|
|
HOMÉLIE XXXIV
ALORS DONC QUILS VOUS PERSÉCUTERONT DANS UNE VILLE, FUYEZ DANS UNE AUTRE. JE VOUS DIS EN VÉRITÉ QUE VOUS NAUREZ PAS ACHEVÉ DE PARCOURIR TOUTES LES VILLES DISRAËL, QUE LE FILS DE LHOMME NE SOIT VENU. » (CHAP. X, 23, JUSQUAU VERSET 34) ANALYSE 1. Le Christ propose son exemple à ses apôtres pour leur apprendre à supporter courageusement les injures. 2. Si nous le voulons, nous ne serons pas vaincus. 3. Celui qui confesse Jésus-Christ, le fait par la force que lui châtiments. Dieu dispense plus volontiers les biens que les châtiments. 4. Des maux qui sensuivraient si les corps ne se corrompaient point après la mort. 5. Rien de plus beau quune belle âme.
l. Après tant de prédictions pleines de terreur que Jésus-Christ vient de faire à ses apôtres, prédictions qui pouvaient abattre les coeurs les plus fermes, après ce déluge de maux qui devait fondre sur eux, lorsquaprès être mort sur une croix, leur Maître serait ressuscité et monté au ciel, il passe à des choses moins pénibles et moins dures, pour donner lieu à ses nouveaux soldats de reprendre un peu leurs esprits, et pour les rassurer contre la crainte. Car il ne leur commande pas daller attaquer eux-mêmes et dirriter leurs persécuteurs, mais de les fuir. Comme ils étaient faibles et quils ne faisaient que débuter dans lapostolat, il use dune grande condescendance. Il ne leur parle point encore des persécutions qui devaient suivre sa passion, mais seulement de celles qui la devaient précéder. Il marque cela formellement lorsquil dit: « Je vous dis en vérité que vous naurez pas achevé de parcourir toutes les villes dIsraël, que le Fils de lhomme ne soit venu. » Il semble quil les veuille prévenir et les empêcher de dire : Mais si, lorsque nous aurons fui dune ville dans une autre, nos persécuteurs nous y viennent encore chercher, que devrons-nous faire? Il les délivre de cette crainte en les assurant quils nauraient point achevé de parcourir toutes les villes de la Judée « avant que le Fils de lhomme soit venu. » Il est remarquable aussi que Jésus-Christ ne veut point dispenser ses disciples de souffrir, mais quil leur promet seulement de les assister dans leurs périls et dans leurs travaux, Il ne leur dit pas : Je vous retirerai de toutes ces persécutions, mais: « Vous naurez u point achevé de parcourir toutes les villes « dIsraël, que le Fils de lhomme ne soit venu. »Je viendrai, leur dit-il, parce que sa seule vue leur suffisait pour les consoler de toutes leurs peines. Considérez aussi comment il ne laisse pas tout faire à sa grâce; mais quil veut que ses apôtres travaillent, et quils contribuent de leur part. Si vous craignez, leur dit-il, fuyez et ne craignez plus. Il ne leur commande pas de fuir les premiers et de leur propre mouvement, mais dattendre quon les y force, et de se retirer lorsquon les y oblige. Il ne leur donne pas même une grande étendue de terre pour y chercher leur sûreté, mais seulement les pays de la Judée. Il les excite ensuite à pratiquer encore une autre vertu. Après les avoir dégagés du soin de la nourriture; après les avoir délivrés de la crainte des périls, il les fortifie maintenant contre les médisances et les calomnies. Il les a dégagés de tous les soins quapporte la nourriture, en leur disant : « Celui qui travaille mérite quon le nourrisse, » en les assurant que plusieurs les recevraient chez eux. Il leur (280) a ôté la crainte des périls lorsquil leur a dit : « Ne vous mettez point en peine de ce que vous direz ou comment vous répondrez; » et en les assurant que « celui-là sera sauvé «qui persévérera jusquà la fin. » Mais parce quil prévoyait quils passeraient pour des méchants et des séducteurs, ce qui paraît à quelques-uns la chose du monde la plus insupportable, il les fortifie contre cette crainte par son exemple, en les faisant ressouvenir de ce quon avait dit contre lui, ce qui était la plus grande consolation que ce divin Maître pût laisser à ses disciples. Ainsi comme lorsquil leur avait dit auparavant: « Tout le monde vous haïra, » il ajoute aussitôt : « à cause de « mon nom; » il les console ici de même, mais en ajoutant une nouvelle raison. Voici ce quil dit : « Le disciple nest pas plus que le maître, ni lesclave plus que son seigneur (24). Cest assez pour un disciple dêtre comme son maître, et pour un esclave dêtre comme son seigneur. Sils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plutôt traiteront-ils de même ceux de sa maison (25)? » Il fait voir clairement dans ces paroles quil est Dieu, et Créateur de toutes choses. Quoi donc! me direz-vous, ny a-t-il jamais de disciple qui soit plus grand que son maître, ni desclave qui soit plus estimable-que son seigneur? Non, le disciple en tant que disciple, lesclave en tant quesclave nest jamais plus grand que son maître selon lordre naturel des choses. Ne me citez pas ici quelques exceptions fort rares, raisonnez daprès la règle générale. Remarquez aussi quil ne dit pas: « Sils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plus traiteront-ils de même » ses esclaves? mais ceux de sa maison, usant de ce terme pour montrer laffection quil avait pour eux; comme il fait encore ailleurs en leur disant: « Vous serez mes amis si vous faites ce que je vous ai commandé; » et: « Je ne vous donnerai plus le nom desclaves, mais damis. » (Jean, XV, 14, 15.) Il ne leur dit pas en général quon a outragé le père de famille, mais il marque en particulier linjure, en disant quon la appelé Béelzébub. Il joint à cela une troisième consolation plus grande que les deux premières; parce que, comme ils nétaient pas encore élevés à une haute vertu, il avait besoin de les exciter par des considérations plus sensibles. Cest ce quil fait ici par une sentence qui semble générale et universelle, mais quil ne faut entendre néanmoins que du sujet auquel Jésus-Christ lapplique. « Ne les craignez donc point. Car il ny a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu (26). »Il leur dit par là: Il vous doit suffire pour votre consolation que moi, qui suis votre Maître et votre Seigneur, jai bien voulu passer le premier, par les mêmes outrages que vous aurez à souffrir. Si cela ne vous, suffit pas pour adoucir votre douleur, considérez au moins que dans peu de temps vous serez délivrés de ces faux soupçons. Car de quoi vous affligez-vous? Est-ce de ce quon vous appelle des séducteurs et des imposteurs? mais attendez un peu, et vous verrez tout le monde reconnaître et publier hautement que vous êtes les sauveurs de toute la terre. Le temps découvre enfin ce qui est le plus caché. Il fera connaître un jour votre innocence, et la malice de ceux qui vous calomnient; Quand on verra par vos actions que vous êtes la lumière du monde, que vous comblez de grâces tous les hommes, et que vous éclaterez en toutes sortes de vertus, on ne sarrêtera plus alors aux discours de vos calomniateurs; mais on jugera de vous selon la vérité. Vos ennemis passeront publiquement pour des imposteurs, pour des médisants, pour des âmes noires et malignes, et votre vertu sera plus éclatante que le soleil. Votre réputation se répandra et se publiera dans toute la terre, et tous les hommes seront les témoins de vos grandes actions. Ne vous laissez donc pas abattre par les maux que je vous prédis maintenant, mais fortifiez-vous par lespérance des biens à venir. Car remplissant la mission à laquelle je vous destine, il est impossible que vous demeuriez éternellement dans lobscurité. 2. Après donc que Jésus-Christ a délivre ses apôtres de toute crainte et de toute inquiétude, et quil les a élevés au-dessus de la calomnie, il les porte maintenant à témoigner une grande liberté dans la prédication de lEvangile. « Dites dans la lumière ce que je vous dis dans lobscurité; et prêchez sur le haut des maisons ce qui vous aura été dit à loreille (27). » Quoique Jésus-Christ ne dît point ceci aux apôtres dans les ténèbres, et quil ne leur parlât point à loreille, il use néanmoins de (281) cette expression par une espèce dhyperbole. Comme il leur parlait à eux seuls, et dans un petit coin de la Judée, il dit quil leur parlait dans lobscurité et à loreille, en comparaison de cette liberté quil leur devait donner un jour dans la prédication de sa parole. Car tous nannoncerez pas, dit-il, mon Evangile à une, à deux ou trois villes seulement, mais généralement à toutes les parties du monde; vous traverserez les terres et les mers, les pays habités et inhabités; vous prêcherez devant les rois et devant les peuples; vous enseignerez les philosophes et les orateurs, et vous leur parlerez avec une fermeté et une assurance qui leur donnera de la terreur. Il se sert de ces mots : « Quils prêcheront sur le haut des maisons, et dans la lumière, » pour marquer cette hardiesse sainte avec laquelle ils devaient parler. Mais ne suffisait-il pas de leur dire : « Prêchez sur le haut des maisons et dans la lumière?» Pourquoi ajoute-t-il: « Ce que je vous ai dit à loreille et dans les ténèbres, » sinon pour leur élever lesprit, et les rendre capables de ses grands desseins? Cest ainsi quil leur dit dans saint Jean: « Celui qui croit en moi fera les mêmes oeuvres que je fais, et en fera même de plus grandes. » (Jean, XIV, 1.) Il montre ici de la même manière quil ferait tout par eux, et plus encore quil navait fait par lui-même. Jai commencé, leur dit-il, jai marqué la première trace, et jai comme ébauché les choses; mais je veux par vous achever le reste. Cette parole au reste nest pas seulement un commandement, cest encore une prédiction; cest la parole dun homme sûr que ce quil dit saccomplira, et qui affirme aux apôtres quils triompheront de toutes les difficultés, et qui, en leur montrant le succès, détruit doucement mais sûrement langoisse que leur causait la prévision des calomnies auxquelles ils seraient en butte. Il semble quil leur disait : Comme la prédication de lEvangile, qui jusquici a été cachée et secrète, remplira néanmoins toute la terre; de même ces calomnies que vos ennemis publieront de toutes parts contre vous, se dissiperont bientôt et sévanouiront comme des songes. Après les avoir ainsi fortifiés, il leur prédit encore de plus grands périls. Mais il leur inspire en même temps un si grand courage, quil met leur âme au-dessus de tous les maux. « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer lâme; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et le corps et lâme en les jetant dans lenfer (28). » Considérez, mes frères, combien Jésus-Christ élève ses disciples, non-seulement au-dessus des soins, des inquiétudes, des périls et des pièges, des médisances et des calomnies, mais au-dessus de la mort même, qui est la chose de toutes la plus terrible, et non-seulement de la mort, mais de la mort la plus sanglante et la plus cruelle. Il ne leur dit point: On vous tuera. Il use dune expression plus douce et moins effrayante : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer lâme, mais craignez plutôt celui qui peut perdre et le corps et lâme en les jetant dans lenfer. » Il use souvent de cette conduite, et il ménage tellement la pensée des hommes, quil leur fait conclure tout le contraire de ce quils croyaient. Vous craignez la mort, leur dit-il, et cette crainte vous fait appréhender de prêcher mon Evangile. Mais cest au contraire, parce que vous craignez la mort, que vous devez prêcher hardiment, puisquil ny a que cette hardiesse sainte qui vous puisse délivrer de la véritable mort. Vos ennemis vous peuvent tuer, mais quelques efforts quils fassent, ils ne peuvent vous toucher dans la plus noble partie de vous-mêmes. Cest pourquoi il ne dit pas seulement de ces ennemis quils ne tuent point lâme, mais « quils ne la peuvent tuer, » pour montrer que quand ils le voudraient ils ne le pourraient pas. Si donc vous craignez les tourments des hommes, craignez encore plus ceux dont Dieu vous menace dans lenfer. Vous voyez encore ici que Jésus-Christ ne promet point à ses disciples de les délivrer de la mort, et quil les abandonne à la violence des hommes; mais quil leur promet une grâce plus grande que la délivrance même de la mort, puisque cest beaucoup plus de persuader à un homme de mépriser la mort, que de le délivrer de la mort. Ainsi Jésus-Christ nabandonne pas ses apôtres aux périls, mais il leur donne un courage plus grand que tous les périls. Il établit ici en passant la vérité de limmortalité de lâme; et il imprime par ce peu de paroles dans lesprit de ses disciples une doctrine salutaire qui les devait fortifier contre (282) tous les maux. Mais pour les consoler dune autre manière, et pour les empêcher de se croire abandonnés de Dieu, en se voyant dans les périls, dans les tourments et dans la mort même, il les instruit encore et les assure de sa providence dans la suite. « Nest-il pas vrai quon a deux passereaux « pour une obole? et néanmoins aucun deux « ne tombe sur la terre sans la volonté de « votre père (29). Les cheveux mêmes de votre « tête sont tous comptés (30).» Quy a-t-il de plus vil « que ces petits passereaux ? » leur dit-il, et cependant on nen prend pas un sans que Dieu le sache. II ne dit pas que cest Dieu qui les fait tomber sur la terre : cela serait trop indigne de la majesté divine; mais il déclare seulement que cela ne se fait point sans sa connaissance. Que si Dieu nignore rien de tout ce qui arrive; et sil vous aime avec encore plus de tendresse que les pères naiment leurs enfants, et jusquà tenir compte de tous vos cheveux, que devez-vous craindre? Jésus-Christ parle de la sorte, non que Dieu compte effectivement le nombre de leurs cheveux; mais seulement pour faire voir jusquoù va son soin et sa vigilance sur ceux qui le servent. Puis donc quil connaît tout, et quil peut et veut vous sauver, lorsque vous souffrirez quelque chose, ne croyez point que ce soit parce quil vous abandonne. Car son dessein nest pas de vous délivrer des maux du corps, mais de vous apprendre à les mépriser, parce que ce ne sont plus des maux quand on les méprise. 3. « Et ainsi ne craignez point: vous valez beaucoup mieux quun grand nombre de passereaux (31). » Vous voyez, mes frères, comme il arrête leur crainte. Car il pénétrait le secret de leurs pensées. Cest pourquoi il dit : « Ne les craignez donc point. » Sils ont quelque avantage sur vous, ce ne sera que sur la plus faible et sur la plus vile partie de vous-mêmes, sur le corps, qui mourrait de lui-même par une mort toute naturelle, si on ne la prévenait par une autre plus glorieuse. Ainsi ce ne seront point proprement vos ennemis qui vous feront mourir : ce sera plutôt la nature qui leur cédera son pouvoir. Que si vous craignez un homme qui a cette puissance, combien devez-vous plus craindre celui qui peut perdre lâme et le corps, en les jetant dans lenfer? Il ne dit pas clairement que ce soit lui qui ait cette puissance de perdre lâme et le corps en les jetant dans lenfer, mais il est aisé de tirer cette conséquence par ce qui précède, puisquil déclare quil est le juge du monde. Cependant, mes frères, nous faisons le contraire de ce que Jésus-Christ nous commande. Nous ne craignons point celui qui peut perdre nos âmes, et nous craignons beaucoup ceux qui peuvent perdre nos corps, quoique Dieu puisse perdre en même temps et lâme et le corps, et que les hommes soient si éloignés de nuire à lâme, quils nont pas même le pouvoir de punir le corps. Car ils ont beau le déchirer et le mettre en pièces, ils lhonorent au lieu de le punir, et toutes ses peines deviennent sa gloire. Cest ainsi que Jésus-Christ adoucit les travaux auxquels il les destinait. Car la mort leur paraissait encore bien terrible, et elle faisait une grande impression sur leurs esprits, parce que jusqualors on ne nous avait point appris à la vaincre, et que ceux qui la devaient mépriser navaient pas encore reçu la grâce et leffusion du Saint-Esprit. Mais après avoir banni cette frayeur qui les abattait, il les encourage encore dans la suite. Il chasse une crainte par une autre crainte, et il y joint lespérance dune grande récompense. Il allie ainsi les menaces avec les promesses, et il se sert de ces moyens opposés pour les encourager à prêcher la vérité avec une liberté apostolique. « Quiconque donc me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai aussi devant mon Père qui est dans le ciel (32). Et « quiconque me renoncera devant les hommes, je le renoncerai aussi devant mon Père qui est dans le ciel (33). » Il nexhorte pas seulement ses disciples par lespérance des biens futurs, mais encore par la terreur de ses jugements. LEvangile ne dit pas proprement Quiconque me confessera; mais « quiconque confessera en moi, » cest-à-dire, en mon nom, en ma puissance, pour marquer que celui qui fait cette confession ne la fait point par sa propre force, mais par le secours et par la grâce de celui qui confesse. Il dit au contraire de celui qui renonce « Celui qui me renoncera,» et non pas « qui renoncera en moi, » parce quil ne renonce quétant privé du secours de la grâce. Vous me direz, peut-être: Pourquoi donc accuse-t-on celui qui renonce Jésus-Christ, (283) puisquil ne le fait quétant abandonné du secours de Dieu ? Cest parce quil na été abandonné de Dieu que par sa faute. Mais pourquoi, me direz-vous, Jésus-Christ ne se contente-t-il pas de la seule foi du coeur? pourquoi exige-t-il encore cette confession de la bouche? Jésus-Christ le fait pour nous exciter à être courageux et intrépides. Il veut que par cette confession généreuse nous témoignions lardeur .de notre charité, et que nous nous élevions au-dessus de tout. Cest pourquoi il parle en général à tout le monde, et il nadresse point ici son discours seulement à ses apôtres. II ne se contente pas de les rendre généreux, mais il veut que cette même générosité passe dans tous leurs disciples. Aussi celui qui considère bien ces paroles de Jésus-Christ, non-seulement publiera hardiment la vérité, mais il souffrira même de grand coeur tous les maux qui lui en pourront arriver. Cest la confiance dans ces paroles de Jésus-Christ qui a donné aux apôtres un grand nombre de disciples. Car elles nous font voir que le supplice de ceux qui auront renoncé Jésus-Christ sera effroyable.; comme la récompense de ceux qui lauront confessé devant les hommes, sera incompréhensible. Plus les souffrances du juste se seront prolongées dans cette confession de Jésus-Christ, plus saccroîtra pour léternité la somme de son bonheur; au contraire le pécheur qui se flatte en ce monde du retard de sa peine, ny gagnera rien, sinon de la trouver un jour augmentée dautant plus quelle aura été plus retardée. Vous mavez confessé avec courage, dira Jésus-Christ à lun, et moi je vous promets aussi une récompense infiniment au-dessus de vos mérites. Car « je vous confesserai devant mon Père. » Et vous qui mavez renoncé, « je vous renoncerai aussi devant les anges de Dieu. » Vous voyez donc que cest pour lautre vie que Jésus-Christ réserve la dispensation des biens et des maux. Après cela pourquoi vous hâtez-vous? pourquoi vous précipitez-vous? pourquoi cherchez-vous ici votre récompense, vous qui selon saint Paul « êtes sauvé par lespérance? » (Rom. VIII, 30.) Si vous faites quelque bien dont vous ne receviez ici aucune récompense, ne vous troublez pas, mais réjouissez-vous plutôt de ce quon vous en réserve une infiniment plus grande. Si au contraire vous commettez de grands crimes sans en être puni dans cette vie, ne croyez pas pour cela quils demeurent impunis, puisque Dieu vous en châtiera un jour dune manière terrible, si vous ne prévenez ici sa justice par une patience sincère et par le changement de votre vie. Si vous ne croyez pas ce que je vous dis, jugez de lavenir parce que vous voyez tous les jours. Car si la gloire de ceux qui confessent Jésus-Christ est si grande dans ce temps même qui est le temps du combat, quelle pensez. vous quelle doive être, lorsque Dieu même les couronnera ? Si dès cette vie même vos ennemis sont contraints de vous huer, combien Dieu vous relèverait-il encore davantage, lui qui vous aime avec plus de tendresse que les meilleurs pères naiment leurs infants, lorsque le temps de récompenser les bons et de punir les méchants sera venu? Ceux au contraire qui, renoncent Jésus-Christ en seront punis terriblement dans lautre monde, et ils le sont déjà dans celui-ci. Ils sont continuellement déchirés par les remords de leur conscience. Pour avoir craint une seule mort, ils meurent cent fois; et au lieu des supplices qui auraient passé en un moment, ils se précipitent dans les éternels. Mais ceux qui meurent en confessant Jésus-Christ sont heureux en ce monde et en lautre. Leur mort est un gain puisquils en achètent limmortalité ; et après sêtre acquis ici-bas une gloire qui est plus grande que celle de tous les hommes , ils jouissent dans le ciel dune félicité qui est ineffable. Car Dieu est toujours prêt à récompenser comme à punir, et il est encore. plus, porté à faire du bien quà rendre le mal. Vous me demanderez peut-être pourquoi Jésus-Christ parle ici deux fois de lenfer, quoiquil ne parle quune fois du paradis., Il le fait parce quil sait que la crainte des peines arrête bien plus les hommes que lespérance des biens. Cest pourquoi, après avoir dit: « Craignez celui qui peut perdre le corps et lâme en les jetant dans lenfer », il dit encore: « Je le renoncerai devant mon Père. » Cest la conduite que saint Paul a gardée en parlant continuellement des supplices de lenfer. Vous voyez, mes frères, comme Jésus-Christ se sert de tout pour fortifier ses disciples. Il leur ouvre le ciel, il les fait descendre jusquaux enfers. Il leur représente ce tribunal terrible, cette assemblée redoutable de tous les (284) anges, et cette publique distribution des couronnes immortelles, pour les exciter par ces grands objets, à sacquitter avec ferveur du ministère de la prédication de sa parole. Et pour empêcher que leur timidité narrêtât le progrès de lEvangile, lorsquil se présenterait des maux à souffrir, il veut quils soient -prêts à sexposer à la mort la plus cruelle, persuadés que leurs travaux auront leur récompense, et que ceux qui les persécutent seront punis, sils ne reviennent de leurs égarements. 4. Méprisons donc la mort, mes frères, quoiquil ne se présenta pas encore doccasion de la souffrir, puisquelle nest à notre égard quun passage à une meilleure vie. Mais le corps, dans le tombeau, se réduit en poudre ? Raison de plus pour se réjouir de. ce que la mort est détruite, de ce que la mortalité, et non la substance de notre corps est anéantie. Quand vous voyez jeter dans la fournaise une statue pour la refondre, vous ne tenez pas le fait pour une destruction, mais pour une restauration avantageuse. Jugez de même de la destruction de votre corps, et cessez de vous affliger. Si le corps devait toujours demeurer dans cet état pénible où la juste punition de Dieu la réduit en cette vie, ce serait alors quil faudrait pleurer. Mais ne serait-il pas plus avantageux, me direz-vous, que nos corps passassent à cette, immortalité sans passer par la corruption et la pourriture? Je ne vois pas, si cela était, quelle utilité en pourraient retirer n les vivants ni les morts. Jusques à quand donc, idolâtres de votre corps, jusques à quand serez-vous ainsi attachés à. la terre? jusques à quand aimerez-vous lombre et les ténèbres dici-bas ? Car que vous servirait-il que vos corps demeurassent toujours entiers, ou quel désavantage au contraire nen résulterait pas pour vous? Si nos corps nétaient point réduits à cet anéantissement, il sensuivrait le plus grand des maux, lorgueil chez un grand-nombre. Que sil sen est trouvé qui ont voulu passer pour des dieux, quoique leurs corps fussent mangés dés vers et consumés de pourriture, que nauraient-ils point fait sils eussent été incorruptibles? Dailleurs les hommes neussent pu croire quils neussent été quun peu de terre. Nous le voyons maintenant et nous avons peine à le concevoir; combien donc en aurions-nous douté davantage si nous nen avions pas ce témoignage de nos propres yeux? En troisième lieu les hommes auraient eu une attache bien plus grande pour les corps, et en seraient devenus bien plus charnels et bien plus grossiers. Car sil sen trouve encore aujourdhui qui veulent bien souffrir la puanteur des sépulcres pour se. tenir auprès des personnes qui leur ont été chères durant leur vie, que nauraient-ils point, fait, si les corps fussent demeurés entiers et incorruptibles après la mort? De plus, si nous navions été réduits à cet anéantissement dans cette vie, nous aurions moins désiré la félicité de lautre. Ceux qui croient aussi que le monde est éternel se seraient servis de lincorruptibilité de nos corps pour appuyer leur erreur, et pour en conclure que le monde naurait point été créé. Nous pouvons ajouter encore que, si le corps nétait entièrement détruit après la mort, nous naurions pas assez compris quelle est la vertu de lâme, et comment cest elle qui fait tout dans notre corps. Enfin, si Dieu navait disposé les choses de cette manière, il se serait trouvé des personnes tellement possédées de passion pour leurs proches qui seraient morts, quabandonnant les villes, ils seraient venus demeurer auprès de leurs tombeaux, pour jouir de la présence de leurs corps, et pour sentretenir avec eux autant quils pourraient. Car si, maintenant que les corps périssent et se réduisent en cendre, quoi quon puisse faire pour les conserver, il y en a néanmoins qui sattachent tellement à un portrait, et à la seule figure morte de ceux quils aimaient, quils passent leur vie à la regarder; que ne feraient-ils point- sils pouvaient conserver et voir devant eux leurs corps tout entiers? Pour moi, je me persuade aisément quil sen serait trouvé qui auraient bâti des temples à ces corps morts, et que, lart de la magie se mêlant à cette passion furieuse, se serait servi du démon pour faire parler ces morts, comme sils eussent été encore vivants, puisque nous voyons aujourdhui que ceux quon appelle nécromanciens entreprennent des choses semblables, et même encore plus criminelles, quoique les corps, après la mort, soient réduits en cendre et en poussière. Et ainsi il ne pourrait naître de cette conservation de nos corps quune source dimpiété et didolâtrie. Cest donc pour prévenir tous ces abus et tous ces désordres, cest pour nous détacher de la terre et pour nous élever au ciel, que Dieu a voulu que nos corps se détruisent et disparaissent (285) aux yeux des hommes. Si celui qui est passionné pour la beauté dune jeune fille ne peut pas se laisser persuader à la raison, et reconnaître la vanité de ce quil estime tant, Dieu veut quil en soit convaincu par ses yeux. Il veut quil voie tous les jours des femmes du même âge, mieux faites et plus riches que celle qu~il aime, disparaître tout dun coup, et exhaler une grande puanteur un ou deux jours après leur mort, et être livrées à la corruption, à la pourriture et aux vers. Jugez donc par là, leur dit-il, quelle est cette beauté que vous aimez, et combien est insensée cette passion qui vous possède. On naurait point compris si sensiblement toutes ces choses si lon navait vu les corps se corrompre. Et comme les démons courent aux sépulcres et y font leur demeure ordinaire; ainsi ceux qui auraient été si passionnés pour les corps lorsquils vivaient, les auraient toujours voulu voir après leur mort. Ils auraient habité dans les sépulcres comme les possédés, et devenus bientôt eux-mêmes les sépulcres des démons, ils auraient enfin perdu la vie aussi bien que la raison par une manie si honteuse et si détestable. 5. Outre les autres raisons qui nous peuvent détacher des morts, celle-ci est très-importante, savoir, que la disparition de lobjet aimé et de son image entraîne insensiblement loubli de la passion et son extinction complète. Que si le corps ne périssait de la sorte, on verrait aujourdhui, au lieu de sépulcres et de mausolées, des villes entières pleines non pas de statues, mais de corps morts, chacun désirant de voir celui de la personne qui lui aurait été chère. Il naîtrait de là une horrible confusion. On naurait plus aucun soin de lâme des morts, et on ne voudrait plus même entendre parler de limmortalité de nos âmes. On verrait de plus beaucoup de désordres encore plus grands que ceux-ci, quil est plus utile densevelir dans le silence. Dieu veut donc que le corps soit détruit en un moment, afin quon voie plus clairement la beauté de lâme. Car si elle a la force de donner toute la vie, et toute la beauté à notre corps, combien doit-elle être et plus vivante et plus belle que le corps? et si elle peut conserver cette chair si fragile et si corrompue, combien plus se conservera-t-elle elle-même? Car le corps nest beau que par la disposition et par le mouvement de tous ses membres, et par cette couleur vive qui lanime et qui lembellit, et cest lâme seule qui lui donne cet avantage. Aimez donc votre âme, puisque cest elle seule qui embellit ce corps que vous aimez tant. Mais pourquoi me mets-je en peine de vous faire comprendre ce que le corps reçoit de lâme, par la vue de létat où il se trouve après la mort, puisque vous le pouvez voir si aisément par ce qui se passe même durant cette vie? Si lâme est dans la joie, elle la répand aussitôt sur le visage par cette couleur vermeille qui y paraît. Si elle est triste, elle efface cet éclat du teint, et elle défigure tout le visage. Lorsque lâme est contente et na point de soin, le corps est dans une parfaite santé; et lorsquelle est inquiète et mélancolique, le corps devient tout sec et tout languissant. Si lâme est agitée de colère, elle répand un feu sur tout le visage; si elle est dans la paix, elle rend loeil doux et serein. Si lâme est jalouse et envieuse, le visage en devient tout pâle et tout maigre ; si elle a de la bonté et de laffection, on le voit par louverture même et par la candeur du visage. Cest pourquoi il est arrivé souvent que des personnes qui nétaient point belles de figure létaient néanmoins par la beauté de leur âme, et que dautres au contraire qui avaient de beaux traits sont devenues difformes par le déréglement de leurs passions. Ainsi lorsque la pudeur fait rougir une personne modeste, cette rougeur donne à son visage beaucoup de grâce. Et au contraire lorsque limpudence empêche une personne de rougir, elle devient laide, quelque agréable quelle puisse être, et elle ressemble plus aux bêtes, quaux hommes. Tant il est vrai que rien nest plus beau ni plus attrayant que la pureté de lâme ! Il ny a que de la douleur et de linfamie dans lamour des corps : il ny a que de la joie, et quune joie toute pure dans lamour de lâme. Lâme est la reine, et le corps lesclave. Pourquoi abandonnez-vous celle qui commande pour admirer celui qui lui obéit? Pourquoi quittez-vous celle qui possède la lumière et la sagesse, pour vous asservir au corps et aux sens qui ne sont que ses organes? Si les yeux dune personne vous paraissent beaux, considérez lâme qui, les gouverne. Si cette âme est difforme et déréglée, méprisez ses yeux comme elle-même. Si vous voyiez une personne fort laide couverte dun (286) voile extrêmement beau, vous ne seriez point touché de la beauté de ce voile. Et si une personne dont on estimerait la beauté était tellement voilée quon ne la pût voir, vous souhaiteriez quon ôtât ce voile, et quon vous permît de la voir. Faites donc la même chose à légard de lâme, qui est couverte du corps comme dun voile. Quand le corps est difforme, il demeure toujours ce quil est; mais lâme la plus laide peut devenir belle si elle le veut. Elle aurait les yeux difformes, durs et repoussants, quelle pourrait en un moment les changer en dautres, qui seront doux, sereins, paisibles et agréables. Cherchons donc, mes frères, cette beauté intérieure et invisible, afin que nous rendant agréables à Dieu, elle nous ouvre lentrée en son éternelle gloire, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus- Christ, à qui est la gloire et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |