Matthieu 24,16-32
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HOMÉLIE LXXVI.

«ALORS, QUE CEUX QUI SERONT DANS LA JUDÉE S’EN VIENT SUR LES MONTAGNES. QUE CELUI QUI SERA AU HAUT DU TOIT, NE DESCENDE POINT POUR EMPORTER QUELQUE CHOSE DE SA MAISON. ET QUE CELUI QUI SERA DANS LE CHAMP. NE RETOURNE POINT EN ARRIÈRE POUR PRENDRE SES VÊTEMENTS». (CHAP. XXIV, 16, 17, 18, JUSQU’AU VERSET 32.)

ANALYSE

1. Que la ruine des Juifs n’a eu d’autre cause que le déicide commis par eux

2. Jésus-Christ prédit son second avènement.

3. De l’apparition de la croix au dernier jour.

4 et 5. Le Saint représente de quelle crainte il est saisi, lorsqu’il pense au jugement de Dieu. — Que la douceur du joug de Jésus-Christ ôtera toute excuse de ceux qui n’auront pas voulu s’y soumettre. — Contre les riches qui ne veulent pas mettre leurs biens en dépôt entre les mains de Dieu. — De l’extrême bonté de Jésus-Christ envers les hommes, et quelle est l’ingratitude de ceux qui n’en sont pas touchés. — A quoi se termine enfin toute la vanité des hommes.

 

1. Après que Jésus-Christ a parlé des malheurs de Jérusalem et de la persécution de ses disciples, et qu’il leur a prédit qu’ils demeureraient invincibles au milieu de tant de maux , et qu’ils porteraient la lumière de l’Evangile par toute la terre, il leur parle encore des misères extrêmes où les Juifs seraient réduits, et il leur annonce que lorsqu’ils auraient, eux ses apôtres, éclairé tout le monde par leurs prédications, ce peuple alors tomberait dans le malheur prédit. Mais remarquez comment le Sauveur nous représente une guerre terrible , par des circonstances qui pourraient d’abord paraître peu remarquables : « Alors », dit-il, « que ceux qui seront dans la « Judée s’enfuient sur les montagnes. Alors», c’est-à-dire, quand ce que je viens de marquer arrivera, quand l’abomination de la désolation sera dans le Temple, et que de grandes armées assiégeront Jérusalem de toutes parts; comme vous ne devez plus alors espérer de salut, fuyez sur les montagnes. Les Juifs s’étaient souvent tirés avec avantage des plus grandes guerres. Ils avaient échappé à la fureur de Sennacherib, à la rage de l’impie Antiochus. Le courage des Machabées avait rétabli leur Etat, après même que les ennemis s’en étaient rendus les maîtres, et qu’ils avaient profané et pillé le temple. Mais Jésus-Christ ne leur permet pas ici de se promettre un bon-beur semblable, lorsque Tite assiégerait leur ville. Il leur ôte d’abord toute espérance, et il leur déclare qu’ils seraient heureux s’ils pouvaient, en quittant tout, se sauver promptement sur les montagnes.

« Que celui qui sera au haut du toit ne descende point pour emporter quelque chose de sa maison (17) ». Jésus-Christ ne permet pas même à ceux qui se trouveront alors sur le toit de leur maison, d’y descendre pour en emporter quelque chose; pour marquer qu’alors la ruine sera inévitable, et qu’elle enveloppera tous ceux qui se trouveront dans la ville.

« Et que celui qui sera dans la campagne ne retourne point en arrière pour prendre ses vêtements (18)». Si ceux même qui seront alors dans la ville doivent en sortir, combien plus ceux qui n’y seront pas, devront-ils craindre d’y rentrer? « Mais malheur aux femmes qui seront grosses, et qui allaiteront en ce temps-là (19) ». «   Malheur aux femmes qui seront grosses », parce que le poids qui les chargera les rendra moins disposées à se sauver par la fuite : « Malheur aux femmes qui allaiteront », parce que, retenues dans la ville par l’affection de leurs enfants nouveau-nés, et (589) que, ne pouvant les sauver d’une si grande misère, elles seront contraintes de périr aussi avec eux. II est aisé de mépriser son argent ou ses habits, comme Jésus-Christ le commande à ces deux sortes de personnes dont il vient de parler, parce qu’on peut en retrouver d’autres dans la suite; mais ici comment peut-on renoncer à des affections que la nature même grave dans nos coeurs? Comment une nourrice peut-elle mépriser l’enfant qu’elle nourrit de son lait? Jésus-Christ montre ensuite la grandeur de ce malheur, lorsqu’il dit : « Priez Dieu que votre fuite ne se fasse point durant l’hiver ni au jour du sabbat (20) ». Il est visible, par ces paroles, que Jésus-Christ parle des Juifs et des maux dont ils seront affligés, puisque les apôtres ne devaient point observer le « sabbat», ni se trouver dans la Judée, lorsque Vespasien la réduirait à de si grandes extrémités. Car la plupart d’entre eux étaient déjà morts, et s’il en restait encore quelqu’un, il vivait dans d’autres contrées. Cette fuite était donc à éviter en hiver, à cause du froid et du mauvais temps, et au jour du sabbat, à cause du commandement de la Loi, et comme on ne pouvait se sauver que par une prompte fuite, ces deux sortes de temps auraient été très-incommodes. C’est pourquoi Jésus-Christ les avertit de prier Dieu.

« Car les misères de ce temps-là », dit-il, « seront si grandes qu’il n’y en a point eu depuis le commencement du monde jusques à présent, et qu’il n’y en aura jamais de semblables (21) ». Ceci ne doit point être pris pour une exagération, et l’histoire de Josèphe en justifie assez la vérité. On ne peut pas dire non plus que cet auteur, étant chrétien, n pris plaisir à exagérer ces malheurs pour faire voir la vérité de ce que Jésus-Christ prédit ici, puisque Josèphe était juif, et des plus zélés d’entre les Juifs qui sont venus après la naissance du Sauveur. Cependant il dit que ces malheurs ont passé tout ce que l’on peut s’imaginer de plus tragique , et il assure que les Juifs ne se sont jamais trouvés réduits à de si étranges extrémités. Car la rage de la faim fut si excessive, qu’elle fit oublier aux mères toute la tendresse de la nature, en sorte que deux s’étant accordées ensemble à manger leurs enfants, se querellèrent ensuite parce que l’une , après avoir mangé l’enfant de l’autre, ne voulut pas lui donner aussi le sien à manger. Il marque même que la nécessité forçait les hommes jusqu’à ouvrir le ventre des morts pour leur arracher les entrailles.

Je voudrais donc savoir des Juifs pourquoi Dieu a voulu les affliger d’une guerre à laquelle on n’a jamais rien vu de semblable, non-seulement dans la Judée, mais dans tout le reste du monde, et s’il n’est pas visible que c’est pour les punir de l’injuste condamnation du Sauveur du inonde qu’ils ont fait mourir sur la croix. Il n’y a pas un homme tant soit peu éclairé qui ne reconnut cette vérité; ou plutôt le seul événement des choses la publierait au lieu de nous. Car, lorsqu’on considère l’excès de ces maux, ils paraissent au-dessus de toute croyance, en les comparant non-seulement avec ceux qui sont déjà arrivés, mais avec tous ceux qui arriveront jamais. Qu’on lise toutes les histoires, on n’y trouvera point de malheurs semblables. Et certes les Juifs avaient bien mérité un traitement si inouï, puisque jamais peuple ne s’était porté à de tels excès: « Les misères » donc « de ce temps-là seront si grandes qu’il n’y en a point eu depuis le commencement du monde jusqu’à présent, et qu’il n’y en aura jamais de semblables ».

« Que si ces jours n’avaient été abrégés, nul homme n’aurait été sauvé : mais ces jours seront abrégés en faveur des élus (22) ». Jésus-Christ témoigne par ces paroles que les Juifs méritaient encore plus de tourments qu’ils n’en ont souffert. Il entend par ce mot « de jours » le temps de la guerre et du siége de Jérusalem, et il déclare que si ce siége et cette guerre eussent encore duré quelque temps, il ne serait pas resté un seul Juif. Par ce mot de « nul homme », il n’entend que ce peuple; et il y comprend également les Juifs qui seraient alors dans leurs pays, et ceux qui seraient dispersés par tout le monde. Car ce n’était pas seulement dans la Judée que les Romains persécutaient les Juifs: ils les haïssaient partout où ils les trouvaient; et l’aversion qu’ils avaient pour eux les leur faisaient proscrire et bannir dans tout l’univers.

2. Ces « élus » dont il parle sont les chrétiens qui devaient se trouver engagés au milieu des Juifs durant ce siège. Il empêchait par ces paroles qu’on ne rejetât un jour la cause de tant de maux sur ses fidèles, et il déclare que bien loin d’avoir souffert ces extrémités à cause des chrétiens qui étaient mêlés parmi eux, les Juifs en auraient au contraire souffert beaucoup davantage sans la considération de (590) ses élus. Si Dieu avait permis que cette guerre durât encore un peu, il ne serait pas resté un Juif. Mais il la fit cesser, parce qu’il ne voulut pas que ceux d’entre eux qui étaient fidèles périssent avec ceux qui demeurèrent incrédules et endurcis dans leur opiniâtreté. C’est pour ce sujet qu’il prédit que « ces jours seront abrégés à cause des élus », pour donner quelque consolation à ses fidèles qui seraient surpris dans ce siège, et pour les faire respirer dans l’assurance qu’il leur donnait par avance qu’ils ne périraient pas dans cette extrême misère.

Si donc Dieu, dans sa providence, veille avec tant de soin sur ses élus en ce monde, que, pour les délivrer de leurs maux, il veut bien, en leur faveur, en délivrer en même temps les plus méchants et les plus impies; si la considération de ses fidèles et de ses élus le porte à ne pas perdre la race des Juifs, jugez, mes frères, ce que ses élus doivent attendre de lui au jour des récompenses.

Et remarquez que Jésus-Christ représente toutes ces choses à ses disciples pour les encourager et pour les rendre plus fermes dans les périls dont ils se verraient environnés. Et c’est dans ce dessein qu’il leur fait voir par avance un peuple accablé de maux dont il ne pourrait attendre comme eux aucune récompense à l’avenir, et qui seraient au contraire le commencement d’une éternelle misère. Mais il ne leur dit pas ceci seulement pour les consoler ou pour les encourager. Il le fait encore pour les retirer insensiblement des moeurs et des coutumes des Juifs. Car s’il n’y a plus rien à espérer pour les Juifs, et si leur temple ne doit plus être rebâti, n’est-il pas visible que leur Loi doit aussi cesser?

Mais le Fils de Dieu ne s’explique pas si clairement aux Juifs sur tous ces malheurs à venir, afin qu’ils ne s’abattent pas avant le temps. Il n’aborde pas ce discours comme de lui-même. Il pleure d’abord sur cette ville, lorsqu’il la regarde, et il oblige ainsi ses apôtres à lui en faire remarquer les grands édifices, pour prendre occasion-de leur prédire l’avenir, en répondant seulement aux questions qu’ils lui avaient faites.

Il y a sujet d’admirer ici la sagesse de l’Esprit de Dieu qui n’a pas permis que saint Jean écrivît ces choses; comme il a survécu longtemps à la ruine de Jérusalem, on eût pu croire qu’il n’en parlait qu’après en avoir vu l’événement, et seulement parce qu’il avait vu ces choses. Mais cette guerre et ces malheurs ont été rapportés par les autres évangélistes qui sont morts longtemps avant qu’ils arrivassent, et qu’ils en eussent rien pu voir, afin qu’on remarquât mieux la force de la prédiction de Jésus-Christ.

« Que si quelqu’un vous dit alors : Le Christ est ici, ou, il est là, ne le croyez point (23) ». Après que Jésus-Christ a achevé de parler de ce qui regarde Jérusalem, il passe à son dernier avènement, et il marque quels seront les signes qui le devaient précéder, et qui seraient très-utiles non-seulement à ceux à qui il parlait alors, mais encore à nous. Ce mot « d’alors », comme je l’ai souvent fait remarquer, ne marque pas une suite, puisque, dans ce cas, l’Evangéliste se sert du mot « Aussitôt après »; comme lorsqu’il dit : « Aussitôt après ces jours d’affliction »; mais ce mot n’a rapport qu’au temps auquel les choses prédites arriveront : c’est ainsi que nous avons vu au commencement de cet évangile, que cette expression : « En ces jours-là Jean-Baptiste vint», ne marquait pas un temps qui suivit immédiatement ce qui venait d’être rapporté, mais un autre qui n’arriva que longtemps après. C’est la coutume de l’Ecriture d’user de ces manières de parler. Elle passe donc ici tout cet intervalle de temps qui doit être compris depuis la prise de Jérusalem jusqu’à la fin du monde.

« Que si quelqu’un vous dit alors: Le Christ e est ici, ou, il est là, ne le croyez point». « Parce qu’il s’élèvera de faux christs et de « faux prophètes qui feront des prodiges et des « choses étonnantes jusqu’à séduire, s’il était « possible, les élus mêmes (24) ». «Vous voyez que je vous en avertis auparavant (25) ». Il commence à les avertir de se défier du lieu, en leur exposant les signes de son second avènement et les marques par lesquelles .ils pourraient reconnaître ceux qui les voudraient tromper: « Si quelqu’un vous dit alors: Le Christ est ici, ou, il est là, ne le croyez point». Carie second avènement du Sauveur ne sera pas, comme le premier, renfermé dans un coin du monde ou dans l’obscurité de Bethléem. II ne demeurera point inconnu aux hommes. Il sera, au contraire, si visible, qu’il n’aura besoin d’être annoncé par personne. Ce sera alors un miracle très-considérable de la part du Sauveur, de paraître de telle sorte que personne ne puisse douter que c’est lui. (591)

Il est à remarquer que Jésus-Christ ne parle plus ici de guerre, mais de « séducteurs ». Il est vrai que ces sortes de gens ont commencé à paraître dans l’Eglise dès le temps même des apôtres : « Ils viendront», dit Jésus-Christ, « et en séduiront plusieurs »; mais ceux qui précéderont le second avènement de- Jésus-Christ seront beaucoup plus dangereux, puisqu’ils feront de si grands miracles qu’ils pourraient séduire les élus même, si cela était possible. Le Fils de Dieu marque ici l’Antéchrist, et montre que quelques-uns se dévoueront aveuglément à lui pour lui servir de ministres. Saint Paul, parlant de l’Antéchrist, l’appelle « un homme de péché, un enfant de perdition». Et il ajoute ensuite: « Cet impie doit venir accompagné de la force de Satan, avec toute sorte de prodiges, de signes et de miracles trompeurs, et avec toutes les illusions qui peuvent porter à l’iniquité pour séduire ceux qui sont destinés à la perdition ».(II Thess. II, 9.) Mais pesez bien, mes frères, jusqu’où doit aller la vigilance que Jésus-Christ nous oblige d’avoir sur nous-mêmes.

« Si donc on vous dit : Le voici dans le désert, ne sortez point pour y aller : Le voici dans un lieu caché de la maison, ne le croyez point (26) ». Il ne dit point : Allez-y , mais ne les croyez pas, mais n’y allez pas même, et n’y entrez point. Car ils doivent tromper beaucoup de inonde, parce qu’ils feront même des miracles pour séduire plus aisément. Après avoir ainsi parlé de l’Antéchrist, et nous avoir représenté de quelle manière il viendra, et en quel lieu il seras le Sauveur commence ensuite à parler de lui-même et à nous décrire de quelle manière se fera son second avènement.

3. « Comme un éclair qui sort de l’Orient paraît tout d’un coup jusqu’à l’Occident; ainsi paraîtra l’avènement du Fils de l’homme (27) ». Vous savez, mes frères, comment paraît un éclair. II n’a besoin ni de précurseur ni de héraut pour annoncer sa venue. il paraît en un moment à tout le monde sans qu’on en puisse douter. C’est ainsi que le Sauveur paraîtra tout d’un coup par toute la terre dans l’éclat de la gloire dont il sera accompagné. il ajoute à cela un autre signe. e Partout où le corps se trouvera, les « aigles s’y assembleront (28) », marquant par ce mot « d’aigles », une multitude d’anges, de martyrs et d’autres saints. Il parle ensuite de signes pleins de terreur et d’épouvante.

« Mais aussitôt après ces jours d’affliction, le soleil sera obscurci, et la lune ne communiquera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les vertus des cieux seront « ébranlées (29) ». Il marque qu’ aussitôt « après ces jours», c’est-à-dire après les jours de l’Antéchrist et des faux prophètes, il arrivera de grandes afflictions, à cause du grand nombre des séducteurs, quoique cela ne doive pas durer longtemps. Car si la bonté de Dieu envers ses élus a abrégé la guerre des Juifs, combien doit-on plus croire qu’il ne souffrira pas que cette dernière tentation soit longue? C’est pourquoi il dit précisément : « Aussitôt après : ces jours d’affliction, etc.» Il promet le remède presque aussitôt que le mal commence, et d’assister ses élus de son secours, lorsque de faux prophètes et de faux christs tâcheront de les tromper. Car le monde se trouvera réduit alors à d’étranges extrémités.

Mais comment lé Fils de-Dieu- fera-t-il remarquer son avènement? Ce sera par le changement qui se fera dans toutes les créatures. Car « le soleil sera obscurci » ; non parce que sa lumière sera détruite et anéantie, mais parce qu’elle sera effacée par l’éclat encore plus grand de Jésus-Christ qui viendra juger les hommes : «Les étoiles tomberont du ciel » . Car à quel usage pourraient-elles encore servir, puisqu’il n’y aura plus de nuit? « Les vertus du ciel seront ébranlées », et avec raison, parce qu’elles verront cette révolution générale de toute la nature. Car si lorsque les astres ont été créés, les mêmes vertus ont été frappées d’étonnement, selon cette parole de Job : « Quand les astres ont été créés, tous mes anges ont élevé leurs voix pour me louer (Job. XXXVIII, 2): elles seront alors bien plus justement surprises, lorsqu’elles verront tous ces astres éclipsés, toute la terre dans l’épouvante, tous les hommes saisis de crainte en présence de leur Juge; tout le monde rassemblé devant ce tribunal terrible, et chaque homme en particulier depuis Adam, y rendre compte de ses actions.

« Et le signe du Fils de l’homme paraîtra « alors dans le ciel (30) ». C’est-à-dire, sa croix qui paraîtra alors plus éclatante que le soleil, dont la lumière est souvent offusquée par un nuage, au lieu que celle de la croix brillera alors plus que les rayons de cet astre, sans que rien la puisse obscurcir. Mais pourquoi Jésus-Christ fera-t-il paraître alors ce signe, sinon (592) pour confondre l’orgueil et l’insolence des Juifs, et pour rendre sa croix même la marque de sa justification et le trophée de son innocence? Il ne se contentera pas de montrer seulement ses plaies, mais il fera voir encore ce bois sacré sur lequel on l’a fait mourir si cruellement et si honteusement, tout couvert des rayons de sa majesté et de sa gloire.

« Et alors toutes les tribus de la terre se e frapperont la poitrine (30) ». Les hommes n’auront plus besoin de témoin ni d’accusateur pour les convaincre de leur crime. La seule vue de la croix les remplira de confusion. Ils « se frapperont la poitrine » parce qu’ils n’auront tiré aucun avantage d’une mort si salutaire, et qu’ils auront méprisé Celui qu’ils devaient adorer attaché à cette croix. Considérez, mes frères, de quelle manière Jésus-Christ représente la terreur de son dernier avènement, et comme pour relever le courage de ses disciples, il doit d’abord ce qui se verra de plus triste, et rapporte ensuite ce qui doit être plus consolant. Il les fait souvenir de sa passion et de sa résurrection en leur parlant de l’éclat de sa croix; et il les encourage par ce souvenir à n’en point rougir durant cette vie, puisqu’il la fera paraître alors devant lui dans une si grande gloire, comme un signe qui marquera son prochain avènement. Un autre évangéliste dit : « Ils verront quel est celui qu’ils ont percé ». (Jean, XIX, 37.) C’est ce qui fera soupirer alors toutes les tribus de la terre, lorsqu’elles verront que leur Juge sera celui même qu’elles auront crucifié.

« Et ils verront le Fils de l’homme qui viendra sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande gloire. Parce que le Sauveur avait parlé de sa croix, il marque ici qu’on le verra non sur la croix, « mais sur « les nuées du ciel avec une grande puissance « et une grande gloire». Car il ne faut pas que cette « croix », qui paraîtra alors au milieu de l’air, nous fasse craindre encore quelque chose de triste pour le Sauveur, Il ne faut point douter qu’il ne paraisse alors revêtu de gloire. Il ne fera voir sa croix que pour condamner le crime de ceux qui i’y ont attaché sans être obligé de les en accuser lui-même. Il fera comme quelqu’un qui, ayant été frappé d’une pierre, porterait la pierre même, ou ferait voir ses habits ensanglantés pour prouver le mauvais traitement qu’il a souffert. Il descendra du ciel sur « une nuée » de même qu’il y est monté. « Toutes les tribus » voyant ces choses « pleureront », mais leur malheur ne se bornera pas à pleurer. Ces coupables pleureront seulement pour se condamner eux-mêmes, pour que leurs larmes témoignent de leurs, péchés.

« Mais il enverra ses anges qui feront entendre la voix éclatante de leur trompette, et qui rassembleront ses élus des quatre vents et des quatre coins du monde, depuis une extrémité du ciel jusqu’à l’autre (31) ». Lorsque vous entendez ces choses, mes frères, représentez-vous quel sera le regret de ceux qui ne seront point rassemblés avec les élus. Jésus-Christ déclare qu’ils ne seront pas seulement punis eu cette vie, mais aussi dans l’autre. Et comme il assurait auparavant qu’ils diraient « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », il assure ici de moine qu’ils se frapperont la poitrine.

Après avoir prédit des guerres et des maux qui seraient sans nombre, il ne veut pas que l’on croie que le malheur des méchants se terminerait à cette vie. Il déclare qu’ils passeront de la terre dans les enfers, et des misères de l’une dans les supplices de l’autre. Il prédit qu’il les séparera de ses élus, qu’il les condamnera à demeurer avec les démons, « et qu’ils se frapperont la poitrine ». Et lorsqu’il menace ainsi les Juifs, il console ses disciples en leur faisant voir de combien de maux sa grâce les délivrera, et de quels biens elle les comblera un jour.

4. Mais puisque le Sauveur viendra si manifestement lui-même, pourquoi appellera-t-il ses élus par ses anges, sinon pour honorer « encore ses élus par le ministère de ces bienheureux esprits »? Saint Paul semble être contraire à ce que dit l’Evangéliste. Car il dit que les élus «seront emportés dans les nuées». Lorsqu’il parle de la résurrection, il dit : « Le Seigneur descendra du ciel aussitôt que le signal aura été donné par la voix de l‘archange ». (I Thess. IV, 16.) Mais il faut répondre à cela, mes frères, que les anges d’abord rassembleront les élus, et qu’après qu’ils les auront ainsi rassemblés, ils seront emportés dans les nuées. Et tout ceci se passera en un moment. Car il n’appellera pas ses élus en demeurant lui-même au haut des cieux. Il viendra au milieu des airs au signal de la trompette. Vous me demanderez peut-être pourquoi on entendra ces « trompettes » et (593) ces « sons » ? Ce sera pour réveiller les esprits, pour les animer et pour leur inspirer de la joie, pour imprimer la terreur de ce jugement, et pour représenter les regrets de ceux que ce Juge irrité rejettera, et qu’il bannira éternellement de son royaume.

Je ne puis, mes frères, m’empêcher de déplorer notre malheur, lorsque je pense à ce jour terrible. Au lieu que nous devrions être dans la joie quand on nous en parle, nous sommes au contraire saisis de frayeur et abattus de tristesse. Mais peut-être qu’il n’y a que moi qui me trouve dans cette disposition, et que pendant que je suis frappé de crainte vous n’avez que de la joie. Car pour moi, je vous avoue que lorsque je me retrace l’image de ce jugement futur, je suis pénétré de crainte, et que la douleur dont je suis percé me fait fondre en larmes.

Comme je n’ose espérer aucune part à ce bonheur que Jésus-Christ vient de promettre à ses apôtres, il me semble que je me vois dépeint dans ce qui est dit ensuite de ces vierges insensées et de ce méchant serviteur qui ne fit pas profiter le talent qu’il avait reçu de son maître. Ces exemples m’épouvantent et m’arrachent les larmes des yeux, lorsqu’ils me représentent dans quelle confusion nous serons alors, de quelle gloire nous serons privés, de quel bonheur nous serons exclus, non pour un temps qui ait ses bornes et ses limites, mais pour une éternité, et tout cela parce que nous n’aurons pas voulu endurer ici un peu de travail.

Si le joug que Jésus-Christ nous impose était pesant, et si sa loi était pénible, quoiqu’on dût encore s’y soumettre, les lâches néanmoins et les négligents pourraient- alors se couvrir de quelque excuse apparente. Ils représenteraient la difficulté des préceptes, la longueur des travaux et la pesanteur de ce joug qu’on leur aurait imposé. Mais maintenant tous ces prétextes même nous sont ôtés. Nous n’avons point de travaux ni de peines dont nous nous puissions couvrir. C’est là sans doute, mes frères, ce qui nous sera plus insupportable que l’enfer même, lorsque nous reconnaîtrons que. pour avoir voulu nous épargner un travail si léger, nous nous serons attirés une éternité de peines. Le temps de cette vie est court. Le travail n’est rien, et nous nous laissons aller au relâchement et à la mollesse. C’est sur la terre que vous combattez, et c’est dans le ciel que sera votre couronne. Ce sont les hommes qui vous affligent et qui vous outragent, et ce sera Dieu qui vous consolera et qui vous couronnera de sa gloire. Vous n’avez à courir qu’un moment, et au bout de votre carrière il vous offre un prix et un repos qui ne finira Jamais. Vous combattez dans un corps corruptible, et vous serez récompensé dans un corps incorruptible.

Mais nous devons considérer, mes frères, avec grande attention, que quelque répugnance que nous ayons à souffrir pour Jésus-Christ, nous souffrirons néanmoins beaucoup sur la terre. Refusez tant que vous voudrez de mourir pour celui qui est mort pour vous, vous n’en deviendrez pas pour cela immortels. Et quelque passionnés que vous soyez pour vos richesses, elles vous quitteront un jour malgré voilas, et vous ne les emporterez pas en sortant du monde. Jésus-Christ ne vous demande que des choses que vous seriez contraints de quitter bientôt, et la mort au moins vous arrachera ce que vous aurez refusé de donner à Jésus-Christ. Je vous exhorte à prévenir cette nécessité par un renoncement volontaire, et de faire de’ bon gré ce que vous ferez enfin malgré vous.

Dieu ne vous demande qu’une chose, qu’en faisant ce que vous ferez pour l’amour de lui, vous le fassiez de bon coeur, et non par contrainte. Peut-on rien trouver de plus aisé et de plus facile? Souffrez pour moi, nous dit-il, ce qu’il vous faudrait nécessairement souffrir, Ayez seulement cette intention, et cela me suffira. Vous voulez donner votre argent à un homme pour le faire profiter, donnez-le-moi à moi-même. Il profitera davantage et sera plus assuré. Vous voulez porter les armes pour un prince de la terre, faites la guerre sous mes étendards, et je vous récompenserai d’une gloire que tous les princes ensemble n’ont pas le pouvoir de vous donner.

Lorsque vous voulez vendre quelque chose, vous le donnez à celui qui vous en offre davantage, et vous rejetez le Fils de Dieu lorsqu’il vous offre sans comparaison plus que tout le monde ne peut vous donner. D’où vient cette aversion que vous avez pour lui? D’où vient cette guerre que vous lui faites? Comment vous excuserez-vous un jour de n’avoir pas préféré Dieu à un homme pour les mêmes raisons pour lesquelles vous avez coutume de préférer un homme à un homme?

Pourquoi, vous dit-il, voulez-vous mettre en (594) dépôt votre trésor dans la terre? Que ne m’en rendez-vous le dépositaire? Le maître de la terre ne vous paraît-il pas plus propre pour assurer votre bien, que la terre  ? La terre ne vous peut rendre que ce que vous lui avez prêté. Elle en perd même, et elle en gâte souvent quelque chose. Mais Jésus-Christ ne vous ôte rien de tout ce que vous lui avez confié. Il a pour vous une bonté infinie: Si vous voulez lui donner votre argent à usure, il est toujours prêt à l’accepter. Si vous voulez semer, vous dit-il, je vous donnerai un champ où vous recueillerez au centuple; et si vous voulez bâtir, je vous donnerai un fonds où tous bâtirez pour l’éternité. Pourquoi voulez-vous traiter avec des hommes qui sont si pauvres, qui ne vous rendront point votre argent ou qui ne vous, le rendront qu’en partie. Traitez plutôt avec Dieu, qui s’engage à vous donner beaucoup pour peu que vous lui aurez prêté.

5. Mais rien de tout cela ne bous touche, et nous aimons mieux un commerce bas et honteux qui est pour nous une semence de procès et une source de querelles et de calomnies. N’est-il donc pas bien juste qu’il nous punisse très-sévèrement, puisque quand il nous fait de si grandes offres nous noue opiniâtrons toujours à les rejeter? Il nous prévient et il nous dit lui-même : Je m’offre à vous pour faire ce que vous voudrez. Soit que vous désiriez d’être paré des mêmes ornements que moi, soit que vous vouliez être revêtu des mêmes armes, soit que vous souhaitiez d’être à la même table que moi, ou de marcher par le chemin où je marche, ou de régner dans la ville dont je suis moi-même l’ouvrier et l’architecte, ou de vous bâtir une maison sur un fonds qui est à moi: vous pouvez faire tout ce que vous voudrez. Non-seulement je n’en exigerai aucune récompense de vous, mais je croirai même vous en être redevable. Que pouvez-vous trouver qui égale ma bonté? Je suis moi seul votre père, votre nourricier et votre époux. Je suis la maison où vous habitez, la racine qui vous soutient, le fondement qui vous porte et le vêtement qui vous couvre. Je suis tout ce que vous voulez que je vous sois. Vous ne pouvez manquer avec moi d’aucune chose. Je serai même celui qui vous servira : puisque je suis venu au monde non pour y être servi, mais pour y servir les autres. Je suis votre ami, je suis la tête et le chef du corps dont vous êtes les membres; je suis votre frère, je suis votre soeur, je suis votre mère, je suis votre tout. Ayez soin seulement de vous unir à moi très-étroitement. Je suis devenu pauvre pour vous enrichir. J’ai souffert la croix pour vous racheter. J’ai voulu mourir et être enseveli pour vous tirer de la mort et du tombeau, et après être descendu pour vous au fond des enfers, je prie maintenant mon Père pour vous au plus haut des cieux. Vous me tenez lieu de tout. Vous êtes mon frère, vous êtes mon ami, vous êtes mon cohéritier et l’un de mes membres. Que désirez-vous davantage? Pourquoi fuyez-vous celui qui vous aime tant? Que faites-vous dans le monde par tous vos empressements, sinon de travailler à vous rendre misérable, de verser de L’eau dans un vase percé, de tirer l’épée contre le feu et de lutter contre l’air? Pourquoi courez-vous tant sans avoir un but où vous tendiez? Chaque art a le sien; mais quel est le vôtre, sinon le vide et le néant, selon la parole du Sage: « Vanité des vanités, et tout n’est que vanité ».

Allons ensemble aux tombeaux des morts. Venez me montrer votre père ou votre femme. Faites-m’y voir ceux qui étaient ici revêtus de pourpre, qui étaient superbement traînés dans des chars de triomphe, qui conduisaient les armées, qui étaient environnés de gardes et. accompagnés d’une foule d’officiers; ceux qui frappaient insolemment les uns, qui mettaient les autres en prison, qui tuaient ou sauvaient de la mort ceux qu’ils voulaient. Montrez-moi, dis-je, ces personnes. Je ne vois maintenant que des os secs et pourris, que des vers, que des araignées; qu’un peu de poussière et de pourriture. Toutes ces grandeurs sont évanouies comme une ombre, comme un songe, comme une fable et comme un tableau, si l’on peut dire, néanmoins qu’il s’y trouve même la réalité d’une image. Et plût à Dieu que tout se terminât à ce néant. Mais si d’un côté toutes ces grandeurs, tous ces honneurs et tous ces plaisirs se sont évanouis comme une ombre, ils ont produit de l’autre une misère stable et réelle, qui subsistera éternellement. Les violences, les injustices, les impuretés, les adultères et tous les autres crimes ne se réduisent point en cendres comme nos corps. Toutes nos oeuvres suivent nos âmes dans l’autre vie, et nos actions aussi bien que nos paroles y sont écrites sur la pierre et le diamant.

De quels yeux donc contemplerons-nous alors Jésus-Christ?Si nous n’avons pas assez (595) de hardiesse pour oser regarder notre Père, lorsque nous l’avons offensé, comment oserons-nous alors jeter les yeux sur celui qui a plus de tendresse pour nous que les pères de la terre n’en peuvent avoir pour leurs enfants ? Com ment pourrons-nous supporter ses regards lorsque nous serons au pied de son tribunal, et qu’on examinera avec tant de sévérité toutes les actions de notre vie?

Que s’il se trouve quelqu’un, mes frères, qui ne croie point ce jugement dont Jésus-Christ nous menace, qu’il considère ce qui se passe en ce monde. Qu’il voie tant de misérables dont les uns gémissent dans les prisons, les autres sont condamnés aux métaux, les autres pourrissent sur un fumier, les autres sont tourmentés par les démons, les autres tombent dans l’égarement d’esprit, les autres souffrent des maladies incurables, les autres sont accablés de la pauvreté, les autres endurent la faim et les dernières extrémités, et les autres enfin soupirent dans une très-dure servitude. Représentez-vous, dis-je, tous ces maux, et dites-vous à vous-même que Dieu ne permettrait point que tous ces hommes souffrissent tant, s’il ne devait, punir de même ceux qui ne sont pas moins coupables qu’eux. Que si vous voyez quelquefois des méchants qui ne souffrent rien en ce monde, c’est une marque que Dieu réserve leur punition pour un autre temps. Etant juste comme il est, et le commun Seigneur de tous, il ne laisserait pas les uns, impunis pendant qu’il traite si sévèrement les autres, s’il ne leur réservait ailleurs un très-grand supplice.

Considérons donc, mes frères, ces vérités terribles. Humilions-nous .profondément devant Dieu. Que ceux qui jusqu’ici n’avaient point cru le jugement à venir, commencent maintenant à le croire et à le craindre, afin que, vivant tous ici d’une manière digne du ciel, nous évitions les supplices de l’enfer et nous méritions de posséder les biens éternels, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (596)

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