Matthieu 13,10-24
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HOMÉLIE XLV.

« SES DISCIPLES S’APPROCHANT DE LUI, LUI DIRENT : POURQUOI LEUR PARLEZ-VOUS AINSI EN PARABOLES? IL LEUR RÉPONDIT PARCE QU’IL VOUS EST DONNÉ DE CONNAITRE LES MYSTÈRES DU ROYAUME DES CIEUX, MAIS POUR EUX IL NE LEUR EST PAS DONNÉ,» (CHAP. XIII, 19, 11, JUSQU’AU VERSET 24.)

ANA LYSE.

1. Le libre arbitre n’est point supprimé par la grâce.

2. Que le péché ne vient ni du tempérament, ni d’aucune nécessité.

3. De l’obligation de donner son bien à Jésus-Christ en la personne des pauvres. — Que l’aumône est un excellent sacrifice, et que celui qui la fait devient le prêtre de Jésus-Christ. — Combien ceux qui ne seront point charitables envers les pauvres seront justement condamnés de Dieu.

1.Nous devons ici, mes frères, admirer la retenue des apôtres qui désirant beaucoup de faire une question à Jésus-Christ, savent néanmoins prendre leur temps et attendre une occasion propre pour l’interroger. Car ils ne le font point devant tout le monde. Saint Matthieu le donne à entendre, lorsqu’il dit « Ses disciples s’approchant de lui (Marc, IV, 13),» et le reste. Que ce ne soit pas là une simple conjecture, saint Marc nous en donne la preuve, puisqu’il marque formellement qu’ils s’approchèrent de lui « en particulier. » C’est ainsi que ses frères devaient agir, lorsqu’ils le demandaient, et non le faire sortir avec ostentation lorsqu’il était engagé à parler au peuple. Mais admirez encore la tendresse et la charité qu’ils avaient pour tout ce peuple. Ils sont plus en peine de lui que d’eux, et ils en parlent au Sauveur avant que de lui parler d’eux-mêmes. « Pourquoi, » lui disent-ils, « leur parlez-vous ainsi en paraboles?» ils ne disent pas: pourquoi nous parlez-vous en paraboles? C’est ainsi qu’en plusieurs rencontres ils témoignent beaucoup de tendresse pour ceux qui suivaient Jésus-Christ, comme lorsqu’ils lui dirent : « Renvoyez ce peuple, » etc. (Marc, VI, 27.) « Et vous savez qu’ils se sont scandalisés de cette parole. » (Matth. XV, 10.) Que leur répond donc ici Jésus-Christ?

« Il vous est donné de connaître les mystères du royaume des cieux, mais pour eux, il ne leur est pas donné (11). » Il parle de la sorte non pour nous marquer qu’il y eut quelque nécessité fatale, ou quelque discernement de personnes fait au hasard et sans choix. Il veut leur montrer seulement que ce peuple était l’unique cause de tous ses maux: que cette révélation des mystères était l’ouvrage de la grâce du Saint-Esprit, et un don d’en-haut; mais que ce don n’ôte pas à l’homme la liberté de sa volonté, comme cela devient évident par ce qui suit. Et voyez comment, pour empêcher (35) qu’ils ne tombent, les Juifs dans le désespoir, les disciples dans le relâchement, en se voyant les uns privés, les autres favorisés de ce don, voyez comment Jésus-Christ montre que cela dépend de nous.

« Car quiconque a déjà, on lui donnera, et il sera comblé de biens; mais pour celui qui n’a point, on lui ôtera même ce qu’il a(12).» Cette parole, quoiqu’extrêmement obscure, fait voir néanmoins qu’il y a en Dieu une justice ineffable. IL semble que Jésus-Christ dise:

Si quelqu’un a de l’ardeur et du désir, Dieu lui donnera toutes choses. Mais s’il est froid et sans vigueur, et qu’il ne contribue point de son côté, Dieu non plus ne lui donnera rien:

« On lui ôtera même, » dit Jésus-Christ, « ce « qu’il croit avoir;» non que Dieu le lui ôte en effet, mais c’est qu’il le juge indigne de ses grâces et de ses faveurs,

Nous agissons nous-mêmes tous les jours de cette façon. Lorsque nous remarquons que quelqu’un nous écoute froidement, et qu’après l’avoir conjuré de s’appliquer à ce que nous lui disons, nous ne gagnons rien sur son esprit, nous nous taisons alors; parce qu’en continuant de lui~parler, nous attirerions sur sa négligence une condamnation encore plus sévère. Lorsqu’au contraire nous voyons un homme qui nous écoute avec ardeur, nous l’encourageons encore davantage, et nous répandons avec joie dans son âme les vérités saintes.

C’est avec raison que Jésus-Christ dit : « Ce qu’il croit avoir, » puisqu’il ne l’a point en effet. Et pour expliquer encore plus clairement ce qu’il voulait dire par ces paroles « Quiconque a déjà, on lui donnera, et il sera comblé de biens; mais pour celui qui n’a point, on lui ôtera même ce qu’il a; » il ajoute : « C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en écoutant ils n’écoutent ni ne comprennent point (13). » Mais s’ils ne voient point, me direz-vous, ne fallait-il donc pas leur ouvrir les yeux ? Il l’eût fallu si leur aveuglement eût été involontaire, comme l’est celui du corps. Mais il était volontaire, et de leur propre choix: c’est pourquoi Jésus-Christ ne dit pas simplement; « parce qu’ils ne voient point; » mais « parce qu’en voyant ils ne voient point. » Car leur aveuglement est un aveuglement de malice. Ils ont vu Jésus-Christ chasser les démons, et ils disent: « C’est par la vertu de Béelzébub, prince des démons, qu’il chasse les démons. » (Jean, XIX, 3.) Ils voient que tout son désir est de les attirer à Dieu, et qu’il ne veut jamais que ce que son Père veut, et ils disent : « Cet homme n’est pas de Dieu. » Ils jugent des oeuvres de Jésus-Christ autrement qu’ils ne les voient et qu’ils ne les entendent. C’est pourquoi je leur ôterai même cet avantage, et je les empêcherai de voir et d’entendre à l’avenir, puisqu’ils ne s’en servent que pour attirer sur eux une plus grande condamnation. Car ces hommes ne se contentaient pas de ne point croire en Jésus-Christ, mais ils le déshonoraient même, ils le décriaient, et ils lui dressaient des pièges pour le surprendre. Cependant il ne les reprend point de ces excès, parce qu’il ne voulait point leur être pénible par ses accusations et par ses reproches.

Il ne leur parlait pas ainsi dans les commencements. Il s’ouvrait davantage à eux, et il s’expliquait plus nettement. Mais depuis que leur esprit s’est altéré par l’envie, il ne leur parle plus qu’en paraboles. Et pour empêcher ensuite que cette sentence terrible ne passât pour un effet de la haine, ou pour une pure calomnie, et que les Juifs ne lui reprochassent qu’il ne leur disait des paroles si dures, que parce qu’il était leur ennemi, il rapporte le témoignage du Prophète.

« Et cette prophétie d’Isaïe s’accomplit en eux: Vous écouterez, et en écoutant vous n’entendrez point : vous verrez, et en voyant vous ne verrez point (14). (lsaïe, VI, 20.) Car le coeur de ce peuple s’est appesanti, et leurs oreilles sont devenues sourdes, et ils ont bouché leurs yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur coeur ne comprenne, et que s’étant convertis je ne les guérisse (15). » Considérez, mes frères, avec quelle exactitude le prophète fait ce reproche. Il ne dit pas : Vous ne verrez point: mais «vous verrez, et en voyant vous ne verrez point. » Il ne dit pas non plus : Vous n’entendrez point; mais « vous écouterez, et en écoutant vous n’entendrez point. » De sorte que ce sont eux-mêmes, qui se sont volontairement aveuglés, en se fermant les yeux, en se bouchant les oreilles, et endurcissant leur coeur. » Car non-seulement ils n’écoutaient point, mais ils écoutaient avec aigreur et avec peine. Et ils ont agi de la sorte, dit le prophète, « de peur que s’étant convertis je ne les guérisse. » (356)

2. Ces paroles marquent une malice consommée, et un dessein formé d’être rebelle à la vérité. Jésus-Christ néanmoins leur rapporte ce passage d’un prophète pour leur donner encore espérance, et pour les attirer à la foi, en les assurant que s’ils se veulent convertir il les guérira. C’est de même que si quelqu’un disait à un homme : Vous ne m’avez pas voulu regarder, et je vous en suis obligé; car si vous l’aviez fait, je vous aurais aussitôt pardonné, montrant par ces paroles qu’il est encore tout prêt à le faire. Il en est de même ici : « De peur, »dit Jésus-Christ, « qu’ils ne se convertissent, et « que je ne les guérisse. » Il leur montrait par ces paroles qu’ils pouvaient encore se convertir et se sauver par la pénitence; et qu’il ne cherchait que leur salut, et non pas sa gloire.

S’il n’eût point voulu être écouté d’eux et trouver occasion de les sauver, il n’avait qu’à se taire sans leur proposer ces paraboles. C’est au contraire par cette obscurité même, dont elles sont voilées, qu’il tâche de leur exciter le désir de s’instruire de ce qu’elles cachent. Car nous savons d’ailleurs, mes frères, que « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. » (Ezéch. XVIII, 23.) Et pour nous faire voir que le péché n’est point un effet ou de la nature, ou de la nécessité, ou de la violence, il dit ensuite à ses apôtres:

« Mais pour vous vos yeux sont heureux de « ce qu’ils voient, et vos oreilles de ce qu’elles « entendent (16). » Il ne parle point ici des yeux ni des oreilles du -corps, mais des oreilles du coeur. Car les apôtres étaient Juifs aussi bien que les autres ; ils avaient été élevés dans l’observance des mêmes lois, et des mêmes cérémonies. Cependant cette prophétie d’Isaïe ne les touchait pas, parce que leur âme et leur volonté étant bien disposées, étaient comme une racine qui devait produire de bons fruits. Ainsi vous voyez que par ce mot: « Pour vous il vous est donné » ,Jésus-Christ ne marque point quelque nécessité fatale, puisqu’il ne les aurait pas appelés heureux s’ils n’eussent fait le bien librement et sans aucune contrainte.

Et ne me dites point pour favoriser les Juifs que ces paraboles étaient obscures, et qu’ils étaient excusables de n’en pas comprendre le mystère. Ils pouvaient s’adresser en particulier à Jésus-Christ aussi bien que les apôtres, pour lui en demander l’intelligence. Mais ils ne le voulaient pas à cause de leur indifférence et de leur paresse. Que dis-je, ils ne le voulaient pas? Ils firent même tout le contraire. Non-seulement ils ne croyaient point ce que Jésus- Christ leur disait; non-seulement ils ne le voulaient point écouter, mais ils le combattaient même, et témoignaient n’avoir pour lui que de l’aversion et de la haine. C’est cette disposition que Jésus-Christ marque en rapportant ce reproche du prophète: « Ils ont écouté avec aigreur. » Mais comme les apôtres étaient bien éloignés de cette disposition, Jésus-Christ les appelle « heureux », et confirme encore ce qu’il leur-dit par les paroles suivantes :

« Car je vous dis en vérité que beaucoup de prophètes et de justes ont souhaité de voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu : et d’entendre ce que vous entendez, et ne l’ont « pas entendu (17); » c’est-à-dire, mon avènement, ma présence, mes miracles, ma voix, et mes prédications. Il les préfère par ces paroles, non-seulement, aux Juifs qui étaient corrompus, mais aux justes même de l’ancienne loi. Il les appelle plus heureux qu’eux, parce qu’ils voyaient ce que ces autres n’avaient pas vu, et qu’ils avaient tant souhaité « de voir. » Les autres ne voyaient ces merveilles que par la foi, mais les apôtres « les voyaient de leurs yeux » même, et beaucoup plus clairement que les anciens.

Remarquez encore ici l’union que Jésus-Christ fait voir entre l’Ancien Testament et le Nouveau, lorsqu’il montre que les justes de l’ancienne loi, non-seulement ont vu par la foi, les mystères de la nouvelle; mais encore qu’ils ont souhaité avec ardeur de les voir de leurs propres yeux: ce qu’ils n’auraient pas fait si Jésus-Christ eût été opposé à Dieu, et s’il eût renversé sa loi.

« Ecoutez donc vous autres la parabole de celui qui sème (18). » Il leur explique ensuite ce que nous avons déjà dit: il leur parle de l’indifférence des uns et de l’ardeur des autres, de la timidité des uns et du courage des autres, de l’amour ou du mépris des richesses; et il leur fait voir le malheur dans lequel on tom-. hait d’un côté, et l’avantage que l’on retirait de l’autre. Il passe de là à plusieurs différents degrés de vertus. Car dans son amour pour les hommes, il a voulu leur ouvrir plus d’une voie de salut. Il ne dit pas que si l’on ne rapporte « cent » pour un, on ne se sauvera point, mais que celui même qui rapportera « soixante, » ne laissera pas de se sauver, et (357) même celui qui ne rapportera que « trente, » ce qu’il fait dans le dessein de nous faire voir combien il nous est aisé de nous sauver.

Si donc vous ne pouvez demeurer dans l’état de virginité, vivez chrétiennement dans le mariage. Si vous ne pouvez renoncer à tous vos biens, donnez au moins l’aumône de ce que vous avez. Si les richesses vous accablent comme un fardeau insupportable, partagez-les par la moitié avec Jésus-Christ. Si vous ne pouvez vous résoudre à lui donner tout, donnez-lui en la moitié ou la troisième partie. Puisqu’il vous doit rendre son frère et son cohéritier dans le ciel, faites-le aussi votre frère et votre cohéritier sur la terre. Vous vous donnerez à vous-même tout ce que vous lui donnerez.

N’entendez-vous pas ce que dit le Prophète: « Ne méprisez pas ceux qui viennent du même « sang que vous?» (Isaïe, 38.) Si vous ne devez pas mépriser ceux de votre race quelque vils et méprisables qu’ils soient; combien moins devez-vous mépriser celui qui, outre cette liaison du sang qui l’unit à vous, a sur vous une autorité suprême, comme étant celui qui vous a créé? Sans avoir rien reçu de vous, il vous a fait des avantages prodigieux, il a partagé ses biens avec vous, il vous a prévenu par une libéralité incompréhensible.

Ne faut-il donc pas être plus stupide et plus dur que les pierres, pour n’apprendre point à aimer les hommes, après que Dieu vous a tant aimé; pour ne témoigner aucune reconnaissance de tant de bienfaits dont vous avez été comblé, et pour refuser de si petites choses après en avoir reçu de si grandes? Il a partagé le ciel avec vous, et vous ne lui voulez point faire part de ce peu de biens que vous avez sur la terre? Il vous a aimé lors même qu’il n’a vu aucun bien en vous; il vous a réconcilié à son Père lorsque vous étiez son ennemi, et vous ne faites pas la moindre grâce à celui qui vous aime et qui vous a fait tant de bien? N’est-il pas raisonnable qu’avant -même de recevoir cet héritage du ciel et ces autres biens que Dieu vous promet, vous lui rendiez grâces par avance de cette faveur qu’il vous fait de lui pouvoir donner quelque chose? Ne savez- vous pas que lorsque les maîtres reçoivent quelque présent de leurs serviteurs, ou qu’ils daignent aller manger à leurs tables, ce sont les serviteurs qui se tiennent pour obligés, et qui croient avoir reçu une grâce? C’est ici tout le contraire. Ce n’est point le serviteur qui invite son maître à sa table, mais le Seigneur même, qui invite et qui prévient son esclave, et après cela même, vous avez la dureté de ne pas inviter votre maître à votre tour.

Il vous a le premier invité à venir manger sous son toit, et vous ne lui rendez pas la pareille? Il vous a vêtu lorsque vous étiez nu, et vous ne le recevez pas chez vous, lorsqu’il est étranger et qu’il passe? Il vous a le premier fait boire à sa coupe, et vous ne lui donnez pas un verre d’eau froide? Il a rassasié votre âme de l’eau si douce du Saint-Esprit; et vous négligez de soulager la soif de son corps? Il vous a donné ce breuvage céleste et spirituel lorsque vous ne méritiez que des supplices, et vous lui refusez ces assistances temporelles d’un bien même qui est à lui? Ne tenez-vous pas à grand honneur de prendre entre vos mains cette coupe sacrée dont Jésus-Christ même doit boire, et de l’approcher de votre bouche? Et ne savez-vous pas qu’il n’est permis qu’au prêtre seul de vous présenter le calice où est le sang de Jésus-Christ? Mais je n’examine point avec rigueur, vous dit Jésus-Christ, la grandeur des biens que je vous donne pour les comparer avec ce que je reçois de vous. Je recevrai de bon coeur ce que vous me donnerez. Quoique vous ne soyez que laïque, je ne rejetterai point votre don, et je n’exige pas de vous autant que vous avez reçu de moi. Je ne vous demande pas votre sang; je ne vous demande qu’un verre d’eau quand elle serait froide.

3. Pensez donc quel est Celui à qui vous donnez à boire et tremblez-en de frayeur. Pensez que vous êtes devenu le prêtre de Jésus-Christ lui offrant de votre propre main, non pas votre chair, mais votre pain; non votre sang, mais de l’eau froide. Il vous a revêtu des vêtements du salut, et il vous en a revêtu par lui-même; revêtez-le donc au moins par votre serviteur, Il vous adonné un rang honorable dans le ciel, délivrez-le donc de cette nudité affreuse où vous le voyez, et de ce froid qu’il endure. Il vous a rendu le compagnon de ses anges, recevez-le donc au moins dans votre maison. Quand vous ne me traiteriez, vous dit-il, que comme l’un de vos serviteurs je ne refuse point cette demeure, quoique je vous aie ouvert les cieux. Je vous ai délivré de la plus dure prison qui fût jamais; je n’exige point néanmoins de vous que vous me fassiez la même (358) grâce. Je ne vous demande point que vous me délivriez des fers et de la prison, mais seulement que vous m’y veniez visiter; cela me suffit pour me consoler. Je vous ai ressuscité de la mort horrible où vous étiez; je ne vous demande point cela, venez seulement me voir quand je suis malade.

Lors donc que les biens qu’on nous a faits sont si grands et que ceux qu’on exige de nous sont si petits et que nous négligeons néanmoins de les faire, quels supplices ne devons-nous point attendre? N’est-ce pas avec sujet qu’on nous condamne à ces flammes éternelles, qui ont été préparées pour le diable et pour ses anges, puisque nous sommes plus insensibles que les pierres? Car quelle insensibilité qu’après avoir reçu tant de choses, et que devant en recevoir de si grandes, nous soyons encore les esclaves d’un or que nous allons bientôt - quitter malgré que nous en ayons? Tant de personnes ont donné leur propre vie et ont répandu leur sang, et vous ne voulez pas même donner quelques superfluités pour gagner le ciel, et pour mériter ces immortelles couronnes? Quelle excuse alléguerez-vous, quel pardon espérerez-vous, vous qui êtes si prompt à vider vos greniers pour. semer vos terres, si joyeux d’épuiser vos coffres, pour donner tout votre argent à usure; niais qui êtes si avare et si cruel lorsqu’il s’agit de nourrir votre propre maître dans la personne des pauvres.

Pensons donc à ceci, mes frères; pensons à ce que nous avons reçu, à ce que nous devons recevoir, et à ce que Dieu nous demandera; et ne tenons plus nos coeurs attachés au monde. Devenons enfin tendres et compatissants à la misère des. pauvres, et n’attirons pas sur nous par notre dureté, la rigueur de cet effroyable jugement. Car ne suffirait-il pas pour nous condamner que nous ayons joui de tant de biens pendant cette vie, que Dieu en exige si peu de nous pour en soulager les pauvres, qu’il ne nous demande même que ce que nous serons obligés de quitter bien malgré nous, et qu’ayant si peu d’affection pour ce qu’il nous commande, nous en ayons tant pour tous les biens de la vie? Une seule de ces choses serait capable de nous perdre : que sera-ce donc lorsqu’elles seront toutes jointes ensemble? quelle espérance nous restera-t-il de nous sauver?

Pour éviter donc une condamnation si épouvantable, témoignons à l’avenir plus de tendresse envers les pauvres, pour jouir ainsi des biens d’ici-bas et de ceux de l’autre vie, que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (359)

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