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QUARANTE-SIXIÈME SERMON. De la connexion de la virginité et de lhumilité .Je vous salue, Marie, pleine de grâce (Luc. I, 28). » La plénitude de la grâce ne pouvait consister dans la seule virginité, attendu qu'il n'est pas donné à tout le monde de recevoir de cette plénitude-là. Heureux ceux qui n'ont point souillé leurs robes et qui se glorifient, avec notre Reine, du privilège de la virginité. Mais n'avez vous qu'une seule bénédiction, ô ma maîtresse? Je vous supplie de me bénir aussi. La vertu de pureté a péri en moi (a) et je n'ai plus même la force de soupirer après elle. J'ai pourri sur mon fumier, et je suis devenu semblable aux bêtes de somme, mais ne trouverai-je point quelque chose auprès de vous, et s'il ne m'est plus permis de vous suivre partout où vous allez, ne pourrai-je du moins demeurer quelque part avec vous? L'ange cherche une jeune fille que le Seigneur a préparée au fils du Seigneur. Il a bu à votre urne, car il était charmé d'une vertu parente de la sienne; mais ne donnerez-vous point ainsi à boire aux bêtes de somme (Gen. XXIV, 14) ? L'ange n'a bu que parce, que vous ne connaissiez point d'homme, que les bêtes de somme boivent aussi puisque vous vous glorifiez par dessus tout de votre humilité. Vous dites, en effet . « Le Seigneur a jeté les yeux sur l'humilité de sa servante (Luc. I, 48). » La virginité sans l'humilité est une gloire, sans doute, mais non aux yeux de Dieu. Le Très-Haut regarde toujours les choses basses et humbles, et ne voit qu'avec mépris les choses élevées (Psal. CXXXVII, 5). Il donne la grâce aux humbles et résiste aux superbes (Jacob. IV, 16.) Mais peut-être votre urne, ô Vierge, n'est-elle pas remplie seulement par deux mesures, elle est capable d'en recevoir une troisième; en sorte que, non-seulement l'ange et la bête de somme puissent s'abreuver à cette urne, mais que le maître-d'hôtel le puisse aussi. Voilà, en effet, le bon vin que nous avons conservé jusqu'à ce moment; l'ange est le serviteur qui en puise, mais il n'en puise que pour en porter au maître-d'hôtel, je veux dire au Père qui, étant le principe de la Trinité, peut, à bon droit, s'appeler maître-d'hôtel. Enfin, l'ange signale à notre attention la fécondité dé Marie qui est la troisième mesure quand il nous dit : « Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le fils de Dieu (Luc. I, 32). » C'est comme s'il avait dit : Il n'y a qu'avec lui que cette génération vous soit commune.
a Bellarmin se fonde sur ces paroles pour révoquer en doute que ce sermon soit de saint Bernard dont la pureté ne souffrit jamais la moindre atteinte. Mais qui empêche de voir dans ces mots le langage d'une âme pleine de modestie qui ne s'exprime ainsi qu'en songeant aux chutes des hommes en général? Peut-être bien aussi l'orateur. se confond-il, eu cette circonstance, avec ses auditeurs. C'est la remarque de Horstius dans ses notes. En tout cas, ce sermon se trouve attribué à saint Bernard dans les plus anciennes éditions.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON SUR LE XLVI DES SERMONS DIVERS.
284. Cette vertu a péri chez moi. Saint Bernard parle ici de la virginité. Ces paroles font douter à Bellarmin que ce sermon soit bien de saint Bernard, qui, tout le monde le sait, a conservé sa virginité intacte jusqu'à la fin de ses jours. Et, en effet, il semble qu'on ne petit se dispenser de dire. d'après cela, ou que ce sermon n'est point de saint Bernard, on bien, s'il est de lui, que saint Bernard n'est pas demeuré vierge. Toutefois, je crois que rien n'empêche , malgré les paroles citées plus haut, de dire que ce sermon est de saint Bernard, et que notre saint est demeuré vierge. En effet, il est assez ordinaire aux saints et aux prédicateurs de la parole de Dieu de parler au nom de leurs auditeurs, et de s'attribuer le péché qu'ils ont en vue de reprendre et de châtier. Ainsi, pour en revenir à saint Bernard, je pense qu'il parlait en s'exprimant ainsi, s'il l'a fait, au nom de ses auditeurs, comme s'il s'était demandé ce qui reste auprès de la Vierge, mère de Dieu, à ceux qui ne peuvent plus se glorifier avec elle d'être vierges encore. Or, dans un si grand nombre de religieux, comment peut-on douter qu'il s'en soit trouvé quelques-uns dont la vertu avait fait naufrage dans le monde, avant qu'ils vinssent au monastère saisir la planche du salut que leur offrait la pénitence ? 281. D'ailleurs saint Bernard s'exprime à peu près de la même manière cri parlant de lui dans son trentième sermon sur le Cantique des cantiques, II. 7, où il dit que, dans le siècle, sa foi était morte, puisqu'elle était dépourvue de bonnes oeuvres, et que si, depuis sa conversion, elle se trouve dans un état un peu moins mauvais, cependant il arrive. encore bien souvent que les boutons à fruits de ses bonnes oeuvres se trouvent étouffés par la colère, emportés par la jactance, souillés par la vaine gloire, qu'il n'est pas jusques aux péchés de gourmandise qui ne la compromettent quelque fois. Or, tout le monde sait que personne ne fut jamais plus doux, plus humble et plus sobre que saint Bernard. On peut rapprocher de ce passage le langage que notre saint tient encore sur son propre compte, en ternies à peu prés pareils, dans son cinquante-quatrième sermon sur le Cantique des cantiques, n. 8. (Note de Horstius.)
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