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SOIXANTIÈME SERMON. Jésus-Christ est descendu et il est remonté, ainsi descendons-nous et remontons-nous aussi.
1. « Personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est dans le ciel (Joan. III, 23). » Notre-Seigneur (a) et Sauveur Jésus-Christ voulant nous apprendre à monter au ciel, a fait ce qu'il nous a enseigné et est monté lui-même au ciel. Mais comme il n'aurait pu monter s'il n'avait commencé par descendre, la divinité, étant un être simple, ne lui permettait ni de monter ni de descendre, attendu qu'elle ne peut ni croître ni diminuer ou changer en quelque manière que ce soit, il unit donc à sa personne notre nature, je veux dire la nature humaine, afin de pouvoir et monter et descendre, et nous enseigner la voie par laquelle nous pouvions monter nous-mêmes. C'est ce que nous indiquent les paroles de l'Évangile que je vous ai citées. Ces paroles, en effet, « nul n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, » expriment qu'il s'est uni la nature humaine; et celles-ci qui viennent ensuite, « celui qui est dans le ciel, » rappellent l'immuabilité de sa nature divine. Ces paroles nous indiquent également qu'il est aussi la voie par laquelle nous devons
a. Ce passage se trouve reproduit au livre VII des Fleurs de saint Bernard, chapitre I, et les suivants au chapitre II.
monter, et la patrie où nous devons demeurer; la voie pour ceux qui ont encore dans le passage, et la patrie pour ceux qui y sont parvenus. Tout en demeurant ce qu'il était dans sa nature, il est descendu et il est remonté chez nous à cause de nous, en atteignant depuis une extrémité jusqu'à l'autre avec force, et en disposant tout avec douceur (Sap. VIII, 1). Il est en effet descendu si bas qu'il ne convenait pas qu'il descendit davantage, et il est monté si haut qu'il ne saurait monter plus qu'il l'a fait. Pour ce qui est de descendre, il est descendu avec force, parce quil était la force même, mais il a disposé son ascension avec douceur, parce qu'il était la Sagesse. « Il est descendu » lisons-nous, « il n'est pas tombé, celui qui tombe ne descend point par degré, au contraire, quand on descend on pose le pied d'un degré sur l'autre. 2. Il y a donc dés degrés pour descendre comme il y en a pour monter. A la descente, le premier degré est celui qui conduit du haut du ciel à la nature humaine.; le second, celui qui aboutit à la croix, et le troisième est celui qui va jusqu'à la mort. Voilà, en effet, jusqu'où il est descendu. Aurait-il pu descendre plus bas encore? Certainement, notre Roi pouvait dire et s'écrier dans le sentiment de son coeur, s'il m'est permis de le dire: « Y a-t-il quelque chose de plus que j'aie dû faire et que je n'ai point fait (Isa V, 4) ? Personne ne saurait avoir un amour plus grand que celui qui va jusqu'à donner sa vie pour ses amis (Joan. XV, 13). » Nous venons de voir comment il est descendu, voyons maintenant comment il est monté. Il l'a fait aussi par trois degrés, dont le premier est la gloire de sa résurrection; le second, la puissance du jugement, et lé troisième, la place qu'il occupe à la droite de son Père. Par sa mort, il a mérité de ressusciter; par sa croix, de siéger sur le tribunal du juge; car, s'il fut injustement jugé sur la croix, il devait en obtenir une juste réparation le jour où il s'écrierait après sa résurrection : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre (Matt. XXVIII, 18). » Quant à sa forme d'esclave, à sa chair, veux-je dire, dans laquelle il a souffert et il est mort, il l'a ressuscitée et élevée au plus haut des cieux, il l'a placée au dessus des choeurs des anges, à la droite de son Père. Quoi de plus doux que cette disposition dans laquelle la mont est absorbée dans sa victoire, et l'ignominie de la croix se change eu gloire ? Au point que les saints s'écrient : «Loin de moi la pensée de me glorifier en autre chose que la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Galat. VI, 14). » Quoi de plus doux, dis-je, que cette disposition dans laquelle l'humilité même de la chair passe de ce monde vers le Père ? Non, il n'y a rien de plus sublime que cette ascension: on ne saurait ni dire ni concevoir rien de plus glorieux. Voilà comment le Seigneur est descendu et comment il est monté par le mystère de son incarnation, et nous a laissé un exemple pour que nous marchions sur ses pas. 3. Quant à nous, nous devons prendre exemple pour nos moeurs sur son mystère; « car quiconque dit qu'il demeure dans le Christ, doit marcher comme il a marché lui-même (Joan. II, 6). » Descendons donc par la voie de l'humilité, et que notre premier degré, je veux dire notre premier pas, soit de ne vouloir point dominer; le second, de vouloir être soumis, et le troisième de souffrir avec patience dans notre soumission, toute espèce de mépris et d'injures. Celui qui, dans les cieux, disait dans son coeur : « Je monterai au ciel, j'établirai mon trône au dessus des astres de Dieu; je m'assoirai sur la montagne de l'alliance, à côté de l'Aquilon; je me placerai au dessus des nuées les plus élevées, et je serai semblable au Très-Haut (Isa. XIV, 13), » ne connaissait point le premier degré; aussi, en s'exprimant ainsi, tomba-t-il du ciel d'une chute irréparable, et cela parce que c'est un orgueil intolérable que de vouloir dominer. Quant à nos premiers parents, dans le paradis, ils ont manqué du second degré, quand ils aimèrent mieux abuser de leur volonté que de se soumettre au Créateur; toutefois , ils ne poussèrent point la présomption jusqu'à vouloir dominer sur ceux de leur race. Aussi leur faute et leur châtiment furent-ils bien différents de l'orgueil et de la chute du diable, et méritèrent-ils de la clémence de Dieu d'être rachetés. Quant au troisième degré il fait défaut à ceux qui croient pour un temps, et qui se retirent au moment de la tentation. 4. Je vous dis toutes ces choses pour que nous sachions bien quels sont ceux que nous devons nous donner bien de garde d'imiter. En effet, le diable et l'homme voulurent également s'élever mal à propos l'un et l'autre, celui-ci à la science, et celui-là à lai puissance et tous les deux à l'orgueil. Ne veuillons point nous élever de la sorte, au lieu de cela, écoutons plutôt le Prophète se demandant comment il faut monter. « Qui est-ce qui montera sur la montagne du Seigneur? Ou qui est-ce qui s'arrêtera dans son lieu saint ? Ce sera celui dont les mains sont innocentes, et dont le coeur est pur, qui n'a pas reçu son âme en vain, ni fait à son prochain des serments faux et trompeurs (Psal. XXIII, 3). » Or, il faut noter ici que le Prophète compte aussi trois degrés pour accomplir notre ascension. Le premier est l'innocence des oeuvres, le second la pureté du coeur, et le troisième le fruit de l'édification. Or nous retrouvons ces trois degrés indiqués d'une façon admirable dans les degrés de l'ascension dont il a été parlé plus haut. En effet, nous avons vu alors que le troisième degré est le support des injures, c'est, en effet, à cela qu'on reconnaît le premier degré de cette ascension, je veux dire l'innocence des oeuvres. Le second degré était la patience de la sujétion qui est le fruit de la pureté du coeur; or, cette pureté est le second degré de l'ascension. C'est, en effet, pour cela que nous avons des docteurs placés à notre tête ; c'est pour que nous purifiions notre coeur, selon ce mot du Seigneur : « Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite (Juan. XV). » Or, le premier degré de l'ascension était le mépris de la domination qui est lui-même le fruit de l'édification. Or, quiconque ne désire point dominer les autres se trouve très utilement chargé de les conduire et de les former.
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