucune envie. Ainsi, ceux qui entrent parmi ces saints, y apprennent aisément la vertu, et à devenir humbles à leur exemple sans quon les contraigne à shumilier devant les autres. Car comme on arrête plus aisément laudace dun homme superbe en lui cédant quen lui résistant, et que la modération dun autre est une grande instruction pour lui, ainsi rien nest plus propre pour guérir dans une âme la plaie de la vaine gloire, que de voir des personnes qui nont pour elle que de laversion et du mépris. Cest ce qui se pratique admirablement dans ces lieux. On voit autant dardeur pour fuir ou pour quitter les premières places et ces rangs dhonneur, que nous en voyons ailleurs pour y arriver. On y aime, non à se faire honorer, mais à honorer les autres. Les ouvrages mêmes des solitaires et les occupations où ils semploient, les portent encore à lhumilité et étouffent en eux tous les mouvements de la vaine gloire. Car, qui peut devenir superbe en bêchant la terre, en arrosant des herbes, en faisant des paniers dosier, et dautres choses semblables? Comment pourraient-ils sélever dans leur coeur, en souffrant comme ils font la pauvreté, la faim, la soif, et toutes les autres nécessités de la vie? Ainsi, lhumilité , comme je viens de le dire , est parmi eux une vertu bien aisée. Il est très-difficile de ne devenir pas superbe parmi les louanges et les applaudissements des hommes; il est facile au contraire de devenir humble parmi des choses si basses, et dans le fond dun désert. Cest là quon traite avec Dieu seul à seul. On na pour compagnie que soi-même. On ny voit quun oiseau qui vole; quun arbre qui est agité des vents; quun ruisseau qui coule le long dune vallée. Par où donc lorgueil attaquerait-il un homme dans une si profonde solitude? Ce nest pas néanmoins que nous soyons excusables au milieu des villes de nous laisser aller à cette passion. Abraham vivait au milieu des chananéens et ne laissait pas de dire à Dieu : «Je ne suis que terre et que cendre». (Gen. XVII, 29.) David était dans la cour et dans les armées, et cependant il disait: « Pour moi, je suis un vermisseau et non un homme ». (Ps. XXI, 6.) Saint Paul vivait au milieu des hommes, et cependant il était assez humble pour dire : « Je ne suis pas digne dêtre « appelé apôtre ». (I Cor. XV, 9.) Après tant dexemples, mes frères, comment serions-nous excusables dêtre encore si superbes et si vains? Nest-il pas vrai que si ces hommes admirables doivent être comblés de gloire parce quils ont donné les premiers lexemple dune si haute vertu, et que nous serons, nous, exposés aux plus grands supplices pour ne lavoir pas suivi, pour lire leurs actions sans les imiter, pour admirer leur humilité, sans devenir humbles? Que nous restera-t-il pour excuser une si grande dureté? Direz-vous que vous ne pouvez lire lEcriture pour y apprendre quelle a été la vertu de ces saints hommes? Cest déjà (565) une grande faute de navoir pas soin de vous en instruire dans lEglise, où vous devriez venir puiser sans cesse ces eaux si saintes et si salutaires. Mais si vous ne pouvez apprendre les vertus de ces anciens serviteurs de Dieu, ne pouvez-vous pas avoir au moins celles des saints qui vivent encore? Je nai personne qui my mène, dites-vous. Venez me trouver, je vous y mènerai moi-même. Venez avec moi pour apprendre des choses qui vous toucheront et qui vous édifieront. Ces solitaires sont comme des lampes qui éclairent toute la terre. Ce sont comme des remparts qui vous serviront de défense. Ils ont recherché les déserts pour vous apprendre à mépriser le monde. Il faut être fort pour trouver le calme au milieu de la tempête. Mais pour vous qui êtes faibles, vous avez besoin de repos après cette agitation continuelle où vous expose lengagement que vous avez dans le monde. Allez donc, mes frères, voir souvent ces saints, afin que leurs prières et leurs exhortations servent à vous purifier des taches du siècle, et quen purifiant votre vie de plus en plus, vous vous mettiez en état de jouir des biens de ce monde et de lautre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit est la gloire et lempire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |