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QUATRE-VINGT-HUITIÈME SERMON. Du bon usage des dons de Dieu.
1. Comme il y a en Jésus-Christ deux choses, l'une inconnue, c'est sa génération divine dont il est écrit : « Qui est-ce qui racontera sa génération (Isa. LIII. 8) ? » et l'autre connue, c'est sa génération ou son oeuvre humaine, de même, dans le Saint-Esprit, il y a une chose qui est cachée à nos esprits, c'est à savoir, comment il procède du Père et du Fils, puisqu'il est égal et co-éternel au Père et au Fils, et il y en a une autre qui est claire pour nous, parce qu'il nous en a instruits lui-même, c'est la manière dont il opère sa grâce en nous. En effet , il y a deux opérations du Saint-Esprit; car il opère en nous tantôt pour nous, tantôt pour notre prochain. Ainsi c'est pour nous, c'est-à-dire, pour notre bien, qu'il opère en nous d'abord la componction en consumant nos péchés, puis la dévotion en versant l'huile sur nos blessures et en les guérissant; troisièmement qu'il crée l'intelligence comme s'il nous affermissait et nous fortifiait, en nous donnant du pain; en quatrième lieu, il semble nous enivrer de son vin quand il multiplie et augmente tous les biens dont je viens de parler, en répandant l'amour par dessus. Les autres dons, je veux dire les conseils de la sagesse, et autres grâces semblables, nous sont données pour le bien des autres. Voilà pourquoi l'Apôtre, en parlant de la distribution des dons du Saint-Esprit, ne dit pas simplement : «Aux uns est donnée » la sagesse, aux autres la science, mais, « le langage de la science, le langage de la sagesse, » pour nous montrer que ces dons nous sont donnés pour les autres, c'est-à-dire pour l'édification des autres. 2. Or, dans ces oeuvres, il y a deux dangers à éviter ; premièrement celui de donner au prochain les grâces qui nous sont données pour nous, le second de réserver pour nous les dons que nous avons reçus pour les autres; car si nous retenons seulement pour nous ce que nous avons reçu pour le bien des autres, nous n'avons point de charité, et c'est à nous que s'adressent ces paroles : « Si la sagesse demeure cachée et le trésor enfoui, à quoi serviront-ils l'un et l'autre (Eccli. XX, 32) ? » De même encore, si nous voulons faire servir les dons de Dieu à nous faire remarquer des hommes, au lieu de chercher à plaire à Dieu dans le fond de notre coeur, nous perdons l'humilité, et nous méritons d'entendre ces reproches : « Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu (I Cor. IV, 7)? » Voilà comment nous courons le danger, d'un côté de perdre l'humilité, de l'autre la charité. Or, qui peut se sauver sans humilité et sans charité? Par conséquent le bon ordre de nos progrès demande que nous commencions par nous bien remplir des premières sortes de dons, je veux dire de la componction et des autres, puis, si le Saint-Esprit nous a fait la grâce de nous combler des autres dons, je veux parler de la sagesse et de la science, c'est afin que nous ayons soin d'en faire part au prochain. Ainsi donc nous obtiendrons le don du Saint-Esprit qu'on appelle le discernement des esprits, en ne réservant pour nous que ceux qui ne nous sont donnés que pour nous, et si nous faisons profiter le prochain en même temps que nous, de ceux qui nous sont donnés dans l'intérêt des autres.
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