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HOMÉLIE XXV« JÉSUS AYANT ACHEVÉ CES DISCOURS, LES PEUPLES ÉTAIENT RAVIS EN ADMIRATION DE SA DOCTRINE. CAR IL LES ENSEIGNAIT COMME AYANT AUTORITÉ ET NON PAS COMME LES DOCTEURS DE LA LOI. » (CHAP. VII, 28, 29, JUSQUAU VERSET 5 DU CHAP. VIII.) ANALYSE 1. Le Christ fuyait lostentation. 2. Jésus-Christ tantôt observait la loi mosaïque et tantôt sen dispensait. 3. Explication de cette parole : In testimonium illis. 4. et 5. Rien nest plus important pour la piété que lhumble reconnaissance des dons de Dieu; lingratitude est lennemie du salut.
1. Ne semblait-il pas que ce peuple dût au contraire souffrir avec peine quon lui imposât tant de lois nouvelles et sabattre à la vue dune doctrine si pure et si élevée? Doù vient donc quau contraire il est ravi de joie? Cest la puissance de Celui qui enseignait qui opéra ce prodige, cétait elle qui semparait des coeurs, qui jetait les esprits dans le ravissement, qui persuadait par le charme de cette parole; cétait elle qui, même après que le divin Maître eut fini de parler, retenait les auditeurs autour de lui. En effet le texte sacré nous apprend que lorsque Jésus descendit de la montagne, toute cette multitude laccompagna, ne pouvant se résoudre à le quitter, tant sa parole avait de force et de charmes ! On admirait particulièrement lautorité avec laquelle il prêchait. Car il ne parlait point comme de la part dun autre, ainsi que Moïse et les prophètes; mais il témoignait partout que cétait lui qui avait le pouvoir de commander, et quil lui appartenait détablir des lois, Aussi lorsquil publiait ces lois , il disait presque toujours : « Et moi je vous « dis, » etc. Et quand il parlait de ce jour terrible du jugement, il déclarait assez quil était le Juge qui devait punir les méchants et récompenser les bons. Aussi sa parole produisait-elle un étonnement bien naturel. Car si les scribes, lors même quil leur témoignait sa puissance par ses actions et par ses miracles, ne laissaient pas de le décrier, et voulaient même le lapider; combien plus les auditeurs du sermon sur la montagne devaient-ils être scandalisés, lorsquil ne se faisait encore connaître que par des paroles, particulièrement dans ces commencements, où il navait point fait encore de miracles qui rendissent témoignage à sa puissance? Cependant tel nétait pas leffet produit sur eux par la parole de Jésus. Cest quun coeur simple, et une bonne âme se rend sans peine à la lumière de la vérité. Ainsi les pharisiens sont scandalisés de la puissance de Jésus-Christ lorsquil la prouve par ses miracles; et ceux-ci, sans avoir vu de prodiges, sont édifiés de lautorité avec laquelle il leur parle, ils sont persuadés de ce quil leur dit, et ils le suivent. Cest ce que lévangéliste témoigne lorsquil dit : « Jésus étant descendu de la montagne, une « grande foule de peuple le suivit. (VIII, 1.) Ce ne sont pas les scribes ni les princes qui le suivent, cest un peuple simple, exempt de corruption et de malice. Voilà ceux quon voit dans tout lEvangile sattacher toujours à lui. Lorsquil parlait en public, ils lécoutaient avec un profond silence, sans faire de bruit, sans linterrompre, sans lui faire dobjection, sans le tenter, et sans rien trouver à redire à ce quil disait, comme les pharisiens ont fait si souvent. Cest pourquoi nous voyons ici quaprès même un si long discours, ils ne laissent pas de le suivre, et dêtre dans ladmiration de sa doctrine. Mais je vous prie, mes frères, de considérer (208) ici combien est grande la sagesse de Jésus-Christ, et comme il varie sa conduite en la proportionnant au besoin de ses auditeurs, en passant tantôt des miracles aux instructions, at tantôt des instructions aux miracles. Avant que de monter sur la montagne, il guérit plusieurs malades, pour disposer les esprits à le croire; et après ce long sermon, il recommence à faire encore de nouveaux miracles, pour appuyer ce quil avait dit. Puisquil enseignait « comme ayant puissance, il fallait empêcher quon ne simaginât que cette manière denseigner nétait que le fait dune vanité présomptueuse, cest pourquoi il fait éclater la même autorité dans ses oeuvres, et il guérit les maladies comme ayant puissance; » le ton de souveraineté qui paraissait dans sa parole ne devait plus sembler étrange dès quon apercevait dans ses miracles le même caractère. « Lors donc quil fut descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivit. Et un lépreux venant à lui ladorait en lui disant: Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir (2). Et Jésus «étendant la main le toucha en lui disant: Je le veux, soyez guéri. Et aussitôt sa lèpre fut guérie (3). » Cet homme fait preuve de beaucoup de sagesse et de foi en approchant de Jésus-Christ. Il ne va point inconsidérément interrompre son discours. Il ne fend point la foule pour venir avec précipitation jusquau Sauveur. Il attend paisiblement une occasion favorable, et lorsquil le voit descendre, il sapproche de lui, non dune manière indifférente, mais avec une humilité profonde. Il se prosterne à ses pieds, comme le marque un autre évangéliste, avec un respect qui montrait quelle foi sincère il avait, et quelle grande idée il se faisait de Jésus-Christ. Il ne lui dit point: Si vous priez Dieu pour moi; mais: « Si vous le voulez, vous pouvez me guérir. » Il ne dit pas non plus: « Seigneur, guérissez-moi : » mais il lui laisse tout entre les mains; il le rend maître absolu de sa guérison, et il rend témoignage à sa toute-puissance. Mais, dira-t-on, si lopinion du lépreux était une opinion erronée ?... Alors il eût fallu détruire lopinion, et reprendre et redresser celui qui lavait. Or est-ce que Jésus-Christ la fait? Point du tout; au contraire il confirme et corrobore ce qua dit cet homme, Cest pourquoi il ne dit pas simplement: soyez guéri, mais: « Je le veux, soyez guéri, de sorte que le dogme de la toute-puissance et de la divinité de Jésus-Christ ne repose plus seulement sur lopinion dun homme quelconque, mais sur laffirmation même de Jésus-Christ. Les apôtres ne parlaient pas de la sorte, et ne sattribuaient pas ainsi cette puissance dans les miracles quils faisaient. Car voyant les hommes surpris et étonnés des prodiges quils faisaient en leur présence, ils leur disaient : « Pourquoi nous regardez-vous avec admiration, comme si cétait nous qui par notre « propre puissance eussions fait marcher cet homme?» (Act. III, 12.) Mais le Seigneur, lui, que dit-il, lui qui parlait dordinaire si humblement de lui-même, et dont le langage était infiniment au-dessous de sa gloire; que dit-il, pour établir le dogme de sa divinité, devant toute cette multitude qui le regarde avec stupéfaction? « Je le veux, soyez guéri. » 2. Quoique le Sauveur ait opéré une infinité dautres -miracles très-éclatants, on ne voit pas quil fasse usage de ce mot ailleurs quici; il en use ici à dessein pour appuyer la pensée que ce lépreux et tout le peuple avait de sa puissance. Il dit sans hésiter : « Je le veux; » et il le dit efficacement, et ce quil veut, sexécute au moment quil le commande. Que si cette parole eût été une parole de blasphème, elle naurait pas été autorisée par un miracle. Mais voici que la nature obéit à lordre que Jésus lui donne, elle se hâte dobéir, elle obéit plus vite encore que lévangéliste ne le marque. Car ce mot, « aussitôt, » est encore trop lent pour marquer la promptitude de lopération. Jésus-Christ ne se contente pas de dire « Je le veux: soyez guéri ;» mais « il étend sa main et le touche. » Cette circonstance mérite dêtre examinée. Car pourquoi, guérissant le lépreux par sa volonté et par la force de sa parole, veut-il encore le toucher de la main? Il me semble quil le fait, pour montrer quil nétait point sujet à la loi qui défendait de toucher un lépreux; mais quil était au-dessus delle, et quil ny a rien dimpur pour un homme qui est pur. Le prophète Elisée nosa pas agir avec cette autorité dans une occasion semblable. Il ne voulut point voir Naaman qui le vint trouver pour être guéri de sa lèpre : et quoiquil sût que cet eunuque se scandalisait de ce quil ne le voyait pas pour le toucher, il voulut néanmoins observer la loi à la rigueur, et sans sortir de chez lui : il se contenta de lenvoyer au Jourdain pour sy (209) laver. Jésus-Christ fait donc voir en touchant ce lépreux, quil nagit pas en serviteur, mais en maître. Cette lèpre ne rendit point impure la main de Celui qui la touchait; et le lépreux au contraire fut purifié par cet attouchement divin. Car Jésus-Christ nest pas venu seulement pour guérir les corps, mais pour instruire les âmes de ses vérités saintes, et pour les porter à la vertu. Comme il ne défendit point de se mettre à table sans laver ses mains, lorsquil établit cette loi si excellente de manger indifféremment de toute sorte de viandes; il fait voir ici de même que cest le coeur quil faut purifier et non le corps ; et que, sans se mettre en peine de ces purifications extérieures et judaïques, il ne fallait plus penser quà guérir la lèpre intérieure et spirituelle. Car la lèpre du corps nempêche point la vertu de lâme. Jésus-Christ donc est le premier qui ose toucher un lépreux, et personne de tout ce peuple ne lui en fait un crime; cest quil navait pas affaire à des juges corrompus, ni à des témoins rongés par lenvie. Ainsi bien loin de tirer de ce miracle un sujet de médire, ils le considèrent avec admiration et avec respect. ils reconnaissent et ils adorent dans les paroles et dans les actions de Jésus-Christ une puissance souveraine à qui rien ne peut résister. Après quil eut guéri ce lépreux, il lui dit: « Gardez-vous bien de parler de ceci à personne : mais allez vous montrer au prêtre, et offrez le don prescrit par Moïse , afin que ce leur soit un témoignage (4). » Quelques-uns croient que Jésus-Christ défendit au lépreux de parler de ce miracle, de peur de donner lieu à la malignité des prêtres de sexercer dans lexamen quils en feraient. Cette interprétation est sans apparence de raison, puisque le lépreux avait été si bien guéri quil ny avait pas lieu à révoquer en doute la guérison. Il voulait donc faire voir par cette conduite combien il était éloigné de rechercher la gloire et lapplaudissement des hommes. Quoiquil sût que cet homme ne sempêcherait jamais de dire un si grand miracle; et quil lallait publier de toutes parts, le Seigneur ne laisse pas de faire tout ce quil doit de son côté pour éviter lostentation et la vaine gloire. Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ commande-t-il à un autre homme quil avait guéri, de publier sa guérison?Il ny a pas là de contradiction, mais seulement une différence de conduite qui sexplique par la différence des motifs; dans le cas que lon objecte il voulait enseigner la reconnaissance; en effet, il ne commandait pas quon le célébrât lui-même, mais que lon rendît gloire à Dieu. Il nous apprend donc par celui-ci à être humbles; et par cet autre quil délivra dune légion de démons, il nous apprend avec quelle reconnaissance nous devons recevoir les grâces de Dieu. Comme les hommes se souviennent dordinaire de Dieu lorsquils sont malades, et quils loublient lorsquils sont guéris, Jésus-Christ avertit cet homme qui avait été possédé, de rendre gloire à Dieu de sa guérison (Marc, y, 19), pour nous porter à nous souvenir également de Dieu, et dans la maladie et dans la santé. Mais pourquoi Jésus-Christ ordonne-t-il à ce lépreux de se montrer au prêtre et doffrir son présent? Il voulait accomplir la loi. Car sil ne lobservait pas toujours, il ne la détruisait non plus toujours. Il faisait usage tantôt de lun, tantôt de lautre de ces moyens: de lun pour préparer les hommes à létablissement de son Evangile, de lautre pour fermer la bouche aux juifs téméraires, et pour condescendre à leur faiblesse. Et doit-on sétonner que Jésus-Christ ait usé de ce tempérament dans les commencements de sa prédication, lorsquon voit les apôtres, qui cependant avaient reçu lordre formel daller prêcher aux gentils, de rompre toutes les digues pour laisser les flots de la doctrine se répandre sur le monde, dexclure lancienne loi, de renouveler les commandements, dabroger les antiques observances, lorsquon les voit tantôt observer la loi et tantôt sen dispenser? Mais, me dira-t-on, quel rapport y a-t-il entre lobservation de la loi et cette parole: Montrez-vous au prêtre? Un rapport évident. Il y avait une vieille loi qui réglait que, lorsquun lépreux était guéri, il ne devait pas être lui-même juge de sa guérison, mais se montrer au prêtre, lui fournir la preuve de sa guérison, pour être autorisé par lui à rentrer dans les rangs des purs. Si le prêtre ne prononçait lui-même le jugement sur la guérison, le malade était toujours obligé de demeurer hors du camp séparé des autres. Cest pourquoi Jésus-Christ dit à ce lépreux: «Allez vous montrer au prêtre, et offrez le don prescrit par Moïse. » Il ne dit pas, le don que jai prescrit, mais il le renvoie encore à la (210) loi, pour ôter tout prétexte à la médisance de ses envieux. Et afin quon ne pût pas dire de lui quil ravissait aux prêtres lhonneur qui leur était dû, après avoir guéri ce lépreux, il le leur renvoie, pour leur laisser le discernement de cette guérison, et les rendre juges de ses miracles. II semble quil dise : Je suis si éloigné de mopposer ou à Moïse, ou aux prêtres de la loi, que je porte même ceux que je guéris à leur obéir en toute chose. 3. Mais examinons ce que veut dire cette parole : « afin que ce leur soit un témoignage;» cest-à-dire, afin que cette guérison soit la conviction de leur malice, et quelle soit leur condamnation sils veulent toujours être ingrats et rebelles à la vérité. Comme ils me veulent faire passer pour- un séducteur, et quils me persécutent comme un ennemi de Dieu et le violateur de la loi, vous me servirez un jour de témoin contre eux, que je ne lai point violée, puisquaprès vous avoir guéri, je vous renvoie aussitôt au prêtre : ce qui est le fait dun homme qui honore la loi, qui a de la déférence pour Moïse, bien loin quil soit hostile aux anciennes croyances. Que si dailleurs Jésus-Christ prévoyait que cette exacte observance de la loi ne lui servirait de rien à légard des Juifs, nous pouvons juger par là même quelle estime il en faisait, puisque la prévision quil avait de linutilité de ses soins, ne lempêchait pas de faire tout ce qui dépendait de lui. Il savait bien que ce soin serait sans effet. Cest pourquoi il dit que ce miracle leur sera non une instruction, ou un avis qui les redressera; mais « un témoignage » qui les condamnera et les confondra : un témoignage, dit-il, qui leur prouvera que cest de moi que vous avez tout reçu. Je prévois que ce ménagement sera inutile, mais je ne veux pas laisser dêtre exact à ne rien omettre de ce que je dois faire, quoique je sois certain quils demeureront dans leur opiniâtreté et dans leur endurcissement. Il dit la même chose ailleurs: « Cet Evangile sera prêché dans tout le monde pour servir de témoignage à toutes les nations; et alors viendra la consommation de toutes choses. » (Matth. XXVI, 43.) A quelles nations servira-t-il de témoignage? à celles qui nobéiront pas, et qui ne consentiront pas à lEvangile. Car afin que personne ne pût dire: pourquoi prêchez-vous à tout le monde, puisque tout le monde ne doit pas croire votre parole? Je le fais, dit-il, afin quon reconnaisse que jai fait ce que je devais, et que personne ne puisse se plaindre de navoir point entendu prêcher mon Evangile. Cette prédication répandue dans toute la terre sera un témoignage qui convaincra les infidèles, et personne ne pourra dire : nous navons point entendu ces vérités n puisque « le bruit sen est répandu « jusquaux extrémités de la terre. » (Ps. XVIII, 3.) Travaillons donc, mes frères, à accomplir exactement, à limitation de Jésus-Christ, ce que nous devons à notre prochain, et à rendre -à Dieu de continuelles actions de grâces. Car ce serait une étrange ingratitude de recevoir tous les jours tant deffets de sa bonté, et de ne pas lui en témoigner notre reconnaissance, sinon par nos actions, au moins par nos paroles et par nos cantiques, et cela lorsque ces actions de grâces ont pour nous de si grands avantages. Dieu na nul besoin de nous; mais nous avons infiniment besoin de lui. Laction de grâces que nous lui rendons najoute rien à ce quil est, mais nous sert à laimer davantage, et à avoir plus de confiance auprès de lui. Car si le souvenir des biens que nous avons reçus des hommes, nous porte à les aimer avec plus dardeur, il est hors de doute que si nous repassons souvent dans notre esprit les grâces dont Dieu nous a comblés, nous nous sentirons plus prompts et plus ardents à lui obéir. Aussi saint Paul nous donne cet avis si important : « Soyez reconnaissants. » (Colos. III, 15.) En se souvenant des bienfaits de Dieu on se les assure, et la continuelle action de grâces est la garde fidèle de toutes les grâces. Cest pourquoi nos mystères si terribles et si salutaires tout ensemble, qui se célèbrent dans toutes les assemblées de lEglise, sappellent « Eucharistie » : cest-à-dire, action de grâces, parce quils sont le monument dune infinité de dons que Dieu nous a faits, et du plus grand de tous ces dons, et que nous y trouvons toujours de nouveaux sujets de renouveler nos sentiments de gratitude et de reconnaissance. Si cest un miracle prodigieux quun Dieu soit né dune vierge, et si lévangéliste même nen parle quavec admiration, lorsquil dit par ces paroles courtes, mais pleines de sens : « Tout cela sest fait, etc. (Matth. 1,22), »que devons-nous dire de sa mort même? Si lEvangile dit seulement de sa naissance que cétait « tout; » que dirons-nous de ce quil a bien voulu être crucifié, quil a répandu son (211) sang pour nous, et quil sest donné à nous pour être notre aliment et notre festin spirituel? Rendons-lui donc de continuelles actions de grâces, et que ce sentiment prévienne toujours toutes nos paroles et toutes nos actions. Rendons grâces à Dieu, non-seulement des biens que nous en avons reçus nous-mêmes, mais encore de ceux quil a faits aux autres. Ce sera ainsi que nous étoufferons en nous toute envie, et que nous enracinerons dans notre coeur une charité pure et sincère, puisque nous ne pouvons pas envier aux autres les biens quils ont reçus de Dieu, après lavoir remercié avec joie de ce quil lui a plu de les leur donner. Cest pour cette raison que le prêtre, à lautel, nous commande de rendre grâces à Dieu en présence de cette divine hostie, et de prier généralement pour toute la terre, pour ceux qui nous ont précédés, pour ceux qui vivent maintenant, et pour ceux qui nous suivront. Car cette disposition nous dégage de la terre, nous élève dans le ciel, et fait que dhommes nous devenons des anges. 4. Nous savons quautrefois les anges sassemblèrent en troupes pour rendre grâces à Dieu des biens ineffables dont il nous avait comblés en nous donnant son Fils, et quils firent retentir dans lair ces paroles de reconnaissance: « Gloire à Dieu dans les cieux, et paix sur la terre, et bonne volonté dans les hommes !» (Luc, II, 14.) Vous me direz peut-être que cet exemple ne nous concerne pas, puisquil est tiré des anges et non pas des hommes. Et moi je vous dis quil nous intéresse au plus haut point, puisquil nous apprend que nous devons aimer nos frères, au point de nous réjouir du bien qui leur arrive comme sil nous arrivait à nous-mêmes. Aussi saint Paul rend grâces à Dieu, presque dans toutes ses épîtres, pour tout le bien qui se fait dans tout le monde. Imitons ce saint apôtre, et témoignons à Dieu une continuelle reconnaissance pour toutes les grâces grandes ou petites quil fait ou à nous-mêmes ou à tous les autres. Les dons de Dieu les plus petits deviennent grands lorsque lon considère la grandeur de Celui qui donne, ou plutôt ceux même qui paraissent petits, sont encore grands, non-seulement parce quils viennent de lui, mais par leur propre nature. Pour ne rien dire maintenant de tant de biens dont Dieu comble les hommes, qui surpassent en nombre le sable de la mer, quy a-t-il de comparable au mystère de notre rédemption? Il a donné ce quil avait de plus cher et de plus précieux. Il a livré son Fils unique pour nous qui étions ses ennemis. Non-seulement il la donné pour être notre prix et notre rançon, mais encore pour être notre nourriture. Il fait lui seul tout en nous, et nous donnant tout, il nous inspire encore la reconnaissance de ses dons. Et comme lhomme est, dordinaire, porté à lingratitude, use met lui-même en notre place, et fait pour nous ce que nous devrions faire nous-mêmes. Que sil a porté autrefois les Juifs à la reconnaissance en établissant parmi eux des fêtes , en certains temps et en certains lieux, pour les faire souvenir de ses bienfaits, il le fait maintenait parmi nous dune manière beaucoup plus admirable par le sacrifice quil a institué dans la loi nouvelle, où nous lui offrons par son propre Fils de continuelles actions de grâces. Jamais personne ne sest tant appliqué à élever un autre homme, à lagrandir et à lui inspirer la reconnaissance de tous ses soins, que Dieu ne le fait à légard de nous. Il nous fait même souvent du bien malgré nous, et il nous assiste de mille manières que nous ne connaissons pas. Si ce que je vous dis vous surprend, je vous le ferai voir sensiblement dans un exemple, tiré non pas dol premier venu, mais de saint Paul même. Ce bienheureux apôtre, affligé et pressé dune tentation fâcheuse qui le mettait en danger, pria Dieu souvent de les délivrer. Mais Dieu considéra plus son avantage que sa demande, comme il le lui déclina lui déclara lui-même par ces paroles : « Ma grâce vous suffit, car ma force se perfectionne dans linfirmité. » (II. Cor. XII, 9.) Ainsi avant même que de lui découvrir ce qui le portait à lui refuser ce quil demandait, il lui faisait un bis malgré lui et sans quil le sût. Après cela Dieu nous demande-t-il quelque chose de grand et de pénible, lorsque pour tant de soins et tant de tendresses quil a pour nous, tout ce quil désire de nous cest que nous nen soyons pas ingrats? Obéissons donc, et rendons-lui cette reconnaissance quil nous demande. Rien na tant perdu les Juifs que lingratitude. Cest surtout ce crime qui leur a attiré cette suite et cet enchaînement ; maux dont Dieu les a punis dans sa colère . Cest ce crime qui avant même ces plaies sensibles dont Dieu les frappait, perdait leurs âmes invisiblement : « Car lespérance dun ingrat, » dit lEcriture, « est comme un brouillard dhiver. » ( Sap. XVI, 27.) Lingratitude tue plus les âmes que les brouillards les plus malsains ne tuent les corps. Et cette plaie si effroyable, mes frères, vient principalement de lorgueil et dune persuasion secrète quon est digne de ces dons. Mais au contraire un coeur contrit et humilié rend également grâces à Dieu de toutes choses, non-seulement pour les biens, mais encore pour les maux de cette vie; et quoi quil souffre, il ne croit jamais souffrir que ce quil mérite. Travaillons donc, mes frères, à humilier notre coeur à proportion que nous avancerons dans la vertu, puisque cette humilité intérieure est leffet et la marque de la plus haute vertu. Comme à mesure que notre vue devient plus claire et plus forte, nous voyons plus distinctement combien nous sommes éloignés du ciel; de même, à proportion que nous avançons dans la piété, nous reconnaissons mieux la différence qui est entre Dieu et nous. Cest une grande partie de la sagesse chrétienne que de bien connaître ce que nous sommes. Nul ne se connaît plus parfaitement que celui qui croit quil nest rien du tout. David et Abraham nont jamais été si humbles que lorsquils ont été au comble de la vertu. Cest alors que lun sest appelé « de la poudre et de la cendre (Gen. XVIII, 27), » et lautre, « un ver de terre. »(Ps. XXI, 9) Tous les saints ont eu de semblables sentiments et se sont anéantis comme ceux-ci. Le superbe, au contraire, et le présomptueux, est connu des autres, et inconnu à lui-même. Cest pourquoi nous avons coutume de dire de ces orgueilleux: Cet homme soublie, il ne sait ce quil est. Que pourra donc connaître celui qui ne se connaît pas lui-même? Comme en se connaissant bien on connaît tout; en ne se connaissant pas on ignore tout. Tel est celui qui disait: « Jétablirai mon trône au-dessus des astres. » (Is. XIV, 44.) En méconnaissant ce quil était, il est tombé dans une ignorance de toute chose. Saint Paul était bien éloigné de cette pensée. Il se regarde comme un « avorton (I. Cor. XV, 8), » et comme le « dernier de tous les saints; » cest-à-dire de tous les fidèles. Et après tant de travaux, après tant dactions si éclatantes, il nose pas même se donner le nom dapôtre. Imitons, mes frères, cet homme si humble, et pour nous rendre capables de le suivre, dégageons-nous de la terre et de tous ses soins. Car il ny a rien qui nous fasse tant oublier ce que nous sommes, que lattachement aux choses du monde; comme rien nattache tant au monde que lignorance de ce quon est. Ces deux maux sont inséparables, et ils naissent mutuellement lun de lautre. Comme celui qui recherche la gloire du monde, et qui estime les biens présents, ne se pourra jamais bien connaître quelque effort quil fasse; celui au contraire qui se méprise, se connaîtra sans peine, et cette connaissance lui ouvrira lentrée de toutes les autres vertus. Pour acquérir donc une connaissance si utile, dégageons-nous de toutes ces choses vaines qui allument et entretiennent en nous le feu de nos passions: apprenons quelle est notre bassesse et notre néant. Descendons dans lhumilité la plus profonde, pour nous élever dans la plus haute sagesse, afin de jouir en cette vie et en lautre, des biens que Dieu nous a préparés, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, appartient toute la gloire et lempire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |