Matthieu 3,7-12
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HOMÉLIE XI

«MAIS JEAN VOYANT PLUSIEURS DES PHARISIENS ET DES SADDUCÉENS QUI VENAIENT A SON BAPTÊME, IL LEUR DIT : RACE DE VIPÈRES, QUI VOUS A AVERTIS DE FUIR DEVANT LA COLÈRE, QUI EST PRÊTE A TOMBER SUR VOUS? » ETC. (CHAP. III, 7, JUSQU’AU verset 12)

ANALYSE

1. Pourquoi saint Jean-Baptiste s’indignait contre les pharisiens.

2. Ne dites pas : Nous avons Abraham pour père.

3. La crainte conduit à la pénitence.

4. L’efficace de la grâce. — Gratiae tò àxatextou.

5. et 6. Prédication de saint Jean-Baptiste, effrarante et rassurante à la fois.

7. et 8. Combien on doit craindre les supplices dont Dieu nous menace. – Comment il faut régler toute sa vie, et graver dans son coeur les vérités de l’Evangile.

 

1. Comment s’accordent ces paroles avec ce que Jésus-Christ dit que les Juifs n’avaient point cru saint Jean? C’est parce que c’était ne pas croire saint Jean, que de ne vouloir pas recevoir Jésus-Christ qu’il annonçait. C’est ainsi que bien qu’ils parussent écouter extérieurement Moïse et les prophètes , il les accuse néanmoins de ne pas leur obéir; parce qu’ils ne voulaient pas croire en celui dont ils avaient prédit l’avènement: « Si vous croyiez à Moïse, » leur dit-il, «vous croiriez aussi en moi. » (Jean, V, 46.) Et lorsqu’il leur demandait d’où était le baptême de Jean, ils disaient entre eux: « Si nous disons qu’il est de la terre, nous craignons le peuple: et si nous disons qu’il est du ciel, il nous dira; pourquoi ne l’avez-vous donc pas cru? » (Matth. XXI, 26.) D’où nous pouvons conclure qu’ils vinrent bien écouter Jean, et qu’ils reçurent son baptême, mais qu’ils, ne crurent point à ses prédications. L’évangéliste saint Jean montre encore clairement quelle était leur malignité, lorsqu’ils députèrent vers le saint précurseur pour lui demander s’il était Elie, ou s’il était le Christ : et c’est pour ce sujet qu’il marque, que « ceux qui lui avaient été envoyés étaient des pharisiens. » (Jean, I, 24.)

Mais le peuple, me dites-vous, ne croyait-il pas que saint Jean était le Messie? Il est vrai, il le croyait; parce qu’il l’écoutait dans une grande simplicité de coeur et d’esprit. Mais les pharisiens au contraire, en feignant d’avoir de lui cette opinion, voulaient lui dresser un piège pour le surprendre. Comme ils savaient certainement que le Christ devait venir de la ville du roi David, et qu’il était constant d’ailleurs que saint Jean venait de la tribu de Lévi, ils lui firent cette demande avec le dessein artificieux de tirer de lui quelque réponse compromettante dont ils se serviraient pour l’accuser. La suite de leurs demandes fait assez voir qu’ils avaient cette pensée. Car Jean ne leur confessant rien de ce qu’ils s’étaient imaginé, ils trouvent aussitôt un autre sujet de l’accuser, lorsqu’ils lui disent : « Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n’êtes ni le Christ, ni Elie, ni prophète ? » (Jean I, 25.)

L’évangéliste nous fait encore assez voir que le peuple et les pharisiens venaient trouver saint Jean dans une disposition bien différente, lorsqu’il marque que le peuple venait à lui pour être baptisé en s’accusant de ses péchés, et qu’il ne dit rien de semblable touchant les pharisiens. Jean, dit-il, voyant que beaucoup de scribes et de pharisiens venaient à son baptême, leur dit: « Race de vipères, qui vous a avertis de fuir devant la colère, qui est prête à tomber sur vous?» O courage prodigieux! ô fermeté admirable! Avec quelle liberté parle ce saint à des hommes altérés du sang de tous les prophètes, et qui avaient dans le coeur le venin des serpents les plus dangereux? Avec quelle constance et quelle (82) hardiesse s’élève-t-il, et contre eux, et contre leurs pères?

Vous me direz peut-être qu’il les reprend en effet avec une grande liberté; mais que la question est de savoir s’il a raison de le faire. Car saint Jean n’avait point vu pécher les pharisiens, et il voyait leur conversion. Ne devait-il donc pas les louer plutôt, bien loin de leur dire des injures, et de leur faire des reproches? Ne devait-il pas les recevoir avec joie, lorsqu’ils quittaient les villes pour venir dans le fond d’un désert entendre prêcher la vérité?

Nous répondons à cela, que ce saint prophète ne s’arrêtait point à considérer l’état présent de ces personnes, mais que Dieu lui avait découvert le fond de leurs coeurs. Comme il savait que la noblesse et la sainteté de leurs pères les enflait d’orgueil, et que la vanité était la cause de leur perte, et de cette extrême négligence où ils étaient tombés; il était nécessaire qu’il coupât d’abord la racine de cette vaine présomption. C’est dans ce même dessein qu’Isaïe les appelle « Princes de Sodome et de Gomorrhe (Isaïe, I, 10); » et que Dieu leur dit par un autre prophète : « N’ êtes-vous pas devant mes yeux comme les enfants des Ethiopiens? » (Amos, IX, 7.) Enfin tous les prophètes tâchent de leur ôter cette fameuse persuasion, et de réprimer cet orgueil qui était pour eux la cause d’une infinité de maux.

On me dira peut-être que les prophètes avaient raison de traiter les Juifs de la sorte, puisqu’ils les voyaient pécher tous les jours; mais avec quelle justice saint Jean le pouvait-il faire; puisqu’il les voyait si disposés à faire tout ce qu’il aurait voulu leur ordonner? Nous répondrons à cela, qu’il les traitait de la sorte pour amollir la dureté de leur coeur. En considérant attentivement ce qu’il leur dit, on remarque que la louange s’y mêle aux reproches. Un sentiment de surprise pour des hommes qui accomplissent enfin; quoique tard, ce qui leur avait toujours paru impossible, est empreint dans ses paroles. Ainsi ces reproches renferment une exhortation, par laquelle il les invite et les dispose à rentrer dans de meilleurs sentiments. L’étonnement qu’il laisse paraître montre assez combien leur malice était grande, et leur conversion inattendue et étrange. Le vrai sens de ses paroles est celui-ci: Comment se peut-il faire qu’étant fils de tels pères, et qu’ayant été formés à si mauvaise école, vous embrassiez aujourd’hui la pénitence? D’où peut venir un si grand changement? Qui a pu amollir la dureté de ces coeurs? Qui a guéri des plaies si incurables?

Et remarquez comment il les épouvante d’abord en leur parlant des feux et des tourments de l’enfer. II ne leur fait point ces menaces ordinaires aux autres prophètes: Qui vous a appris à fuir la guerre, les irruptions des barbares, la captivité, la peste ou la famine? Il leur représente d’autres peines et d’autres supplices qu’on ne leur avait point encore fait comprendre : « Qui vous a avertis, » dit-il, « de fuir devant la colère, qui est prête à tomber sur vous?»

2. C’est aussi avec grande raison qu’il les appelle « race de vipères, » car on rapporte de cette espèce de serpent, qu’il tue la mère qui le porte, et qu’il n’entre au monde qu’en lui déchirant le sein. C’est là proprement ce qu’ont fait les Juifs. Ils ont été les parricides de leurs pères et de leurs mères, et ils ont trempé leurs mains dans le sang de ceux qui leur annonçaient la vérité. Mais il n'en demeure pas à ces reproches; il y ajoute encore un conseil.

« Faites donc de dignes fruits de pénitence  (8). » Il ne vous suffit pas de cesser de faire du mal: il faut encore faire beaucoup de bien. Ne venez point à moi avec cette légèreté qui vous est si ordinaire, en vous convertissant pour un moment, et devenant ensuite aussi méchants que jamais. Je ne viens pas pour la même mission que les prophètes qui m'ont précédé. Ce que Dieu opère aujourd'hui dans le monde est beaucoup plus important que ce qu'il y a jamais fait. C'est le juge même des hommes, et le souverain de ce royaume éternel, qui vient en personne apprendre aux hommes les règles d'une sagesse plus sublime, et qui les appelle au ciel, et à une vie toute céleste: C'est pourquoi je vous parle des supplices de l'enfer qu'on vous a cachés jusqu'ici et je vous apprends que les biens et les maux que vous devez attendre sont éternels. Renoncez donc enfin à  vos vices, et ne les couvrez plus selon votre coutume; de ce vain prétexte, que vous êtes les enfants d' Abraham, d'Isaac et de Jacob, cessez de mettre toujours en avant la noblesse et la sainteté de vos pères. Il ne leur parle pas ainsi pour leur défendre de se dire fils de ces saints hommes, mais pour les empêcher de fonder tout leur espoir dans les vertus de leurs pères sans se mettre en peine d'en acquérir eux-mêmes. II leur découvre ce qu'ils ont de (83) caché dans le coeur, et il prophétise en même temps ce qui devait leur arriver. Car il se trouve qu’en effet ils dirent à Jésus-Christ « Nous sommes la race d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne. »(Jean, VIII, 33.) Saint Jean commence donc par rabaisser cet avantage, qui faisait le principal sujet de leur orgueil. Mais remarquez comme il les redresse sur ce point, sans déprécier aucunement le mérite du saint patriarche. Après avoir dit : « Ne songez pas à dire : nous avons Abraham pour père, » il n’ajoute pas : parce que le patriarche ne vous servira de rien; mais, employant une expression plias douce et en quelque sorte plus polie, il dit:

« Car je vous déclare que Dieu peut faire naître de ces pierres même des enfants à Abraham (9). » Quelques-uns croient que ce prophète par cette métaphore, et ce mot de « pierres », a marqué la conversion des Gentils. Mais je crois qu’il y a encore un autre sens sous ces paroles. C’est comme si le prophète leur disait : Ne croyez pas, quand même vous péririez tous, que le saint patriarche demeure privé de postérité. Non, Dieu ne le souffrira pas, parce qu’il peut de ces pierres même faire naître des hommes qui seront fils d’Abraham. Aussi bien l’a-t-il déjà fait, car il n’est pas plus difficile de faire naître un homme d’une pierre que d’une mère stérile. C’est ce que le prophète insinue par ces paroles :

« Regardez la pierre dure dont vous avez été taillés, et l’abîme de la fosse dont vous avez été tirés. Regardez Abraham votre père, et Sara qui vous a mis au monde. » (Isaïe, LI, 1.) Saint Jean donc les fait souvenir ici de cette prophétie, et leur montre que si Dieu rendit autrefois Abraham père d’une manière aussi miraculeuse que s’il avait forcé les pierres à lui donner des enfants, il lui était facile d’opérer encore aujourd’hui le même prodige.

Mais considérez de quelle manière il cherche à les ébranler par la menace d’être un jour séparés de Dieu. Il ne dit point, de peur de les jeter dans le désespoir : Dieu a déjà suscité, mais « peut susciter. » Il ne dit pas seulement que Dieu peut de ces pierres « susciter des hommes;  mais ce qui est beaucoup plus, qu’il en peut faire naître des enfants à Abraham. » Vous voyez comme il essaye de les détacher de ces illusions dont ils se berçaient en songeant à leur filiation charnelle, ainsi qu’au crédit de leurs ancêtres auprès de Dieu, pour les amener à fonder toutes leurs espérances de salut sur le mérite personnel d’une sincère pénitence et d’une sainte vie; vous voyez comme il donne l’exclusion à la parenté selon la chair, et fait prévaloir la parenté selon la foi.

3. Remarquez encore comme il augmente leur crainte et redouble leur terreur par les paroles qui suivent. En effet, il vient de dire: « Dieu peut de ces pierres même susciter des enfants à Abraham, » et il ajoute : « Déjà la cognée est à la racine de l’arbre (10); » quoi de plus menaçant et de plus terrible? L’austérité de sa vie lui donnait le droit de parler avec cette liberté; d’ailleurs ceux à qui il s’a. dressait, avaient besoin d’être repris avec cette sévérité à cause de la dureté de coeur dans laquelle ils avaient si longtemps vécu. Non seulement, leur dit-il, vous serez désavoués pour fils d’Abraham, et retranchés de sa race, mais vous en verrez d’autres sortir des pierres même pour prendre votre place; que dis-je? là ne s’arrêtera pas votre punition : il y a un châtiment plus insupportable que vous subirez.

«La cognée, » leur dit-il, « est déjà mise à la racine de l’arbre. » Il n’y a rien de plus terrible que cette sorte d’expression. Car il ne les menace plus comme les prophètes autrefois, d’une faux volante, de la destruction d’une haie, et d’une vigne foulée aux pieds. Il les menace d’une hache tranchante, et ce qui est plus épouvantable, qui était prête à donner le coup. Comme ils étaient accoutumés à ne rien croire de ce que les prophètes leur prédisaient, et qu’ils répondaient hardiment à toutes leurs menaces : « Où est le jour du Seigneur, et que l’arrêt du saint d’Israël s’exécute, afin que nous en voyions la vérité (Isaïe, XIII, 9); » parce que les malheurs qu’on leur prédisait n’arrivaient pour l’ordinaire qu’après une longue suite d’années, saint Jean jugea qu’il était nécessaire de les retirer de cet assoupissement, en leur représentant les maux dont il les menaçait, comme tout près de fondre sur eux. La cognée « est déjà » prête, dit-il : elle est déjà appliquée à la racine. Il n’y a rien entre deux : elle va couper non-seulement les branchés ou les fruits, mais la racine même. Ainsi il leur témoigne que s’ils demeurent dans leur négligence, ils vont être frappés d’une plaie profonde, sans pouvoir espérer d’en guérir jamais. Comme s’il leur disait; (84) celui qui est venu sur la terre, et que je vous annonce, n’est pas un serviteur comme les autres prophètes; c’est le Seigneur de tout le monde, qui doit tirer une vengeance terrible de tous-ceux qui mépriseront sa parole.

Mais après les avoir frappés de terreur, il ne les laisse point tomber dans l’abattement. Comme il avait évité d’abord de dire que Dieu eût déjà fait naître de ces pierres des enfants à Abraham, mais seulement qu’il lui était aisé de le faire; il évite de même de dire ici que le coup est déjà donné, pour ne les pas désespérer; mais il se contente de dire que la cognée est à la racine. Quelque proche qu’elle soit de la racine pour la couper, il dépend encore de vous d’arrêter le coup. Si vous voulez changer de vie et devenir meilleurs que vous n’êtes, Dieu retirera la cognée, et elle ne vous fera aucun mal; mais si vous demeurez toujours les mêmes, l’arbre sera coupé jusqu’à la racine. Dieu donc fait deux choses en même temps. Il approche la cognée, et néanmoins il ne coupe pas. Il l’approche pour vous tenir toujours dans ta crainte; et il ne coupe pas, pour vous montrer que si vous vous convertissez, vous pourrez bientôt être sauvés.

Ainsi il les épouvante de tous côtés pour les porter, et comme pour les forcer à la pénitence, Car les menaces qu’il leur fait d’être exclus de la gloire de leurs ancêtres, de la voir transférée à d’autres, et d’être exposés à des maux irréparables qui étaient déjà présents, et qu’il a marqués par cette cognée prête à couper la racine; ces menaces, dis-je, étaient capables de réveiller les âmes les plus assoupies, et de leur inspirer le désir de la vertu.

Saint Pan! use de la même conduite; lorsqu’il écrit aux Romains: « Que Dieu réduirait son peuple à un très petit nombre. » (Rom. IX.) Mais ne craignez point quand vous entendez ces menaces, ou plutôt craignez beaucoup, mais ne perciez point la confiance, puisque vous pouvez encore espérer de vous convertir. Dieu n’a pas prononcé la sentence. Ce fer tranchant ne devait pas couper l’arbre, Car qui l’en aurait empêché, puisqu’il était déjà près de la racine; mais il ne devait que vous donner de la crainte pour vous rendre meilleurs, et pour vous forcer à porter du fruit. C’est pour ce sujet qu’il ajoute : « Tout arbre qui ne produit point de bon fruit sera coupé et jeté dans le feu» (10). Quand il dit   «tout arbre», il n’excepte aucune grandeur, ni aucune dignité du monde, Quand vous descendriez d’Abraham, et que vous compteriez mille patriarches entre vos pères, cela ne servira qu’à augmenter votre punition, si vous ne portez de bons fruits. Ce fut par la sévérité de ces paroles qu’il porta la terreur et l’épouvante dans le coeur des publicains, et qu’il fit trembler les soldats, non pour les jeter dans le désespoir, mais pour les délivrer de leur indifférence. Car il les intimide de telle sorte qu’il les console en même temps, parce qu’en menaçant l’arbre qui ne porte pas de bons fruits, il fait assez voir que celui qui en porte de bons n’aura rien à craindre.

4. Vous me direz peut-être : comment pouvons-nous porter ces fruits en si peu de temps, pour prévenir le coup d’une hache qui est déjà à la racine, sans qu’on nous donne un peu de trêve et qu’on nous accorde quelque délai? Vous pouvez prévenir ce coup. Ce fruit que l’on exige de vous n’est pas comme ce fruit qui vient sur nos arbres; il n’a pas besoin d’un si long temps: il n’est point assujéti à la vicissitude des saisons, ni à tant de travaux nécessaires à la culture; il suffit de vouloir, et l’arbre germe et pousse aussitôt. Ce n’est pas seulement la racine de l’arbre, mais c’est principalement le soin et l’art du jardinier qui lui font porter ses fruits. Afin donc que ce peuple ne pût pas dire : vous nous remplissez de trouble; vous nous pressez trop, et vous nous réduisez à ne savoir plus que faire, puisqu’en nous menaçant d’une cognée qui va couper l’arbre, vous nous demandez que nous portions du fruit dans le temps même où vous ne nous parlez que de supplice, il les encourage, en leur montrant combien était facile la production de ce fruit.

« Pour moi, je vous baptise avec l’eau, » leur dit-il; « mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne  de dénouer les cordons de ses souliers. C’est lui qui vous baptisera par le Saint-Esprit et par le feu (11). » Il montre assez clairement par ces paroles, qu’il ne faut pour recevoir ce baptême que la foi et la volonté, et non les travaux et les sueurs; et qu’il n’est pas moins aisé à Dieu de nous changer et de nous rendre meilleurs, qu’il ne lui est facile de nous baptiser.

Après donc qu’il a étonné les Juifs par la terreur du jugement, par l’attente du supplice, par les menaces de les couper comme un (85) arbre par le pied, de les priver de l’héritage de leurs ancêtres, en le donnant à d’autres enfants, et enfin par cette double peine d’être retranchés et jetés au feu; après avoir en tant de manières amolli leur coeur endurci et les avoir enfin portés à désirer de se voir délivrés de tant de maux, il leur parle ensuite de Jésus-Christ d’une manière qui témoigne le profond respect qu’il a pour lui. Car, ayant fait voir la grande différence qui était entre eux deux, pour empêcher qu’on ne la regardât comme un respect et une déférence volontaires qu’il lui rendait, il l’appuie et l’autorise par la comparaison de leur ministère. Il ne commence pas par dire qu’il n’est pas digne de délier les cordons de ses souliers, il ne le fait qu’après avoir montré combien son baptême était imparfait, en témoignant que tout ce qu’il pouvait faire, c’était de les porter à la pénitence.

« Je vous baptise dans l’eau, » dit-il, non de la rémission des péchés, mais « de la pénitence. » Et il parle ensuite du baptême de Jésus-Christ comme étant rempli, d’un don et d’une grâce ineffable. Il semble qu’il leur dise: quoique Celui que je vous annonce ne soit venu qu’après moi, ne croyez pas pour cela qu’il n’ait point d’avantage sur moi. Apprenez quelle est la grandeur de la grâce qu’il vous doit faire, et vous comprendrez aisément que je n’ai rien dit de trop, ni même d’assez grand, quand j’ai protesté que je n’étais pas digne de délier le cordon de ses souliers. Et quand vous m’entendez dire «qu’il est plus fort que moi,» ne croyez pas que je veuille par là me comparer avec lui, puisque je ne mérite pas même d’être au nombre des moindres de ses serviteurs, ni de lui rendre les derniers services. C’est pourquoi il ne se contente pas de nommer les souliers, il parle même d’en « délier les cordons, » voulant marquer par là le service le plus bas qu’on lui pouvait rendre. Enfin, pour que l’on ne crût pas qu’il parlait ainsi seulement par humilité, mais par un sentiment sincère de la vérité, il cite des faits pour le prouver.

« Il vous baptisera, » dit-il, « dans le Saint-Esprit et dans le feu. » Qui n’admirera ici la sagesse de ce saint précurseur du Sauveur? Lorsqu’il prêche de lui-même, il ne fait entendre que des paroles de menace et de terreur; et lorsqu’il envoie vers le Christ, il ne promet que des biens et des consolations. Il ne parle plus d’une hache tranchante, d’un arbre coupé et jeté au feu, ni de la colère à venir; mais de la rémission des péchés, de la destruction de l’enfer et de la mort, de justification, de sanctification, de délivrance, d’adoption au nombre des enfants de Dieu, d’union avec Jésus-Christ, dont les hommes doivent devenir les frères et les cohéritiers, et enfin des dons ineffables du Saint-Esprit. Il comprend toutes ces grâces en disant: « Il vous baptisera dans le Saint-Esprit. » Cette expression figurée marque encore davantage l’abondance de la grâce qu’ils devaient attendre. Car il ne dit pas : « Il vous donnera le Saint-Esprit, » mais « il vous baptisera dans le Saint-Esprit. » Et ce mot même « de feu,» qu’il met ensuite, marque encore davantage la force et l’efficace de la grâce.

5. Dans quels sentiments et dans quelle disposition devaient entrer ceux qui écoutaient ce saint homme, lorsqu’ils voyaient qu’ils pouvaient tout d’un coup devenir semblables aux plus grands des prophètes! Car s’il leur parle « de feu », c’est sans doute pour les faire souvenir des prophètes, dans les visions de qui il paraît toujours du feu; car ce fut ainsi que Dieu parla à Moïse dans le buisson ardent, à tout le peuple sur la montagne de Sina, et à Ezéchiel, du milieu de ces chérubins ardents.

Il veut bien même pour les encourager davantage leur parler d’abord du mystère qui ne devait s’accomplir qu’après tous les autres, c’est-à-dire le don du Saint-Esprit. Car il fallait auparavant que l’agneau fût égorgé, que le péché fût détruit, que l’inimitié qui existait entre Dieu et les hommes fût abolie. Il fallait que Jésus-Christ fût enseveli et qu’il ressuscitât, et ce n’était qu’après toutes ces choses que le Saint-Esprit devait venir. Il ne garde point cet ordre; il commence à leur parler du don qui devait être la suite nécessaire, l’accomplissement et la fin de tous les autres, et faire éclater avec le plus de force par la prédication, la gloire de Jésus-Christ. Par l’annonce du Saint-Esprit, Jean veut d’abord frapper l’esprit de l’auditeur, l’amener à réfléchir en lui-même comment un tel présent sera accordé à la terre inondée d’un déluge de péchés; puis, lorsque cette préoccupation dans laquelle il le jette, l’aura préparé à recevoir une révélation plus complète, il lui découvrira le mystère de la passion dont il pourra alors lui parler sans le scandaliser, à cause de l’attente d’un si admirable don, qui devait en être la suite. Les (86) esprits étant donc ainsi préparés, il s’écrie: « Voilà l’agneau de Dieu qui porte les péchés du monde. » (Jean, I, 29.) Il ne dit pas, « qui remet, » mais, ce qui marque plus d’amour, « qui porte les péchés du monde. » Il y a bien de la différence entre pardonner le péché ou s’en charger. Le premier se fait sans peine, mais le dernier coûte la vie.

Il leur marque aussi par ces paroles, quoique d’une manière obscure, que Jésus-Christ est le fils de Dieu. Ils n’avaient pas su encore qu’il fût le fils véritable et naturel de Dieu: mais en leur promettant que Jésus-Christ leur donnerait le Saint-Esprit, il leur révélait implicitement cette vérité. C’est pour cette raison que Dieu le Père donna à saint Jean une marque particulière pour reconnaître son fils en lui disant: « Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, est Celui qui baptise dans le Saint-Esprit. » (Jean, I, 33.) Aussi saint Jean dit-il: « Je l’ai vu, et je rends témoignage qu’il est Fils de Dieu (Ibid. 34), »faisant voir que cette descente du Saint-Esprit sur le Fils, était une preuve claire qu’il était Dieu.

Puis, quand entretenant ses auditeurs de l’espérance de ces grands biens, il les à ainsi traités avec quelque douceur et quelque indulgence, il revient tout à coup à ses premières sévérités, de peur qu’ils ne tombent dans la sécurité et la négligence. Car tel était l’esprit des Juifs; la prospérité les portait au relâchement et au vice. Saint Jean a donc de nouveau recours aux menaces et à la terreur.

« Il a le van en main, et il nettoiera parfaitement son aire. Il amassera son blé dans le grenier, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteindra jamais (12).» Plus haut nous avons vu le Dieu vengeur du péché, ici c’est le juge que nous apercevons en même temps que l’éternité des peines: « Il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteindra jamais. » Ce verset nous montre encore en Dieu le Seigneur de toutes choses, le commun Père et le vigneron mystique. Jésus-Christ lui-même donne ce dernier nom à son père dans un autre endroit: « Mon Père est le Vigneron. » (Jean, XV, 1.) Comme ces mots: « La cognée est à la racine « de l’arbre » ne s’opposaient pas à l’idée d’une difficulté quelconque que Dieu pourrait rencontrer à distinguer ce qui mériterait d’être coupé de ce qui devrait être épargné, le Prophète se sert d’une autre comparaison qui fait évanouir cette idée, en montrant que le monde entier est dans la main de Dieu et qu’il peut châtier qui lui appartient. Tout est maintenant confus dans le monde. Quelque beau que puisse être le bon grain, il est mêlé avec la paille, parce qu’il est dans l’aire et non dans le grenier, mais alors il se fera un discernement et une séparation épouvantable.

Où sont maintenant ceux qui ne croient pas à l’enfer? L’Evangile dit deux choses en même temps, que ceux qui croiront seront baptisés dans le Saint-Esprit, et que les incrédules seront brûlés éternellement. Si donc la première est véritable, la seconde le doit. être aussi. C’est pour cela qu’il allie ensemble ces deux choses; afin que la certitude de celle qui est déjà arrivée, nous assure de celle qui doit arriver. Au reste Jésus-Christ parlant de choses, ou semblables ou contraires, allie souvent deux prophéties, dont l’une doit s’accomplir en ce monde, et l’autre dans l’autre ; afin que les plus opiniâtres et les plus rebelles soient forcés de croire que la seconde s’accomplira en voyant la première déjà accomplie. Par exemple, il promet à ceux qui renonceront à tout pour l’amour de lui, le centuple en ce monde, et la vie éternelle en l’autre, afin que les grâces qu’il leur donne dès ici-bas, les assurent de la vérité des promesses qu’il leur a faites pour l’avenir. C’est ce que saint Jean fait en cet endroit où il unit ensemble le baptême du Saint. Esprit, et le feu qui brûlera éternellement.

6. Si Jésus-Christ n’avait baptisé les apôtres dans le Saint-Esprit, et s’il ne faisait encore tous les jours la même grâce à tous ceux qui croient, on aurait peut-être quelque raison de douter de l’autre chose que le Prophète joint, à cette première. Mais si nous voyons s’accomplir tous les jours ce qui paraissait le plus grand et le plus incroyable, ce qui dépasse infiniment la portée de la raison humaine, sur quel fondement refuserons-nous de croire une chose plus facile, plus naturelle et plus conforme à notre raison? A peine saint Jean a-t-il, dit aux Juifs que Jésus-Christ les « baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu, » à peine leur a-t-il fait entrevoir la merveille de ce baptême nouveau, qu’il leur parle aussitôt de ce « van » terrible, qui marque le jugement, pour les empêcher de tomber dans le relâchement et dans la paresse. Ne croyez pas, leur dit-il, qu’il vous suffise d’avoir été baptisés, si vous continuez de vivre mal après avoir reçu le (87) baptême. Vous avez besoin après cela d’une grande vertu, et d’un grand amour de la sagesse. Ainsi donc pour leur faire désirer la grâce du baptême, il les émeut par la menace de cette hache qui est déjà à la racine de l’arbre, puis après leur avoir fait envisager la grâce baptismale, il lés effraye de nouveau par la menace de ce « van » impitoyable et de ce feu inextinguible. Il ne fait donc aucune distinction entre ceux qui n’ont pas reçu le baptême, et il déclare simplement que « tout arbre « qui ne produit pas de bon fruit sera coupé, »englobant dans le même châtiment tous les incroyants. Mais parmi ceux qui ont reçu le baptême il distingue, il sépare avec « le van »(Luc, III, 9), ceux qui honorent leur foi par leur vie de ceux qui la déshonorent.

Que personne donc, mes Frères, ne devienne la paille de I’Eglise. Que personne n’ait une âme légère et flottante dans la foi, abandonnée aux pensées mauvaises, qui comme des vents l’agitent de toutes parts. Si vous avez la solidité du bon grain, nulle affliction ne vous pourra nuire; comme dans l’aire les grains de froment ne sont point broyés, lorsque les roues dentelées passent dessus. Mais si vous devenez inconsistants comme la paille, vous souffrirez ici-bas mille maux, vous serez déjà broyés dans l’aire de cette vie, et vous subirez dans l’autre des supplices éternels. Car tous ceux qui sont en cet état, après avoir été en ce monde la proie des passions comme la paille est mangée par les bêtes, seront en l’autre la nourriture du feu.

Si saint Jean eût dit tout simplement aux Juifs que Dieu jugera tous les hommes selon leurs oeuvres, son discours n’eût pas été si bien reçu : mais en y mêlant cette comparaison et cette expression figurée, il leur persuade cette vérité avec plus de force, et il entre plus agréablement dans l’esprit de ceux qui l’écoulent. C’est ainsi que Jésus-Christ s’est conduit dans l’Evangile. Car nous voyons que pour se faire entendre, il se sert souvent des comparaisons d’un champ, d’une aire, d’une moisson, d’une vigne, d’un pressoir, d’un filet, d’une pêche de poissons, et de beaucoup d’autres choses semblables, qui sont dans l’usage ordinaire de la vie des hommes. C’est ce que fait ici saint Jean, et comme preuve solide des choses qu’il annonce, il présente le don que Dieu devait faire du Saint-Esprit aux hommes, comme s’il disait Celui qui est assez puissant pour remettre les péchés, et pour donner son Esprit-Saint, le sera encore assez pour faire ce que je vous dis. Voyez-vous maintenant pour quelle raison il parle du baptême dans le Saint-Esprit avant de parler de la résurrection et du jugement.

Mais d’où vient, dira quelqu’un, que saint Jean ne parle point des prodiges et des miracles que Jésus-Christ devait faire pendant sa vie? C’est parce que la descente du Saint-Esprit a été le plus grand miracle qu’il ait fait, et la fin de tous ses miracles. Dire le don qui résume tous les autres, c’était tout dire: la ruine de la mort; la destruction du péché; la fin de la malédiction ; la réconciliation de l’homme avec Dieu, après une guerre de tant de siècles; le retour au ciel; l’entrée du paradis; la société des anges; et la participation des biens éternels. En promettant le Saint-Esprit, il a promis toutes ces grâces; parce qu’il en est le gage. Il nous marque encore en le nommant, la résurrection des corps, les miracles qui se doivent faire alors, l’héritage du royaume, et la jouissance de ces biens que l’oeil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus, et qui ne; sont jamais montés dans le coeur d’aucun homme, puisque toutes ces grâces ne sont qu’une suite de l’infusion du Saint-Esprit.

Il était donc inutile de parler des miracles que le Sauveur devait faire à la vue de tout le monde, mais il était bon de parler des choses qui étaient plus cachées, et dont les hommes pouvaient douter, comme sont celles-ci : que Jésus-Christ était fils de Dieu; qu’il était sans comparaison plus grand que saint Jean; qu’il se chargeait de tous les péchés du monde; qu’il redemanderait aux hommes un compte exact de toutes leurs oeuvres ; et que nos espérances ne devaient point se borner aux choses présentes, puisque chacun de nous devait recevoir après cette vie, ou la récompense, ou la peine qu’il aurait méritée. Ce sont là les choses dont il fallait parler, parce qu’elles ne tombent point sous le sens des hommes.

7. Que la connaissance de ces vérités, mes frères, nous rende fervents de plus en plus dans la vertu, pendant que nous sommes encore dans cette vie, comme dans l’aire. Car tant que nous vivons ici-bas, nous pouvons de paille, devenir froment, comme plusieurs sont devenus paille, de froment qu’ils étaient auparavant. Ne nous laissons point abattre ni emporter à tout vent comme les pailles; et ne (88) nous séparons jamais de nos frères, quelque vils et méprisables qu’ils nous paraissent. Car le froment est moins grand et moins étendu que la paille, mais il est sans comparaison plus précieux.

Ne désirez point toutes ces choses qui n’ont qu’une lueur et une apparence passagère, parce qu’elles mènent aux feux éternels. Embrassez une humilité qui soit selon Dieu, qui demeure comme le diamant, toujours ferme et indissoluble, sans pouvoir être ni divisée par le fer, ni brûlée par le feu. C’est en considération de ce bon grain que la patience de Dieu épargne si longtemps la paille, dans l’espérance que les bons vivant en paix avec les méchants, ils les pourront rendre semblables à eux. C’est pour cela qu’il diffère son jugement, afin que plusieurs passant du vice à la vertu, reçoivent la couronne avec tous les saints.

Tremblons, mes frères, tremblons quand on nous parle « d’un feu qui ne s’éteindra jamais.» Un feu, dites-vous, qui ne s’éteindra jamais? Comment cela se peut-il faire? Et comment se fait-il que le soleil que vous voyez tous les jours soit toujours ardent, et qu’il ne s’éteigne jamais? Comment se pouvait-il faire autrefois que ce buisson miraculeux brûlait toujours sans se consumer? Si donc vous voulez éviter ce feu si redoutable, allumez dans vous-mêmes un autre feu; qui est celui de la. charité, et ce second vous délivrera du premier. Si vous croyez ce que nous vous disons, vous serez à couvert de ces flammes ; mais si vous demeurez incrédules, vous apprendrez par une cruelle expérience, qu’il n’y a que la foi qui les évite. Quiconque ne règle pas sa vie selon Dieu, tombera indubitablement dans ce supplice.

Car la foi ne suffit pas seule pour être sauvé. Les démons croient; ils tremblent même, et néanmoins ils seront punis éternellement. Il faut donc joindre à cette foi le règlement de toute la vie, et la réformation des moeurs. C’est pour ce sujet que vous vous assemblez si souvent dans nos églises, non pour y venir simplement, mais pour retirer de grands avantages des instructions que vous recevez. Que si vous y assistez de telle sorte, que vous en sortiez sans aucun fruit, tout ce soin et cette assiduité vous est inutile.

Si , lorsqu’ayant donné vos enfants à des maîtres, vous vous apercevez qu’ils n’apprennent rien; vous querellez ceux qui les instruisent, et vous les leur ôtez souvent pour les donner à d’autres; quelle excuse pourrons- nous présenter au grand Juge, nous qui ne donnons pas autant de temps au soin de notre âme, que nous en donnons aux affaires de ce monde; qui sortons toujours de l’église sans avoir rien appris de nouveau; et qui ne retirons aucun avantage de ces grands et de ces incomparables maîtres qui nous instruisent? Ces maîtres sont les prophètes, les apôtres, les patriarches, et en un mot tous ces grands justes que nous vous proposons dans nos assemblées, comme les docteurs de la piété. Et après cela néanmoins, vous sortez d’ici sans aucun fruit. Quand vous avez chanté deux ou trois psaumes, et récité les prières accoutumées négligemment et comme par routine, vous croyez en avoir assez fait pour votre salut.

Ne savez-vous pas ce que dit le Prophète, ou plutôt ce que dit Dieu par son prophète: « Ce peuple m’honore des lèvres; mais son coeur est loin de moi. » (Isaïe, XXIX, 43.) Si vous voulez que ce malheur ne vous arrive pas, effacez de votre esprit ces caractères de mort, que le démon y a gravés; et apportez ici un coeur libre, et dégagé du tumulte des choses du monde, afin que j’y puisse imprimer sans peine tout ce que je désirerai. Je ne vois sur les tables de vos âmes, que les traits que le démon y a imprimés, l’avarice, les rapines, les fourberies, l’envie, et la jalousie. Lorsque j’entre un peu dans le fond de votre coeur, je n’y remarque que des lettres et des caractères qui me sont inconnus; et je n’y reconnais plus rien, de ce que je tâche d’y graver tous les saints jours du dimanche. Je n’y vois que des traits barbares et confus, au lieu de ceux que j’y avais gravés. Et lorsque je les ai effacés pour y en imprimer d’autres par l’Esprit de Dieu, vous allez aussitôt vous présenter au démon, afin qu’il y retrace les siens.

Jusqu’à quand agirez-vous de la sorte? Quand je ne vous dirais point ces vérités, votre propre conscience ne vous les ferait-elle pas assez connaître? Mais pour moi je ne cesserai point d’accomplir mon ministère en tâchant de graver dans vos âmes les caractères de Dieu. Que si vous continuez de détruire ce que je tâche d’établir dans vous, nous espérons de la miséricorde de Dieu d’en recevoir notre récompense; mais je n’ose vous dire pour vous, ce que vous devez attendre. (89)

8. Je vous conjure encore une fois, mes frères, de vous appliquer à ce que je vous dis. Imitez au moins les petits enfants, qui s’étudient d’abord à connaître les lettres, puis à les distinguer, lors même qu’elles sont renversées ou mal formées, et qui apprennent ainsi à bien lire. Faisons la même chose dans l’étude de la vertu. Apprenons-la par parties, et commençons par le plus aisé. Retranchez d’abord les jurements, les parjures, et les médisances. Passez ensuite à bannir de vous l’envie, les affections impures, l’intempérance, les excès de vin, la cruauté, l’insensibilité, et toutes les autres passions. Appliquez-vous après aux choses plus spirituelles: embrassez la continence, le jeûne, la chasteté, la justice : renoncez à la vaine gloire: aimez la modestie et la componction du coeur: inspirez ces vertus aux autres, et après les avoir imprimées au dedans de vous-mêmes, occupez-vous-en sans cesse chez vous, et pratiquez-les envers vos amis, et envers vos femmes, et vos enfants.

Mais commencez, comme j’ai dit, par ce qui est plus facile, comme de ne point jurer, principalement lorsque vous êtes chez vous. Car c’est là que vous trouvez d’ordinaire plus de sujets qui vous portent à le faire. Souvent un serviteur vous irrite; une femme vous fâche ; un enfant indocile et déréglé vous fait jurer en le menaçant. Que si dans ces épreuves vous pouvez retenir vos emportements ordinaires, et vous empêcher de jurer, il vous sera aisé de vous modérer lorsque vous serez en public, et vous vous accoutumerez de la sorte à être paisible chez vous. Ce sera ainsi que vous vous étudierez à n’offenser personne, lorsque vous ne traiterez jamais mal ni votre femme, ni vos enfants, ni vos domestiques.

Souvent une femme louant quelque autre personne, ou se plaignant de son état, excite contre elle la colère de son mari. Pour vous, modérez-vous en ces rencontres. Ne l’obligez point à blâmer celui qu’elle avait loué. Souffrez tout courageusement. De même lorsque vos serviteurs loueront en votre présence d’autres maîtres, ne vous en troublez point, et demeurez ferme. Que votre maison soit pour vous un lieu d’exercice et de combat, afin que vous y étant fortifié, vous puissiez sans aucun danger vous trouver avec les personnes de dehors.

Faites de même à l’égard de la vaine gloire. Si vous la pouvez vaincre, lorsque vous êtes avec votre femme et avec vos enfants, il vous sera aisé de n’en être point surpris ailleurs. Car quoique cette passion soit très-dangereuse partout, et très-violente, elle l’est néanmoins encore davantage pour vous, lorsque vous êtes dans votre maison avec votre femme. Si donc vous y résistez alors, vous pourrez aisément la vaincre ailleurs.

Travaillons ainsi, mes frères, à combattre d’abord tous les vices dans le secret de notre logis; afin que par cet exercice, et comme par cette lutte domestique où nous nous exercerons chaque jour, nous devenions plus forts et plus fermes contre les occasions du dehors. Pour nous rendre même cet exercice plus facile et plus avantageux, imposons-nous quelque peine volontaire, pour nous punir nous-mêmes d’avoir violé nos résolutions; et que ce châtiment que nous exigeons de nous, soit tel qu’il ne tourne pas à notre malheur, mais à notre bien et à notre avancement. Condamnons-nous à de plus grands jeûnes qu’à l’ordinaire, à coucher sur la terre, et à d’autres austérités semblables. Nous tirerons de là de grands avantages. La vertu même nous rendra la vie plus douce, elle nous procurera les biens à venir; et elle nous mettra au nombre des amis de Dieu.

Prenez garde, mes frères, qu’il ne vous arrive encore aujourd’hui ce qui vous est arrivé déjà tant de fois, et qu’après avoir admiré les instructions si saintes que nous vous donnons, vous n’alliez au sortir d’ici, par votre paresse et votre négligence, mettre votre coeur entre les mains de votre ennemi, afin qu’il en efface les avis salutaires que nous y avons imprimés.

Pour remédier à ce désordre, je vous conseille lorsque vous serez retournés chez vous, d’appeler vos femmes; de leur faire un fidèle rapport de tout ce que je viens de dire, de leur témoigner votre nouveau désir, de les prier de vous aider dans cette résolution, et depuis ce jour vous rendre toujours assidus dans cette sainte école, pour y attirer dans votre coeur la grâce du Saint-Esprit, comme une huile sainte qui le doit guérir.

Si après cela vous tombez une fois, deux fois et davantage même, ne vous découragez pas: mais relevez-vous autant de fois que vous tomberez, sans cesser jamais de combattre ,jusqu’à ce que vous ayez vaincu le démon, que vous ayez gagné la couronne, et. que vous ayez mis le trésor de vos vertus dans un asile et un lieu (90) de sûreté. Que si vous vous établissez par une sainte habitude dans l’amour de la vertu et de la sagesse, quand même vous tomberiez dans quelque négligence, elle ne pourra pas aller jusqu’à vous faire violer le commandement de Dieu: parce que cette longue accoutumance sera devenue en vous comme une seconde nature. Car lorsque la vertu est passée en habitude, nous sentons une facilité à faire le bien, comme nous en avons à dormir, à manger, à boire, et à respirer. C’est ainsi que nous jouirons d’un plaisir céleste, que notre âme se trouvera comme dans un port tranquille et un calme perpétuel, et qu’au dernier jour nous paraîtrons comme un vaisseau chargé de richesses, pour recevoir la couronne immortelle que je demande à Dieu pour vous tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire avec le Père et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il. (91)

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