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HOMÉLIE XXXVII« MAIS COMME ILS SEN ALLAIENT, JÉSUS COMMENÇA A DIRE AU PEUPLE, EN PARLANT DE JEAN : QUÊTES-VOUS ALLÉS VOIR DANS LE DÉSERT? UN ROSEAU AGITÉ DU VENT ? QUÊTES-VOUS, DIS-JE, ALLÉS VOIR ? UN HOMME VÊTU AVEC LUXE ET AVEC MOLLESSE? VOUS SAVEZ QUE CEUX QUI SHABILLENT DE CETTE SORTE SONT DANS LES MAISONS DES ROIS. » (CHAP. XI, 7, JUSQUAU VERSET 25.) ANALYSE 1. Jésus-Christ défend saint Jean. 2. En quoi saint Jean lemporte sur les autres prophètes. Que Jésus-Christ ne se compare point à saint Jean. 3 et 4. Jésus-Christ et saint Jean tendaient au même but par des voies différentes. 5.-7. Combien il est dangereux pour les chrétiens dassister aux spectacles et aux comédies. Quils doivent éviter les divertissements honteux et criminels, et ne rechercher que ceux qui sont saints et innocents
1. Tout ce qui se passa entre Jésus-Christ et les disciples de saint Jean fut conduit avec une admirable sagesse, et ils sen retournèrent persuadés par tons ces miracles quils virent de leurs propres yeux. Il restait encore dapporter quelque remède aux illusions de ce peuple. En effet, quoique ces disciples neussent aucun mauvais soupçon de leur maître en cette rencontre, le peuple pouvait néanmoins avoir des pensées fâcheuses et très-déraisonnables touchant cette ambassade que saint Jean envoyait faire à Jésus-Christ. Ces hommes qui ne pénétraient pas les raisons du saint précurseur, pouvaient aisément dire en eux-mêmes : Jean na-t-il pas rendu un témoignage très-avantageux à Jésus-Christ? doù vient donc quil doute maintenant si cest lui qui doit venir, ou si on en doit attendre un autre? est-ce quil nest plus uni maintenant à lui comme il était auparavant? est-ce quil est devenu plus timide dans sa prison? ou que ces témoignages quil avait rendus autrefois nétaient pas fondés en vérité? Voilà les soupçons qui pouvaient sélever dans lesprit de ces hommes. Or admirez, mes frères, comment Jésus-Christ soutient leur faiblesse, et de quelle manière il éloigne deux toutes ces pensées. «Lorsque ces disciples sen allaient, Jésus « commença à dire au peuple, en parlant de Jean (7). » Pourquoi attend-il quils sen soient allés? Cest afin de ne pas paraître flatter saint Jean. Mais en voulant redresser légarement de ce peuple, il ne rapporte point publiquement leurs soupçons, et il se contente de répondre à leurs secrètes pensées pour leur apprendre quil connaissait le fond de leur coeur. Il ne leur dit point comme aux Juifs: « Pourquoi avez-vous des pensées mauvaises dans votre coeur? » Car sils avaient formé ces soupçons, ce nétait pas néanmoins par malice, mais par ignorance. Cest pourquoi Jésus-Christ leur parle fort doucement. Il ne les reprend point, mais il les guérit de leurs doutes. Il justifie devant eux la conduite de saint Jean, et il leur fait voir quil nest point changé, et quil est demeuré toujours ferme dans son premier sentiment: que ce nétait point un homme léger et volage, mais ferme et constant, et entièrement incapable de trahir le ministère que Dieu lui avait confié. Il les dispose même peu à peu à entrer dans ce sentiment. Il ne leur parle pas dabord comme de lui-même, mais il se sert de leur propre témoignage, et il les fait souvenir quils ont assez fait voir non-seulement par leurs paroles, mais encore par leurs actions quils avaient été toujours persuadés de la fermeté de saint Jean. Car il leur dit: « Quêtes-vous allés voir dans le désert? Un roseau agité du vent(7)?» Cest-à-dire: qui vous a portés à quitter les villes et vos maisons pour aller en foule dans le désert? Etait-ce pour y voir un homme inconstant et léger? Cela serait sans apparence. Vous nauriez pas-sans doute témoigné un si grand empressement pour si peu de chose. Tant de peuples et tant de villes ne seraient pas venus fondre de tous côtés sur le bord du Jourdain, si vous neussiez eu une idée de Jean comme dun grand homme, comme dun homme admirable et plus ferme quun rocher. « Car vous nêtes pas allés dans le désert pour y voir un roseau agité du vent. » Le roseau est proprement la figure des esprits légers qui se laissent emporter sans aucune résistance, tantôt dun côté, tantôt dun autre, qui disent aujourdhui une chose et demain tout le contraire. Considérez comme Jésus-Christ sapplique particulièrement à lever ce soupçon quils avaient pu avoir de quelque inconstance qui aurait paru dans saint Jean. « Quêtes-vous, dis-je, allés voir? un homme vêtu avec luxe et avec mollesse? Vous savez « qùe ceux qui shabillent de la sorte sont dans les maisons des rois (8).» Il semble quil leur dise par ces paroles: Il est certain que Jean ne vous a pas paru de lui-même léger et inconstant, puisque cette ardeur avec laquelle vous lavez été trouver en foule prouve le contraire. Vous ne pouvez pas dire non plus quétant ferme par lui-même, il sest laissé amollir et relâcher par les délices de la vie. Car les hommes sont dordinaire ce quils sont, ou parce quils sont nés tels, ou parce quils le sont devenus ensuite. Il y a des personnes qui sont colères naturellement. Il y en a dautres qui, tombés dans une longue maladie, sont devenus colères par limpatience que leur a causé leur mal. Il y en a de même qui sont légers et inconstants de leur nature, et il y en a dautres qui le sont devenus en vivant dans le luxe et dans les délices. Mais Jean, leur dit Jésus-Christ, nest ni léger par lui-même, puisque « vous nêtes point allés dans le désert pour y voir un roseau agité du vent;» et il na point depuis cessé dêtre ferme, en sabandonnant au plaisir et au luxe, puisque son vêtement, son désert et sa prison prouvent le contraire. Sil avait aimé les délices, il naurait point choisi un désert pour sa demeure. Il aurait bien pu aussi éviter la prison, et demeurer dans les maisons des princes. Il navait quà se taire pour cela, et il eût joui en paix dun très. grand bon fleur. Car si Hérode la tant respecté,(302) quoiquil le reprît si librement, et sil la révéré dans sa prison même, combien laurait-il encore plus honoré sil eût voulu garder le silence? Qui peut donc raisonnablement soupçonner de légèreté un homme qui témoigne tant de constance dans ses actions? 2. Après avoir ainsi relevé saint Jean par le lieu où il demeurait, par le vêtement dont il usait, et par ce concours de peuple qui affluait vers lui de toutes parts, il ajoute une chose qui lui est encore plus avantageuse. « Quêtes-vous donc allés voir? un prophète? Oui, je vous le dis, et plus quun prophète (9). Car cest de lui quil est écrit: jenvoie devant vous mon ange qui vous préparera la voie (10). » Après avoir rapporté le témoignage que tous les Juifs ont rendu à Jean, il passe à celui que lui ont rendu les prophètes, ou plutôt il rapporte prèmièrement le témoignage des Juifs qui était très-considérable, puisquil lui était rendu par ses propres ennemis. Le second témoignage est celui que rendait à saint Jean la sainteté de sa vie. Le troisième est celui quil lui rend lui-même, et le quatrième enfin celui que lui rend le Prophète, fermant ainsi la bouche à tous ceux qui auraient pu avoir des pensées désavantageuses à ce saint. Et pour les empêcher de dire : mais sil a dabord été tel, ne peut-il pas sêtre relâché dans la suite? il leur montre le contraire par lhabit dont il sest toujours servi, par la prison où sa générosité la fait mettre, et enfin par le témoignage du prophète même. Ensuite, comme il lavait appelé le plus grand des prophètes, il montre en quoi il est le plus grand. En quoi est-il plus grand que les autres? Parce quil était lé plus proche du Messie que les prophètes avaient annoncé « Jenvoie, » dit-il, « mon ange devant vous, » cest-à-dire proche de vous. Comme ceux qui sont les plus proches de la personne du roi sont les plus honorables; ainsi saint Jean, comme le plus grand de tous, marche immédiatement devant le Sauveur. Mais remarquez que ce témoignage si avantageux ne le satisfait pas encore, il va plus loin et ajoute cet oracle de sa propre bouche. « Je vous dis en vérité quentre tous ceux qui sont nés des femmes, il ne sen est point élevé de plus grand que Jean-Baptiste (11), » cest-à-dire que jamais femme na eu de fils plus grand ni plus saint que saint Jean. Quoique cet oracle suffise tout seul, néanmoins si vous en voulez mieux voir la vérité, souvenez-vous de la vie de Jean, quelle était sa nourriture, quelle était sa demeure, et combien son esprit était élevé en Dieu. Il vivait sur la terre comme sil eût été déjà dans le ciel. Il sétait mis au-dessus de toutes les nécessités de la nature. Sa vie était toute nouvelle et inouïe jusqualors; il était toujours occupé à la contemplation et à la prière. Il ne parlait jamais à personne, et il ne sentretenait quavec Dieu seul. Il ne voulait voir aucun homme, ni ne se laissa voir à aucun. Il ne fut point nourri de lait. Il ne se servit ni de lit, ni de maison, ni de tous les secours quon va chercher dans les villes, et qui sont les plus nécessaires à la vie des hommes. Et quoique sa vie fût si dure, il était doux néanmoins, et il avait allié en lui la douceur avec la fermeté et le courage. Sa douceur paraît dans la manière dont il supporte les défauts de ses disciples, sa fermeté dans les exhortations quil fait aux Juifs, et son courage dans la liberté avec laquelle il reprend Hérode. Cest pourquoi Jésus-Christ dit : « Entre tous ceux qui sont nés des femmes, il ne sen est point élevé de plus grand que Jean-Baptiste. » Mais pour empêcher encore que ces louanges ne fissent un mauvais effet dans lesprit des Juifs, qui estimaient plus saint Jean que Jésus-Christ, considérez avec quelle sagesse il remédie à ce mal. Comme, en effet, ce que saint Jean avait fait dire à ses disciples troublait le commun des Juifs en leur faisant croire quil y avait quelque légèreté dans sa conduite, ce que Jésus-Christ aussi avait dit à lavantage de saint Jean pour le justifier de ce reproche pouvait beaucoup nuire à ses disciples en leur donnant lieu de préférer leur maître à Jésus-Christ même. Cest donc ce quil veut prévenir par ces paroles: « Mais, dans le royaume des cieux, le plus petit est plus grand que lui (11). » Jésus-Christ sappelle plus petit que Jean, parce quil était un peu moins âgé, ou parce quil était plus petit que saint Jean dans lesprit du peuple qui disait de Jésus: « Voici un homme de bonne chère, et « qui aime à boire : nest-ce pas là le fils de cet « artisan? » et qui partout parlait de lui avec mépris. Quoi donc! me direz-vous, Jésus-Christ se compare avec saint Jean et nous marque quil était plus grand que lui? Dieu nous garde de cette pensée! Quand saint Jean (303) dit lui-même de Jésus-Christ: «Il est plus fort que moi, » ce nest point en se comparant à Jésus-Christ quil parle de la sorte. Que saint Paul parlant de Moïse dise que Jésus-Christ « mérite plus de gloire que lui (Héb. III, 3), »ce nest point en faisant aucune comparaison entre eux deux. Et lorsque Jésus-Christ dit de lui-même : « Celui qui est ici est plus grand que Salomon (Matth. XII, 42), » il ne se compare nullement avec ce roi. Que si nous accordions que ces paroles renferment une comparaison, il faudrait dire que le Fils de Dieu nen avait usé que pour saccommoder à la faiblesse de ce peuple, parce que les Juifs avaient conçu une estime extraordinaire de saint Jean, qui sétait encore beaucoup augmentée depuis sa prison, parce quils voyaient que la générosité avec laquelle il avait repris le roi lui avait fait perdre sa liberté. Et ainsi cétait relever Jésus-Christ à leur égard que de légaler à saint Jean. Nous voyons que lEcriture se sert de cette même conduite, et quelle compare des choses qui nont aucune proportion entre elles pour condescendre à la faiblesse des hommes, et pour les tirer de leurs erreurs, comme lorsquelle dit: « Entre tous les dieux il nen est point qui vous ressemble, Seigneur. Il ny a point de Dieu qui soit semblable à notre Dieu. » (Ps. LXXXV, 7.) Quelques-uns disent que ces paroles de Jésus-Christ en parlant de Jean : « Celui qui est le plus petit dans le royaume de Dieu, est plus grand que lui (Exod. VIII, 8), » se doivent entendre des apôtres; dautres les appliquent aux anges : mais cette explication ne peut subsister. Lorsquon sécarte une fois du point de la vérité, on tombe aisément dans beaucoup derreurs. Car quelle liaison auront ces paroles avec celles qui les précèdent, si on les entend des apôtres ou des anges? Dailleurs sil voulait parler de ses apôtres, pourquoi ne les aurait-il pas nommés? Que sil ne se nomme pas lui-même, bien que ce soit de lui-même quil parle, cela sexplique, parce que le peuple était prévenu contre lui, et parce quil ne voulait pas parler à son avantage, ce que nous voyons quil a toujours évité avec grand soin. Quest-ce à dire dans le royaume des cieux? cest-à-dire, dans les choses spirituelles, et qui regardent le ciel. Mais Jésus-Christ fait voir encore quil ne fait point comparaison de lui avec saint Jean, lorsquil dit : « Quentre tous ceux qui sont nés des femmes, il ne sest point élevé de plus grand prophète que Jean-Baptiste.» Car sil est né dune femme, il nen est pas né comme saint Jean. Il nétait pas un simple homme, il nétait pas né comme les hommes naissent dordinaire, mais dune manière tout extraordinaire et tout ineffable. 3. « Et depuis le temps de Jean-Baptiste jusquà présent le royaume des cieux se prend « par violence, et ce sont les violents qui lemportent (12). » Quel rapport y a-t-il de ces dernières paroles avec celles qui les précèdent? Il y en a un grand et profond. Jésus-Christ porte ici ce peuple à croire en lui, et il con. firme ce quil avait dit auparavant de saint Jean.. Car si toutes choses ont été accomplies jusquà saint Jean, cest donc moi, dit-il, qui devais venir selon ce qui avait été prédit. « Car jusquà Jean tous les prophètes aussi bien que la loi ont prophétisé et annoncé des choses futures (13). » Les prophètes nauraient donc point cessé. si je nétais venu au monde. Nattendez donc plus personne, et nen cherchez plus dautre que moi. Il est clair que cest moi qui devais venir, puisque tous les prophètes ont cessé dès que je suis venu, et que tous les jours le monde se hâte de croire en moi. La foi que lon a en moi est déjà si claire et si connue, que plusieurs la prennent et la ravissent comme par violence. Qui sont, dites-vous, ces personnes qui lont prise par violence ? tous ceux qui se sont approchés de Jésus-Christ avec ardeur. Il ajoute ensuite une autre marque, lorsquil dit: « Si vous voulez le recevoir, cest lui-même qui est cet Elie qui doit venir (14).» Il est dit dans lEcriture: « Je vous enverrai Elie pour réunir les coeurs des pères avec leurs enfants. » (Malach. IV, 5.) « Cest là, » dit-il, « cet Elie si vous voulez le recevoir. Car jenverrai mon ange devant votre face. » (Ibid. 3.) Il dit fort bien: « si vous le voulez recevoir, » pour montrer quil ne contraint et ne violente personne. Et il parlait de la sorte afin quon lécoutât favorablement, et quon reconnût quen effet Elie était Jean, et que Jean était Elie. Ils ont eu tous deux le même ministère, et lun et lautre ont été véritablement précurseurs. Cest pourquoi Jésus-Christ ne dit pas généralement : Cest là Elie, mais: « Si vous le voulez recevoir, cest Elie, » cest-à-dire, si vous voulez comprendre ce que je dis, et (304) examiner avec soin et sans contention les actions de lun et de lautre. Et ne se contentant pas encore de cela, pour montrer quelle prudence il fallait pour entendre ces paroles, il ajoute: « Que celui-là lentende qui a des oreilles pour entendre (45). » Il leur disait tant de choses si obscures et si confuses pour les exciter à lui faire des questions, que sils ne sortaient pas encore de leur assoupissement, ils en seraient bien moins sortis sil leur eût dit des choses claires et manifestes. Car on ne peut pas dire que les Juifs navaient pas la hardiesse dinterroger Jésus-Christ, parce quil était trop diffIcile dapprocher de lui. Comment ces Juifs qui lui faisaient des questions sur les moindres sujets, qui le tentaient en tant de manières, qui après avoir été tant de fois confondus par les réponses de Jésus-Christ, ne se rebutaient jamais comment, dis-je, ces hommes ne leussent-ils pas interrogé, questionné, quand il sagissait dun sujet si important, sils avaient eu quelque désir de sinstruire ? Après lui avoir fait si à contre-temps des questions sur la loi, et lui avoir demandé quel en était le premier commandement, sans quils eussent aucun besoin de lapprendre de lui, comment, sils avaient eu lamour de la vérité, ne leussent-ils pas prié dexpliquer une réponse obscure quil semblait être obligé déclaircir, et quil ne leur faisait même que pour les exciter à en demander léclaircissement? Car en disant: « Les violents lemportent, » et ajoutant aussitôt, « que celui-là lentende qui a des oreilles pour entendre, » il est clair quil les invitait en quelque sorte à lui demander lintelligence de ces paroles. « Mais à qui dirai-je que ce peuple-ci est semblable? Il est semblable à ces enfants qui sont assis dans la place, et qui crient à leurs compagnons, et leur disent (16): Nous avons joué de la flûte pour vous réjouir, et vous navez point dansé : nous avons chanté des airs lugubres pour vous exciter à pleurer, et vous navez point témoigné de deuil (17). » Quoique ce passage paraisse encore détaché de ce qui précède, il y est néanmoins fort bien lié, cest toujours sur le même sujet que parle Jésus-Christ : il veut montrer que, malgré toutes les apparences contraires, il existait entre lui et Jean un parfait accord; cest ce qui a déjà été indiqué à propos de lambassade. Il fait donc voir aux Juifs que de tous les moyens qui pouvaient procurer leur salut, il nen a omis aucun. Cest la répétition de ce que disait le Prophète: Que puis-je faire à cette vigne que je ne lui aie déjà fait? « A qui, » dit en effet le Sauveur, dirai-je que ce peuple-ci est semblable? Sinon à ces enfants qui sont assis dans la place et qui crient à leurs compagnons: Nous avons joué de la flûte pour vous réjouir, et vous navez point dansé : nous avons chanté des airs lugubres pour vous exciter à pleurer, et vous navez point témoigné de deuil. » (Isaïe, V, 4.) « Car Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils disent: Il est possédé du démon (18). Le Fils de lhomme est venu mangeant et buvant, et ils disent: Cest un homme de bonne chère, et qui aime à boire; cest un ami des publicains et des gens de mauvaise vie (19). » Il semble que Jésus-Christ veuille leur dire par ces paroles: Nous sommes venus Jean et moi par deux voies toutes contraires: nous avons imité les chasseurs qui poursuivant une bête fort difficile à prendre, lui tendent des filets en divers endroits, afin que sils la manquent dun côté ils la prennent de lautre. Comme tout le monde dordinaire admire ceux qui jeûnent beaucoup, et qui mènent une vie dure et austère, Dieu par une mesure pleine de sagesse, fait que Jean dès le berceau saccoutume à cette vie, afin que le peuple surpris de cette austérité, lécoute avec respect, et ajoute foi à ses paroles. Pourquoi donc, me dira quelquun, Jésus-Christ na-t-il pas suivi la même voie? je réponds quil la suivie, comme on le voit assez par les quarante jours de son jeûne, et par le reste de sa vie, puisquallant prêcher de village en village, il navait pas même un lieu pour reposer sa tète. Mais il a trouvé encore un autre moyen de tirer avantage de ce genre de vie, qui avait paru dans saint Jean, avec tant déclat. Car il sest acquis une aussi grande estime dans lesprit des Juifs par le témoignage que lui a rendu saint Jean si célèbre par lautorité de sa vie, que sil eût été -lui-même aussi austère que son précurseur. Dailleurs saint Jean na été recommandable que par léminence de sa vertu. Car « Jean na fait aucun miracle (Jean, X, 20), » comme il est marqué dans lévangile : au lieu que Jésus-Christ n joint encore à sa vertu le témoignage de ses miracles. Cest pourquoi Jésus-Christ. laissant à saint Jean la gloire quil sétait (305) acquise par ses jeûnes, a voulu marcher par une autre voie. Il sest trouvé, pendant le temps de sa prédication; à la table des publicains et des pécheurs, et il a bien voulu boire et manger avec eux. 4. Après cela voici ce que nous avons à dire aux Juifs. Aimez-vous laustérité? Louez-vous le jeûne? Pourquoi donc navez-vous pas cru saint Jean, lorsquil a voulu vous persuader que Jésus-Christ était le Messie? Que sils répondent au contraire que le jeûne est une chose rude et pénible, nous leur dirons: pourquoi donc navez-vous pas cru en Jésus-Christ, qui na pas jeûné comme saint Jean, et qui amené une vie commune? Ainsi quils approuvassent lune ou lautre de ces conduites différentes, Dieu leur avait ouvert un chemin pour gagner le ciel. Mais au lieu de se servir de ce double moyen quils avaient de se sauver, ils se sont jetés comme des bêtes furieuses et sur saint Jean, et sur Jésus-Christ même. Il ny a donc pas de faute à imputer à ceux qui nont pas été crus, tout le crime retombe sur ceux qui nont pas voulu croire. Car il ny a point dhomme raisonnable qui loue et qui blâme en même temps des choses toutes contraires. Par exemple celui qui aime les personnes gaies et de bonne humeur, naime point celles qui sont dun naturel triste et sauvage. Et celui qui aime ces derniers, naura point dinclination pour les premiers. Car nous ne pouvons avoir la même affection pour deux choses toutes contraires. Cest pourquoi Jésus-Christ fait parler ces enfants ainsi: « Nous avons joué de la flûte pour vous réjouir, et vous navez point dansé ; » cest-à-dire: jai voulu vous attirer à moi, en menant une vie commune et ordinaire, et vous ne mavez pas écouté : « Nous avons chanté des airs lugubres pour vous exciter à pleurer, et vous navez point témoigné de deuil. » Cest-à-dire, Jean est venu à vous, menant une vie dure et austère, et vous ne lavez pas cru. Nous navions lun et lautre quun même but et quune même pensée, et quoique nous ayons suivi une conduite toute différente, cette contrariété apparente na pas empêché que nous nayons eu la même fin dans nos actions. Cétait au contraire votre parfaite union qui produisait ces deux conduites si opposées. Après cela, quelle excuse vous reste-t-il? Cest pourquoi il ajoute : « Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants (19) » Cest-à-dire : Quoique vous nayez pas voulu me croire, vous naurez pas néanmoins sujet de vous plaindre de moi. David dit la même chose du Père: « Afin que vous paraissiez juste dans vos paroles. » (Ps. L, 6.) Car encore que Dieu prévoie que tout le soin quil prend de nous par sa providence et par sa bonté doive être inutile, il ne laisse pas de faire de sa part tout ce quil doit faire, pour confondre les âmes ingrates, et pour ne leur laisser pas la moindre ombre dont ils puissent couvrir leur opiniâtreté et leur impudence. Que si ces comparaisons de « flûtes» et de « danses » dont Jésus-Christ se sert ici pour expliquer de si grandes choses, paraissaient basses, ne vous en étonnez pas, puisquil en usait par condescendance pour la faiblesse de ses auditeurs. Cest ainsi quEzéchiel (Ezéch. IV, 16) se proportionne aux Juifs dans des exemples qui. paraissent bas et disproportionnés à la majesté de Dieu. Car rien nest plus digne de la bonté et de la grandeur de Dieu, que de sabaisser ainsi pour gagner les hommes. Mais considérez , je vous prie ici , dans quelles contradictions sengagent les Juifs. Ils disent de saint Jean quil était possédé du démon. Ils disent encore la même chose de Jésus-Christ qui avait suivi une conduite toute différente. Ainsi ils se combattent dans leurs pensées, et ils ne sont pas daccord avec eux-mêmes. Saint Luc ajoute ensuite une circonstance qui aggrave beaucoup le crime des Juifs, lorsquil dit : « Que les publicains ont justifié Dieu en recevant le baptême de Jean. Jésus-Christ donc ayant fait voir que la sagesse était justifiée par ses enfants, et que Dieu avait fait tout ce quil devait de sa part, commence ensuite à faire des reproches aux villes où il avait prêché. Nayant pu rien gagner sur ces peuples par ses raisons, il déploie leur malheur, ce qui n souvent plus de force que les menaces. Après que sa doctrine et ses miracles leur ont été inutiles, il ne reste plus quà leur reprocher leur incrédulité opiniâtre. « Alors Jésus commença à faire des reproches aux villes dans lesquelles il avait fait plusieurs miracles, de ce quelles navaient point fait pénitence (20). Malheur à vous Corozaïn ! malheur à vous Bethsaïde (2l)! » Pour montrer que ces peuples nétaient pas tombés dans ce malheur par une nécessité naturelle et inévitable, mais par leur seule malice, il marque entre ces villes celle doù il avait (306) tiré cinq de ses disciples, puisque Philippe et les quatre autres, qui ont tenu le premier rang entre les apôtres, étaient tous de Bethsaïde. « Parce que si les miracles qui ont été faits chez vous, avaient été faite dans Tyr et dans Sidon, il y a déjà longtemps quelles auraient «fait pénitence dans le sac et dans la cendre (21). Cest pourquoi je vous déclare quau jour du jugement, Tyr et Sidon seront irritées moins rigoureusement que vous (22). « Et vous Capharnaüm, qui avez été élevée jusquau ciel, vous serez abaissée jusquau fond des enfers; parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Sodome, elle se serait conservée jusquaujourdhui (23). Cest pourquoi je vous déclare quau jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement que vous (24).» Ce nest pas sans sujet que Jésus-Christ parle ici de Sodome. Il veut par cette comparaison augmenter le crime de ces villes. Car il ny avait point de plus grande preuve à donner de leur malice, que de les montrer pires que les cités les plus corrompues, non-seulement qui étaient alors sur la terre, mais qui y eussent jamais été. Il condamne encore ailleurs les Juifs en rapportant lexemple des Ninivites et de la reine de Saba. Mais au lieu quen cet autre endroit il les compare avec un peuple dont la conduite avait été très-louable, il les compare ici avec les plus corrompus des hommes, moyen beaucoup plus énergique dexprimer la même pensée. Ezéchiel connaissait et pratiquait aussi ce mode de réprobation, lorsquil disait, sadressant à Jérusalem : « Vous avez justifié vos soeurs criminelles par la grandeur de vos crimes (Ezéch. XVI, 2); » et on voit partout que Jésus-Christ se sert des mêmes expressions dont Dieu sest servi dans la loi ancienne. Il ajoute ensuite : « Cest pourquoi je vous déclare quau jour du jugement Sodome sera traitée moins rigoureusement que vous (24). » Il augmente encore ici la frayeur quil leur avait inspirée auparavant, en disant quils seront punis plus rigoureusement que ceux de Sodome et de Tyr. Ainsi il te sert dun double moyen pour les toucher, en déplorant dune part leur malheur extrême, et en leur représentant de lautre la grandeur du supplice dont Dieu les menace. 5. Ecoutons ceci, mes frères, Jésus-Christ ne menace pas seulement les incrédules de les traiter avec plus de sévérité que Sodome et que Gomorrhe. Il nous fait aussi la même menace, si nous ne recevons les hôtes qui viennent chez nous, lorsquil leur commande de « secouer contre nous la poussière de leurs pieds. » Et cest avec grande raison quil nous châtiera ainsi. Car si les désordres de Sodome furent effroyables, il faut néanmoins observer quils eurent lieu avant la loi de grâce. Mais à quels supplices nous exposons-nous, si après que Dieu a fait de si grandes choses pour nous sauver, nous sommes encore si éloignés dexercer lhospitalité, si nous nouvrons point nos maisons aux hôtes, si nous fermons même loreille pour ne point entendre leurs prières et leurs cris. Mais pourquoi me plaindre de ce que vous nécoutez pas les pauvres lorsquils vous prient, puisque vous ne voulez pas écouter les apôtres même lorsquils vous parlent, et que cest pour cela même que vous nécoutez point les pauvres? Saint Pan! vous parle dans ses épîtres, lorsquon le lit ici devant tout le monde. Saint Jean vous prêche dans son Evangile, et vous ne daignez écouter ni lun ni lautre. Et après cela nous étonnerons-nous que vous soyez sourds aux cris des pauvres, puisque vous lêtes à la voix des apôtres mêmes? Afin donc que nos maisons soient toujours ouvertes aux pauvres, et loreille de nos coeurs aux instructions des apôtres, purifions-les de tout ce qui les souille et qui les rend sourds. Car de même que loreille du corps, si elle est remplie de terre et de boue, ne peut pins entendre, ainsi loreille de notre coeur devient sourde, lorsquelle est remplie de chansons impudiques, des fables et des vains discours du monde; des inquiétudes que causent les dettes, et du soin damasser de largent par des usures. Toutes ces choses ne bouchent pas seulement les oreilles du coeur, mais elles les souillent plus que ne pourraient faire les choses les plus immondes. Cest le sens de la parole de ce barbare qui menaçait le peuple de Dieu, en lui disant : Vous mangerez vos propres excréments. Voilà lindignité que vous font endurer ces chanteurs que vous allez entendre au théâtre, non plus seulement en paroles, mais par les effets; ou plutôt, ce quils vous font est encore pire, puisquil ny a pas dordures aussi dégoûtantes que leurs chansons lubriques. Et cependant lorsque les comédiens les récitent devant vous, non-seulement vous nen avez pas de la peine, mais vous en riez, vous vous (307) en divertissez, bien loin den avoir de laversion et de lhorreur. Que ne montez-vous donc aussi sur le théâtre, aussi bien que ces bouffons, qui vous font rire? Si ce quils font nest pas infâme, que nimitez-vous ce que vous louez? Allez seulement en public avec ces sortes de personnes. Cela me ferait rougir, dites-vous. Pourquoi donc estimez-vous tant ce que vous auriez honte de faire? Les lois des païens rendent les comédiens infâmes; et vous allez en foule, avec toute la ville, pour les regarder sur leur théâtre, comme si cétaient des ambassadeurs ou des hérauts darmées, et vous y voulez mener tout le monde avec vous, pour emplir vos oreilles des ordures et des infamies qui sortent de la bouche de ces bouffons. Vous punissez très-sévèrement vos serviteurs lorsquils disent chez vous des paroles peu honnêtes. Vous ne pouvez souffrir rien de sale dans vos enfants, ni dans vos femmes le moindre mot qui choque lhonnêteté; et lorsque les derniers des hommes vous invitent à entendre publiquement ces infamies que vous détestez si fort dans vos maisons, non-seulement vous nen avez point de peine, mais vous vous en divertissez, et vous louez ceux qui les débitent. Nest-ce pas là le comble de lextravagance? Vous me répondrez peut-être que ce nest pas vous qui dites ces choses si infâmes. Si vous ne les dites pas, vous aimez au moins ceux qui les disent. Mais doù prouverez-vous que vous ne les dites pas? Si vous naimiez point à les dire, vous nauriez point tant de plaisir à les écouter, ni tant dardeur à courir à ces folies. Quand vous entendez des personnes qui blasphèment, vous ne prenez point de plaisir à ce quelles disent. Vous frémissez au contraire, et vous vous bouchez les oreilles pour ne les point entendre. Doù vient cela, sinon parce que vous nêtes point blasphémateur? Conduisez-vous de même à légard de ces paroles infâmes; et si vous voulez que nous croyions que vous naimez pas à dire des turpitudes, naimez pas non plus à les écouter. Comment vous pourrez-vous appliquer aux bonnes choses, étant accoutumé à ces sortes de discours? Comment pourrez-vous supporter le travail qui est nécessaire pour saffermir dans la continence, lorsque vous vous relâchez jusquà prendre plaisir à entendre des mots et des vers infâmes, Car si, lors même quon est le plus éloigné de ces infamies, on a tant de peine à se conserver dans toute la pureté que Dieu nous demande: comment notre âme pourra-t-elle demeurer chaste, lorsquelle se plaira à entendre des choses si dangereuses? Ne savez-vous pas quelle pente nous avons au mal ? Lors donc quà cette inclination naturelle nous ajoutons encore lart et létude, comment ne tomberons nous pas dans lenfer, puisque nous nous hâtons de nous y jeter? Nentendez-vous point ce que dit saint Paul : « Réjouissez-vous dans le Seigneur? » (Phi. I.) Il ne dit pas, réjouissez-vous dans le démon. Comment écouterez-vous ce saint apôtre, comment serez-vous touché du ressentiment de vos péchés, étant toujours comme ivre et hors de vous, par la vue malheureuse de ces spectacles? 6. Que si vous ne laissez pas néanmoins de venir en ce lieu, je ne métonne pas que vous vous acquittiez encore de ces devoirs extérieurs, ou plutôt je men étonne. Car vous ne venez ici que froidement et comme par coutume, au lieu que vous courez au théâtre avec une ardeur et une avidité insatiable. On nen voit que trop les malheureux effets, lors. que vous retournez chez vous. Cest là que chacun de vous remporte toutes ces ordures dont les paroles licencieuses, les vers impudiques et les ris dissolus ont rempli vos âmes. Toutes ces images honteuses demeurent dans votre esprit et dans votre coeur. De là vient que vous navez que de laversion pour ce que vous devriez aimer, et que vous aimez ce que vous devriez avoir en horreur. Il y en a parmi vous qui entrent dans le bain, lorsquils reviennent dun enterrement; et lorsquils reviennent de la comédie, ils ne pleurent point, au lieu quils devraient verser des torrents de larmes. Un corps mort na rien dimpur, et ne souille point celui qui en approche. Mais le péché infecte lâme de telle sorte, et y imprime des taches si horribles que toutes les eaux de la mer ne suffiraient pas pour les effacer. Il ny a que les larmes et la pénitence qui le puissent faire. Mais comme ces taches sont invisibles, on ny pense point. Ainsi nous ne craignons pas ce qui serait véritablement à craindre, et nous craignons ce qui nest rien. Mais que dirai-je du bruit et du tumulte de ces spectacles? de ces cris et de ces applaudissements diaboliques? de ces représentations (308) et de ces habits quil ny a que le démon qui ait inventés? On y voit un jeune homme, qui, les cheveux rejetés derrière la tête, prend des airs de femme et sétudie à paraître une fille dans ses habits, dans son marcher, dans ses regards et dans sa parole. On y voit un vieillard qui, après avoir quitté toute honte avec ses cheveux quil a fait couper, se ceint dune ceinture, sexpose à toute sorte dinsultes, et est prêt à tout dire, à tout faire, et à tout souffrir. On y voit des femmes, qui, la tête nue, paraissent hardiment sur un théâtre devant un peuple; qui ont fait une étude de limpudence, qui par leurs regards et par leurs paroles répandent le poison de limpudicité dans les yeux et dans loreille de tous ceux qui les voient et qui les écoutent, et qui semblent conspirer par tout cet appareil qui les environne à détruire la chasteté, à déshonorer la nature, et à se rendre les organes visibles du démon, dans le dessein quil a de perdre les âmes. Enfin tout ce qui se fait dans ces représentations malheureuses ne porte quau mal les paroles, les habits, la démarche, la voix, les chants, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets mêmes et les intrigues des comédies, tout y est plein de poison, tout y respire limpureté. Comment donc espérez-vous de demeurer chaste après que le diable vous a fait boire de ce calice de limpudicité; quil en a enivré votre âme, et que par ses noires fumées il vous a obscurci la raison? Car cest là quil vous fait voir tout ce que le vice a de plus honteux, la fornication, ladultère, le déshonneur du mariage, la corruption des femmes, des hommes et des jeunes gens, enfin le règne de labomination et de linfamie. Toutes ces choses devraient donc porter ceux qui les voient, non à rire, mais à pleurer. Quoi! me direz-vous : voulez-vous que nous fermions le théâtre pour jamais, et que nous renversions tout pour vous obéir? Tout est déjà renversé, mes frères. Car doù viennent tous ces piéges que lon tend tous les jours à la chasteté des mariages, sinon de ces représentations honteuses? Nest-ce pas de là que naissent ces adultères, dont tout est plein aujourdhui ? Nest-ce pas de là que viennent ces maris insupportables à leurs femmes, et ces femmes qui se rendent si justement méprisables à leurs maris ? Il est donc visible que cest le théâtre qui perd tout, et quil détruit lautorité des rois légitimes pour introduire celle dun tyran. Vous me direz peut-être que le théâtre est autorisé par les lois, et quainsi on ny peut rien trouver de violent et de tyrannique. Mais je vous demande si les tyrans ne sont pas ceux qui semparent injustement des villes, qui séparent les femmes davec leurs maris, qui violent la loi de la nature, et qui font servir tout à leur passion détestable? Qui est-ce, me direz-vous, que le théâtre a rendu adultère? Et moi je vous demande au contraIre, qui est celui quil na point rendu adultère? Si je pouvais ici citer des noms propres, je vous ferais voir combien ces femmes prostituées, qui paraissent sur le théâtre, ont perdu dhommes ou en les séparant de celles avec qui Dieu les avait unis, ou en leur faisant préférer lavantage honteux du vice et de linfamie au lien sacré du mariage. Quoi donc! me direz-vous, renverserons-nous les lois en détruisant le théâtre quelles autorisent ? Quand vous aurez détruit le théâtre, vous naurez pas renversé les lois, mais le règne de liniquité et du vice. Car le théâtre est la peste des villes. Cest de là que naissent toutes les séditions et tous les troubles. Ceux qui sont accoutumés à cette vie de théâtre, qui vendent leur voix pour avoir rie quoi vivre, qui nont point dautre occupation ni dautre étude que de dire et de faire des folies, sont les plus propres à exciter des séditions, et à causer des troubles parmi le peuple. Tous ces jeunes gens accoutumés à loisiveté, et nourris à cette vie de divertissements et de plaisir, sont les premiers à se soulever et deviennent plus cruels que les bêtes les plus farouches. 7. Qui a porté encore les hommes à rechercher les secrets de la magie sinon le théâtre? Afin dattirer tout un peuple à venir en foule voir leurs folies, pour assurer à leurs représentations et à leurs danses le plus dacclamations et dapplaudissements quils peuvent pour procurer à dinfâmes prostituées comme une escorte dhonnêtes femmes, ils se sont tellement plongés dans toutes les abominations de la magie, quils népargnent pas même les os des morts. Nest-ce pas de là que vient cette profusion de tant dargent que lon dépense pour avoir un commerce détestable avec le démon? Que dirai-je des impuretés et de mille autres crimes qui se commettent en (309) ce lieu? Il est donc clair que cest vous-mêmes qui corrompez les moeurs des hommes, en les attirant à ces divertissements si dangereux. Irons- nous donc, direz-vous, détruire tout lamphithéâtre? Plût à Dieu quil fût déjà détruit! quoiquà notre égard, il le soit il y a longtemps. Néanmoins, je ne vous le commande pas : conservez lamphithéâtre, mais bannissez-en tous les spectacles et les comédies, et ce vous sera une plus grande gloire que si vous laviez détruit. Imitez au moins les barbares qui se passent bien de tous ces jeux. Quelle excuse nous restera-t-il, si étant chrétiens, cest-à-dire citoyens des cieux et associés aux anges et aux chérubins, nous ne sommes pas néanmoins si réglés en ce point que le sont les païens et les infidèles? Que si vous avez tant de passion pour vous divertir, il y a bien dautres divertissements moins dangereux et plus agréables que ceux-là. Si vous voulez vous relâcher lesprit, allez dans un jardin, promenez-vous sur le bord dune rivière ou dun étang. Allez dans un lieu dont la vue soit belle, écoutez le chant des oiseaux; ou pour vous divertir plus saintement, allez visiter les tombeaux des martyrs. Tous ces plaisirs sont innocents, vous y trouverez la santé du corps et le bien de lâme; et ils nont rien de ces divertissements criminels, où lon ne trouve quune joie fausse et un prompt repentir. Mais de plus vous avez votre femme, vous avez vos enfants. Quy a-t-il de comparable à la satisfaction que vous trouvez en eux? Vous avez votre famille; vous avez vos amis ce sont là les honnêtes divertissements que vous pouvez prendre, et qui soient également utiles et modestes. Car en vérité quy a-t-il de plus agréable que les enfants? quy a-t-il de plus doux quune femme chaste à un mari chaste? Les barbares ont dit autrefois une parole digne des plus sages dentre les philosophes. Car entendant parler de ces folies du théâtre et de ces honteux divertissements quon y va chercher : « Il semble, » dirent-ils, « que les Romains naient ni femmes ni enfants, et quainsi ils aient été contraints de saller divertir hors de chez eux; » ils voulaient dire par là quil ny à point de plaisir plus doux à un homme sage et réglé, que celui quil reçoit de sa femme et de ses enfants. Mais si je vous montre, me direz-vous, des personnes à qui ces jeux et ces comédies nont fait aucun mal? Nest-ce point un assez grand mal que demployer si-inutilement un si long temps, et dêtre aux autres un sujet de scandale? Quand vous ne seriez point blessé de ces représentations infâmes, nest-ce rien que dy avoir attiré les autres par votre exemple? Comment donc êtes-vous innocent, puisque vous êtes coupable du crime des autres? Tous les désordres que causent parmi le peuple ces hommes corrompus, et ces femmes prostituées; et toute cette troupe diabolique qui monte sur le théâtre, tous ces désordres, dis-je, retombent sur vous. Car sil ny avait point de spectateurs, il ny aurait point de spectacles ni de comédies; et ainsi tant ceux qui les représentent que ceux qui les voient, sexposent au feu éternel, Cest pourquoi, quand même vous seriez assez chaste pour nêtre point blessé par la contagion de ces lieux, ce que je crois impossible, vous ne laisserez pas dêtre sévèrement puni de Dieu, comme coupable de la perte de ceux qui vont voir ces folies, et de ceux qui les représentent sur le théâtre. Que sil est vrai que vous soyez tellement pur, que ces assemblées dangereuses ne vous nuisent point, vous le seriez encore bien davantage, si vous aviez soin de lés éviter. Quittons donc ces vaines excuses, et ne cherchons point des prétextes si déplorables. Le meilleur moyen de nous justifier est de fuir cette fournaise de Babylone, de nous éloigner des attraits de lEgyptienne, et sil est nécessaire, de quitter plutôt notre manteau, comme Joseph, pour nous sauver des mains de cette prostituée. Cest ainsi que nous jouirons dans lesprit, dune joie céleste et ineffable, qui ne sera point troublée par les remords de -notre conscience; et quayant mené ici-bas une vie chaste, nous serons couronnés dans le ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |