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QUATRE-VINGT-DIX-NEUVIÈME SERMON (a). Il y a quatre sortes d'hommes qui vont au ciel.
Il y a quatre sortes d'hommes qui vont au ciel. Les uns le prennent de force et les autres l'achètent, ceux-ci le volent et ceux-là y sont menés de force. Ceux qui le prennent ce sont ceux qui ont tout quitté et qui se sont mis à la suite de Jésus-Christ. C'est d'eux qu'il est dit : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux (Matt. V, 3). » Ceux qui viennent au second rang, ce sont ceux qui moissonnent dans la chair, tandis qu'on a semé pour eux dans l'esprit, c'est à eux que le Seigneur s'adresse dans l'Evangile quand il dit : « Faites-vous des amis avec l'argent de l'iniquité, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels (Luc. XVI, 9). » On les appelle marchands, parce qu'ils donnent, dans les biens temporels qu'ils possèdent, afin d'en recevoir dans la vie future, des biens éternels qu'ils ne peuvent mériter que par eux. Il faut, en effet, que ceux qui doivent être examinés au jugement dernier soient des amis du juge ou qu'ils aient des amis qui intercèdent pour eux. Ainsi la première place dans la béatitude appartient à ceux qui intercèdent, et la seconde à ceux pour qui ils intercèdent. Il y en a qui font, sans qu'on les voie, des bonnes oeuvres qui leur méritent le ciel; toutefois, on dit qu'ils volent le ciel, parce que, fuyant la gloire qui vient des hommes, ils se contentent du témoignage de Dieu. Ils sont représentés dans l'Évangile par la femme qui était malade d'une perte de sang et qui pensait en elle-même et se disait : «Si je touche la frange de son vêtement, je serai sauvée (Luc. VIII, 43). » En parlant ainsi, elle s'approchait de Jésus sans qu'on la remarquât, le touchait et était guérie. Ceux qui sont menés de force au ciel, ce sont, par exemple, les pauvres qui sont pauvres malgré eux, ceux que Dieu purifie ici-bas, dans la grâce, par le jeu de la pauvreté pour n'avoir point à les punir un jour dans les flammes du jugement. C'est d'eux qu'il est écrit « Contraignez-les d'entrer, afin que ma maison soit remplie (Luc. XIV, 23). » Il y en a beaucoup qui sont forcés, et ils le sont de diverses manières et sous le coup de diverses afflictions. Par une admirable providence de Dieu en souffrant sinon de bon gré, du moins avec patience des peines temporelles, ils méritent la vie éternelle.
a V. Les Fleurs de saint Bernard, livre IX, chapitre XVI.
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