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QUATRE-VINGT-QUINZIÈME SERMON. Les prédicateurs doivent adoucir l'amertume de la doctrine.
1. « Or, la famine régnait en ce pays, et les enfants des prophètes demeuraient avec Élisée. Il leur fit servir un ragoût. A peine en eurent-ils goûté, qu'ils s'écrièrent: il y a dans ce pot un mets qui donne la mort, ô homme de Dieu, et ils n'en purent manger. Mais lui : apportez-moi de la farine dit-il, il la mit dans le pot et leur dit : Servez-en maintenant à tout le monde, et il en mangea lui-même, et il n'y eut plus ensuite aucune amertume dans le pot (IV. Reg. IV, 38 à 41). » La famine qui désolait le pays, c'est la disette de la parole de Dieu dans l'âme des hommes : Les fils des prophètes, ce sont les fils des prédicateurs. Le mot prophète signifie voyant. Ce n'est donc pas sans motif que les saints prédicateurs sont appelés des prophètes, car ils contemplent les secrets des mystères de Dieu, et, selon qu'ils voient en quel état sont les moeurs des hommes, ils leurs administrent des remèdes en rapport avec leurs dispositions. Élisée signifie le salut du Seigneur, c'est le nom qui convient à tout prélat, à tout docteur de l'Église, car c'est leur voix sainte et persuasive qui annonce aux peuples le salut du Seigneur, et le leur procure en le leur annonçant. Celui-ci, par exemple, pour s'acquitter de son devoir, sert à ses inférieurs un grand pot rempli d'herbes des champs je veux dire leur sert des avis pleins de gravité, remplis d'amertume, mais qui pourtant ont ressenti les chaudes influences du feu du Saint-Esprit. Mais les inférieurs, saisis de répugnance pour ces paroles austères, s'écrient: « Il y a dans ce pot un mets qui donne la mort; » et ne peuvent en manger. 2. Alors un sage dispensateur, s'il n'apporte lui-même, du moins fait apporter de la farine; car s'il ne donne point, il exhorte à avoir de la charité qui est le condiment rendant doux ce qui auparavant semblait amer. En effet, si un prédicateur peut faire retentir aux oreilles des assistants des paroles de salut, personne, si ce n'est Dieu, ne peut donner le goût de la charité au palais du coeur. C'est ce qui faisait dire à Saint Grégoire : « Si ce n'est l'esprit qui vous instruise au dedans, c'est en vain qu'au dehors les docteurs se fatiguent à vous parler (Greg. Rom. XXX, in Evang.). » Or; il y a le goût du ciel et le goût de la terre ; le goût du ciel ne saurait nous plaire tant que nous recherchons celui de notre cuisine. Dans le désert, Dieu donne des cailles et la manne : « Ce que les enfants d'Israël ayant vu, ils se dirent les uns aux autres : Manhu ? Qu'est-ce que cela? Car ils ne savaient point ce que c'était. Moïse leur dit : C'est le pain que le Seigneur vous donne pour vous nourrir (Exod. XVI, 15). » Saint Jean nous découvre le sens de ce fait dans son Évangile, quand il nous rapporte ces paroles du Seigneur: « Je vous le dis en vérité, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, etc. Aussi, plusieurs de ses disciples l'ayant entendu, dirent : ce discours est bien dur, qui peut l'écouter ? Et., à partir de ce moment, beaucoup d'entre eux s'éloignèrent de lui (Joan. VI, 61).» Voilà comment quelques âmes simples, quand elles se convertissent, sont effrayées de la sévérité de la loi. Si on leur parle du mépris du monde, de la lutte entre les vertus et les vices ; de la préoccupation des veilles, de l'assiduité de la prière, des privations et des jeûnes, elles gémissent et se disent intérieurement. Qu'est-ce cela? qui peut suffire à tant et de si grandes choses ? C'est parce qu'elles ignorent quelle force on trouve dans l'ordre, une fois qu'on y est entré. Mais le Pasteur doit leur faire entendre des paroles de consolation, et les presser d'apporter de la farine.
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